Jonas et les coffrets de juin

Jonas 55

On ne sait si c’est pour célébrer son 55e anniversaire le 10 juillet prochain ou pour clore un partenariat de plusieurs lustres* entre Decca et le ténor star Jonas Kaufmann, toujours est-il que paraît un coffret de 15 CD à prix très doux qui récapitule les grandes années du chanteur, avec quelques pépites qui méritent d’être signalées.

Je ne sais qui a choisi la photo de couverture, légèrement too much non ? Mais le fan club ne sera pas déçu !

CD 1 Sehnsucht Mozart, Schubert, Beethoven, Wagner (Claudio Abbado / Mahler Chamber Orchestra)

CD 2 Verismo Arias (Antonio Pappano / Accademia Nazionale di Santa Cecilia)

CD 3 Romantic Arias (Marco Amiliato / Prague Philharmonic Orchestra)

CD 4-5 Wagner Airs d’opéras + commentaires de J.K.

CD 6 Schubert, Die schöne Müllerin (Helmut Deutsch)

CD 7-8 Weber Oberon (en anglais) (John Eliot Gardiner, Orchestre révolutionnaire et romantique, Hillevi Martinpelto, Steve Davislim)

CD 9-10 Beethoven Fidelio (Claudio Abbado, Lucerne Festival Orchestra, Nina Stemme)

CD 11-13 Humperdinck Königskinder (Armin Jordan, Orchestre national Montpellier)

CD 14-15 Verdi Requiem (Daniel Barenboim, Scala, Anje Harteros, Elina Garanca, René Pape)

J’éprouve un attachement particulier pour le dernier enregistrement d’Armin Jordan un an avant sa mort en 2006. C’était à Montpellier, du temps où le Festival Radio France faisait, chaque année, découvrir au moins un ouvrage lyrique inconnu ou oublié. Un ténor de 35 ans, qui était encore loin d’être la star qu’il est devenu, participait à l’aventure de ces Königskinder / Les enfants du roi d’un compositeur qui n’est resté dans les mémoires que pour son « tube » Hänsel et Gretel, Engelbert Humperdinck (1854-1921).

Souvenir amusant à propos de ce « live ». En contact avec les responsables de la branche française (Accor) d’Universal – pour les disques réalisés avec l’OPRL et Louis Langrée – je leur avais suggéré, au moment où la notoriété de Kaufmann montait en puissance, de mettre en valeur la participation de ce dernier à ces Enfants du roi. Quelques mois plus tard on voyait ressortir l’enregistrement dans un nouvel habillage (lire la critique qu’en fit Forumopera). Le coffret Decca a repris la pochette d’origine.

(*lustre = période de cinq ans)

Le piano des antipodes

Je n’ai pas évoqué ici les résultats du dernier Concours Reine Elisabeth de Belgique : j’ai, en son temps, écrit tout ce que je pensais de ce concours en particulier, et plus généralement des concours pour jeunes musiciens : De l’utilité des concours. Mon ami Michel Stockhem qui ne peut pas être suspecté d’être défavorable au CMIREB (acronyme de Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique) a écrit le 1er juin sur Facebook un billet que je pourrais signer et que j’invite vivement à lire.

Jiaxin Min, éliminée du palmarès final !

Apparemment les résultats du dernier Concours Van Cliburn ont été plus convaincants. Le nom du vainqueur, Aristo Cham, me fait irrésistiblement penser aux… Aristochats et à cette séquence

Je veux évoquer ici un coffret de 11 CD proposé à moins de 50 € sur le site anglais prestomusic.com, qui dresse un passionnant panorama d’un concours de piano, qui est l’un des plus importants de l’hémisphère sud, celui de Sydney. L’édition de ce coffret est due au responsable de la collection Eloquence, lui-même australien, Cyrus Meher-Homji (lire Des chefs éloquents) La plupart des noms de lauréats me sont inconnus, et c’est justement l’occasion de sortir de « l’européocentrisme » dénoncé par Michel Stockhem, Et en regardant la liste, on a la surprise d’y retrouver le 1er prix du concours Reine Elisabeth 1999, le pianiste ukrainien Vitaly Samoshko, que j’ai eu le bonheur d’inviter plusieurs fois à Liège. Le monde est petit !

Liste des pianistes représentés dans ce coffret :

Albright · Arimori · Bogdanov · Bolla · Broberg · Cazal · John Chen · Moye Chen · Cominati · Cyba · Del Pino · Deng · Fung · Fushiki · Gifford · Gillham · Gortler · Goto · Gough · Grigortsevich · Gugnin · Ham · Hill · Janssen · Joamets · Jurinic · Kameneva · Khairutdinov · Kim · Kitamura · Kolesova · Kolomiitseva · Jianing Kong · Xiang-Dong Kong · Kudo · Kurbatov · Kuzmin · Lakissova · Lee · Leske · Li · Liu · Lopatynskiy · Malikova · Malmgren · Masliouk · Melnikov · O’Callaghan · Owen · Pegoraro · Rashkovsky · Samoshko · Samossoueva · Sato · Scott · Shamray · Sim · Soo Rhee · Takada · Takao · Tarasevich-Nikolaev · Tarasov · Tsvetkov · Uehara · Ukhanov · Urassin · Vetruccio · Volodin · Wallisch · Wisniewski · Wright · Xie · Yemtsov · Young · Yu · Zabaleta · Zheng

Le Beethoven des Lindsay

Autre coffret proposé par prestomusic.com, l’intégrale des quatuors de Beethoven par les Britanniques du quatuor Lindsay (1966-2005). Il ne va pas dépareiller ma discothèque où se trouvent déjà, sans ordre de préférence, les Amadeus, Artemis, Hongrois, Italiano, Berg, Cleveland, Emerson, Ysaye, pour ne citer que les intégrales.



Et toujours mes brèves de blog, comme ce beau souvenir de ma soirée du 12 juin :

Sonya Yoncheva et Jean Pierre Rousseau / Auvers-sur-Oise / 12 juin 2025 / @Bachtrack

Surprises et déceptions

Si je voulais résumer cette semaine en partie parisienne, je le ferais d’une formule : deux concerts, deux expositions, une déception.

Mercredi ce fut d’abord balade dans Paris sous le premier soleil de printemps. Un régal (voir l’album Paris 2 avril 2025). Et le soir au théâtre des Champs-Elysées un grand moment de musique avec deux frères hollandais repérés lors d’un 1er janvier à La Haye et invités à jouer à la Salle Philharmonique de Liège à l’automne 2009, Arthur et Lucas Jussen. Jeanine Roze leur avait fait faire leurs débuts parisiens en mars 2023, près de quinze ans après leur premier récital hors des Pays-Bas. Du piano 5 étoiles comme je l’ai écrit pour Bachtrack: Le sacre des frères Jussen au théâtre des Champs-Elysées

C’est le bis qu’ils ont joué après l’ovation monstre qui a salué leur Sacre du printemps.

Léger & Co.

L’après-midi même j’avais visité l’exposition qui vaut mieux que son titre jeu de mots, au musée du Luxembourg, rue de Vaugirard.

Je ne suis pas fou de ce genre d’expo-concept, mais je dois reconnaître que j’ignorais les fils qui reliaient Fernand Léger à certains de ses contemporains ou de ses successeurs (si tant est que le concept de successeur ait une quelconque validité s’agissant d’artistes peintres). Par exemple entre ce tableau de Fernand Léger et cette sculpture d’Yves Klein : le bleu sans doute !

Quelques autres photos à voir dans l’album Expo Léger /Musée du Luxembourg.

Disco no disco

En revanche, la déception est venue de l’expo Disco, organisée à grand renfort de communication – visites impossibles le week-end en raison de l’affluence ! – à la Philharmonie de Paris.

On a eu pitié du personnel de surveillance qui doit se taper une ambiance boîte de nuit autour d’une fausse piste de danse. Pour le reste, peu de documents vraiment informatifs ou exclusifs, des photos, des vidéos vues cent fois dans des documentaires ou sur les réseaux sociaux. Rien ou presque du règne du disco en France (une série de photos, cf. ci-dessus, prises au Palace). Quelques tenues de scène de Sheila, Dalida ou Patrick Juvet. Rien sur les boîtes de nuit à la mode à la fin des années 70/80 telles que je les ai connues (lire Mes années disco). On peut voir quelques photos sur mon album Expo Disco / Philharmonie.

Si la situation prêtait à sourire, je me suis demandé en voyant deux ou trois photos d’eux dans l’expo si le président américain – que je me refuse à citer – savait que ce sont deux Français Henri Belolo et Jacques Morali qui ont créé, en 1978, son groupe fétiche les Village People

En sortant de la Philharmonie, le contraste avec cet enclos était saisissant.

Ce jeudi soir, j’étais de retour cette fois dans la salle de concert de la Cité de la Musique.

Je suis en train de terminer mon papier pour Bachtrack, mais puisque le concert a été filmé (et diffusé en direct par France Musique), je le livre ici sans commentaire. Mais je peux déjà dire que je ne suis pas sorti indemne de cette Voix humaine.

Et toujours au jour le jour : brevesdeblog

Ravel #150 : Shéhérazade

Bref retour sur le premier billet de cette mini-série consacrée à Ravel et à son fameux Boléro.

Je m’attendais à beaucoup d’écrits, de célébrations, d’hommages – mais il n’y a apparemment pas eu une note de Ravel, ni de Boulez dans la cérémonie des Victoires de la Musique classique du 5 mars dernier ! – mais rien qui m’eût laissé supposer un témoignage… d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, publié avant-hier, le jour du 150e anniversaire du compositeur ! Je ne savais pas la bientôt ex-maire mélomane, mais dès lors qu’elle signe un texte, elle doit en assumer les termes. J’ignore qui a pu lui inspirer pareille navrance, des mots et des expressions aussi risibles (« fredonner une interprétation »). A moins qu’il ne faille comprendre, en filigrane, une auto-célébration, puisque honorer Ravel le Parisien, c’est honorer Paris, et par voie de conséquence honorer sa maire ! A lire à la fin de cet article.

En revanche, j’ai été heureux de découvrir sur Instagram les photos que Louis Langrée a prises lors de sa visite très privée, le 7 mars, de la maison de Ravel à Montfort-l’Amaury. Il faudra vraiment que je m’organise pour m’intégrer à une prochaine visite, puisque, vu l’étroitesse et la fragilité du lieu, ce ne peut pas être un musée qu’on visite à son gré.

Le piano de Ravel

J’ai songé à faire un billet spécial sur l’oeuvre pianistique de Ravel. Mais je ne m’en sens ni le talent ni l’envie. Ravel est interdit aux mauvais pianistes. Je ne connais pas une mauvaise intégrale. J’ai lu que la soirée du 7 mars à la Philharmonie de Paris, où Bertrand Chamayou a donné tout l’oeuvre pour piano, a été une formidable réussite. Je n’en suis pas surpris.

Et quand je veux écouter Gaspard de la nuit, je me tourne vers Samson François et Martha Argerich

Shéhérazade

J’ai une affection, un attachement sans borne pour le cycle de mélodies Shéhérazade , créé le 17 mai 1904. J’ai compté 25 versions différentes (par 22 chanteuses) de l’œuvre dans ma discothèque. Et j’en ai sûrement oublié.

En concert, j’ai eu la chance de l’entendre assez souvent, et je n’ai jamais manqué une occasion de le programmer quand j’avais la combinaison idéale chef-chanteuse.

Je m’en veux d’avoir manqué ce concert du 6 octobre 2023 :

Magnifique Fatma Said, mieux que magnifiquement « accompagnée » par Pietari Inkinen et l’orchestre philharmonique de Radio France.

Beaucoup de mes versions préférées sont le lot de chanteuses de langue anglaise. J’ai toujours été frappé par la qualité de la diction française d’interprètes qui parfois, dans la vie courante, ne parlent pas un mot de français. Souvenir d’une tournée en Amérique du Sud, en 2008, avec l’orchestre de Liège et Susan Graham chantant les Nuits d’été de Berlioz à la perfection, et ne parlant qu’anglais dans nos conversations.

Admirable Marilyn Horne en 1975 au théâtre des Champs Elysées avec l’Orchestre national de France et Leonard Bernstein

Jessye Norman, plus placide mais somptueuse de voix, avec Colin Davis et le London Symphony

Disparue il y a six ans, la soprano irlandaise Heather Harper m’a toujours séduit, quelque soit le répertoire abordé. Elle trouve en Pierre Boulez un partenaire idéal.

Oui j’en reviens souvent à Armin Jordan, tant son intégrale Ravel reste une référence. Peu se souviennent en revanche de la Shéhérazade qu’il grava avec la grande Rachel Yakar, disparue il y a deux ans. Armin Jordan récidivera plus tard avec Felicity Lott.

Anne Hidalgo : Ravel et moi

« Génie de la musique, la vie, l’art et la mémoire du grand Maurice Ravel sont intimement liés à Paris.

Arrivé en 1875 à Paris, Maurice Ravel y trouve son terrain d’inspiration.

Dès son entrée au Conservatoire de Paris et poussé par l’effervescence culturelle parisienne, il puise ses influences aux côtés de Fauré ou de Debussy. C’est de là que naissent à la fois ses premières compositions et ses premiers succès.

Mais c’est sans aucun doute avec son célèbre Boléro qu’il joue le 22 novembre 1928 à l’Opéra de Paris, que Maurice Ravel accède au rang des plus grands musiciens du monde. Cette interprétation que nous continuons encore aujourd’hui de fredonner marquera à jamais l’histoire de la musique.

Le Boléro est largement inspiré par la musique andalouse qui a bercé mon enfance et que j’aime tant.

Le Boléro, est sans doute l’œuvre la plus écoutée au monde, toujours réinventée ou réinterprétée. Partout où l’on va il n’est pas rare d’entendre le Boléro.

Ce morceau est pour moi l’incarnation de l’esprit de Paris, cette ville qui ne cesse de se réinventer, baignée par toutes les influences du monde, une ville où l’on marche, où l’on court parfois, où on se mélange, où on fait des rencontres improbables à toute heure ; bref c’est tout cela à la fois le Boléro. C’est Paris.

Alors que nous célébrons le 150e anniversaire de sa naissance, à travers lui, c’est la ville lumière que nous célébrons, moderne et ouverte sur le monde qui a su au fil des siècles accompagner les artistes et donner toute sa place à l’art et à la culture.

Merci Maurice Ravel.« 

Anne Hidalgo (Facebook 7 mars 2025)

Pour rappel le petit frère de ce blog : brevesdeblog

Coda

« A “coda” is a musical element at the end of a composition that brings the whole piece to a conclusion. A coda can vary greatly in length. My life’s coda is generous and rich. Life is precious ». / En musique, la coda est l’élément qui marque la fin d’une composition, la conclusion de la pièce. La longueur d’une coda peut varier considérablement. La « coda » de ma vie est généreuse et riche. La vie est précieuse » (Michael Tilson Thomas, 24 février 2025)

Hier Michael Tilson Thomas postait un message bouleversant sur sa page Facebook, où il annonce que la tumeur qui le touche depuis trois ans a repris de la vigueur et que ses chances de s’en sortir sont incertaines (« the odds are uncertain« ).

Nous sommes tous confrontés, un jour ou l’autre, avec la fin de vie, la fin d »une vie. Nos sociétés contemporaines refusent la mort, ou sans aller si loin, la retraite, le retrait, la mise à l’écart de l’activité sociale, quelles qu’en soient les raisons.

Je disais, dans un précédent billet (Complexité, perplexité), que l’obstination que mettent certains musiciens, les chefs surtout, à durer au-delà du raisonnable, était souvent incompréhensible. Pourquoi, par exemple, publier (ou laisser publier) cet enregistrement récent de la Symphonie de Franck par un Daniel Barenboim qui n’est plus que l’ombre de lui-même (le 6 février dernier il reconnaissait lui-même être atteint de la maladie de Parkinson depuis plus de trois ans), alors qu’il a livré avec l’Orchestre de Paris il y a quarante ans une version qui avait fait date.

Il y a, heureusement, des contre-exemples, des miracles parfois : les pianistes Horszowski, Pressler… ou Rubinstein !

Et comme on le relevait dans un précédent article (Nelson et Martha), la pianiste argentine, 84 ans dans trois mois, semble être atteinte, elle, du syndrome de l’éternelle jeunesse

Témoin ce document étonnant et récent (capté au Japon ?) où Martha Argerich fait d’un mauvais piano droit l’instrument d’une ineffable poésie dans les Jeux d’eau de Ravel…

et ce merveilleux trio de Mendelssohn capté le 20 décembre dernier à Toulouse !

Élégances, inélégances

Les mots que j’ai choisis pour le titre de cet article paraissent bien désuets, dépassés. Et pourtant, je trouve qu’ils résument tant d’attitudes, de comportements actuels. Florilège.

Des amours de violonistes

Je ne sais plus comment ça a commencé sur Facebook, ce devait être pour célébrer le centenaire d’une violoniste française aujourd’hui bien oubliée, Michèle Auclair, née le 16 novembre 1924, morte le 8 juin 2005.

J’ai découvert les concertos de Mendelssohn et Tchaikovski par ses 33 tours parus dans la collection Philitps/Fontana

C’est l’ami Laurent Korcia, lui-même élève de Michèle Auclair au conservatoire de Paris, qui a lancé la chasse aux souvenirs.

De nouveau, les souvenirs affluent : j’ai raconté (L’or des Liégeois) l’aventure, il y a bientôt 15 ans, de l’enregistrement des concertos de Korngold et Tchaikovski à Liège, et le Diapason d’Or qui a salué cette parution. Fierté et reconnaissance.

A cette « discussion » facebookienne sur l’héritage de Michèle Auclair, s’est greffé un dialogue inattendu, surprenant, magnifique entre Laurent Korcia et Tedi Papavrami. Les réseaux sociaux passent pour être des déversoirs de haine, de jalousie, d’insultes, et même Facebook n’y échappe pas toujours, y compris quand on échange sur la musique. Ici c’est au contraire un assaut de compliments, de témoignages d’admiration et d’amitié, auquel les « amis » de l’un et l’autre violonistes ont pu assister. J’approuve au centuple, concernant Tedi P. qui est une aussi belle personne qu’il est un fabuleux musicien. Il a raconté qu’un enregistrement de concert du 2e concerto de Paganini avait été longtemps bloqué par YouTube pour une histoire de cadence présumée couverte par des droits d’auteur. Et Laurent Korcia, rejoint par bien d’autres amis de l’intéressé, de redire haut et fort son absolue admiration pour ce « live » exceptionnel.

Voilà pourquoi j’ai tant aimé mon métier d’organisateur de concerts, de diffuseur de beauté.

A propos de réseaux sociaux, j’en profite pour signaler que comme des millions d’autres, je quitte X (ex-Twitter) pour rejoindre Bluesky

Nomination

Je n’ai pas été le dernier à me réjouir de l’annonce de la nomination de Philippe Jordan (lire Le Suisse de Paris) à la tête de l’Orchestre national de France… à compter de septembre 2027.

Tristan Labouret pour Bachtrack et Remy Louis pour Diapason ont rendu compte élogieusement du concert que dirigeait Philippe Jordan jeudi soir (qu’on peut réécouter sur France Musique), auquel je n’ai pu assister pour cause de perturbations météorologiques !

Mais au chapitre des élégances, ou plutôt des inélégances, on peut regretter que l’emballement qu’a suscité cette nouvelle ait fait perdre à certains la notion de calendrier. Il reste encore près de trois ans à Cristian Măcelaru à exercer son mandat de directeur musical (se rappeler ici les manifestations d’enthousiasme notamment de la direction de Radio France et des musiciens à l’annonce de sa nomination !). A lire les communiqués, les interviews, nombreux depuis jeudi, on peut avoir le sentiment qu’il a purement et simplement disparu de la circulation… Pas très élégant !

J’invite à relire le papier que j’écrivais pour Bachtrack en septembre 2023, et le numéro de décembre de Diapason qui évoque la liste des « Diapasons d’Or » décernée le 16 novembre dernier :

De manière générale – j’en ai parfois été le sujet ou l’objet – on ne gagne jamais rien, et jamais devant l’Histoire, à dénigrer, amoindrir, dissimuler l’action, le travail, voire la personnalité de celui auquel on succède. Certes il y a les formules toutes faites par lesquelles on lui « rend hommage », mais elles ne grandissent ni le nouveau nommé, ni ceux qui l’ont nommé.

Dans le cas d’un orchestre, comme le National, on ne mesure qu’après coup ce qu’ont apporté, construit, des chefs, des directeurs musicaux, qu’on a tour à tour admirés puis détestés, voire oubliés. C’est aussi vrai d’une grande entreprise comme Radio France.

L’autre Gould

Je lui ai déjà consacré tout un article : Le dossier Gould. J’invite à le relire. De nouveau, c’est une discussion sur Facebook qui me conduit à en reparler. L’un rappelait les formidables enregistrements de Morton Gould avec le Chicago Symphony, l’autre citait, parmi eux, son disque Ives comme une référence – je n’ai pas dit le contraire dans mon dernier article : L’Amérique d’avant

Pour Jodie

Trouvé par hasard dans une FNAC. Un disque qui m’avait échappé. Une lumière, un souvenir, celui de Jodie Devos, si douloureusement disparue il y a presque six mois (Jodie dans les étoiles)

Chez Tante Léonie et les favorites

J’ai mis à profit le week-end du 11 novembre pour visiter une région pourtant proche de la mienne, où je n’ai longtemps fait que passer sans m’arrêter. Quatre étapes : le château de Diane de Poitiers à Anet, malheureusement non visitable, puis la « Maison de Tante Léonie » autrement dit le Musée Marcel Proust à Illiers-Combray , le château de Maintenon, sur les traces de l’épouse morganatique de Louis XIV, et bien sûr Chartres.

Le château de Diane

Je m’étais toujours demandé pourquoi la favorite du roi Henri II était nommée Diane de Poitiers, alors qu’elle est originaire du Dauphiné. J’ai eu la réponse en lisant l’excellente notice Wikipedia qui lui est consacrée : la Maison de Poitiers-Valentinois tire son nom non de la capitale du Poitou, mais d’une déformation du lieudit Peytieux à Châteauneuf-de-Bordette dans l’actuel département de la Drôme.

C’est donc pour cette Diane dauphinoise qu’Henri II fait construire le château d’Anet, un magnifique ensemble Renaissance (voir l’album photos complet ici

L’enfance de Marcel Proust

Je ne suis un lecteur intermittent de Proust, je me fais régulièrement la promesse de reprendre La Recherche. Après cette visite, je vais peut-être finir par l’honorer ! J’ai en fait suivi les aventures du très actif président de la Société des Amis de Marcel Proust, Jérôme Bastianelli, dont je connais surtout les casquettes musicales, qui ne s’est pas ménagé pour faire rénover et rouvrir cette fameuse « Maison de Tante Léonie« , que le jeune Marcel visitait enfant, à Illiers-Combray.

Il ne faut pas s’arrêter à Illiers-Combray, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Chartres, pour ses bonnes tables. Il n’y en a que de médiocres. En revanche, tout est fait pour qu’on se passionne pour ce musée qui n’est pas réservé, loin s’en faut, aux seuls lecteurs de Proust. Voir l’album complet ici

Comme la musique n’est jamais loin de Proust, j’ai trouvé ce roman que j’ai hâte de lire :

Jérome Bastianelli invente une biographie de l’auteur de cette fameuse sonate, si souvent évoquée par Proust. On veut bien croire l’éditeur qui la présente comme un premier roman brillant et surprenant, qui, si on n’a pas lu Proust, peut se lire comme la biographie imaginaire d’un grand musicien et qui, si on l’a lu, se révèle comme une délicieuse interprétation critique d’un des plus grands romans du XXe siècle,

La marquise et sa nièce

A quelques kilomètres à l’est de Chartres, c’est une autre résidence d’une autre célèbre favorite, qui se visite, et qui vaut vraiment le détour. C’est le château qu’acquiert en 1674 Françoise d’Aubigné, plus connue comme marquise de Maintenon, d’abord gouvernante des enfants illégitimes de Louis XIV et de Madame de Montespan, puis épouse morganatique du monarque après la mort de la reine Marie-Thérèse. Le château porte surtout la marque de la famille de Noailles, descendante de la nièce de Madame de Maintenon, Françoise.

La marquise de Maintenon et sa nièce Françoise, devenue duchesse de Noailles

Il faut absolument visiter le château et ses nombreuses pièces meublées avec goût (pour l’essentiel au XIXe siècle à l’initiative du maréchal Paul de Noailles), et de somptueux jardIns. Voir l’album photos complet ici.

On a évidemment repéré ce superbe clavecin Albert Dellin (Tournai 1768) laissé en dépôt par le grand claveciniste canadien Kenneth Gilbert (1931-2020)

Un millénaire à Chartres

Le chef-lieu du département d’Eure-et-Loir célèbre cette année le millénaire des fondations de sa célèbre cathédrale.

La restauration/rénovation dont a bénéficié la cathédrale depuis vingt ans laisse imaginer ce que nous découvrirons à Paris dans l’autre Notre-Dame. Très impressionnant ! Voir les photos ici.

Le centre ville n’est pas grand et malgré les bombardements de 1944 conserve quelques beaux témoignages de la ville ancienne, notamment dans sa partie basse.

Retour d’Asie centrale : deux ou trois choses vues et apprises

Après trois semaines au Kirghizistan d’abord, en Ouzbékistan ensuite, on ne peut pas dire qu’on connaît les pays qu’on a traversés ni les gens qu’on a croisés.

Mais on a noté quelques petites choses, amusantes ou sérieuses, qui éclairent, parfois contredisent l’idée qu’on se fait de ces contrées fascinantes quand on les imagine de loin.

Les femmes sans voile

Elles paraissent bien dérisoires, stupides même, les polémiques que certains nourrissent à dessein en France sur la tenue des femmes musulmanes, le voile, l’abaya etc.

Dans les deux pays, l’islam est la religion dominante. Toutes les femmes, à commencer par nos guides au Kirghizistan comme à Tachkent ou Khiva, que nous avons rencontrées, sont musulmanes. Aucune ne porte un foulard ou un voile, sauf les plus âgées quand elles sortent en ville avec leurs plus belles robes. On a aperçu quelques jeunes filles voilées. C’est une mode « ridicule » nous ont dit nos guides, jeunes femmes – l’une d’elles se marie dans trois semaines – nous expliquant que le voile intégral n’était porté que par les femmes arabes dans le désert pour se protéger du soleil et du sable. Mais qu’ici en Asie centrale, dès les années 1920, partout elles se sont émancipées du port du foulard ou du voile.

N. notre adorable guide kirghize

Depuis mon retour, on a appris ces nouvelles décisions des talibans au pouvoir dans le pays voisin de l’Ouzbékistan, l’Afghanistan : Les talibans interdisent aux Afghanes de chanter, de lire en public et de se déplacer seules.

Les traditions de famille

En revanche, dans les deux pays, la jeune génération n’entend s’affranchir d’aucune tradition familiale, aussi surprenante ou pesante qu’elle nous semble. A ce sujet, une observation : quel que soit le pays que je visite, je fais toujours abstraction, j’essaie en tout cas, de mes références culturelles ou sociologiques, je regarde, j’observe, j’écoute, je dialogue si possible, et je ne porte pas de jugement de valeur.

Le mariage est la cérémonie la plus importante. La jeune fille, qui doit y arriver vierge, s’y prépare avec sa famille des mois durant. Il convient de préparer le trousseau (ou la dot !) avant de partir vivre dans la famille du mari et de servir ses beaux-parents. Le fils aîné a charge de veiller sur ses parents jusqu’à leur mort.

La célébration du mariage rassemble plusieurs centaines d’invités (et coûte une petite fortune!) mais il n’est pas question de la jouer petit bras.

Il en est de même pour la fête de la circoncision – qui se pratique en général à l’âge de 2-3 ans. Dans plusieurs villes ouzbeks nous avons assisté à d’impressionnants cortèges.

Habits de fête pour ce petit garçon, dont on ne sait pas s’il a déjà subi ou va subir l’opération…

La Russie, les Russes et le russe

Visitant deux anciennes républiques soviétiques, devenues indépendantes à la chute de l’URSS en 1991, on ne peut évidemment ignorer l’impact de plus de six décennies de pouvoir communiste. Il y a des similitudes entre Kirghizistan et Ouzbékistan, notamment quant à la période tsariste

L’église orthodoxe de Karakol (Kirghizistan) – 1895
Un petit air de palais tsariste à Samarcande, aujourd’hui siège d’une banque chinoise

mais il y a surtout beaucoup de contrastes qui frappent dès l’arrivée dans l’un et l’autre pays.

Au Kirghizistan, tous les panneaux sont écrits en cyrillique, dans les deux langues officielles du pays, le russe et le kirghiz. Voir mon album photos sur la capitale Bichkek, une ville soviétique en Asie centrale. Les statues de Lénine ne sont pas rares dans le pays. Le passé russe, voire soviétique, ne semble pas poser de problème à ceux que nous avons rencontrée, dès lors que les identités/nationalités sont toutes respectées et admises. Ici on se présente d’abord comme Kirghiz, Ouzbek, Ouïgour, Indien, Chinois, Russe…

Le contraste avec l’Ouzbékistan est total : il y a bien, sur d’anciennes enseignes, et sur des panneaux officiels ou touristiques, des mentions ou des textes en langue russe, mais langue ouzbèke prédomine, même si dans plusieurs villes comme Samarcande, c’est le tadjik – proche du turc – qui est parlé majoritairement. Dans toutes les villes, les musées, les lieux historiques, visités, on n’a pas manqué d’incriminer d’abord la Russie tsariste, mais surtout la période soviétique, qui, selon nos interlocuteurs, ont pillé les richesses du passé, fait table rase des héritages si divers des empires révolus, parfois au sens propre du terme en détruisant citadelles, places fortes et mosquées.

Sur la guerre en Ukraine, c’est partout un silence plutôt gêné : il ne faut pas se fâcher avec le grand voisin, qui en retour laisse ces ex-républiques soviétiques tranquilles.

Spécialités locales

On ne partait pas en Asie centrale pour faire de la gastronomie, mais comme au Ladakh l’an dernier, se nourrir de toutes les ressources de terres riches et abondantes. Les légumes et les fruits ont du goût, un goût qu’on a fini par oublier sur nos marchés européens. Des pommes, des abricots, des pêches, des framboises juteux et sucrés, des tomates pleines et goûteuses, des pastèques et des melons par centaines, des viandes tendres issues des troupeaux locaux de vaches, moutons… et chevaux ! Les préparations en revanche manquent singulièrement de variété, inévitables salades de tomates, concombres et oignon frais, soupes de riz ou de lentilles, aubergines frites, et l’incontournable « plov« , variante de notre riz Pilaf… Le dessert ne fait pas partie d’un menu habituel. Evidemment pas d’alcool à table, mais toujours du thé noir ou vert.

Notre hôtesse ouïgour fabrique elle-même ses pâtes à Karakol

Le chapitre serait incomplet si l’on ne mentionnait ce qu’on a probablement le plus souvent mangé, tant au Kirghizistan qu’en Ouzbékistan, où il faut toujours se méfier de la générosité des portions servies. Ainsi de cette « entrée » qui suffisait largement à faire mon repas, et qui est connue de tous, servis dans tous les établissements sous l’appellation de « A-li-vié. Nos premières guides furent surprises que nous ne connaissions pas la fameuse salade Olivier avec ce nom si français. Elles éclatèrent de rire lorsqu’on leur répondit que nous nommions ce plat « salade russe » ou « macédoine », Et que nous en ignorions l’inventeur, un chef franco-belge installé en Russie du nom de Lucien Olivier, mort à 45 ans… étouffé par sa propre salade !

En voiture

Dans les deux pays, on conduit à droite, sur des routes dont on va dire charitablement qu’elles ne sont pas toutes aux normes européennes. Mais on sent un effort pour améliorer la situation : plusieurs axes importants sont en travaux.

Au Kirghizistan, le parc automobile est assez varié, souvent ancien (beaucoup d’anciennes Lada soviétiques surtout dans les campagnes), voitures chinoises, japonaises (avec volant à droite !), coréennes, quelques très rares russes.

En Ouzbékistan en revanche, le marché est quasi complètement dominé par le constructeur local… Chevrolet, ex-Daewoo, au point que notre guide kirghize ignorait que c’était un des fleurons de l’industrie automobile américaine !

Culte

Le culte des héros est une constante des pays autocratiques. Même devenus démocratiques.

à Bichkek, Lénine et Kurmanjan Datka (1811 – 1907) : Album photos complet ici

Timur/Tamerlan à Samarcande et dans sa ville natale (albums photos ici)

Le dictateur-président de l’Ouzbékistan de 1991 à 2016, Islam Karimov.

Rappel pour mémoire des articles relatant ce voyage :

Au pays du premier maître

Dans les steppes de l’Asie centrale

Que la montagne kirghize est belle

Les chevaux de Kirghizie

Le voyage d’Ouzbékistan I

Les merveilles de Boukhara

Samarcande la magnifique

Sur la trace de Tamerlan

Le voyage d’Ouzbékistan (II) : les merveilles de Boukhara

Les remparts qui ceignent Khiva (voir Le voyage d’Ouzbékistan I) font 2 kilomètres, ceux qui entouraient l’antique cité de Boukhara, 12 km ! La ville est infiniment plus vaste, mais le charme plus modeste de Khiva ne se laisse pas oublier. Peut-être qu’après avoir vu Samarcande, je changerai d’avis.

Al-Khwârizmî (Algoritmi) et Avicenne

Au musée de Khiva, comme ici à Boukhara, on célèbre partout et à juste titre les grandes figures de la science nées dans cette région si riche d’influences et de traditions. : Al-Khwârizmî (en latin Algoritmi) né en 780 près de Khiva, mort en 850 à Bagdad, inventeur de l’algèbre moderne, et Ibn Sina, plus connu sous le nom d’Avicenne, né le 7 août 980 près de Boukhara, alors persane, mort en juin 1037 à Hamadan (Iran), Avicenne que ses disciples considéraient comme le « prince des savants »

Avicenne (980-1037)

Al-Khwârizmî (780-850)

On ne manque pas d’être impressionné par la liste des savants, inventeurs, astronomes, philosophes nés en Asie centrale (à voir ici).

On pourrait penser que les traditions séculaires n’ont pas survécu à la modernité, et surtout à la période soviétique qui a tenté de faire table rase du passé millénaire des émirats, royaumes et autres khanats qui se partageaient la région depuis le XVIe siècle.

On sent au contraire, au Kirghizistan comme ici en Ouzbékistan, une volonté farouche encouragée par les pouvoirs publics de faire vivre les traditions artisanales (lire Les chevaux de Kirghizie) comme la tapisserie – les fameux tapis de Boukhara – le tissage de la soie (vêtements, parures, nappes). On a envie de tout acheter, d’autant que le prix demandé, en soi relativement élevé, n’est rien en comparaison des jours et des mois de travail à la main des familles qui perpétuent la tradition : les hommes fabriquent les supports, font les couleurs, naturelles bien sûr, les femmes brodent, cousent, ornementent…

L’atelier de Davron Toshev

Le personnage a sa fiche Wikipedia.. en ouzbek, c’est ici une star qu’on est allé rencontrer dans son vaste atelier/hôtel où des étudiants/apprentis du monde entier viennent se former ou se perfectionner à l’art de la miniature sur papier de soie ou de coton. Il a fait maintes expositions notamment en France, à l’Institut du monde arabe, et c’est un homme adorable : Davron Toshev

Voir l’album photos sur Facebook

Boukhara la grande

Le guide qui nous conduit dans et autour de Boukhara forme un contraste bienvenu avec sa collègue de Khiva. Il parle un français excellent, nourri de plusieurs séjours en France il y a une quinzaine d’années, il s’adapte à notre conversation, nos questions, et ne se contente pas de réciter son manuel du parfait touriste.

Les proportions sont impressionnantes, les anciennes madrassas se dressant face à face auprès de minarets qui servaient de repères aux caravaniers de la route de la soie. Les marchands sont nombreux, mais les produits de l’artisanat local sont de loin plus présents que les babioles importées, les artisans sont heureux de montrer leur savoir-faire et n’agressent jamais le touriste. Au contraire, toutes celles et tous ceux que nous croisons devant leurs étals, dans les cafés, les restaurants, sont d’une amabilité, d’une gentillesse même, auxquelles on n’est plus accoutumé.

Le minaret Kalon

La légende veut que le prophète biblique Job, ici Ayub, ait un jour de grande sécheresse frappé le sol de son bâton et fait jaillir une source (lire l’histoire du puits de Job). Depuis lors un mausolée construit au XIVe siècle sous Tamerlan – Chashma Ayub – commémore l’événement et abrite une source qui ne s’est jamais tarie.

Voir les albums photo complets sur Boukhara et Le Palais d’été du dernier émir de Boukhara

Les chevaux de Kirghizie

Les voyages forment la jeunesse, dit-on, c’est vrai aussi pour les plus vieux comme moi. Quand on lit sur le programme d’un voyage qui ne peut qu’être organisé à l’avance – dans les pays que je visite cette année – des mentions comme : Fabrication d’une yourte, ou Visite d’une coopérative d’artisans du feutre, on s’attend à des démonstrations toutes faites pour les touristes.

Touristes nous sommes bien sûr, mais la gentillesse naturelle, spontanée, de tous les Kirghizs, grands et petits, croisés jusqu’à présent, n’est pas sans étonner. Avant-hier, dans le centre de Kotchkor, près des étals d’un petit marché, je reçois une tape dans le dos, aussitôt suivie d’une chaleureuse poignée de main de la part d’un homme entre deux âges, le visage buriné, le sourire édenté, qui me demande en russe d’où je viens : la France ! Et le voici de redoubler de serrements de main, me félicitant… pour les Jeux olympiques et la fête à Paris. Dans la rue proche de l’hôtel, tout un groupe d’enfants de 2 à 7 ans se presse pour me serrer la main, se faire photographier avec un large sourire…

La fabrication des yourtes

Arrêt donc dans le village de Kyzyl Tuu, où la majorité des habitations est constituée d’ateliers de fabrication de yourtes, l’arbre servant à la structure de cet habitat traditionnel nomade, le saule, poussant en abondance près de la rivière.

La yourte traditionnelle, artisanale, est sans doute l’habitat le plus écologique au monde, puisque constituée uniquement de produits de la nature, le bois de saule, la peau de vache pour faire les joints (aucun boulon ou vis), et le feutre pour le toit et le revêtement des parois. Le coût d’une yourte est d’environ 5000 dollars, l’artisan qui nous a reçus nous confiait que le marché était de plus international, et que rien qu’en France il en avait déjà exporté plus de 500 !

Le feutre des femmes

Le feutre, la feutrine, ont presque disparu de nos environnements d’Europe, à l’exception des porteurs de chapeaux…

J’avoue que j’ignorais jusqu’à la visite de la coopérative des femmes de Kotchkor comment était fabriquée cette matière si naturelle, et si précieuse dans les régions exposées à des températures extrêmes, le feutre.

La tradition de fabrication centenaire nous a été présentée de manière plutôt amusante. Après avoir superposé deux couches de laine de mouton brute, non cardée, non tissée, notre hôtesse l’arrose d’eau chaude, l’enroule dans un fétu de paille, puis durant 15 minutes, assène des coups de pied au rouleau (évidemment le visiteur est prié de se plier à l’exercice !), de manière à essorer l’ensemble. Aucun élément mécanique n’intervient à aucun moment. Puis, une fois le carré de feutre – c’est donc uniquement l’eau qui « lie » la laine brute – réalisé, d’autres femmes prennent le relais pour imaginer des dessins, superposer différentes couleurs. Sans aucun usage de produit artificiel. Ecolo en diable !

Les chevaux du lac Son Kul

Le plus impressionnant, en tout cas les souvenirs les plus forts qui me resteront de ce voyage en Kirghizie, est la découverte du lac Son Kul, situé à 3000 m d’altitude, au sud de Kotchkor. Aucune photo, aucune vidéo, ne parviendra jamais à restituer l’immensité silencieuse, la beauté changeante des eaux et des rives du lac, et le compagnonnage de milliers de chevaux, vaches et moutons en apparente liberté – les bergers, parfois très jeunes, les surveillent de loin.

Ici, aucune construction touristique, pas d’électricité, sauf celle que produisent des générateurs une ou deux heures par jour, pas de connexion internet ou même téléphonique. La nuit dans une yourte est une expérience à vivre, tant le différentiel de température entre plein midi et minuit est saisissant. Et partout, tout le temps, un silence absolu, à peine rompu par le cri d’un aigle, le hennissement d’un cheval ou un meuglement de jeune veau.

Toutes les photos à voir sur Facebook : Les chevaux du lac Son Kul

Je ne peux décrire le plaisir que j’ai pris à parcourir ces paysages à cheval. Expérience unique !

Au pays du premier maître

Mes vacances me conduisent cette année en Asie centrale, dans ces contrées si foisonnantes dans notre imaginaire, en commençant par le Kirghizistan.

Le Premier maître

J’ai raconté, dans un précédent article (La femme de Tchaikovski) un souvenir très fort de mes années étudiantes à Poitiers, une semaine de cinéma soviétique qui m’avait, entre autres, permis de découvrir un film fondateur – Le Premier maître (1965) – d’Andrei Konchalovski, qui se déroule ici dans les montagnes de Kirghizie, et qui s’inspire d’un héros national de la littérature kirghize, Tchinguiz Aïtmatov (1928-2008)

On peut voir le film seulement sur YouTube (mais contrairement à ce qui est indiqué, il n’est pas sous-titré en français !)

J’avais déjà anticipé ce voyage en savourant les Mémoires de Michel Ciment (lire Mémoires vives), où dans ses premiers chapitres, le grand critique de cinéma raconte ses voyages en URSS dans les années 70 et singulièrement dans les républiques d’Asie centrale où la créativité des cinéastes et des acteurs échappait à la censure centrale. Je compte visiter moi-même bientôt l’un de ces mythiques studios…

Et pour compléter le dispositif, j’ai téléchargé le dernier ouvrage de Dominique Fernandez :

Un livre sur le roman soviétique, maintenant ? Précisément maintenant : comme le disait Romain Rolland pendant la Grande Guerre, ce n’est pas parce que les Allemands l’ont voulue que nous allons renier Goethe.
Qui plus est, quantité des écrivains que Dominique Fernandez, un des plus grands connaisseurs de la littérature russe (Dictionnaire amoureux de la Russie, Plon, 2004, Avec Tolstoï, Grasset, 2010), nous présente ici, ont été d’opposition à Staline, ou ont tourné la censure par le roman historique ou le roman de science-fiction. 
Avec la chute de l’URSS, tout un pan de la littérature occidentale a été injustement effacé. Dominique Fernandez fait revivre pour nous les œuvres et la vie des grands de la période (entre la Révolution et Khrouchtchev), de Gorki à Pasternak, en passant par Ehrenbourg, Babel, Paoustovski, Aïtmatov ou Alexeï Tolstoï.
Il nous rappelle aussi l’admirable moment littéraire qu’a engendré l’après-Révolution. S’opposant à une idée trop facilement reçue, il exhume du mépris où ils ont été plongés de grands auteurs du « réalisme socialiste ». La dictature a, par contrecoup, fait naître une fiction satirique que nous découvrons ici, comme les savoureux Olecha, Zochtchenko ou Ilf et Pétrov. Loin de réduire la littérature au silence, la tyrannie expie ses fautes par un des plus grands livres par lequel Dominique Fernandez achève le sien, Vie et Destin de Vassili Grossman.
Un livre de justice, un livre de savoir, un livre, aussi, de saveur.
(Présentation de l’éditeur)

Où il s’avère – je n’avais pas besoin de ce livre pour le savoir ! – que, comme en musique et tous les arts en général, il faut toujours se garder des simplismes, des visions manichéennes de la culture de l’époque soviétique.

Une ville soviétique : Bichkek

Première étape de ce voyage, la capitale du Kirghizistan, Bichkek, jadis appelée Frounzé – de 1926 à 1992 – du nom du dirigeant bolchevik Mikhail Frounzé.

L’élément qui frappe immédiatement le visiteur, dès l’arrivée à l’aéroport, c’est la diversité, le mélange des ethnies, des visages, des types humains, qui se côtoient sans aucune difficulté apparente. Autre découverte pour moi, russophone, la langue kirghize qui s’écrit aussi en cyrillique mais qui n’a rien à voir avec le russe (qui est ici la langue dominante, sinon officielle). Perturbant et amusant.

Mais le plus étonnant est incontestablement le fait que Bichkek est demeurée comme l’exemple de la ville soviétique, avec ses larges avenues, ses innombrables parcs et jardins, ses monuments à la gloire des héros de l’ex-URSS et de la légende nationale, ses bâtiments officiels. Voir mon album complet sur Facebook

Je ne suis pas sûr qu’il subsiste beaucoup de statues de Lénine dans le monde ni même en Russie. Ici elle a juste été déplacée vers l’arrière du Musée national !

Hommage à la première héroïne kirghize « féministe’ Datka Kurmanjan (1811-1907)

Le Parlement

Le Musée National de Bichkek

Un cinéma typique de la période soviétique

L’Opéra de Bichkek, construit en 1926.