La vie politique française est, ce mercredi, assez justement résumée dans cette une du Canard enchaîné :
Je ne pensais pas tirer sur une ambulance en écrivant ma brève de blog dimanche soir (Rien compris).
Attendons la suite, les suites même..
Pendant ce temps, la (vraie) vie continue..
Antigone et Dusapin
Je l’avais noté de longue date sur mon agenda : c’était ce mardi soir la création du dernier opus de Pascal Dusapin, Antigone, que le compositeur lui-même définit comme un « oratoriopéra ».
Une heure et quarante minutes d’une partition puissante, comme toujours d’une richesse orchestrale sidérante, un plateau vocal exceptionnel, et en maître d’oeuvre Klaus Mäkelä à la tête d’un Orchestre de Paris superlatif. J’attends avec impatience les comptes-rendus qu’en feront mes camarades de la presse, de Bachtrack en particulier !
Laurence B. la radio-active
Bien trouvé ce titre pour des mémoires qui ne disent pas leur nom.
Laurence Bloch n’est pas ce que j’appellerais une amie – le mot est tellement galvaudé dans le microcosme médiatique ! – mais ce fut une collègue que j’ai côtoyée à deux reprises, et pour qui j’ai de l’admiration et une réelle affection. Lorsque j’arrive, en 1993, à la direction de France Musique, Laurence est directrice-adjointe de France Culture depuis 1989. Elle restera à ce poste auprès des directeurs successifs de la chaîne, Jean-Marie Borzeix, Patrice Gélinet et Laure Adler. Je la retrouverai au printemps 2014, lorsque je reviendrai à Radio France, appelé par Mathieu Gallet à la Direction de la Musique. Dans la vague de nominations à laquelle procède le nouveau PDG, Laurence Bloch devient directrice de France Inter. Elle le restera jusqu’en 2022, mais ne quitte pas pour autant Radio France, puisque, durant deux ans, elle supervise les antennes auprès de la présidente Sibyle Veil. Et comme elle l’écrit dans les premières pages de ce bouquin attachant – parce que la langue de bois n’est pas vraiment sa spécialité ! – elle a repris du service à la demande de la ministre de la Culture, Rachida Dati, pour travailler au projet de fusion des entités radio et télévision du service public. Pas sûr qu’elle ait fait le bon choix pour cette dernière mission… impossible !
Le crépuscule
On peut difficilement contredire Alain Duhamel dans son jugement sur Emmanuel Macron. En juin 2024, j’écrivais un billet tristement prémonitoire : Le choc de juin.
A l’heure où j’écris ces lignes, on n’en sait toujours pas plus sur ce qui peut, ce qui va se passer dans les prochaines semaines.
Je conseille ce bouquin d’un jeune journaliste, dont les analyses et la plume me paraissent particulièrement affûtées :
« Les fins de règne des présidents ont toujours été douloureuses. Celle d’Emmanuel Macron l’est plus encore, car c’est lui qui a précipité son crépuscule par la dissolution de 2024. Avec cet acte incompréhensible, le chef de l’État a tué sa majorité, interrompu ses réformes, saccagé son propre camp. Et sa politique de la terre brûlée ne semble pas connaître de limites, alors que s’ouvre une guerre de succession entre des prétendants qu’il n’aime pas. Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau, François Bayrou, Michel Barnier, Bruno Le Maire… tous se sont confiés sur leurs rapports ambigus avec le président et leurs ambitions pour la suite. À travers des scènes inédites et une cinquantaine de témoignages, ce livre dévoile les coulisses d’un pouvoir à l’agonie et dessine les contours de l’après. Il révèle qu’en miroir de cette comédie politique se joue aussi une tragédie : celle d’un président qui, jusqu’au bout, veut rester seul en scène. » (Présentation de l’éditeur)
Je vais attendre quelques heures avant de publier de nouvelles brèves de blog !
Retour sur la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris : tous, même les grincheux et coincés que je brocardais dans mon dernier billet (Hymnes à l’amour), ont noté que Thomas Jolly n’avait pas oublié de faire une place à la musique et aux musiciens classiques. Comment aurait-il pu négliger ce qui fait une part essentielle de son activité de metteur en scène (Macbeth Underworld de Pascal Dusapin, Fantasio d’Offenbach – les deux donnés à l’Opéra-Comique – Roméo et Juliette de Gounod à l’Opéra de Paris, pour ne citer que les plus récentes productions, et bien sûr Starmania à la Seine musicale) !
Mais le plus remarquable, et c’est une vraie différence avec les quelques très rares émissions de télévision dévolues à la musique classique, Thomas Jolly a respecté les artistes, les compositeurs et les oeuvres, même dans la contrainte d’un spectacle d’une telle ampleur qui n’avait certes pas prévu le déluge qui a arrosé la cérémonie ! Il a aussi évité d’inviter les stars habituelles des plateaux télé, on ne citera pas de noms (l’un d’eux, sans doute vexé de ne pas être de la fête, a ostensiblement posté vendredi une photo de lui avec ses deux filles à la plage !). Il a ainsi fait découvrir à des millions de téléspectateurs, en France et dans le monde, des talents qui n’étaient souvent connus que d’un cercle restreint de mélomanes.
Reprenons le fil de la cérémonie
Félicien Brut
Félicien a été un abonné du Festival Radio France, où je n’oublie pas qu’il avait accepté de relever le défi d’un « Festival autrement » à l’été 2020 après que nous avions dû annuler l’édition prévue pour cause de pandémie (voir Demandez le programme) :
Il avait remis cela en 2021 – La fête continue – avec une belle bande de copains, Jordan Victoria, Thomas Enhco, Thibaut Garcia, Édouard Macarez pour un hommage survolté à Piazzolla !
Mais l’image de Félicien Brut (on ne prononce pas le « t » final) juché sur le pont d’Austerlitz, apparaissant après l’écran de fumée tricolore, au tout début de la cérémonie, restera, pour lui, pour les Auvergnats (lire dans La Montagne : Félicien Brut a illuminé la cérémonie d’ouverture), pour nous tous, un moment de grâce poétique.
Marina Viotti
La grande soeur de Lorenzo Viotti, la fille chérie du chef Marcello Viotti (1954-2005) a fait le bonheur des mélomanes parisiens ces deux dernières saisons, après sa nomination aux Victoires de la musique classique en 2023. Dans la cérémonie d’ouverture, elle a fait partie de l’un des tableaux les plus puissants, en interprétant la chanson révolutionnaire Ah ça ira avec le groupe de heavy metal Gojira, et surtout un extrait de Carmen
Jakub Jozef Orlinski
L’apparition de Jakub Józef Orliński, en breakdancer puis chanteur, fut un peu décousue et mal filmée.
Mais cela m’a rappelé combien l’artiste est aussi doué que très sympathique. Souvenir d’une belle soirée au Festival Radio France en juillet 2021.
Alexandre Kantorow ou le piano englouti
On se rappellera longtemps cette image d’Alexandre Kantorow (maintes fois célébré sur ce blog) jouant les Jeux d’eau de Ravel sous le déluge…
La nouvelle Marseillaise
Quelle idée géniale d’avoir confié à l’une des jeunes chanteuses françaises les plus prometteuses, lauréate du concours Voix d’Outre Mer 2023, Axelle Saint-Cirel, le soin de chanter La Marseillaise !
On se souviendra d’elle comme d’une autre de ses illustres aînées, Jessye Norman, sur la place de la Concorde pour le bicentenaire de la Révolution, en 1989.
Il faut évidemment aussi mentionner la Maîtrise, le Choeur de Radio France et l’Orchestre national de France, leur chef Cristian Macelaru… qui n’ont pas non plus échappé à la pluie et qu’on a à peine aperçus…
Je continue de citer l’article de Jean-Marc Le Scouarnec : Après « Intuition », « Emotions » et « Sensations », le violoncelliste Gautier Capuçon a intitulé son dernier album « Destination Paris ». Sorti en novembre, il a réussi, comme les précédents, à se placer dans les meilleures ventes d’albums… et pas seulement de musique classique. On y trouve des tubes, des tubes et encore des tubes, issus de la chanson (« La foule », « Champs Elysées », « Les feuilles mortes », « Les copains d’abord »…), du cinéma (« Un été 42 », « Chi Mai », « Le mépris »…) et quand même un peu de son univers d’origine (« La veuve joyeuse », « Les contes d’Hoffmann », « Roméo et Juliette », etc.) Comment le dire sans fâcher personne : c’est tellement peu original que cela en devient carrément gnangnan. Et atteint même le plus grand ridicule avec une reprise d’ », de Jean-Jacques Goldman et un inédit tout aussi épouvantable du même, intitulé « Pense à nous » (avec chœur d’enfants – aïe, aïe, aïe !).
Déambulant naguère dans le rayon classique d’une FNAC parisienne, j’entendis justement un arrangement bien sirupeux des Feuilles mortes joué par un violoncelle qui me semblait en défaut de justesse, capté de trop près : vérification faite, c’était bien Gautier Capuçon.
J’ai connu – et invité – en mars 2002 à Liège, un tout jeune homme de 20 ans, qui faisait un joli duo avec son frère aîné Renaud. Ils avaient joué le double concerto de Brahms. J’ai réinvité Gautier une ou deux fois par la suite (un 2e concerto pour violoncelle de Chostakovitch bouleversant, le concerto en do Majeur de Haydn durant la saison anniversaire 2010-2011 de l’OPRL). En 2021 j’écrivais ceci : Servir plutôt que se servir. C’était à la veille du Festival Radio France. Le « divorce » si l’on peut parler ainsi entre les deux frères était consommé depuis pas mal de temps, même si seul le milieu musical le savait.
Dans La Dépêche, Renaud Capuçon ne fait pas directement allusion à son frère, mais le propos est transparent : » C’est très bien parfois de proposer des albums de ce type, comme je l’ai fait moi-même avec Un violon à Paris. Le danger – et je parle de façon générale – est d’être obsédé par la vente des disques et d’oublier l’essentiel : jouer les pièces du grand répertoire…. La musique n’est pas une autoroute sans surprises : prenons donc des risques !«
Dieu sait si Renaud C. a pu agacer, apparaissant en toutes circonstances comme une sorte de musicien officiel de la République, il a nettement pris du champ depuis quelque temps. Mais nul ne peut lui dénier une curiosité toujours en éveil pour la création. Je l’ai entendu jouer Rihm à Liège, créer les concertos de Dusapin à Paris, de Matthias Pintscher à Genève. Le journaliste de La Dépêche rappelle, quant à lui, que le violoniste jouait l’aride concerto de Schoenberg à Toulouse en décembre dernier (« Pas de Goldman ou de Morricone à l’horizon, pas de Joe Dassin en version fade et passe-partout »)
Renaud Capuçon et Matthias Pintscher (Photo JPR)
L’autre musicien cité dans cet article est le Toulousain Bertrand Chamayou : « Ce n’est pas en soi un problème pour un musicien classique de jouer des musiques de films, de la variété ou de la pop… si c’est bien fait, ce qui est rarement le cas ! C’est souvent de la soupe. Les maisons de disques (*) encouragent à utiliser les mêmes ficelles, les recettes toutes faites » Le pianiste remarque qu’en voulant toucher ainsi un public plus large, on risque d’aseptiser la musique ,alors que « on peut incarner de belles choses avec de la grande musique, sans être forcément un odieux snobinard traitant le public avec arrogance »
Le dernier album de Bertrand Chamayou est une nouvelle preuve de la curiosité de l’interprète, mêlant Satie et John Cage : « Erik Satie et John Cage sont des ovnis dans le monde de la musique, car ils ont envisagé la musique à travers un prisme complètement différent », explique le pianiste. « Ce sont des pionniers dans le sens où, pour beaucoup, ils ont changé l’idée même de ce que doit être la musique »
(*) Ce qui est plutôt amusant, c’est que les trois musiciens, Gautier, Renaud Capuçon et Bertrand Chamayou sont édités par le même label, Erato/Warner Classics !
On a eu la semaine dernière la confirmation d’une nouvelle que je tenais depuis plusieurs mois du directeur général de l’époque de l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la nomination de Lionel Bringuier comme directeur musical de l’orchestre à la rentrée 2025. J’ai craint un moment que ce que m’avait annoncé, en secret, Daniel Weissmann, ne soit finalement pas accompli. Parce qu’entre les projets même les mieux conçus de recrutement d’un directeur musical et la réalité des nominations, il y a souvent un écart.
Le bon choix pour Liège
Je vais raconter comment se passent les nominations de chefs d’orchestre, au moins celles que j’ai eu à connaître. Mais d’emblée je veux dire ici combien le choix de Lionel Bringuier pour Liège vient à point nommé, pour l’orchestre et pour lui. L’ère qui s’ouvre sera féconde et extrêmement bénéfique pour l’orchestre, dont j’ai quitté la direction générale il y a bientôt 10 ans ! Voir RTC
Pour l’OPRL c’est le retour à un étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter. Je n’ai jamais compris l’enthousiasme – très relatif – qu’a pu susciter l’actuel directeur musical :Gergely Madaras sait, à coup sûr, manier la baguette, diriger des partitions complexes, et sans doute s’attirer les sympathies du public.
Mais la seule question qui vaille, s’agissant d’un directeur musical, et non pas juste d’un chef de passage, c’est : qu’a-t-il apporté à l’orchestre? quelle est sa valeur ajoutée ? quelle personnalité incarne-t-il face à une phalange qui s’est souvent hissée dans le passé au rang des meilleures ? Les seules fois où je l’ai vu diriger, j’ai trouvé sa direction bien peu singulière, souvent banale, et pas dans n’importe quel répertoire : un Sacre du printemps sans relief (il faut le faire !), une Quatrième symphoniede Mahler gentillette. On m’a reproché de ne pas avoir été tendre avec lui dans ses interprétations en concert ou au disque des oeuvres de César Franck (Hulda, Psyché), mais j’ai des oreilles pour entendre… et comparer.
Langrée, Rophé, Arming
Sur les trois chefs que j’ai eu à nommer durant mes fonctions à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (1999-2014), je me suis souvent exprimé, mais sans toujours révéler le dessous des cartes. Les conditions de l’arrivée de Louis Langrée à Liège sont connues : (re)lire Portrait d’ami.
Lorsque Louis Langrée m’avait annoncé qu’il ne prolongerait pas son deuxième mandat (2004-2006) – il s’est alors longuement expliqué sur ses raisons – nous étions convenus qu’il poursuivrait des projets et des tournées auxquels lui comme moi tenions beaucoup, et ce fut le cas. Pour succéder à un musicien qui avait apporté un tel enthousiasme et conduit un tel renouveau à un orchestre en crise, mais qui avait dû affronter aussi un ensemble qui n’était pas habitué, ni même prêt, aux exigences interprétatives du chef français, je pensais qu’un excellent technicien, certes trop réduit à l’étiquette « musique contemporaine », mais dont l’orchestre avait pu apprécier la précision, la capacité d’aborder des partitions complexes, serait un bon relais.Au cours d’un dîner à Paris, je proposai le poste à Pascal Rophé, qui en fut le premier surpris ! Et il y eut de grands moments, de très belles réussites – grâce à Pascal Rophé, l’OPRL fut invité à plusieurs reprises au festival Musica de Strasbourg, enregistra de très grands disques (Mantovani, Dusapin), mais lorsqu’il me fallut envisager de prolonger ou non le premier mandat de Rophé (2006-2009), je partageai mes doutes, mes hésitations, avec des musiciens de et hors l’orchestre dont je connaissais la sûreté de jugement. A peu près tous rejoignaient mon point de vue, il manquait au chef une vision du coeur de répertoire d’un orchestre symphonique, ses prestations dans Mozart, Beethoven, Brahms et même Mahler n’ayant guère convaincu,.. Je laisse le lecteur imaginer la teneur du dîner au cours duquel je dus dire en tête à tête à P.R. la décision prise à son égard.
Des conversations que j’avais eues pour sa succession, un nom ressortait fréquemment. Un jeune chef qui avait fait des étincelles à Liège en 2007, un chef très présent sur les réseaux sociaux (Facebook en l’occurrence).Voyant qu’il était à Paris… et moi aussi, je lui proposai un déjeuner qu’il accepta immédiatement. Je lui dis le bien que les musiciens de l’orchestre et moi pensions de lui, et lui demandai, en toute confidentialité bien sûr, s’il accepterait la direction de Liège. Il ne mit pas 24 h à me donner son accord, et nous nous retrouvâmes quelques semaines plus tard, avec le délégué artistique de l’orchestre, à son domicile en région parisienne. François-Xavier Roth débordait d’idées, d’enthousiasme, de projets. Un contrat fut signé avec son agente parisienne. Quelques semaines avant sa prise de fonction, FX m’indiqua qu’il passait désormais chez un agent basé à Londres, qui lui ouvrait des perspectives internationales. C’est alors que tout se déglingua : ledit agent me somma de revoir le contrat de FXR. Je lui répondis que je ne négociais pas à distance, et qu’un contact direct entre nous me paraissait un préalable. Je rencontrai ce personnage le jour même du premier concert de FXR et de l’orchestre à Bruxelles, en septembre 2009. Ce fut une descente en règle non seulement des termes du contrat du chef mais aussi et surtout de la politique de l’orchestre, qu’il fallait revoir de fond en comble. Bien entendu, toutes les décisions devaient revenir au seul chef d’orchestre, le directeur général ne servant qu’à porter les valises et à faire les comptes. Je mis quelques semaines à comprendre que cette attaque frontale ne servait qu’à préparer la rupture qui aurait lieu au printemps suivant. Entre temps ledit agent s’était « vendu » à une grande agence de concerts à Londres, et mes interlocuteurs allaient changer, sans pour autant que le conflit se règle. Disons que les contacts devinrent plus urbains. Pendant ce temps, je refusais de prêter du crédit aux rumeurs, informations, qui me parvenaient sur une prochaine nomination de FXR dans un grand orchestre allemand. C’est pourtant ce qui fut annoncé, un mois à peine après le communiqué que nous publiâmes en mars 2010 indiquant la rupture anticipée du mandat de directeur musical du chef.
Le traumatisme ne fut pas mince, pour les musiciens de l’orchestre, sonnés par un tel abandon, dont évidemment quelques esprits bien intentionnés ne manquèrent pas de m’attribuer la responsabilité (pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot !), pour mon équipe et pour moi aussi. Le président de l’agence londonienne eut le grand tort d’écrire une lettre au président de l’orchestre, dans laquelle il manifestait un tel mépris non seulement pour le directeur général mais aussi pour le conseil d’administration qui l’avait nommé – nous étions incapables de comprendre à quel musicien d’élite nous avions à faire en la personne d’un chef que le monde entier s’arrachait !! – qu’il provoqua de la part de tous les Liégeois, élus, musiciens, responsables, une réaction indignée et une manifestation de totale solidarité envers les dirigeants de l’orchestre. Le sentiment d’un gâchis, surtout à la veille de la saison anniversaire des 50 ans de l’orchestre (2010-2011) au cours de laquelle nous avions prévu un grand nombre de manifestations exceptionnelles, dont des concerts à Varsovie et Vienne ! Nous pûmes heureusement compter sur le concours de plusieurs chefs, dont Louis Langrée et Pascal Rophé, pour assurer le succès de cette saison, et en particulier le concert des 50 ans de l’OPRL, le 7 décembre 2010 qui réunit les trois anciens directeurs musicaux Pierre Bartholomée et ses deux successeurs.
Pour trouver le successeur de Roth, je décidai de changer complètement le processus de sélection et de recrutement, en impliquant directement l’orchestre. Je proposai aux musiciens de désigner en leur sein une commission de six à huit membres, qui travaillerait avec moi dans la plus totale confidentialité, et donc une totale liberté entre nous, pour d’abord dégager le profil du directeur musical qui conviendrait à un orchestre qui avait beaucoup évolué et progressé depuis dix ans, ensuite faire une « short list » de possibles prétendants. La règle était que rien ne devait sortir de nos discussions, que s’il y avait des fuites, cela ruinerait irrémédiablement le processus. J’eus dès le départ la certitude que le prochain directeur musical figurait parmi les chefs que nous avions déjà invités, et j’avais mes préférences. Cela reste une de mes fiertés que d’avoir pu conduire ce processus, dans un esprit d’ouverture, de dialogue, sans conflit, et dans la plus absolue discrétion. À un point tel que lorsque nous annonçâmes en mai 2011 la nomination du chef autrichien Christian Arming, ce fut une surprise totale pour tout le monde, et les musiciens l’approuvèrent d’autant plus chaleureusement qu’ils savaient qu’elle résultait des travaux du petit groupe qu’ils avaient désigné. Ce qui comptait le plus pour moi, c’est qu’aucune pression extérieure – et il y en eut évidemment, et de nombreuses, notamment de la part de chefs et/ou d’agents qui voulaient se placer – aucun argument autre qu’artistique, n’aient été pris en considération.
S’en suivit une période féconde pour l’orchestre, huit années de stabilité, puisque le premier contrat de Christian Arming (2011-2014) fut renouvelé le jour où j’annonçai mon départ de l’orchestre, et ma nomination à Radio France le 14 mai 2014. Je ne fus pas peu fier d’emmener « mon » orchestre pour la troisième fois en moins de dix ans, le 22 mai 2014, dans la grande salle dorée du Musikverein de Vienne !
(Christian Arming devant la statue de Johann Strauss à Vienne, mai 2014)
(Christian Arming dirigeant la Chevauchée des Walkyries / OPRL / JBR Productions)
PS. Je veux préciser ici que j’ai gardé avec chacun des chefs que j’avais choisis et nommés à Liège des relations cordiales, souvent amicales, quels qu’aient pu être nos différends. J’ai pour chacun d’eux une profonde admiration musicale et personnelle.
Météo capricieuse en cette veille de second tour de l’élection présidentielle. Les colonnes de Buren qui peuplent la cour carrée du Palais Royal à Paris avaient été copieusement arrosées.
L’honneur pour le chef
Nous n’étions qu’une poignée à nous retrouver samedi après-midi dans le salon Joseph Bonaparte du ministère de la Culture à Paris. L’invitation n’était arrivée que la veille : celle qui est encore ministre pour quelques jours, Roselyne Bachelot, nous avait conviés in extremis à la cérémonie de remise de la Légion d’Honneur à Philippe Jordan, directeur musical de l’Opéra de Paris de 2009 à 2021 (lire Ce n’est qu’un au revoir).
Joie de retrouver, dans ce cadre intime et propice aux échanges, l’ami Philippe qui, dans son petit discours de remerciement, invoquait l’ombre tutélaire et affectueuse de son père Armin Jordan.
Plaisir d’échanger aussi avec la ministre sortante de la Culture qui, en politique aguerrie, se montrait plutôt optimiste quant à l’issue du second tour, mais plus circonspecte sur les législatives à venir, en raison de la décomposition des forces politiques traditionnelles.
Le vrai ministre
Présent à cette cérémonie, un récent retraité, avec qui, pendant des années, je n’avais souvent échangé que des propos rapides et convenus, un personnage avec qui j’avais construit, en 1995, une belle journée radiophonique (lire Boulez vintage), Laurent Bayle, qui a porté, contre vents et marées, puis dirigé la Philharmonie de Paris (inaugurée le 14 janvier 2015, lire Philharmonie)
La constance de son engagement pour ce projet, sa ténacité et son habileté à déjouer les pressions, les changements de cap des politiques, avaient fait de Laurent Bayle celui que tout le milieu musical et culturel désignait comme le vrai ministre de la Culture.
C’est ce que je lui rappelai samedi, en faisant une gaffe : je l’incitais à écrire ses souvenirs, à raconter par le menu les coulisses de l’exploit, ce à quoi il me répondit qu’il n’avait pu tout dire… dans le livre de souvenirs qu’il avait publié en janvier dernier ! J’avoue que j’avais raté cette parution, et que je n’en avais pas lu de critique ou de présentation dans la presse.
« Des années 1980 à nos jours, le paysage culturel et musical français a connu des métamorphoses puissantes, entre audace artistique et volonté politique. C’est de cette période passionnante et passionnée que Laurent Bayle témoigne dans ce livre éclairant. Son parcours singulier, qui l’a mené à créer et à diriger la Philharmonie de Paris, est celui d’un engagement de plus de quarante ans au service de la musique. Il raconte ici un foisonnement artistique où sont à l’œuvre des personnages exceptionnels, dont il livre des portraits sensibles : de Pierre Boulez à Patti Smith, de Daniel Barenboim à Jean Nouvel, c’est le récit personnel d’un homme qui a bâti, avec d’autres, une certaine vision de la culture. » (Présentation de l’éditeur).
Ce témoignage est d’autant plus passionnant, qu’il restitue une période, que j’ai aussi connue, qui nous paraît rétrospectivement constituer une sorte d’âge d’or pour la création, le foisonnement culturel, le début des années 80. Les jeunes années de Laurent Bayle l’illustrent à merveille.
Un samedi à la Philharmonie
C’est justement dans la grande salle de la Philharmonie que j’ai passé la soirée de samedi, retrouvant avec bonheur l’Orchestre national de France, son chef Cristian Macelaru, et un magnifique violoniste que je n’avais plus entendu en concert depuis mes années liégeoises, Sergey Khatchatryan.
Programme original que Pascal Dusapin et Florence Darel assis à côté de moi n’étaient pas les derniers à apprécier : Amériques de Varèse, le premier concerto pour violon de Max Bruch, et Petrouchka de Stravinsky. De concert en concert, chef et orchestre manifestent une cohésion, une dynamique collective, qui ne cessent de m’impressionner.
J’en suis d’autant plus heureux que l’Orchestre national de France, Cristian Macelaru, ainsi que le Choeur de Radio France, seront les héros de l’une des soirées les plus emblématiques du prochain Festival Radio France Occitanie Montpellier (FROM pour les intimes), le 21 juillet, avec les Sea Pictures d’Elgar (avec Marianne Crebassa) et la grandiose Sea Symphony de Vaughan Williams (réservation vivement recommandée : www.lefestival.eu)
On va éviter les clichés. Quand on sort debout de l’hôpital, on se dit qu’on a eu de la chance, mais il y a tellement d’autres souffrances plus longues, plus graves, qu’on va éviter de s’attarder sur son propre sort. Il y a certes des choses qu’on doit apprendre (ou réapprendre) : la patience, le repos, le goût des moments simples. Il y en a d’autres qui me sont familières, comme faire confiance à l’équipe qui travaille auprès de moi pour faire tourner la boutique, avancer sur les projets. Nul n’est irremplaçable, et la durée de mon absence au travail n’est pas de nature à compromettre l’avenir.
Ce qui n’est pas cliché en revanche, c’est le goût qu’on retrouve, pas à pas, pour les joies du quotidien, le premier restaurant, le premier cinéma, bientôt j’espère le premier concert.
La première sortie au cinéma c’était pour voir Aline de et avec Valérie Lemercier
La critique avait loué à peu près unanimement la qualité de ce film qui n’a rien d’un biopic ordinaire. J’ai un peu craint, en début de séance, que Valérie Lemercier ne fasse un peu trop du… Valérie Lemercier, dans les scènes de début où elle joue Céline Dion, pardon Aline Dieu, enfant puis adolescente. Et puis le film est tellement bien écrit et délicatement réalisé – rien n’est jamais trop, too much – qu’on se laisse entraîner sans réserve dans cette belle histoire de vie, d’amour, de réussite, d’hommage à un destin hors du commun. Je n’étais pas fan de Céline Dion avant ce film, j’ai l’impression de l’être un peu devenu.
Cela m’a rappelé une très brève rencontre, un salut échangé, il y a une quinzaine d’années : j’allais entrer chez Bofinger, la célèbre brasserie de la place de la Bastille, il y avait une belle limousine, moteur ronronnant, portes ouvertes, juste devant. J’eus juste le temps de m’écarter pour laisser sortir du restaurant… Céline Dion, qui se répandit en mille sourires d’excuses pour sa sortie un peu brusque. Céline comme un coup de vent !
Résolutions
Ce n’était qu’un conseil de sa part, mais j’ai décidé de suivre la recommandation du cardiologue : j’ai commencé hier toute une série de séances de « rééducation » cardiaque, autrement dit pour l’essentiel du sport, quotidien, encadré, surveillé, mesuré. Je faisais déjà du sport avant mon accident, mais le faire, dans le cadre apaisant d’un superbe domaine, qui, au XVIIIème siècle, accueillait les malades et les fous incurables, avec quelques partenaires qui ont subi la même épreuve, c’est un bonheur qui ne se refuse pas.
J’ai résolu aussi non seulement de ne jamais évoquer, pas plus demain qu’hier, ni même suivre certains candidats à l’élection présidentielle. Ni le ridicule ni la honte ne tuent, sinon on compterait déjà au moins 6 victimes. Liste non limitative…
Quand on lit les souvenirs de Catherine Nay, on est malheureusement conforté dans le triste constat d’une effrayante baisse de niveau du personnel politique depuis une vingtaine d’années.
C’est aussi, égoïstement, pour me préserver, pour réserver mes capacités d’indignation à des causes qui en valent vraiment la peine, que je me suis abstenu et que je m’abstiendrai de suivre des « débats » qui n’en sont pas. Comme les médias, les sondeurs, n’ont rien appris du passé – qu’une élection présidentielle se joue dans les dernières semaines, qu’aucun sondage n’a jamais donné l’ordre d’arrivée, a fortiori le vainqueur, six mois avant l’échéance – autant éviter d’entrer dans un jeu sans issue et sans intérêt.
Redécouvertes
L’avantage du repos forcé qui m’est imposé, c’est le temps qui m’est donné de redécouvrir mes -thèques : bibliothèque, discothèque, DVD, de petits bijoux cachés dans un documentaire, ou annexés à un concert filmé.
Au moment où j’écris ce billet, je finis de regarder le film Moscou, quartier des cerises (1963) : Moskva Cheryomushki est une délicieuse comédie musicale, écrite par Chostakovitch en 1959, dont l’action se situe dans la banlieue de Moscou. Le compositeur souhaitait rendre un hommage à Broadway (West Side Story avait connu un succès mondial dès 1957) Datant de 1963, le film est basé sur cette comédie musicale, qui connut à l’époque un important succès populaire et commercial. Satire de la vie et des aspirations de trois jeunes couples vivant en Union Soviétique – qui se débattent avec l’administration, la bureaucratie, la corruption et toutes les complications possibles pour acquérir des appartements de rêve dans le nouveau Quartier des cerises – le film possède à la fois le charme d’une comédie musicale hollywoodienne ainsi qu’une bande son irrésistible avec des chansons excellentes et des séquences dansées très réussies.
J’avais beaucoup aimé la production de la comédie musicale donnée à l’opéra de Lyon en décembre 2010, dirigée par Kirill Karabits, avec une quasi-débutante Olga Peretyatko, dans la mise en scène délurée et inventive de Jérôme Deschamps et Macha Makeieff.
Riccardo Chailly en a enregistré une version de grand luxe pour le disque avec l’orchestre de Philadelphie.
L’hommage à Josephine
J’ai aimé hier la cérémonie simple, belle, réussie, de l’entrée de Josephine Baker au Panthéon. Les musiques qui l’ont accompagnée.
Prononcer son nom sur certains réseaux sociaux vous expose à toutes sortes de railleries et d’apostrophes. RenaudCapuçon on aime ou on déteste !
Le violoniste que j’ai invité le 16 juillet prochain à Montpellier avec Michel Dalberto à jouer Fauré, Elgar et Richard Strauss (lefestival.eu) se livre, comme jamais, dans un long entretien au magazine Classica de juillet.
Ses admirateurs comme ses détracteurs devraient lire ce que dit Renaud Capuçon, sans aucune langue de bois :
Sur la crise sanitaire : « Je n’ai laissé voir que le côté bon élève gentil qu’on retrouve dans mon aspect physique ou ma manière de m’habiller. Or j’étais intérieurement désespéré. Pas pour moi, mais pour les autres. Je sais que l’Etat a fait beaucoup, bien plus que les autres pays du monde, mais si le musicien d’orchestre ou les intermittents ont été protégés, ce n’est pas le cas des solistes qui ont vu s’annuler tous leurs concerts de l’année contre une maigre obole de 1500 €. Il y a eu des gens connus qui n’arrivaient plus à payer leur loyer.. »
Un projet sans lendemain : « Au lieu de pleurer, j’ai imaginé le projet d’une gigantesque captation de toute la musique française, de Rameau à nos jours, pour donner du travail à tous et créer un document unique, payé par l’Etat, consultable partout et qui pourrait s’avérer un trésor national »…. Le violoniste dit en avoir parlé à Emmanuel Macron, Bruno Le Maire et Roselyne Bachelot, mais constate que ça n’a pas pu se faire : « Je n’en veux à personne, mais c’est dommage car c’était un vrai plan Marshall pour la culture, qui aurait mis tous les musiciens français, connus ou pas connus, à égalité et qui aurait rallumé la flamme »
Notre-Dame et les insultes : Renaud Capuçon évoque sa traversée de la crise sanitaire, les projets qu’il a imaginés avec de jeunes musiciens pour des captations, et un épisode qui l’a meurtri : « à Pâques en 2020, l’archevêché de Paris m’a demandé de jouer les Sept dernières paroles du Christ de Haydn avec mon quatuor à cordes. Je suis musicien, croyant, amoureux de Notre-Dame, j’ai tout de suite dit oui. Mais le général Georgelin a prévenu qu’il était impossible d’accueillir plus d’un musicien pour des raisons de sécurité. J’y suis donc allé seul. Après cette expérience, j’étais encore rempli d’émotion quand un ami m’a appelé. C’est par lui que j’ai appris le déchaînement d’insultes déversées sur ma page Facebook. Il y avait des violonistes, des personnes que je connaissais. J’étais abasourdi. Cette période révèle la vraie nature des gens »
Plus loin, Renaud Capuçon confesse une addiction paradoxale aux réseaux sociaux, mesure les avantages comme les inconvénients de la célébrité, de l’exposition (surexposition ?) médiatique..
Servir et non se servir de la musique : « Mon obsession, c’est que la musique ne soit jamais reléguée au second plan. Ne jamais perdre de vue le noyau, l’intégrité. Chaque jour je dois prendre des décisions, je suis très souvent sollicité pour des choses qui pourraient me tenter… J’ai refusé de participer à Prodiges* qui est une émission de divertissement. Je reste attaché à une certaine éthique, celle des Casals, Busch, Menuhin.
En un mot, j’aime et j’admire ceux qui ne se servent pas de la musique mais qui la servent.
Je n’ai pas regardé les dernières Victoires de la musique classique. Je reste marqué par une certaine époque et une certaine classe, celle d’un Jacques Chancel hier ou d’une Anne Sinclair aujourd’hui. Partager le beau avec un large public sans avilir. J’ai souvent l’impression que la télévision ignore ce qu’est un vrai talent ou un vrai musicien. Sur les chaînes publiques la musique fait partie du cahier des charges, mais on lui demande aussi de faire de l’audience alors même qu’il n’y a plus de publicité à cette heure-là. Il faudrait s’inspirer de la BBC qui opère une distinction entre culture et divertissement…. Ce n’est pas le nombre de followers qui doit décider qui joue bien une sonate de Mozart. La musique classique, c’est tout sauf ce monde-là ! »
Il faut lire toute la suite de l’entretien, largement consacrée au répertoire du musicien, à ses rapports avec les compositeurs d’aujourd’hui, à son activité d’enseignement et aux projets qu’il nourrit avec l’Orchestre de chambre de Lausanne dont il vient d’être nommé directeur artistique
Quant à moi, je ne suis pas surpris de lire cet entretien. Je connais Renaud depuis ses 18 ans ! Je l’ai vu se former, se forger son identité de musicien, progresser pas à pas, je l’ai invité plusieurs fois à Liège – Brahms, Rihm, Escaich, Beethoven… -. Je l’ai entendu créer les oeuvres de Dusapin, Mathias Pintscher. Je lui avais demandé, en 2017, de jouer à Montpellier le concerto de Khatchaturian, voici ce qu’il en disait au micro de France Musique : « C’est la première fois que je joue ce concerto. Au départ, je comptais présenter le n°1 de Prokofiev mais j’ai accepté le challenge de travailler un nouveau concerto car il était totalement dans le thème de cette soirée appelée « Aux confins de l’Empire ». Je suis très heureux de le jouer car c’est une œuvre que je connaissais mal. Elle a beaucoup d’allure et qui va plaire au public. C’est très daté dans l’écriture car quand on compare avec ce que pouvait composer Schönberg, Stravinsky ou Berg à la même époque ou plus tôt. Ce concerto illustre extrêmement bien l’époque, la Russie des années 1940.«
J’ai hâte de le retrouver le 16 juillet prochain à Montpellier.
(* Prodiges est une émission de France 2, un « concours » pour jeunes musiciens avec un jury dont fait partie Gautier Capuçon, le frère violoncelliste de Renaud)
Lundi soir au Châtelet l’un des films les plus originaux de Marcel L’Herbier, magnifiquement restauré, L’Inhumaine, de 1924.
Une restauration parfaite à voir le 4 mai prochain sur Arte. Explications de Serge Bromberg :
Pour cette nouvelle restauration, Lobster Films a pu reprendre le travail depuis les négatifs originaux nitrate encore en bon état grâce au matériel conservés par le CNC. Ces éléments ont été scannés en 4K sur le Nitroscan des laboratoires Eclair, et la restauration numérique a été effectuée aux laboratoires Lobster Films en 2014. Mais outre la qualité d’image absolument lumineuse de cette nouvelle restauration, c’est la restitution des teintes qui permet de découvrir enfin L’Inhumaine telle que MarcelL’Herbier l’avait imaginée. En effet, l’usage était de monter le négatif des films dans l’ordre des teintes. Sur une même bobine se trouvent assemblés bout à bout tous les éléments teintés bleus, sur une autre les éléments teintés verts, ou jaune, ou rouge. Ainsi, en remettant dans l’ordre ces plans filmés en noir et blanc et en suivant les indications précieuses écrites à l’encre directement sur la pellicule – indications ne figurant pas sur l’interpositif des années 1970 – ce sont bien les teintes d’origine qui son reconstituées pour chaque plan. Certaines chutes de montage donnent également des indications de teintages et de virages authentiques, et datant de l’époque. La remise dans l’ordre de ces plans après teintage révèle l’œuvre au plus proche de ce qui fut montré pour la première fois, éclatante de précision, de beauté formelle et véritable feu d’artifice hypnotique de teintages et de virages. Quant au problème de l’intensité des teintes et de l’insertion des flashes de couleurs pures dans le montage final très rythmé, il a pu enfin être résolu grâce aux nouvelles technologies de restauration numérique. Une résurrection…
Le film était accompagné par une création musicale du percussionniste Aidje Tafial pour ensemble instrumental, en partie inspirée des partitions que Darius Milhaud avait composées pour deux séquences majeures du film. Indépendamment de la qualité des interprètes, la musique peinait à se renouveler, donnant un sentiment de monotonie paradoxal pour un film aussi audacieux dans le propos, les décors, les situations…
Mardi c’était la première de Penthesilea, le septième opéra de Pascal Dusapin, à La Monnaie de Bruxelles.
Une heure et demie de musique âpre, sombre, extrêmement prenante – c’est la marque du compositeur – qui vous empoigne et ne vous lâche plus jusqu’au terme de l’oeuvre.
“Dévorée par la passion, rongée par le devoir, affamée par le désir” : telle est Penthésilée, la reine des Amazones, face au guerrier grec Achille qu’elle affronte durant la guerre de Troie. Mais comment traiter de la démesure en évitant le piège de la surenchère illustrative ? C’est à ce dilemme que répond magistralement Pascal Dusapin en composant son septième opéra, Penthesilea, une commande de la Monnaie de Bruxelles, sur l’un des mythes les plus terrifiants de la Grèce antique qui relate la mort d’Achille, tué et dévoré par celle qu’il aime, Penthésilée. Peu d’auteurs se sont risqués à l’approcher et, quand ils l’ont fait, c’était au risque d’une réprobation générale. Lorsque Heinrich von Kleist s’empare du sujet pour écrire une pièce de théâtre en 1807, celle-ci fait scandale, ne sera jamais publiée de son vivant et devra attendre le XXe siècle avant d’être montée (Fabienne Arvers, Les Inrocks)
Deux jours plus tard, contraste total avec une autre première (pour moi), Le Pré aux Clercs, l’un de ces nombreux opéras français du début du XIXème siècle, dû à Ferdinand Hérold, qui remporta un succès immédiat à sa création en décembre 1832 à l’Opéra-Comique qui le proposait dans une nouvelle production mise en scène avec autant d’efficacité que de sobriété par Eric Ruf, bien dirigée par Paul McCreesh à la tête de l’orchestre Gulbenkian, dans des costumes « d’époque » superbes.
Modèle des Huguenots de Meyerbeer, inspiré de l’unique roman de Mérimée et du style troubadour, c’est l’ouvrage qui, quoiqu’ayant causé la mort de son compositeur, resta le plus longtemps au répertoire de l’Opéra Comique, avec plus de 1600 représentations jusqu’en 1949 !
Distribution de belle qualité, presque entièrement francophone, mention spéciale pour Michael Spyres, Eric Huchet, Marie Lenormand, Jael Azzaretti, Emiliano Gonzalez Toro.
Malheureusement il faudra attendre la publication en CD prévue par le Palazzetto Bru Zane pour se remettre l’ouvrage dans l’oreille, France Musique n’ayant pu capter l’ouvrage pour cause de grève.