Merci pour la beauté !

Un retour et un adieu

À propos du concert que dirigeait ce jeudi soir Daniel Barenboim à la tête de l’Orchestre de Paris, le titre et le contenu de mon article pour Bachtrack sont explicites : L’apothéose de Barenboim à la Philharmonie de Paris.

C’est peu dire que l’émotion nous a submergés tous, musiciens et public.

Modernités

Juste avant ce concert, j’ai visité l’exposition ouverte depuis mercredi au rez-de-chaussée de la Philharmonie : Kandinsky, la musique des couleurs.

Ceux qui fréquentaient le Centre Pompidou connaissaient déjà les oeuvres exposées ici et la relation de Vassily Kandinsky (1866-1944) avec la musique, Schoenberg en particulier. Mais ici on vous confie à l’entrée un casque audio, malheureusement difficilement réglable – qui permet d’entendre autant que voir les oeuvres et leur contexte.

Quitte à heurter certains de mes lecteurs, je n’ai toujours pas été convaincu – après la visite de cette exposition – par les tentatives de Kandinsky de s’adonner à un « art total » notamment à la musique, pas plus que je n’ai jamais été convaincu des talents de peintre de Schoenberg. Non pas qu’il faille qu’un artiste reste enfermé dans son domaine de prédilection, mais je crains qu’à de très rares exceptions près, le génie ne se partage pas. Admiration donc intacte pour Kandinksy peintre, maître de l’abstraction et de la couleur.

Je garde ma liberté d’accoler à ces toiles les musiques qui me viennent…et je comprends la fascination qu’ont pu exercer les trois pièces pour piano op.11 de Schoenberg sur Kandinsky

Roberta Alexander (1949-2025)

On a appris hier le décès, à 76 ans, de la soprano américaine, installée depuis 1975 à Amsterdam, Roberta Alexander.

Je dois à cette artiste certaines de mes plus belles curiosités, certains de mes plus grands bonheurs musicaux.

C’est par et grâce à elle que j’ai découvert ce petit chef-d’oeuvre de Samuel Barber : Knoxville, Summer of 1915.

Avec elle, j’ai trouvé la version idéale des oeuvres vocales du compositeur néerlandais Henrik Andriessen (lire Vendredi saint)

Roberta Alexander a contribué à faire connaître en dehors de ses Pays-Bas natals, l’oeuvre superbe d’Alphons Diepenbrock (Le Hollandais oublié). Mais elle a évidemment aussi et surtout chanté Mozart, Mahler et ce qu’on appelle le grand répertoire. Avec ce quelque chose, ce vibrato serré, dans la voix, qui la rendait unique.

PS À propos de Schoenberg, cité à propos de Kandinsky, s’est développée sur Facebook l’une de ces discussions qu’affectionnent certains sur l’orthographe des noms allemands et russes de musiciens. Il faudra que j’y revienne dans une prochaine brève de blog !

Baudelaire en musique

A l’occasion d’un autre anniversaire, le centenaire de la mort du compositeur néerlandais Alphons Diepenbrock – le 5 avril dernier – Le Hollandais oublié -, j’ai évoqué incidemment Baudelaire qui a inspiré à Diepenbrock plusieurs très belles mélodies, comme cette Invitation au voyage magnifiquement chantée par Aafje Heynis.

L’un de nos plus grands poètes, Charles Baudelaire, est donc né le 9 avril 1821, il y a deux cents ans.

J’emprunte à Jean-Yves Masson, écrivain, éditeur, professeur, une partie du magnifique texte qu’il publie sur sa page Facebook. A défaut d’avoir sa connaissance encyclopédique de Baudelaire, je partage son admiration, son amour de l’auteur des Fleurs du Mal et de tant d’autres chefs-d’oeuvre

« J’ai aimé Baudelaire d’instinct, dès que j’ai commencé à le lire sérieusement, c’est-à-dire je pense au tout début de mes études. Je l’ai aimé comme un frère puisqu’il m’appelait son semblable, son frère, et que j’ai compris que c’était vrai. Rimbaud l’avait déclaré « le premier voyant, roi des poètes, un vrai dieu « /…./ mais qu’il était évidemment Baudelaire est probablement le plus grand poète chrétien (je ne dis pas catholique) de toute la langue française, en tout cas le plus grand depuis les poètes baroques qu’il aimait tant.

Je me suis nourri de Baudelaire, j’ai vécu avec Baudelaire, je l’ai emporté partout en voyage, il est l’intelligence suprême faite poésie, jusque dans sa critique d’art….

. « Baudelaire est une origine », a dit Pierre-Jean Jouve, ce que le romantisme français n’a pas su être (ailleurs en Europe, oui, mais pas en France). Jouve a raison: ce qu’on appelle la poésie a révélé avec un lui un visage nouveau dans notre langue et personne ne peut l’ignorer…

Hugo serait bien surpris s’il revenait et découvrait que l’œuvre de Baudelaire pèse aussi lourd sur la balance de l’Esprit que les dizaines de milliers de vers de la sienne, et sans doute même plus lourd. Je sais ce que vaut quelqu’un au jugement qu’il porte sur Baudelaire et à la manière dont il en parle. S’il n’y avait pas Montaigne et Rimbaud, il est clair que, sur une île déserte, j’emporterais Baudelaire. Il est vrai que comme je le connais presque par cœur, autant que Rimbaud, le dilemme serait vite résolu. » Bon anniversaire, souverain maître ! (Jean-Yves Masson, 9 avril 2021)

L’invitation au voyage

C’est incontestablement L’invitation au voyage dans le recueil des Fleurs du Mal (1857) qui a eu le plus de succès chez les compositeurs : près d’une dizaine se sont essayés, avec des fortunes diverses, à parer ces vers de mélodies.

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté
.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
— Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Léo Ferré

Benjamin Godard

Emmanuel Chabrier

Mais c’est pour moi définitivement Henri Duparc qui donne sa perfection musicale à cette sublime Invitation

J’avoue aimer autant la version orchestrale que la version avec piano, surtout avec des interprètes de la qualité de Françoise Pollet et de José Van Dam !

Impossible d’être exhaustif quant aux multiples « mises en musique » de Baudelaire (on renvoie à une page Wikipedia très bien faite)

Encore quelques exemples, parfois inattendus.

Fauré : Chant d’automne

Chausson : L’Albatros

Harmonie du soir mise en musique par Debussy, donne aussi Harmonie des Abends sous la plume de Zemlinsky

Plus étonnant encore, le premier des trois Lieder que compose un Karlheinz Stockhausen de 22 ans, en 1950, Der Rebell / Le rebelle

Le Vin selon Berg

Alban Berg compose, en 1929, Der Wein, pour soprano et orchestre. Il choisit trois des poèmes des Fleurs du Mal parmi les cinq que contient la section intitulée Le Vin, dans la traduction du poète allemand Stefan George : L’âme du fin/ Die Seele des Weines, Le vin des amants / Der Wein der Liebenden, Le vin du solitaire / Der Wein des Einsames

Tout un monde lointain

L’oeuvre la plus célèbre d’Henri Dutilleux, dédiée à et créée par Mstislav Rostropovitch en 1970, Tout un monde lointain, emprunte son titre à un vers du poème La Chevelure :  Tout un monde lointain, absent, presque défunt.

Dutilleux cite Baudelaire en exergue de chacun des cinq mouvements enchaînés de son concerto pour violoncelle :

Énigme (Très libre et flexible)…Et dans cette nature étrange et symbolique… , Poème XXVII

Regard (Extrêmement calme)…le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers
… , Le Poison

Houles (Large et ample) …Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts…
 , La Chevelure

Miroirs (Lent et extatique) Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
 », La Mort des amants

Hymne (Allegro) …Garde tes songes:
Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous!
La Voix

Ici dans une version enregistrée en 2013 à Helsinki par le tout jeune Aurélien Pascal, 19 ans à l’époque, Aurélien Pascal qui sera l’un des invités de marque, en duo avec Alexandre Kantorow le 24 juillet prochain à Montpellier (voir lefestival.eu

Ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés que je recommande ces deux disques, de la plus francophile et francophone des chanteuses britanniques, la chère Felicity Lott

Les raretés du confinement (XIII) : Karajan, Diepenbrock, Stravinsky, Cencic, l’été à venir

Toute la métropole est maintenant soumise au confinement qui ne dit pas son nom. Mais il y a maintes raisons d’espérer.

28 mars : Prokofiev et Karajan

Herbert von Karajan (1908-1989) a beaucoup enregistré. Dans son abondante discographie, on repère des enregistrements uniques, hors de son coeur de répertoire, comme cette Cinquième symphonie de Prokofiev… qui est, pour moi, en tête de toute la discographie de cette oeuvre. Tout y est, l’esprit de Prokofiev, la rythmique implacable, une réalisation orchestrale fabuleuse.

29 mars : l’enfant a grandi

Quelques rares chefs ont fait appel à une voix de jeune garçon pour le 4ème mouvement de la 4ème symphonie de Mahler (notamment Bernstein). Ce fut aussi le choix du chef slovène, Anton Nanut, disparu en 2017 (lire : Milan et Anton). Reconnaîtrez-vous l’enfant qui chante « Das himmlische Leben »?

30 mars : Les roses du Sud

L’une des plus belles valses de Johann Strauss, Rosen aus dem Süden/ Roses du Sud, date de 1880. Elle reprend des thèmes d’une opérette complètement oubliée aujourd’hui, Le mouchoir de dentelle de la Reine / Das Spitzentuch der Königin.Elle commence par un thème majestueux (de ceux que Brahms enviait à Johann Strauss), elle a trouvé en Karl Böhm (1894-1981) son interprète de référence. Personne mieux que lui n’a fait rugir cors et cordes des Wiener Philharmoniker, enregistrés en 1972 dans l’acoustique exceptionnelle de la Sofiensaal aujourd’hui détruite. Il n’est que d’écouter l’articulation serrée, la tenue corsetée, aristocratique, en même temps qu’un inimitable parfum viennois, de cette interprétation.

Johann Strauss : Rosen aus dem Süden Wiener Philharmoniker dir. Karl Böhm

31 mars : par ici la sortie ?

Je me suis fait la promesse – qui n’engage que moi ! – de ne plus évoquer, sur aucun réseau dit « social », le COVID-19. Je fais une exception très momentanée, pour dire – promis je ne le referai pas ! –

  • que j’en ai ras-le-bol- de cette crise qui dure
  • de la multitude des Yaka et Faucon qui ont envahi, submergé le débat public sur la crise sanitaire
  • de ces vieux réflexes pourris consistant à accabler Macron et le gouvernement pour tout ce qu’ils disent/ne disent pas, tout ce qu’ils font/ne font pas
  • de ces irresponsables qui se foutent des mesures barrière, qui se contaminent joyeusement entre eux et qui vont grossir les rangs des réanimations
  • de ces artistes – ouh là je ne me vais pas me gagner des amis ! – qui se plaignent de leur sort, se lamentent sur la fermeture des lieux de spectacle, comme s’ils vivaient hors sol, alors que, comme tous les secteurs de la société, ils bénéficient d’une aide publique sans équivalent dans le monde
  • Oui marre de ces gens qui passent leur temps à se plaindre, à gémir, à imputer la responsabilité de ce qui nous arrive à ces salauds qui nous gouvernent.
  • Je dis juste ceci, parce que je le pense, et que je me pose chaque jour la question : qu’aurais-je fait à la place du président, du gouvernement, si j’avais été confronté à pareille crise ?
  • Oui bien sûr je râle parce que les promesses de vaccination massive ne soient pas suivies d’effets, de faits, oui bien sûr je râle parce que les restaurants, les cafés, les salles de spectacle soient fermés, oui bien sûr je râle parce qu’on a – tous gouvernements confondus depuis vingt ans – laissé la technocratie s’emparer de la gestion de la santé publique. Mais, en ce moment, aujourd’hui, râler ne sert à rien.Bientôt j’annoncerai l’édition 2021 de mon festival. Je fais fi de toutes les prudences, de tous les conseils qui me susurrent que je devrais attendre d’être certain qu’on soit sûr de…Je suis encore un homme libre, et j’ai encore la liberté de provoquer le destin. Vive l’été qui vient !
J’ai pris cette photo de la statue de Jean Jaurès, bien seule depuis des mois, sur une place de Montpellier, d’ordinaire noire de monde et de terrasses de cafés et restaurants. Je la reprendrai bientôt, dès que possible !

1er avril : Gaîté parisienne

Grâce aux recherches de Jean-Christophe Keck on sait maintenant qu’Offenbach – dont le vrai nom était Têtedeboeuf – a puisé l’essentiel des thèmes de ses opérettes dans les cantates de… Bach !

Cette filiation Bach-Offenbach est encore plus évidente dans cette Gaîté Parisienne qui a fait la gloire (et la fortune) de Manuel Rosenthal (lire : Petits et grands arrangements : les Français)

Eblouissante version de Heribert Ritter von Karajan à la tête du Philharmonia Orchestra

2 avril : Beethoven à Amsterdam

Au milieu d’une fabuleuse intégrale « live » des symphonies de Beethoven, où se retrouvent Blomstedt, Bernstein, Kleiber, Norrington, Harnoncourt… (lire : Beethoven : Les géants d’Amsterdam/) une Neuvième symphonie survoltée, dirigée en 1985 par Antal Dorati :

Beethoven, Symphonie #9, finale

Roberta Alexander, soprano

Jard Van Nes, mezzo soprano

Horst Laubenthal, ténor

Leonard Mroz, basse

Concertgebouworkest dir. Antal Dorati

3 avril : Le premier Messie

En 1966, Colin Davis (1927-2013) enregistrait une version du Messie de Haendel qui marquait une révolution dans l’interprétation de ce célèbre oratorio.

A l’opposé de l’emphase victorienne qui caractérisait les versions de ses illustres aînés (Boult, Beecham), effectifs allégés, tempi alertes, même sans le recours à un instrumentarium d’époque.

Une version qui n’a rien perdu de sa pertinence !

Haendel : Messiah

Heather Harper, Helen Watts, John Wakefield, John Shirley-Quirk

London Symphony Orchestra dir. Colin Davis

4 avril : La grande pâque russe

Rimski-Korsakov écrit en 1887/1888 « La grande pâque russe« , une « ouverture sur des thèmes de l’église russe pour grand orchestre ».

Un chef-d’oeuvre souvent enregistré. Peu de versions restituent la dimension mystique autant que la flamboyance orchestrale de l’oeuvre.

Lire : La grande pâque russe

C’est le cas de Lovro von Matačić (1899-1985) qui dirige le Philharmonia en 1959.

5 avril : Le Hollandais oublié

Le compositeur Alphons Diepenbrock est né à Amsterdam en 1862 et mort dans la même ville il y a cent ans exactement le 5 avril 1921.

Admirateur et ami de Mahler, Richard Strauss, Debussy, DIepenbrock a dédié l’essentiel de son oeuvre à la voix. Un compositeur à découvrir absolument : Le Hollandais oublié

Die Nacht (1911) est un somptueux poème symphonique avec voix soliste. Ici dans l’interprétation de Janet Baker et de Bernard Haitink dirigeant le Concertgebouworkest

6 avril : Stravinsky et Karajan

Stravinsky est mort il y a 50 ans le 6 avril 1971.

Herbert von Karajan (né lui le.. 5 avril 1908) a relativement peu dirigé le compositeur, à l’exception du Sacre du printemps (2 versions studio et plusieurs « live » exceptionnels), et d’une poignée d’oeuvres.

Karajan ne pouvait que succomber au charme néo-classique du Concerto en ré Majeur pour cordes, que Paul Sacher commanda à Stravinsky à la fin de la Seconde guerre mondiale, et qu’il créa avec l’Orchestre de chambre de Bâle en 1947.

La douce nostalgie du 2ème mouvement de ce Concerto en ré devrait rappeler quelques souvenirs de radio (lire : Jean-Michel Damian: une voix de radio) aux plus fidèles auditeurs de France Musique.

7 avril : L’invitation au voyage

L’invitation au voyage de Baudelaire, c’est l’une des plus belles mélodies de Duparc. Et d’inoubliables interprètes.

Le même poème a été mis en musique par le compositeur néerlandais Alphons Diepenbrock, mort il y a cent ans, le 5 avril 1921 (lire :Le Hollandais oublié) et cela donne une mélodie très différente, mais très intéressante, surtout quand elle est interprétée par l’immense Aafje Heynis (1924-2015)

Et ce jeudi c’est l’annonce d’un été de fête !

Le Hollandais oublié

Il est né le 2 septembre 1862 à Amsterdam, et mort dans la même ville il y a cent ans très exactement, le 5 avril 1921.

Il n’est pas le seul dont on va, cette année, commémorer le centenaire de la mort (Saint-Saëns, Humperdinck) ou de la naissance (Piazzolla), mais il est à coup sûr, l’oublié de la liste, en dehors de son pays d’origine !

J’ai découvert l’existence d’Alphons Diepenbrock il y a quelques années, grâce à un disque de Riccardo Chailly, enregistré avec l’orchestre du Concertgebouw – dont le chef italien est alors le directeur musical – dans le cadre d’une intégrale des symphonies de Mahler. A la 7ème symphonie de ce dernier, était couplé Im grossen Schweigen (1905), une sorte de grand poème symphonique avec voix, sur un texte de Nietzche, dudit Diepenbrock.

La fascination pour une écriture orchestrale qui a des parentés évidentes avec Mahler ou Zemlinsky est immédiate, pour la forme, le format et la longueur, inédits, de ces mélodies avec orchestre.

Je ne cesserai plus d’explorer l’oeuvre de ce compositeur, grâce à d’autres disques trouvés en Hollande, où je m’approvisionnais régulièrement, venant de Liège (il n’y a qu’une toute petite trentaine de kilomètres entre Liège et Maastricht !).

Brilliant Classics rééditant, à tout petit prix, des enregistrements produits et publiés par Chandos.

En 2012, un autre label hollandais, Etcetera, consacre, à l’occasion du sesquicentenaire* de Diepenbrock, un coffret de 8 CD et un DVD, regroupant sinon la totalité de l’oeuvre, au moins tout ce qui a été enregistré du compositeur amstellodamois. Un coffret exemplaire à tous points de vue. Un livret richement documenté, comportant l’ensemble des textes et poèmes mis en musique, les témoignages de ses contemporains et interprètes, bilingue anglais-néerlandais.

Et tout récemment, extrait de ce coffret, Brilliant Classics édite les mélodies avec piano.

Une oeuvre atypique pour un compositeur contemporain de Mahler, Reger ou Debussy ! Rien pour le piano ou la musique de chambre, pas d’opéra, très peu pour l’orchestre symphonique – mais d’une grande qualité et toujours lié à des sujets littéraires – et pratiquement 90% d’une production vouée à la musique vocale et chorale.

(Die Nacht (1911) chantée par Janet Baker accompagnée par Bernard Haitink et le Concertgebouw)

Diepenbrock, né dans une famille qui ne connaît pas les fins de mois difficiles, se tourne plutôt vers l’Université que vers le Conservatoire. C’est un littéraire, épris de Baudelaire, Verlaine, Goethe, Hölderlin, Novalis, qui se lancera plutôt tardivement, et en autodidacte, dans la composition.

Pour son 50ème anniversaire, le 2 septembre 1912, c’est Willem Mengelberg lui-même qui lui dédie tout un concert de ses oeuvres à la tête de l’orchestre du Concertgebouw, comme Marsyas ou le printemps enchanté (1906) – une musique de scène pour la comédie de Baltasar Verhagen –

L’influence de Debussy dans le traitement de l’orchestre est évidente.

Mais Diepenbrock fera toujours un complexe par rapport à ses illustres contemporains, qui seront aussi ses amis, Mahler ou Richard Strauss par exemple. Il ne se sent pas capable d’oeuvres de l’envergure des symphonies de Mahler, encore moins des opéras de R. Strauss.

Mengelberg dit de lui, en 1909 : « Diepenbrock est un génie, mais sa musique est sacrément difficile« . Difficile à mémoriser, donc à apprendre, balançant constamment entre influences wagnériennes et raffinements debussystes. Difficile aussi parce que sa compréhension repose sur une connaissance approfondie du contexte littéraire.

Plus confidentielle encore – on veut dire par là complètement ignorée hors des Pays-Bas- son oeuvre chorale, liturgique ou profane, n’a jamais cessé d’être au programme des formations néerlandaises (le coffret Etcetera comprend plusieurs enregistrements avec Eduard Van Beinum, Bernard Haitink, Ed Spanjaard)

Le corpus de mélodies avec piano, quant à lui, se partage entre trois tiers presque égaux : 13 Lieder en majorité composés sur des poèmes de Goethe, 11 sur des textes latins, italiens ou néerlandais, et 11 sur des poèmes français, Verlaine, Baudelaire pour l’essentiel, mais aussi Gide (Incantation) ou Charles van Lerberghe (Berceuse).

On est évidemment surpris lorsqu’on a dans la tête l’Invitation au voyage avec les notes de Duparc

et qu’on découvre ce qu’en a fait Diepenbrock ! Ici dans une merveilleuse interprétation, celle de Aafje Heynis (1924-2015) – qui n’est pas celle qu’on trouve dans les coffrets Brilliant/Etcetera, gâchée par la diction chewing-gum de Jard Van Nes.

Si le centenaire de sa mort peut contribuer à le faire mieux connaître, à faire aimer un compositeur singulier, qui n’est pas un simple épigone, alors célébrons celui d’Alphons Diepenbrock !

*Sesquicentenaire = 150ème anniversaire