Encore du piano

Mes billets se suivent et se ressemblent : après Latino et Les amis de Martha, je vais encore parler piano.

D’abord pour signaler un coffret d’hommage à Radu Lupu, ce bon géant du piano disparu la veille de la mort de son cadet Nicholas Angelich (lire Le piano était en noir) en avril 2022 !

« Ce coffret de 6 CD, autorisé par ses ayants droit, constitue une découverte fascinante, d’autant plus que le répertoire lui-même n’avait jamais été publié officiellement par Lupu, sous quelque forme que ce soit.

Le coffret est divisé en deux parties thématiques : des enregistrements studio Decca (deux CD) et des enregistrements radiophoniques en direct réalisés par la BBC, la radio néerlandaise et la SWR. Les deux disques studio Decca sont superbes, et l’on s’étonne encore de leur parution tardive. Les deux Quatuors pour piano de Mozart, interprétés avec le Quatuor à cordes de Tel Aviv en 1976, figurent parmi les plus belles interprétations actuellement disponibles. Elles s’inscrivent dans la lignée stylistique de Curzon, Rubinstein et (un peu plus tard) Ax, sans recourir aux approches plus récentes de l’interprétation sur période. Écoutez par exemple le jeu remarquable de Lupu dans les développements des premiers mouvements (CD 1, piste 1 à 6’34” et piste 4 à 6’06”), ou encore le phrasé chaleureux de l’ensemble dans les deux mouvements lents.

Le second enregistrement studio Decca appartient à la série des Sonates pour piano de Schubert dirigées par Lupu. L’enregistrement numérique paru précédemment (1991) contenait des interprétations mémorables des D. 664 et D. 960 ; celui-ci propose les D. 840 (« Reliquie ») et D. 850 (« Gasteiner »). Les mouvements lents révèlent Lupu à son apogée : une profondeur discrète, une expressivité intense et une apparente simplicité.

La découverte majeure est le CD 3, qui comprend un récital Haydn donné en 1988 au Wigmore Hall de Londres. On y perçoit une prudence légèrement supérieure à celle de ses enregistrements en studio, et quelques fausses notes, mais le jeu et la profondeur d’interprétation sont remarquables. La maîtrise technique de Lupu est manifeste dans le dernier mouvement de la Sonate en do mineur (CD 3, piste 7), interprété à un tempo plus rapide que d’habitude.

Ce même disque contient également un enregistrement de la Sonate « facile » de Mozart, K. 545, capté à Aldeburgh en 1970, peu après la victoire de Lupu au Concours de Leeds. Il y apparaît déjà comme un musicien accompli, malgré un bref trou de mémoire dans le deuxième mouvement, qu’il surmonte avec brio. Les Études symphoniques de Schumann, enregistrées en public en 1991, témoignent de la virtuosité de Lupu, qui relève avec brio les défis techniques de l’œuvre tout en en restituant le caractère romantique et sombre.

Le CD 5 réunit des enregistrements en direct du Concertgebouw du Carnaval de Vienne de Schumann (1983) et des Tableaux d’une exposition de Moussorgski (1984). Ces deux œuvres confirment le charisme de Lupu et son talent exceptionnel pour la mise en valeur de son jeu. On notera la fantaisie des Tuileries et la majesté de la Grande Porte de Kiev. Il interprète ces œuvres en respectant scrupuleusement la partition originale et, hormis l’ajout d’octaves plus graves dans les passages les plus forts, évite les réinterprétations parfois hasardeuses d’autres pianistes.

Un autre point d’intérêt réside dans les premiers enregistrements d’œuvres du XXe siècle que Lupu a par la suite abandonnées à son répertoire. En plein air de Bartók révèle une fougue absente de ses interprétations ultérieures, et la Sonate pour piano de Copland est fascinante à écouter avec le timbre si caractéristique de Lupu, même s’il ne semble pas toujours totalement à l’aise avec cette pièce. Le dernier disque propose une interprétation captivante du Concerto pour piano n° 18 de Mozart, avec un deuxième mouvement particulièrement émouvant. Les enregistrements de 1970 à Leeds de trois œuvres de Chopin — le premier Scherzo et les deux Nocturnes op. 27 — souffrent d’une prise de son médiocre, et Lupu fait de son mieux avec un instrument manifestement problématique (Extraits de The Classical Review)

Indispensable évidemment !

Claviers inconnus

Mercredi soir j’ai été invité à la Seine Musicale au premier volet d’une série de concerts/enregistrements qui vont y prendre place durant trois saisons. Je connaissais le nom du chef et de son orchestre – Mathieu Herzog et Appassionato – mais pas celui du soliste, le pianiste d’origine russe Nikita Mndoyants.

Mathieu Herzog et son ensemble Appassionato m’avaient soufflé avec leur version exceptionnelle de la Nuit transfigurée de Schoenberg, captée « live » ici même il y a trois ans. C’est dire si leur projet d’intégrale Rachmaninov – symphonique et concertante – me met en appétit. Mercredi, c’était la 1e symphonie et le 3e concerto pour piano. Je redoutais un peu ce tube de tous les concours sous les doigts d’un inconnu (de moi) : j’ai été d’un bout à l’autre scotché par un piano d’une densité et d’une palette de couleurs exceptionnelles, par la tenue presque aristocratique du soliste et sa technique superlative, qui ne montre jamais ni les muscles ni les coutures. Hâte d’entendre les autres concertos sous ses doigts.

Quant à Mathieu Herzog, il empoigne cette 1e symphonie avec une énergie tranquille qu’il diffuse à ses jeunes troupes au risque parfois de quelques sorties de route, mais quel feu, quelle flamme, qui pourraient encore être plus majestueux notamment dans le dernier mouvement qui paie un large tribut à l’éternelle grande Russie.

L’autre découverte, c’est toujours chez Rachmaninov un pianiste français dont je connaissais le nom – Jean-Baptiste Fonlupt – mais que je n’avais encore jamais entendu en concert ou au disque. Et voici que son dernier disque – les Préludes de Rachmaninov – glane éloges et récompenses de la part de critiques qui ne sont pas toujours d’accord – un Diapason d’Or dans le numéro de décembre (Bertrand Boissard) et Jean-Charles Hoffelé sur Artamag.

Humeurs et bonheurs du jour à lire sur mes brèves de blog

Strauss au diapason

#JohannStrauss200

Le lecteur pensera sans doute que ma Straussmania tourne à l’obsession. Non content des trois articles consacrés au roi de la valse il y a un mois, pour célébrer le bicentenaire de sa naissance (lire Un bouquet de Strauss I, II et III), sans compter ceux qui les ont précédés sur ce blog, je reviens à Johann Strauss parce que Diapason lui consacre sa une et un dossier très complet dans son numéro de décembre.

On sait mes réserves sur la plupart des ouvrages jusqu’alors consacrés en français à celui que Diapason nomme justement « L’empereur de la valse« . Aucune réserve à faire, et bien au contraire de vives félicitations à décerner à l’auteure du dossier, Christine Mondon, qui est aussi celle d’un ouvrage qui m’avait complètement échappé, lors de sa parution en 2011, sur Johann Strauss ; la musique et l’esprit viennois,

Des félicitations aussi – mais il n’en a que faire venant d’un ami de longue date ! – à Ivan Alexandre, dont je connais la culture encyclopédique, mais dont j’ignorais les affinités électives avec la musique viennoise et singulièrement avec la discographie de la dynastie Strauss. Son « menu en quinze services » sur « les enregistrements qui ont fait de Johann Straus un roi du disque »‘ est une manière de perfection. J’y découvre même des choses, en CD ou en DVD, que je ne connaissais pas, je ne suis pas toujours d’accord avec certains jugements, qui laissent accroire ce qu’une partie de la critique française a toujours pensé de Willi Boskovsky (« Il ne fait aucun effort. On ne sait même s’il entraîne ou s’il suit. Confiance, nonchalance, c’était donc cela l’orchestre, une fratrie gaillarde qui parle si distinctement sa langue qu’il n’y prend plus garde« ). Sur la totalité des enregistrements laissés par l’ex-Konzertmeister devenu le chef du Nouvel an des Wiener Philharmoniker (lire Wiener Blut) il y a forcément du bon et du moins bon. Mais pour l’avoir beaucoup écouté et beaucoup comparé à beaucoup d’autres, je tiens que Boskovsky reste une référence, et parfois un modèle, dans l’exécution des oeuvres de Johann Strauss (lire Aimer, boire et chanter)

On pourra être surpris de trouver parmi les quinze « services » sélectionnés par Ivan Alexandre un paragraphe intitulé Plébiscite et consacré à… André Rieu ! Longtemps voisin (à Liège) du violoniste originaire de Maastricht – où il offre chaque année une grande soirée sur la grande place du Vrijthof – je n’ai jamais éprouvé pour lui le « mépris de la profession et de la critique » (I.A.A.). Il joue pour un public qui ne vient pas et ne viendra jamais au concert classique. C’est un médiocre violoniste mais un formidable businessman, comme l’étaient Johann Strauss père et fils, à la considérable différence près que les Viennois étaient de grands musiciens et d’excellents compositeurs.

Pour le plaisir

Pour compléter autant le dossier de Diapason que mes précédents articles, et juste pour le plaisir, quelques transcriptions parfois inattendues de valses et polkas de Strauss, tirées de ma disocthèque

Edith Farnadi dans une transcription de la Schatz Walzer due au pianiste et compositeur Ernö Dohnanyi, grand père du chef récemment disparu Christoph von Dohnányi.

L’incontournable Shura Cherkassky est comme chez lui dans les arabesques de Godowsky sur Wein, Weib und Gesang

Georges Cziffra n’était pas en reste avec ses propres broderies

On sait que Chostakovitch, dans sa jeunesse, s’est beaucoup amusé à transcrire et arranger (son Tahiti Trot est presque devenu plus célèbre que la mélodie originale – Tea for Two – de Vincent Youmans). A ma connaissance le Russe n’a fait qu’une seule incursion dans l’oeuvre du roi de la Valse.

Et bien sûr, il y a ces chefs-d’oeuvre que sont les transcriptions de Schoenberg, Webern et Berg des grandes valses de leurs aînés.

On se réjouit de retrouver très bientôt la totalité des enregistrements des Boston Chamber Players.

Et toujours mes brèves de blog !

Les défricheurs

On pensait l’époque des pionniers, des défricheurs, révolue en matière de disque classique. Les « majors » qui faisaient la loi depuis le milieu du siècle précédent, ont non seulement réduit la voilure, avec, dans le cas de Deutsche Grammophon une politique artistique devenue erratique, mais se contentent le plus souvent d’exploiter, d’autres diraient de liquider, leurs prestigieux fonds de catalogue. Il reste heureusement des aventuriers, des audacieux qui croient qu’il y a encore tant de répertoires à découvrir, d’artistes à promouvoir, de territoires à défricher.

Les frères A et B

C’était le gag le plus répandu dans le microcosme musical classique : à moins de les rencontrer tous les deux – ce qui m’est souvent arrivé depuis une quinzaine d’années que je les connais (lire L’exploit des infatigables Dratwicki) – on a une chance sur deux de tomber à côté. Est-ce Alexandre ou Benoît ? Mais l’un n’est jamais loin de l’autre…

Le numéro d’octobre de Diapason consacre tout un papier à Alexandre Dratwicki.

« Hier il coachait des chanteurs autour d’une production et mettait la dernière main à une biographie de Caroline Branchu (« la créatrice du rôle-titre de La Vestale sous l’Empire »). Demain il s’envole pour le Canada où se tient un premier festival en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane. C’est bien simple, il est infatigable, intarissable… et incollable. Docteur en musicologie formé au Conservatoire de Metz puis à la Sorbonne, Alexandre Dratwicki veille, depuis son installation à Venise en 2009, sur les activités multiples du Centre de musique romantique française créé et présidé par Nicole Bru : exhumer des partitions oubliées, piloter des colloques, susciter des premières au disque. Au-delà des réalisations publiées sous le label maison et saluées par une pluie de Diapason découverte et de Diapason d’or, on avoisine désormais les trois cents CD ou DVD ». (Diapason, octobre 2025)

Je visitais l’autre jour le rayon classique de Gibert, comme celui de la Fnac Montparnasse : la collection des livres-disques du Palazzetto Bru Zane est en effet impressionnante (voir l’un des derniers-nés sur Bizet : Les perles méconnues).

Cette hyper-activité ne va pas sans contrarier ou susciter des jalousies. On peut avoir l’impression que les frères D. préemptent le travail, les recherches de leurs confrères moins bien soutenus (tout le monde n’a pas la chance de bénéficier du mécénat de riches veuves). Ils font en tout cas un travail que ne font pas ou ne font plus des institutions dont c’est a priori la mission. Mais ceci est un autre débat…

Oskar ou l’inconnu de Vienne

Aussi incroyable que cela paraisse, il existe encore des compositeurs complètement oubliés de l’histoire. Avec le formidable coffret – un objet d’art à soi seul – que publie Olivier Lalane sur son label Voilà – on ne peut plus ignorer qui était Oskar C. Posa , quasi contemporain d’Arnold Schoenberg, né et mort à Vienne.

Un éloquent papier de Pierre Gervasoni dans Le Monde de ce dimanche salue comme il se doit le tour de force que constitue cette édition :

« Découvert sur une affiche de concert de 1905, son nom a suscité la curiosité d’Olivier Lalane, qui, après cinq années de recherches dignes d’un Indiana Jones de la planète musicale, met à l’honneur Oskar C. Posa (1873-1951) par le biais de deux CD panoramiques (l’un instrumental, l’autre vocal) introduits par un livre luxueusement documenté. » Pierre Gervasoni, Le Monde 28/09/2025).

Et pour les humeurs et les actualités du moment (qui ne manquent pas !) c’est toujours sur mes brèves de blog

Le piano qu’on aime (suite)

Martha Argerich ou les clichés

Je pense qu’elle détient le record des occurrences sur ce blog. Pas moins de 66 articles où elle est citée, et une bonne moitié qui lui est consacrée : Martha Argerich habite ce blog comme elle habite ma vie.

C’est dire si la une du numéro de septembre de Diapason, l’annonce d’une « interview exclusive », avaient de quoi m’allécher. Le terme « interview » est déjà impropre, puisqu’il s’agit plutôt d’une conversation enregistrée telle quelle, ce qui est sympathique et restitue assez bien ce qui se passe lorsqu’on a la chance de partager un moment avec la pianiste. Mais vraiment, est-il encore nécessaire d’aligner les clichés qui s’attachent depuis toujours à cette grande musicienne (« la lionne », la « reine », etc.) ? À 84 ans, Martha Argerich est toujours dans une forme époustouflante. On ne peut que lui/nous souhaiter que cela dure..

Cela me rappelle un heureux et cruel souvenir, que j’avais déjà raconté dans une précédente édition de ce blog. En 1987 (lire Martha Argerich à Tokyo), j’ai la chance d’accompagner l’Orchestre de la Suisse romande dans une grande tournée au Japon et en Californie. Les solistes en sont Martha Argerich et Gidon Kremer, excusez du peu. La Radio suisse romande me demande de faire régulièrement le point sur cette tournée dans les émissions d’Espace 2. On m’a dit avant de partir que Martha n’accepte aucune interview, mais n’étant pas journaliste, je me dis que je n’ai rien à risquer à lui demander si elle accepterait de me dire quelques mots, au moins pour illustrer mes billets. Elle accepte, sans hésiter, un soir de relâche, de me consacrer du temps. Elle me donne rendez-vous à minuit dans le hall de l’hôtel à Tokyo, de retour d’un dîner auquel elle doit assister. A minuit, je suis en place avec mon « nagra », je vois défiler quantité de musiciens de l’OSR, surpris de me voir là à cette heure tardive : je leur dis attendre Martha pour une interview… Je ne compte pas les sourires narquois et les allusions parfois douteuses qui me répondent… Vingt bonnes minutes plus tard, c’est Gidon Kremer qui s’avance vers moi : « Je sais que vous attendez Martha, ne vous inquiétez pas, elle arrive, nous rentrons juste de dîner ».

En effet, fraîche comme une rose, elle se pose quelques minutes plus tard de l’autre côté de la table basse. Je m’assure qu’elle accepte bien d’être enregistrée, et pour ma première interview, je me lance et lui pose toutes les questions qui me viennent à l’esprit. A 2h30, je suis obligé de mettre fin à la conversation, je n’ai plus de bande… Deux heures d’interview exclusive avec Martha Argerich, je ne suis pas peu fier de l’exploit. Le lendemain, je m’assure, avec les responsables de l’orchestre, que la bande peut être envoyée par avion à Genève, où la radio pourra choisir un extrait pour ses bulletins d’information et la matinale d’Espace 2, en attendant le traitement et le montage pour une diffusion intégrale de l’interview à mon retour de tournée. En effet, radio et télé suisses donnent un large écho à la tournée, à l’OSR et à Martha, dont il n’existait jusqu’alors aucun document « audio » de sa voix. Lorsque je rentre quelques semaines plus tard, je m’enquiers de la précieuse bande et je m’entends répondre : « Merci, on a pris les extraits qui nous intéressaient pour l’info, mais on ne l’a pas gardée ni archivée ». Voici comment 2 heures exclusives d’entretien avec Martha Argerich ont fini à la poubelle…

La dernière fois que j’ai entendu Martha Argerich en concert, c’était dans le concerto de Schumann, j’en ai rendu compte pour Bachtrack : « Devant une Philharmonie archi-comble, la légendaire pianiste s’avance à pas précautionneux, cherchant le bras du chef Antonio Pappano, adapte la hauteur de son siège. Les mains noueuses trahissent l’âge de l’interprète, on perçoit d’abord comme une hésitation devant le clavier. Et soudain le miracle opère : la pianiste argentine semble littéralement réinventer cette œuvre qu’elle fréquente pourtant depuis si longtemps, ces très subtils rubatos, cet art d’énoncer un thème, une mélodie, avec la simplicité, l’évidence qui n’est qu’aux grands. Le fabuleux équilibre des deux mains, cette manière unique de faire sonner les lignes intermédiaires, avec par-ci par-là un coup de griffe, un accent inattendu, c’est la marque Argerich.« 

Paui Lecocq et Clara Haskil

Je n’avais jamais entendu parler du concours Clara Haskil dans les journaux de France Inter, mais il a suffi qu’un Français, le jeune Paul Lecocq, soit choisi comme le lauréat de la 31e édition, pour que les médias « généralistes » l’évoquent, avec les approximations d’usage- on ne remporte pas un concours grâce à un concerto (Paul Lecocq aurait gagné son prix avec le 3e concerto de Beethoven !). Peu importe,

Je ne connais pas ce garçon, mais ce que j’entends dans ce concerto de Beethoven, qui est loin d’être le plus évident pour ses interprètes, chef comme soliste, me donne envie d’en entendre plus. Parce que l’histoire du concours Clara Haskil atteste que les jurys successifs de cette compétition ont toujours privilégié les musiciens aux broyeurs d’ivoire. La liste des lauréats depuis 1963 est éclairante. Quatre Français parmi eux, Michel Dalberto (1975), Delphine Bardin (1997), Adam Laloum (2009) et maintenant Paul Lecocq au même âge (20 ans) que Michel Dalberto, cinquante ans après lui.

Les pianistes musiciens

La seule question qui vaille, on l’a déjà posée ici à maintes reprises (Le piano qu’on aime), est : pourquoi retient-on, écoute-t-on tel pianiste plutôt que tel autre? Et on ajoute, avec ce qu’il faut de nostalgie : pourquoi y a-t-il aujourd’hui si peu d’artistes, de musiciens, qui osent l’originalité, l’affirmation d’une personnalité ? C’est vrai dans toutes les disciplines. Affaire d’enseignement ? de transmission ? de temps pour se développer, apprendre, se cultiver tout simplement ?

Un exemple : j’ai cité récemment le dernier disque d’Aurélien Pontier (lire Une journée à Paris) qui regroupe des pièces que les grands pianistes du siècle passé aimaient jouer en bis, pour épater le public qui en redemandait, d’une virtuosité qui n’existe que pour être transcendée. On peut féliciter le pianiste français de son audace et de l’originalité de son programme, remarquer aussi que tout cela est bien joué, très bien joué même, mais qu’il manque ce quelque chose d’impalpable, d’ineffable qu’y mettait par exemple un Shura Cherkassky.

L’autre pianiste

J’ai plusieurs fois évoqué ici un pianiste que j’ai découvert un peu par hasard et qui ne m’a plus lâché depuis que j’ai acquis tout ce que j’ai pu trouver de et sur lui, Sergio Fiorentino (1927-1998) – lire L’autre pianiste italien.

L’éditeur Brilliant Classics a eu la formidable idée de regrouper dans un coffret unique ce legs inestimable, précieux, indispensable :

Pour les acheteurs éventuels, je signale que le site anglais prestomusic propose le coffret à 71,25 € alors que la FNAC l’annonce à 91€… Mystère toujours que ces différences de prix d’un pays à l’autre (même en tenant compte des frais de port)

On ne m’en voudra pas de remettre ici la version que je chéris entre toutes de la sonate D 960 de Schubert, l’absolue perfection de ce dernier mouvement sous les doigts de Sergio Fiorentino

Et, comme toujours, humeurs et réactions à lire sur mes brèves de blog

Jupiter

Les symphonies de Mozart ne sont quasiment plus au répertoire des orchestres symphoniques traditionnels. C’est dire si, comme je l’ai écrit pour Bachtrack, la présence de la 41e symphonie dite « Jupiter » de Mozart au programme de l’Orchestre national de France dirigé par Simone Young le 19 juin dernier faisait figure d’événement.

La conception de Simone Young, ici à Munich en 2018, n’a pas foncièrement changé. C’est l’illustration même de ce que je décris dans mon article : Soir de fête pour Simone Young et l’Orchestre national

Je crois me souvenir que la dernière fois que j’ai entendu la Jupiter en concert, c’était à Liège avec Louis Langrée en janvier 2006 ! Je me rappelle surtout une séance pédagogique où il avait réparti le public de la Salle Philharmonique en cinq groupes suivant chacun l’une des cinq « phrases » fuguées par Mozart dans le dernier mouvement. On peut voir quelques extraits du grand festival Mozart dans ce film à 26′

L’ultime chef-d’oeuvre symphonique de Mozart a évidemment bénéficié d’un grand nombre d’enregistrements. J’en ai distingué quelques-uns dans ma discothèque, parfois surprenants ou inattendus

Les grands classiques

Josef Krips, Amsterdam (1971)

Souvent réédité le bloc des symphonies 21 à 41 enregistrées par le chef viennois Josef Krips à Amsterdam au début des années 70, garde son statut de référence, même si les réussites y sont très inégales. Mais la 41e symphonie a fière allure

L’autre inévitable est Karl Böhm, auteur de la première intégrale des symphonies de Mozart, très inégale elle aussi, mais on retrouve bien dans la 41e symphonie ce mélange d’apparente rigueur et d’élan qui a souvent caractérisé l’art de ce chef

Karl Böhm, Berlin (1962)

Pour des raisons commerciales probablement, on a confié peu de Mozart à Eugen Jochum, qui pourtant dans Haydn, Mozart, Beethoven, était en terrain de connaissance et de liberté

Eugen Jochum à Boston (1973)

James Levine a gravé une autre intégrale des symphonies de Mozart à Vienne.

La 41e commence à 28′

Autre intégrale remarquable, globalement la plus réussie, celle de Charles Mackerras avec l’orchestre de chambre de Prague (il a réengistré les six dernières symphonies avec le Scottish chamber orchestra). C’est pour moi la plus recommandable globalement.

Les inattendus

On n’attend pas vraiment Zubin Mehta dans ce répertoire. Pourtant, formé à Vienne auprès des meilleurs, le chef indien se coule sans peine dans la peau du chef mozartien…

Zubin Mehta à Vienne

Autre chef inattendu dans ce répertoire, et surtout le seul à avoir officiellement enregistré la 41e symphonie, alors âgé de 28 ans, avec l’Orchestre national de l’époque. Et ça sonne vraiment bien…

Lorin Maazel avec l’ONF (1958)

Quelques mois avant sa mort, le chef américain se retrouve invité (à grands frais certainement) en Galice en 2012.

Lorin Maazel en Galice (2012)

Sur YouTube, on trouve dette étonnante captation d’un concert où le vieux chef soviétique Evgueny Svetlanov épouse la grandeur du compositeur, donnant une version fascinante.

Evgueni Svetlanov à Moscou (1992)

Yehudi Menuhin, Sinfonia Varsovia

Pour rappel, Yehudi Menuhin était aussi un excellent chef d’orchestre (lire Le chef oublié) et Hugues Mousseau dans Diapason avait justement distingué sa version de la Jupiter de Mozart

La nouvelle génération

Maxim Emelyanychev, Il Pomo d’Oro

J’écrivais, il y a trois ans, après les deux concerts finaux du Festival Radio France : « Maxim Emelyanychev réinvente tout ce qu’il dirige, sans céder aux excès de certains de ses contemporains plus médiatisés« . Je me réjouis infiniment de retrouver le jeune chef russe, actuel chef principal du Scottish Chamber Orchestra, à la tête de l’Orchestre national de France ce jeudi au Théâtre des Champs-Elysées.

Il a commencé un projet Mozart enthousiasmant :

Julien Chauvin et le Concert de la Loge

J’ai le même enthousiasme pour le parcours de Julien Chauvin et son Concert de la Loge. Je me rappelle la jubilation éprouvée avec le Don Giovanni « implacable et génial » donné à l’Athénée en novembre 2024, qui vient d’être distingué par le Prix 2025 du syndicat de la critique Théâtre, Musique et Danse.

Plus radicales certes, mais passionnantes, les démarches de Mathieu Herzog et Riccardo Minasi

Mathieu Herzog, Appassionato

Riccardo Minasi, Resonanz

PS Je précise, une fois de plus, à l’intention de certains lecteurs – qui ne manquent jamais une occasion de me reprocher mes choix, mes oublis, voire mon ignorance – que, dans ce type d’articles, je n’ai, d’abord, aucune prétention ni volonté d’exhaustivité, et que je fais un choix tout à fait subjectif. En plus de celles déjà citées, je n’ignore pas les versions d’Abbado, Barbirolli, Barenboim, Beecham, Bernstein, Blech, Blomstedt, Boult, Brüggen, Davis, Dorati, Adam Fischer, Fricsay, Gardiner, Giulini, Glover, Harnoncourt, Hogwood, Jacobs, Jordan, Karajan, Keilberth, Klemperer, Koopman, Krivine, Kubelik, Leibowitz, Leinsdorf, Manacorda, Marriner, Monteux, Munch, Muti, Oistrakh, Pinnock, Reiner, Rhorer, Sawallisch, Schmidt-Isserstedt, Schuricht, Solti, Suitner, Tate,Tennstedt, Vegh, Walter… pour ne citer que celles que j’ai dans ma discothèque !!

Et toujours mes brèves de blog !

La vie des chefs

Pour en avoir côtoyé, engagé un grand nombre, je me pose toujours, à propos des chefs d’orchestre, une question à laquelle j’ai rarement eu une réponse convaincante : pourquoi devient-on chef d’orchestre ? Qu’est-ce qui pousse un musicien à le devenir, sachant que tel Saint-Sébastien il sera plus souvent criblé de flèches que de compliments par ceux qu’il tiendra sous sa baguette ?

Question d’autant plus actuelle à l’heure des réseaux sociaux, des investigations orientées, des procès médiatiques. L’article que je publiais il y a tout juste un an, à propos de ce qu’on a appelé l’affaire Roth (Confidences et confidentialité), n’a rien perdu de son actualité. Notons qu’aucune instance judiciaire, aucune plainte, aucune enquête n’ont été engagées depuis les « révélations » concernant le chef français, mais le résultat est le même : F.X. Roth a été banni de toutes les formations qu’il avait l’habitude de diriger, y compris celle qu’il a fondée, Les Siècles !

Enquêtes ?

France Musique et la presse musicale se font l’écho d’une vaste enquête menée par un media néerlandais sur le comportement du chef d’orchestre Jaap van Zweden, sur lequel, bien avant d’apprendre sa nomination comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Radio France, je m’étais exprimé sans fard (lire Bâtons migrateurs) : Jaap Van Zweden accusé de faire régner un climat de peur

J’avais écrit pour Bachtrack les réserves que m’avait inspirées une exécution pour le moins sommaire de la IXe symphonie de Beethoven au tout début de cette année.

J’entends déjà dire, à mots à peine couverts, qu’on va regretter Mikko Franck au Philhar’…

Sur une autre nomination – Chung à la Scala – j’ai dit ce que je peux en dire (lire brèves de blog). Je doute qu’on enquête un jour sérieusement sur ses comportements passés en France – il y a prescription, mais certains n’ont pas la mémoire courte ! Aurait-on oublié ce qui s’est passé en Corée il y a dix ans ? (Le maestro Chung en difficulté en Corée).Mais il faut absolument lire l’article très complet et très informé du Blog du Wanderer : Scala, Le nouveau directeur musical n’est pas celui qu’on attendait.

Daniele Gatti vient d’ailleurs d’annoncer qu’il annule tous ses futurs engagements à la Scala de Milan !

Mais il y a heureusement des nouvelles beaucoup plus réjouissantes dans l’actualité.

Daniel Harding vient de quitter la direction musicale de l’Orchestre symphonique de la radio suédoise, qu’il occupait depuis dix-huit ans.

L’orchestre lui a fait une belle ovation à sa manière :

Pierre Dumoussaud, plusieurs fois invité à Montpellier, est le futur chef de l’Opéra de Rouen. il en est heureux, et nous plus encore !

Il dirigeait le concert final du Concours Eurovision des jeunes musiciens en 2022 :

Enfin ma découverte d’avant-hier au Châtelet, la jeune cheffe coréenne Sora Elisabeth Lee, qui se tire avec tous les honneurs d’un spectacle inégal. Lire ma critique sur Bachtrack : Purges et élixirs du docteur Bizet (et ma brève de blog)

Le retour à Schubert

Mon week-end a été largement nourri d’écoutes de Schubert – en dehors des funérailles papales (voir brevesdeblog : Pauvre François)

D’abord parce que j’ai reçu trois CD sortis il y a cinq ans : je connaissais des disques d’Andrea Lucchesini, qui enregistra pour EMI dans sa jeunesse Beethoven, Liszt ou Chopin, mais je n’avais pas prêté attention à ces Schubert.

J’y retrouve tout ce que j’attends dans ces dernières sonates de Schubert, en particulier la D 960 (lire Quand ça se termine mal pour Schubert)

Pure merveille que ce finale de la dernière sonate, qui respire, écoute, s’ouvre à la poésie de l’infini :

Et cet adagio si simple, si pur, de la D 959 ! On n’en sort pas indemne.

Réécouter Böhm

J’avais oublié de réécouter la Neuvième symphonie de Schubert telle que l’a dirigée Karl Böhm à Dresde le 12 janvier 1979. Prodigieux non ?

Samuel Hasselhorn

Voici plusieurs mois que je lis des choses très flatteuses sur le baryton allemand Samuel Hasselhorn, sans que j’aie eu la possibilité de l’entendre en concert. Ce qu’écrit Sylvain Fort dans Diapason à propos de son dernier disque m’a convaincu de rattraper mes retards d’écoute.

J’ai toujours cru que l’interprétation de « Die junge Nonne » par Kathleen Ferrier était indépassable. Celle de Samuel Hasselhorn la rejoint dans mon panthéon personnel. Les deux Alleluia qui concluent ce Lied me laissent toujours sans mots…

Carmen est de la revue

Dira-t-on en cette année qui célèbre le sesquicentenaire de la création de Carmen, et subséquemment du décès brutal de son auteur, Georges Bizet, que trop de Carmen tue Carmen ?

C’est bien possible, sinon probable. Je connais des amis qui ne supportent plus ni d’écouter, ni de voir Carmen. Je n’en suis pas, même si je ne cours pas après toutes les Carmen qui se présentent. Après le dossier très complet que consacre Diapason, dans son numéro d’avril, à « l’opéra le plus aimé au monde », je me suis amusé à réexaminer ma discothèque personnelle.

Comme Diapason, je mets depuis longtemps tout en haut de la pile la version Beecham, dont j’avais raconté les aventures et mésaventures (L’impossible Carmen)

Pas loin je place Rafael Frühbeck de Burgos avec un couple Carmen/Don José étonnant

C’est la même Grace Bumbry et les mêmes comparses qui seront du film réalisé à Salzbourg sous la direction de Karajan.

On mettra loin derrière le remake plantureux de Karajan pour DGG avec Agnes Baltsa, tout comme la version de 1964 avec Leontyne Price.

La Carmen de Maria Callas, n’est peut-être pas idiomatique, mais elle est d’abord très bien entourée et dirigée, et elle m’évoque un souvenir très particulier. Au cours de l’été 1973, j’étais au fin fond de la Roumanie dans un camping, avec pour seule liaison avec le « pays », un poste à transistor et en longues ondes France Inter. Un dimanche soir, la radio diffusait Carmen chantée par Callas. Surréaliste mais vrai !

Puis au hasard d’une Tribune des critiques de disques de France Musique, j’ai découvert la version de Georg Solti, à laquelle je n’ai cessé au fil des ans de trouver de plus en plus d’atouts, à commencer par l’incarnation si juste et touchante du rôle-titre par Tatiana Troyanos

Lorin Maazel, qui n’a pas toujours eu la main heureuse dans ses enregistrements d’opéra, réussit parfaitement la bande-son du film de Francesco Rosi. Julia Migenes n’est peut-être pas la plus grande chanteuse, avec ses partenaires elle incarne une Carmen plus que cr’édible

Lorin Maazel, quelques années plus tôt, a gravé une autre Carmen avec une interprète capiteuse à souhait, à laquelle il est difficile de résister, Anna Moffo

On s’étonnera peut-être que je ne place qu’ici, en tout cas pas dans les priorités, la version toujours présentée comme une référence de Claudio Abbado avec Teresa Berganza et Placido Domingo. Je n’ai jamais partagé l’engouement général pour cette version, que je trouve certes bien réalisée, mais trop statique, pas assez vivante. Et des soucis de prononciation rédhibitoires.

Très exotique aussi, mais pour d’autres raisons, la version de Thomas Schippers, grand chef de théâtre s’il en fut, avec une Carmen impossible en la personne de Regina Resnik, caricature de cantatrice et de Carmen en même temps. Rien ne va dans cet album, à part la direction racée de Schoippers et la rigueur de l’Escamillo de Tom Krause.

Je ne suis pas non plus très fan de la version de Michel Plasson, avec une Carmen vraiment peu crédible malgré (ou à cause de) la présence d’une Angela Gheorghiu que je n’arrive pas à me représenter en Carmen. Si Roberto Alagna fait un Don José émouvant, Thomas Hampson (Escamillo) et Inva Mula (Micaela) ne m’ont jamais convaincu.

En bonne dernière, malgré l’admiration qu’on nourrit pour le chef – Leonard Bernstein – et l’interprète principale – Marylin Horne – il faut bien reconnaître le ratage de cette Carmen.

En DVD il y a plusieurs versions qui ne manquent pas d’intérêt. J’en ai 4 dans ma bibliothèque (Karajan/Price), Philippe Jordan avec la blonde Anne-Sofie von Otter à Glyndebourne, Anna-Caterina Antonacci avec John Eliot Gardiner, et la plus surprenante Carlos Kleiber à Munich avec un « cast » étonnant autour de l’éternel Placido Domingo, Elena Obraztsova (!) en Carmen, Isobel Buchanan en Micaela

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Encore Chostakovitch

Le numéro de février de Diapason faisait sa couverture sur Chostakovitch* et consacrait au compositeur russe disparu il y a 50 ans un passionnant dossier (voir Des disques et des critiques).

Entre temps, Deutsche Grammophon regroupe dans un coffret de 19 CD (pour moins de 70 € !) une intégrale de ses symphonies, quelques musiques de scène et les six concertos pour piano, violon et violoncelle du compositeur, enregistrées par Andris Nelsons avec le Boston Symphony Orchestra, et comme solistes Yuja Wang, Baiba Skride et Yo Yo Ma. A quoi il faut ajouter rien moins que l’opéra révolutionnaire de Chostakovitch, Lady Macbeth de Mzensk. Plusieurs de ces enregistrements ne sont même pas encore sortis séparément…

Je suis loin d’avoir encore tout écouté, même si j’avais déjà prêté une oreille attentive aux premières symphonies parues ces dernières années. Je me rappelle certaines critiques, que je partageais souvent, sur les choix interprétatifs du chef letton, qui « décontextualise » cette musique pourtant difficilement séparable des circonstances qui l’ont vue naître.

On avait fait, si je me souviens bien, un peu le même reproche à Bernard Haitink qui avait, sauf erreur de ma part, enregistré la première intégrale « occidentale » des symphonies de Chostakovitch à Londres et Amsterdam.

J’ai rappelé ici même il y a peu mes préférences pour les visions en quelque sorte natives de Kondrachine, Mravinski, les chefs russes en général.

Sans souvenirs et sans préjugés

Mais je me demande s’il n’est pas temps, comme auditeur, d’aborder Chostakovitch « sans souvenirs et sans préjugés » (pour reprendre une célèbre formule de Jacques Lonchampt à propos du Parsifal de Boulez à Bayreuth en 1966). Exercice certes difficile quand on est nourri depuis des lustres de culture russe mais sûrement salutaire pour ne pas réduire ce compositeur et son oeuvre à leur seule dimension historique.

C’est la démarche, en tout cas, qu’adopte Andris Nelsons, en choisissant d’enregistrer tout son Chostakovitch avec l’orchestre sans doute le moins familier de l’oeuvre du Russe, le Boston Symphony. On serait bien en peine de trouver un disque Chostakovitch dirigé par l’un des prédécesseurs de Nelsons à la tête de cet orchestre, qu’il s’agisse de Munch, Leinsdorf, Steinberg, Ozawa ou Levine.

On n’est pas au bout de ses – bonnes – surprises en écoutant, pas à pas, cette nouvelle intégrale, pour l’essentiel captée en concert.

Les vraies surprises viennent, pour moi, des solistes des concertos.

Dans les deux concertos pour piano, Yuja Wang se montre plutôt moins exubérante qu’on l’attendrait, et finalement assez classique dans son approche

Pour ce qui est de Yo Yo Ma, bientôt septuagénaire (!), on connaissait bien le 1er concerto pour violoncelle gravé jadis avec Eugene Ormandy, mais pour les 2 concertos ensemble, c’est une première

Quant aux concertos pour violon, ils sont confiés à une compatriote du chef, la Lettonne Baiba Skride, que j’ai bien connue (et invitée) lorsqu’elle remporta le premier prix du Concours Reine Elisabeth en 2001, à tout juste 20 ans. La carrière discographique de Baiba a pris son cours sous le label Orfeo, avec plusieurs belles réussites. Ici, certains ne manqueront pas de relever une certaine retenue, l’absence de folie dans le jeu. Mais cela correspond à l’esthétique développée par le chef, et mérite l’écoute.

Je vais maintenant prendre le temps d’écouter l’opéra maudit de Chostakovitch, mais je tenais à saluer cette nouvelle et importante contribution moderne à la discographie du compositeur.

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*Je refuse d’utiliser l’orthographe internationale – Shostakovich –

Ravel #150 : L’enfant et l’heure espagnole

Suite et fin (provisoire) de cette mini-série consacrée au sesquicentenaire de Ravel : Ravel #150

Sofia Gubaidulina (1931-2025)

Mais impossible de ne pas évoquer la figure de la grande compositrice russe, qui vivait en Allemagne depuis 1991, Sofia Gubaidulina disparue ce 13 mars: lire l’excellent article que lui consacre Diapason.

Quelques souvenirs de concert me reviennent, dont un qui avait marqué le public de Liège, pour qui le nom même de la compositrice était inconnu et qui avait pourtant rempli la Salle philharmonique en 2005. Mais c’était une star du violon – Vadim Repin – qui jouait ce soir-là Offertorium, demeurée l’oeuvre concertante la plus célèbre de son auteur.

Ravel à Monte Carlo : un centenaire

Je suis ce week-end à Monte-Carlo pour « couvrir » plusieurs concerts du Printemps des Arts pour Bachtrack. Mon ami Jean-Louis Grinda, authentique Monégasque, qui, après l’Opéra royal de Wallonie à Liège, a dirigé de 2007 à 2023 l’Opéra de Monte-Carlo, y met en scène le spectacle qui réunira fin mars les deux ouvrages lyriques de Ravel : L’enfant et les sortilèges et L’heure espagnole

C’est en effet il y a quasiment un siècle, le 21 mars 1925, que la fantaisie lyrique composée par Ravel et Colette, fut créée ici même, à l’Opéra de Monte Carlo, alors dirigé par l’indétrônable Raoul Gunsbourg.

Au disque, j’ai toujours les mêmes (p)références : Lorin Maazel et Armin Jordan

Mais qu’il s’agisse de l’une ou l’autre oeuvre, il faut les voir sur scène, pour les goûter pleinement.
J’ai deux souvenirs récents et lumineux dont j’ai rendu compte pour Bachtrack :le très poétique spectacle de l’Opéra Garnier à Paris, en novembre 2023 – Un Ravel de féérie à l’Opéra de Paris,

et L’Heure espagnole délurée de Louis Langrée et Guillaume Gallienne à l’Opéra Comique en mars 2024.

Et toujours le petit frère de ce blog brevesdeblog et le dernier article Retour à Monte Carlo