Les raretés de l’été (XII) : Arthur Fiedler les racines européennes

Suite de ma mini-série sur Arthur Fiedler.(voir Arthur Fiedler le chef américain)

Arthur Fiedler naît à Boston le 17 décembre 1894. Ainsi il est l’un des rares grands chefs américains du XXe siècle, l’autre étant Leonard Bernstein – à être né sur le sol américain. Certes son père Emanuel Fiedler est d’origine autrichienne et travaille comme violoniste dans le Boston Symphony. Il va d’ailleurs suivre son père qui retourne vivre en Autriche à sa retraite et étudier notamment le violon à Berlin auprès de Willy Hess. Il quitte l’Europe de ses études lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, revient à Boston, est engagé à son tour en 1915 comme violoniste au Boston Symphony. Dès 1924, il forme avec quelques collègues le Boston Sinfonietta, en attendant de prendre la direction en 1930 des Boston Pops, fondés 35 ans plus tôt pour employer les musiciens du Boston Symphony durant la saison estivale.

On reviendra sur ce qui a fait la gloire du couple Boston Pops / Fiedler, cette capacité de propager, dans des conditions artistiques optimales – avec l’un des meilleurs orchestres au monde – les mélodies, les musiques de films, les thèmes populaires – cf. le premier chapitre de cette série : Fiedler l’Américain.

Mais dans l’héritage discographique du chef, il y a beaucoup d »enregistrements qui, encore une fois, ne sont jamais cités, ni critiqués, et qui sont pourtant à mettre au sommet, comme les musiques d’Europe centrale, et singulièrement les viennoises. Là où Bernstein n’a jamais trouvé la clé – la valse viennoise -, où Ormandy enjolivait parfois outrageusement, où Fritz Reiner était parfois d’une austérité excessive, Arthur Fiedler révèle le grand chef qui a tout compris de ces répertoires, parce qu’il les a appris à la source.

Vienne à Boston

Le lien d’Arthur Fiedler avec la famille Strauss est double. Il semblerait qu’il ait joué, lorsqu’il a suivi son père à Vienne, dans l’orchestre du fils d’Eduard Strauss, le dernier des frères (1835-1919). Mais c’est surtout la présence de Johann Strauss – celui dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance – à Boston en 1872 pour le World’s Peace Jubilee and International Music Festival qui est restée gravée dans la mémoire des Bostoniens.

La version d’Arthur Fiedler de la fameuse Valse des Empereurs / Kaiserwalzer (*) n’est pas loin d’être ma préférée.

(*) D’abord intitulée Hand in Hand, cette valse composée lors de la visite de Guillaume II de Prusse à Vienne change de titre, lors de la visite retour de François Joseph à Berlin le 21 octobre 1889, et devient Kaiserwalzer – qu’il faudrait donc traduire par Valse des… empereurs.

La suite tirée d’airs d’opérettes de Lehar est toute nostalgie Mitteleuropa – en dépit du titre plutôt ridicule du disque qui la contient

Et que dire de cette ouverture de SuppéCavalerie légère – dont le titre est souvent contredit par l’interprétation !

Merci à Fiedler d’avoir aussi enregistré cette ouverture de l’opérette Fatinitza du même Suppé, le seul autre enregistrement que j’en ai est celui de Charles Dutoit à Montréal

Mitteleuropa

On s’éloigne du Danube pour rejoindre le cours tumultueux de la Vltava – la Moldau est nettement plus prononçable !

Il y a surtout une somptueuse version de la Symphonie n°9 dite du Nouveau Monde de Dvořák, qu’Arthur Fiedler enregistre en 1970 avec le Boston Symphony.

Une version que j’ai découverte récemment, incluse dans un coffret censé regrouper les enregistrements de William Steinberg et du Boston Symphony pour RCA !

Exemplaire aussi cette vision de la célèbre rhapsodie roumaine n°1 d’Enesco : écoutez cette vivacité, cette liberté rhapsodique dans l’énoncé des thèmes populaires – dont l’Alouette – qui ont inspiré le compositeur roumain.

Vive la France !

Ce n’est évidemment pas à Arthur Fiedler qu’on demandait d’enregistrer le grand répertoire – rien qu’à Boston, entre Koussevitzky, Munch, Leinsdorf, Steinberg, et même Ozawa, pour ne citer que les titulaires du Boston Symphony, qui étaient aux commandes durant le mandat de Fiedler aux Pops, il y avait le choix. Mais on a laissé au roi Arthur quelques « créneaux » comme cette Gaîté Parisienne (Munch l’enregistrera aussi… mais à Londres)

Et puis il y a cet enregistrement surprenant – c’était une première aux Etats-Unis – de la suite que le compositeur russe Rodion Chtchédrine (qui s’écrit en russe avec deux fois moins de lettres : Щедрин) a réalisée pour cordes et percussions sur des thèmes de Carmen de Bizet :

Les racines irlandaises

Quand on évoque les racines européennes d’Arthur Fiedler, il est impossible – et ce serait bien dommage ! – d’oublier qu’encore aujourd’hui plus de 20% de la population de Boston se déclare d’origine irlandaise. C’est dire si les concerts monumentaux – les Irish Nights – qu’a dirigés à plusieurs reprises Fiedler sont des incontournables de sa discographie

L’éditeur a laissé tous les bruits de la fête, et on se prend à entonner tel ou tel hymne à l’écoute d’un tel événement.

Prochain épisode : Fiedler star de l’époque.

Et toujours mes https://brevesdeblog.wordpress.com/

La naissance de Fauré

Gabriel Fauré est né le 12 mai 1845, il y a donc 180 ans, à Pamiers (Ariège).

La statue de Gabriel Fauré, due au sculpteur Sébastien Langloÿs, inaugurée il y a six mois à Pamiers

On a beaucoup parlé de Fauré, l’an dernier (voir Le vrai Fauré), parce que c’était le centenaire de sa mort. La vie culturelle, musicale, les sorties de disques, les expositions, tout est désormais rythmé par les anniversaires (lire Du bon usage des anniversaires).

Aujourd’hui personne ne parlera de Fauré, le jour de sa naissance, puisqu’on semble avoir épuisé le sujet pour le centenaire de sa mort. Et, à vrai dire, on s’en fiche…

Je veux juste en profiter pour ressortir de ma discothèque quelques raretés, oeuvres ou interprètes.

Nathalie et Catherine

L’un des plus beaux disques de mélodies de Fauré rassemblant Nathalie Stutzmann (60 ans depuis quelques jours !) et la très regrettée Catherine Collard

Le bouquet de mélodies gravées par Victoria de Los Angeles m’émeut toujours

C’est par Yves Montand qu’adolescent j’ai découvert Les Berceaux de Fauré !

J’avais déjà écrit ici mon admiration pour le pianiste américain Grant Johannesen (1921-2005) et son interprétation de la Ballade pour piano et orchestre

J’ai consacré pas mal d’articles à l’oeuvre pour piano de Fauré.

Juste cette pépite, cet Impromptu n°2 capté au festival de Montreux en 1988. Quatre ans plus tard pour les 90 ans d’Hugues Cuénod, Nikita Magaloff qui devait disparaître quelques temps après, en donna une version inoubliable, d’une beauté crépusculaire.

Masques et bergamasques est une pièce tardive de Fauré, elle résiste aux baguettes qui n’en saisissent pas l’esprit, mais évidemment pas à Armin Jordan, qui l’a enregistrée avec l’Orchestre de chambre de Lausanne. Merci à l’OSR et à la télévision suisse de nous restituer cette vision de concert

Pénélope oubliée

On ne peut pas dire que l’unique opéra de Fauré, Pénélope, créé en 1913 à Monte Carlo, encombre les programmes d’opéra ni les discothèques.

C’est dire si la version de Charles Dutoit, avec son fabuleux cast, est précieuse.

Fauré à Bâle

Il faut saluer le travail que fait le chef britannique Ivor Bolton sur la musique française depuis qu’il préside aux destinées de l’Orchestre symphonique de Bâle (Basler Sinfonie-Orchester), avec notamment ce très beau disque :

Et toujours les échos de mon week-end à Athènes et autres impressions : brèves de blog

Ravel #150 : L’enfant et l’heure espagnole

Suite et fin (provisoire) de cette mini-série consacrée au sesquicentenaire de Ravel : Ravel #150

Sofia Gubaidulina (1931-2025)

Mais impossible de ne pas évoquer la figure de la grande compositrice russe, qui vivait en Allemagne depuis 1991, Sofia Gubaidulina disparue ce 13 mars: lire l’excellent article que lui consacre Diapason.

Quelques souvenirs de concert me reviennent, dont un qui avait marqué le public de Liège, pour qui le nom même de la compositrice était inconnu et qui avait pourtant rempli la Salle philharmonique en 2005. Mais c’était une star du violon – Vadim Repin – qui jouait ce soir-là Offertorium, demeurée l’oeuvre concertante la plus célèbre de son auteur.

Ravel à Monte Carlo : un centenaire

Je suis ce week-end à Monte-Carlo pour « couvrir » plusieurs concerts du Printemps des Arts pour Bachtrack. Mon ami Jean-Louis Grinda, authentique Monégasque, qui, après l’Opéra royal de Wallonie à Liège, a dirigé de 2007 à 2023 l’Opéra de Monte-Carlo, y met en scène le spectacle qui réunira fin mars les deux ouvrages lyriques de Ravel : L’enfant et les sortilèges et L’heure espagnole

C’est en effet il y a quasiment un siècle, le 21 mars 1925, que la fantaisie lyrique composée par Ravel et Colette, fut créée ici même, à l’Opéra de Monte Carlo, alors dirigé par l’indétrônable Raoul Gunsbourg.

Au disque, j’ai toujours les mêmes (p)références : Lorin Maazel et Armin Jordan

Mais qu’il s’agisse de l’une ou l’autre oeuvre, il faut les voir sur scène, pour les goûter pleinement.
J’ai deux souvenirs récents et lumineux dont j’ai rendu compte pour Bachtrack :le très poétique spectacle de l’Opéra Garnier à Paris, en novembre 2023 – Un Ravel de féérie à l’Opéra de Paris,

et L’Heure espagnole délurée de Louis Langrée et Guillaume Gallienne à l’Opéra Comique en mars 2024.

Et toujours le petit frère de ce blog brevesdeblog et le dernier article Retour à Monte Carlo

Ravel #150 : Daphnis et Chloé

Nous y sommes : Maurice Ravel est né le 7 mars 1875, il y a très exactement 150 ans. Poursuivons la mini-série autour du compositeur basque et de ses oeuvres les plus connues.

Avec le Boléro et la Valse (on y reviendra), la 2e suite de Daphnis et Chloé est sans doute sa pièce symphonique la plus jouée en concert. Je préfère évoquer ici la partition intégrale de cette « symphonie chorégraphique pour orchestre et choeur sans paroles », comme est intitulée cette musique du ballet composé pour les Ballets russes et créé sur une chorégraphie de Michel Fokine, le 8 juin 1912, au théâtre du Châtelet sous la direction de Pierre Monteux. Pierre Monteux décidément abonné à toutes les créations importantes de l’époque (Petrouchka, Le Sacre du printemps…).

Les versions intégrales sont nettement moins nombreuses au disque que la seule 2e suite.

Je me rappelle encore une émission de « Disques en lice » – la défunte tribune de critiques de disques de la Radio Suisse romande – où, au terme d’une écoute à l’aveugle, la version qui dominait la confrontation était celle de… Pierre Monteux, magnifiquement enregistrée à Londres.

Charles Munch à Boston n’était pas loin…

Ernest Ansermet n’est pas à son meilleur dans cet ouvrage, mais ses héritiers – revendiqués ou non – les deux Suisses, Charles Dutoit et Armin Jordan, y sont admirables

Intéressant de confronter les versions de Jordan père (Armin) et fils (Philippe) :

La version la plus inattendue de la discographie, et peut-être la plus extraordinaire à mes oreilles, est celle du grand Kirill Kondrachine*, captée à Amsterdam en 1972, jadis rééditée dans une série devenue collector

*décédé le 7 mars 1981 à Amsterdam au lendemain d’un concert où il dirigeait la 1e symphonie de Mahler à la tête de l’orchestre de la radio de Hambourg (NDR)

Nelson et Martha

Ces deux-là étaient frère et soeur en musique, plus encore qu’amis et complices. L’un est mort, l’autre toujours vive et active à 83 ans passés. Ils font une part de l’actualité discographique : Nelson Freire (1944-2021) et Martha Argerich.

Du côté de la pianiste argentine, rien de vraiment neuf. Warner a regroupé des coffrets déjà parus (comme les « live » de Lugano) en y ajoutant quelques albums récents, et les quelques disques parus sous étiquette Teldec.

Ce coffret révèle à la fois la curiosité de la pianiste en matière de musique de chambre, et une certaine permanence – on n’a pas dit étroitesse ! – du répertoire solo et concertant : pas mal de doublons, mais comment s’en plaindre, quand on sait qu’en concert Martha Argerich n’est jamais exactement la même d’un soir à l’autre (souvenirs d’une tournée au Japon et en Californie en 1987).

Quelques erreurs d’étiquetage parfois amusantes : dans le seul trio de Haydn, capté à Lugano, on indique Nicholas Angelich au côté des frères Capuçon, alors qu’il s’agit bien de Martha Argerich. En revanche dans un disque Brahms à 2 pianos, le partenaire de Martha est mentionné comme Nicholas Argerich (sic).

Inutile de recenser les merveilles de ce coffret, elles se révèlent tout au long des 46 CD.

Quelques-unes prises au hasard :

Comme on le sait Martha Argerich donne désormais rendez-vous à ses amis à Hambourg. C’est là, en 2020, qu’elle a consenti à redonner aux micros et caméras – mais sans public – une version inoubliable de la 3e sonate de Chopin

L’héritage Nelson

Lorsqu’il est mort, il y a déjà plus de trois ans, j’ai tenté une discographie de Nelson Freire. Tâche difficile, puisque le pianiste brésilien, avant la période Decca – la dernière – a enregistré pour plusieurs labels, au gré des propositions et des engagements, et relativement peu. Heureusement que, depuis une dizaine d’années, les captations de concert ou les enregistrements de radio, ressortent un peu au compte-gouttes, traduisant, mieux que la discographie « officielle », les choix de répertoire de Nelson Freire.

Le coffret de 3 CD qu’édite le Südwestrundfunk (SWR) – la radio publique de l’Allemagne du sud qui regroupe les stations jadis indépendantes de Baden-Baden et Stuttgart – est à chérir à plus d’un titre : il ne comporte pratiquement que des inédits dans la discographie de Nelson Freire.

On se demande si et quand Decca publiera enfin le coffret de l’intégrale des enregistrements réalisés pour le label par Nelson Freire ! Ce ne serait que justice.

Autre suggestion : rassembler tous les témoignages laissés par le duo Martha Argerich-Nelson Freire. Insurpassable !

Et ce bis murmuré ensemble…

Suivez le chef

Débuts parisiens

Devais-je y aller en tant qu’ami ou comme critique ? J’ai hésité un moment avant d’accepter de « couvrir »‘ pour Bachtrack le Rigoletto donné à l’Opéra Bastille ce dimanche. C’était une première pour le chef vénézuélien Domingo Hindoyan. Une première parfaitement réussie pour lui, même si la mise en scène et certains chanteurs laissent à désirer (Bachtrack: « la direction musicale et le rôle-titre sont autant d’atouts qui magnifient le chef-d’oeuvre de Verdi« )

Il y a une bonne quinzaine d’années que je connais l’actuel chef de l’orchestre de Liverpool, que je l’avais invité à plusieurs reprises (à l’instigation d’un impresario – Pedro Kranz – aujourd’hui disparu en qui j’avais grande confiance) à diriger l’Orchestre philharmonique royal de Liège (lire Hindoyan dirige à Liège). Pour ma première édition en 2015 comme directeur du Festival Radio France à Montpellier, c’est tout de suite à lui que j’avais pensé pour le concert d’ouverture avec un programme particulièrement festif avec l’orchestre de Montpellier. Les musiciens comme le public se rappellent encore un fameux Boléro !

Et puis il y eut en 2016 Iris de Mascagni, en 2017 Siberia de Giordano, avec Sonya Yoncheva, et en 2021 une glorieuse soirée de clôture avec ce couple aussi heureux sur la scène que dans la vie.

Ecoutez ce que disait Christian Merlin, mon cher confère du Figaro, à propos du travail du chef et de la chanteuse, alors qu’on prévoyait de donner avec eux, en juillet 2020, Fedora de Giordano. Projet évidemment abandonné pour cause de pandémie…

Ici à Bordeaux, après une superbe représentation du Démon de Rubinstein dirigée par un autre ami cher, Paul Daniel (à droite) et avant un concert que devait diriger Domingo Hindoyan (à gauche) en janvier 2020.

Soirée de clôture du festival Radio France 2021 : la fête retrouvée après la longue parenthèse de la pandémie, avec Sonya Yoncheva et Domingo Hindoyan.

Oui ou non

Je me pose toujours la question de la pertinence pour un chef d’orchestre d’aller au bout de ses limites. Pour un Bernard Haitink qui, à 90 ans, un an avant sa mort, a mis fin à sa carrière, après quelques concerts où il n’était déjà plus que l’ombre de ce qu’il avait été, on a le contre-exemple éloquent de Charles Dutoit, 88 ans depuis le 7 octobre, qui ne ralentit ni ses voyages (on se demande quels pays il lui reste à visiter dans le monde !), ni ses concerts. Dans le nouveau numéro de Classica, Olivier Bellamy livre une interview-fleuve, qui aurait mérité un meilleur découpage et un vrai travail de décryptage d’un entretien où tout se mêle et s’emmêle parfois : Charles Dutoit est bavard et il a tant à dire d’une vie foisonnante. A lire tout de même !

En revanche, quel intérêt y a-t-il pour le public, ses admirateurs, et le grand musicien qu’il a été, de documenter l’inexorable décrépitude de Daniel Barenboim ? Je trouve presque indécent d’assister à cette déchéance. La critique n’ose pas écrire ce qui pourtant saute aux oreilles des derniers disques de Barenboim chef : qu’on ne devrait même pas les publier. Dernier triste exemple en date : la Symphonie de Franck avec l’orchestre philharmonique de Berlin ! Emouvant diront certains, infiniment triste diront tous les autres…

Barenboim avait gravé il y a presque cinquante ans une magnifique version de la dite symphonie avec l’Orchestre de Paris au tout début de son mandat. En rester à ce souvenir lumineux !

L’Amérique d’avant : Ives, Bolet, Stokowski

J’ai bien fait de faire un saut aux Etats-Unis il y a un an (New York toujours, Sur les rives de l’Ohio). Je ne suis pas près d’y retourner dans les quatre ans à venir…

Pour entretenir l’admiration que j’ai pour ce pays et sa culture, il y a heureusement la musique, et d’innombrables témoignages d’un glorieux passé, comme le prouvent trois superbes rééditions.

Charles Ives (1874-1955) le sesquicentenaire

Il n’y a pas eu beaucoup de précipitation chez les éditeurs pour célébrer le 150e anniversaire de la naissance du compositeur : « L’intérêt de Charles Ives pour le mélomane européen est qu’il n’entre dans aucune case, aucune catégorie pré-définie. Et s’il nous fallait simplement des oreilles neuves, débarrassées de références, de comparaisons, pour écouter une oeuvre disparate, audacieuse, singulière » (Ives l’Américain)

Sony vient de publier l’un des coffrets les plus intelligents et documentés qui soient, une « anthologie » d’albums enregistrés par et pour la Columbia entre 1945 et 1970. Avec une excellente présentation – en anglais – du compositeur, de ses oeuvres et de ses interprètes.

Pour un prix – pour une fois – très modique, c’est l’occasion ou jamais de pénétrer un univers surprenant, parfois déconcertant, toujours passionnant.

Ainsi son oeuvre chorale :

Charles Ives est encore admiré par les compositeurs d’aujourd’hui, comme ici Matthias Pintscher dirigeant l’Ensemble Intercontemporain dans ce qui reste l’une des oeuvres les plus jouées de l’Américain : Three Places in New England

Dans ce coffret, il y a du connu, les 4 symphonies – Bernstein, Ormandy, Stokowski pour la 4e – et les pièces d’orchestre connues (Central Park in the Dark, The unanswered question, les variations sur America), la musique de chambre peu nombreuse, le piano (les 2 sonates)

et surtout peut-être un extraordinaire bouquet de mélodies chantées par Evelyn Lear etThomas Stewart, excusez du peu !

De La Havane à la Californie

J’ai eu la chance de voir une fois en concert, à Genève, avec l’Orchestre de la Suisse romande, le pianiste cubain Jorge Bolet (1914-1990), né à La Havane, mort en Californie. En réalité, je le connais par le disque et quelques vidéos. Je lui ai toujours trouvé tant dans le port que dans son jeu une allure aristocratique, un faux air de colonel de l’armée des Indes.

Peut-être parce qu’ils avaient oublié le centenaire de sa naissance, les responsables de Decca sortent… pour ses 110 ans, une intégrale vraiment intégrale de ses enregistrements, déjà connus, souvent réédités (notamment un coffret Liszt). C’est un bonheur de retrouver cette noblesse, ce quelque chose qui nous paraît venu d’un temps oublié, où la chaleur du son, l’éloquence de la diction, imposaient une personnalité.

Peut-on mieux jouer ces pièces si célèbres qu’on ne les entend plus au concert….

Stokowski et l’Everest

Leopold Stokowski (1882-1977) est un sujet inépuisable de polémiques… et d’admiration. Encore récemment (Vive le live) j’évoquais la parution d’un coffret de prises de concert réalisées par la BBC avec le chef anglais (en dépit d’un patronyme qu’il tient d’un père aux ascendances polonaises, Stokowski n’a jamais été russe ni assimilé !). Et j’écrivais : On est à nouveau frappé par l’immensité du répertoire que Stokowski a abordé tout au long de sa carrière et jusqu’à un âge très avancé. Il a longtemps passé pour un chef excentrique, privilégiant le spectaculaire au respect de la partition. Stokowski vaut infiniment mieux que cette caricature. Stokowski a bénéficié d’un nombre impressionnant de rééditions, à la mesure d’une carrière et d’une discographie gigantesques.

J’ai dans ma discothèque bon nombre d’autres disques isolés, trouvés souvent par hasard lorsqu’il y avait encore, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, des disquaires spécialisés, et en France chez Gibert ou Melomania. Notamment pour des labels toujours tenus en très haute estime pour la qualité de ses prises de son.. Vanguard et Everest. Le label britannique Alto qui recycle nombre d’enregistrements, parfois devenus introuvables, a l’excellente idée de regrouper dans un coffret de 10 CD tout le legs Stokowski pour Everest.

Parmi les « spécialités » de Stokowski, il y avait outre ses arrangements spectaculaires de Bach, les suites symphoniques qu’il réalisait de grands opéras de Wagner ou… Moussorgski. Mais le chef fut surtout l’un des plus ardents promoteurs, voire créateurs, de la musique de son temps, de ses contemporains du XXe siècle. Témoins certaines des pépites de ce coffret :

Le vrai Fauré (suite)

Nous y voilà : Gabriel Fauré, né le 12 mai 1845 est mort il y a cent ans exactement, le 4 novembre 1924. En juin dernier j’avais déjà consacré un article au compositeur ariégeois (Le vrai Fauré) en citant quelques disques qui comptent pour moi. Entre-temps sont parues plusieurs nouveautés (au piano) et rééditions, qui ont suscité des critiques très partagées, par exemple sur les disques de Théo Fouchenneret et Aline Piboule

Je connais l’une et l’autre (Ils ont fait Montpellier : En blanc et noir), mais comme je n’ai pas écouté leurs disques, je me garderai bien d’en parler. Je peux seulement les féliciter d’apporter leur pierre à un édifice discographique qui n’a guère évolué depuis une trentaine d’années pour ce qui est du piano seul (relire Le vrai Fauré).

C’est vrai de l’ensemble de l’oeuvre de Fauré, comme en témoigne le coffret récapitulatif que publie Warner/Erato.

Le plus étonnant – à moins que ce ne soit un choix ? – est qu’il ne s’y trouve aucun des enregistrements d’une intégrale de la musique de chambre réalisée, un peu à la va-vite, pour le même éditeur il y a quatorze ans, intégrale aujourd’hui indisponible (à l’exception du Quatuor Ebène)

Une adresse à l’éditeur : en dehors d’un index des oeuvres en anglais, le livret ne donne aucune indication sur le contenu des 26 CD ni sur les interprètes !

Seul apport à une discographie déjà multi-rééditée, la tragédie lyrique Prométhée dénichée dans les archives de l’INA, un « live » réalisé le 19 mai 1961 à l’Orangerie du parc de Sceaux par Louis de Froment dirigeant l’Orchestre national et le choeur de la RTF avec une distribution grand format : Berthe Monmart, Jeannine Collard, Janine Micheau, Emile Belcourt, André Vessières et Jean Mollien. Plus une palanquée d’archives. Et des versions connues et reconnues qui n’ont rien perdu de leur superbe !

Mon Fauré

En plus des versions que j’ai déjà signalées (Le vrai Fauré) j’aimerais signaler quelques-uns des disques auxquels je reviens régulièrement

Ai-je besoin de rappeler l’admiration que j’éprouve pour ces deux amis de longue date, Tedi Papavrami et Nelson Goerner ?

Mention aussi de Giulio Biddau, un jeune pianiste sarde, dont j’avais découvert le disque il y a quelques années :

On ne sera pas surpris de trouver ici le nom de Felicity Lott, dont il faut thésauriser les disques, très épars, de mélodie française

Même admiration pour ma très chère Sophie Karthäuser et son merveilleux partenaire Cédric Tiberghien.

Dommage que le coffret Erato/Warner ne reprénne aucun des enregistrements d’Armin Jordan, comme un merveilleux Requiem

Version 1.0.0

Disparues

Elles ont quasiment disparu des concerts classiques, et sont devenues d’absolues raretés au disque. Je veux parler des ouvertures, ces pièces d’orchestre spectaculaires d’abord conçues par les compositeurs d’opéra comme des préludes exposant les principaux thèmes de l’ouvrage, mais de plus en plus souvent comme des morceaux autonomes dans la période romantique.

Tous les grands chefs, tous les grands orchestres se devaient d’enregistrer des disques d’ouvertures, et tout programme traditionnel de concert en comportait généralement une en guise d’apéritif, jusqu’à ce que la mode passe complètement. Depuis quand n’ai-je pas entendu une ouverture de Rossini, Beethoven ou Mozart à un concert parisien ? Trop ringard ?

Heureusement il reste quelques précieux trésors dans une discographie qui ne s’est guère renouvelée.

Au sommet de la pile, l’austère Fritz Reiner et son disque hallucinant (et halluciné) d’ouvertures de Rossini. Personne n’a jamais atteint ce degré de folie, et de perfection orchestrale : écoutez seulement l’accélération finale de cette ouverture de Cenerentola

Avec d’autres moyens, une évidente élégance peut-être plus « italienne » que Reiner, Giulini a lui aussi peu de concurrents.

Avec Weber, on est toujours dans le registre des ouvertures d’opéra. Celle du Freischütz est l’une des plus achevées qui soient, mais les chefs ne réussissent pas toujours à traduire les frémissements de ce premier romantisme. J’ai gardé une admiration intacte pour ce disque de Karajan acheté en 1973.

Plus difficiles encore à réussir, certaines ouvertures de Beethoven, comme celle de la musique de scène d’Egmont, qui sous nombre de baguettes même illustres restent bien placides. Ici, faisons abstraction de cette manière de filmer, et faisons comme le chef, fermons les yeux, en écoutant le torrent de passion qui emporte tout sur son passage

Du « poème dramatique » de Schumann, Manfred, on ne joue plus guère que l’ouverture. Nul, à mes oreilles, n’atteint la fougue, la passion d’un Charles Munch, dès les premiers accords jetés à la face de l’auditeur :

Johannes Brahms compose deux « ouvertures » qui ne sont plus des préludes à un opéra ou une musique de scène, mais des sortes de poèmes symphoniques. Elles datent toutes deux de 1880, et le titre de « tragique » de l’une ne se conçoit que par opposition d’humeur à l’autre (voir ci-après). De nouveau Charles Munch à Boston y est exceptionnel !

Un mot de cette ouverture « académique » qui n’a rien d’académique, dans l’acception péjorative du terme, mais a tout à voir avec un événement universitaire, donc académique, puisque écrite par Brahms en 1880 à l’occasion de sa nomination comme Docteur honoris causa de l’université de Breslau (aujourd’hui Wroclaw en Pologne). Brahms y cite quelques chansons estudiantines et conclut l’ouverture par l’hymne des étudiants Gaudeamus igitur

J’ai fait jouer une fois à Liège, à l’occasion d’une présentation au public de la saison, une autre ouverture, beaucoup moins connue – le bibliothécaire de l’orchestre avait eu bien du mal à trouver la partition ! – d’une opérette de Franz von Suppé, Flotte Bursche (littéralement « Des jeunes gens bien« ) qui reprend le même thème (à 3’15)

Les plus attentifs remarqueront à 4’18 » une citation d’une pièce virtuose de Beethoven, le rondo a capriccio « pour un sou perdu »

Les seules exceptions à cette disparition des ouvertures en concert ou au disque sont peut-être les ouvertures de Berlioz (en général Le Carnaval romain ou Le Corsaire)

Avec Tchaikovski, le terme « ouverture » prend plus la forme d’un poème symphonique, qu’il l’assortisse ou non d’un complément comme pour l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette. Même si on l’entend peu au concert, elle reste assez présente au disque (comme dans la récente publication de l’orchestre philharmonique de Strasbourg et de son chef Aziz Shokhakimov)

Kirill Kondrachine mieux qu’aucun autre dit tout ce que cette musique révèle et recèle :

Musiques de l’intime

Les chambres d’Annie Dutoit

J’ai plusieurs fois cité ici les bonnes affaires que je fais sur le site allemand jpc.de. L’une des dernières en date est ce DVD :

La fille de Martha Argerich et Charles Dutoit, Annie Dutoit, a conçu ces deux documentaires comme des concerts privés, au domicile de Daniel Barenboïm à Berlin, chez sa mère Martha Argerich à Genève. Quelle belle manière d’entrer au coeur de la musique, dans l’intimité des artistes. On aime quand ces immenses musiciens sont ainsi filmés, interviewés, aimés…

44 ans les séparent

C’est l’un des plus grands pianistes russes, c’est parfois un chef inspiré, c’est un immense musicien en tout cas, Mikhail Pletnev (67 ans), qui s’est associé à un violoniste miraculeux de 23 ans, Daniel Lozakovich que, concert après concert (notamment depuis mon invitation à Montpellier en 2019) je ne cesse d’admirer

Daniel Lozakovich, 18 ans, en juillet 2019 aux côtés de Neeme Järvi (assis), Kristjan Järvi et Mari Samuelsen

Cette nouveauté, ce duo, ce dialogue entre le vieux maître et le jeune artiste, sont tout simplement admirables.

Lekeu éternel

Le numéro d’octobre de Classica propose une écoute comparée de la sonate pour violon et piano de Guillaume Lekeu (1870-1894). C’est une excellente idée pour ce qui est un chef-d’oeuvre de la musique de chambre.

Je ne suis pas surpris que le résultat de cette écoute à l’aveugle mette l’inaltérable version de Christian Ferras et Pierre Barbizet en tête de liste.