MTT le chef sans âge

On a bien cru qu’il n’atteindrait pas son 80e anniversaire le 21 décembre prochain. Les nouvelles qu’on lit dans le dernier numéro de BBC Music Magazine, sur Radio Classique récemment, et surtout cette vidéo datant d’il y a quelques semaines montrent que le chef américain Michael Tilson Thomas qui souffre d’un cancer du cerveau depuis trois ans semble bénéficier d’une rémission que nous espérions tous.

Je n’ai jamais évoqué longuement sur ce blog la figure, la personnalité, la carrière de l’un des seuls chefs « natifs » des Etats-Unis à avoir, avec son contemporain James Levine (1943-2021), atteint une célébrité internationale.

Pourtant nombre de ses disques, les premiers pour Deutsche Grammophon, puis tous les suivants pour CBS, Sony ou RCA, ont été les premiers à figurer dans la discothèque que je me constituais adolescent.

Mon premier Carmina Burana, partagé avec deux ou trois copains dans ma petite chambre d’étudiant, c’était lui

Mon premier Sacre du printemps c’était lui, et c’était aussi un de ses tout premiers disques avec Boston !

Mes premiers Debussy à l’orchestre c’était lui :

Et puis il y aura la 1ere symphonie de Tchaikovski, et tant d’autres…

J’ai eu une seule fois le bonheur de le voir diriger à Paris, à moins que j’aie enfoui des souvenirs antérieurs (à Pleyel ?), j’en ai gardé le même souvenir qu’Alain Lompech (Les débuts souverains de TIlson-Thomas à l’Orchestre de Paris).

Ses éditeurs historiques ont eu la bonne idée de rééditer la presque intégralité de son legs discographique.

CD 1
TCHAIKOVSKY Symphony No. 1
Boston Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 2
GRIEG · SCHUMANN Piano Concertos
Jean-Marc Luisada; London Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 3
DEBUSSY Images; Prélude à l’après-midi d’un faune
Boston Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 4
DEBUSSY Violin Sonata; Cello Sonata; Sonata for Flute, Viola and Harp; Syrinx 
Boston Symphony Chamber Players; Michael Tilson Thomas, piano

CD 5
IVES Three Places in New England
RUGGLES Sun-treader
Boston Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 6
STRAVINSKY Le Roi des étoiles; Le Sacre du printemps
Boston Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 7
PISTON Symphony No. 2
WILLIAM SCHUMAN Violin Concerto
Paul Zukofsky, violin; Boston Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 8
SHOSTAKOVICH Cello Concertos Nos. 1 & 2
Mischa Maisky, cello; London Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 9
BERNSTEIN On the Town
Frederica von Stade; Tyne Daly; Marie Mclaughlin; Thomas Hampson & supporting cast
London Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 10
BERNSTEIN Arias and Barcarolles; A Quiet Place; Symphonic Dances from West Side Story
Frederica von Stade; Thomas Hampson
London Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 11
ELVIS COSTELLO Il sogno
London Symphony Orchestra / Michael Tilson Thomas

CD 12
TANGAZO – MUSIC OF LATIN AMERICA
Chávez; Copland; Roldán; Revueltas; Caturla; Piazzolla; Ginastera
New World Symphony / Michael Tilson Thomas

CD 13
INGOLF DAHL Concerto for Alto Saxophone; Hymn; Music for Brass Instruments; The Tower of Saint Barbara
John Harle; New World Brass; Ertan Torgul; Gregory Miller; Tisha Murvihill
New World Symphony / Michael Tilson Thomas

CD 14
MORTON FELDMAN Piano and Orchestra; Cello and Orchestra; Coptic Light
Alan Feinberg; Robert Cohen
New World Symphony / Michael Tilson Thomas

Le coffret Sony est évidemment beaucoup plus important : 80 CD pour 80 ans.

(Tracklist à consulter sur Amazon.it)

Mais, il y a un gros mais, comment a-t-on pu « oublier » une magnifique intégrale de Casse-Noisette, gravée avec le Philharmonie de Londres, tout comme Le Lac des cygnes qui lui est bien dans le coffret ! Il semblerait que cet « oubli » résulte d’une question de droits… qui n’est explicitée que dans le livret en anglais inséré dans le coffret !

Pour ceux qui comme moi pensaient posséder à peu près toute la discographie de MTT, le coffret Sony réserve pas mal de surprises, soit des disques qu’on avait oubliés (suites de Tchaikovski), soit des compositeurs américains, peu ou jamais distribués en Europe (une « intégrale » Ruggles)

Si je devais caractériser d’un mot l’art de ce très grand chef – gageure impossible ! – ce serait l’absence de poids de traditions européennes qu’assumaient, chacun avec leur génie propre, tous les grands chefs du XXe siècle qui ont fait la réputation des grands orchestres américains, la très grande majorité nés sur le continent européen. Même Bernstein en était tributaire. J’ai toujours eu l’impression que MTT se réappropriait le répertoire classique (une intégrale des symphonies de Beethoven, bien oubliée voire méprisée, alors qu’elle renonçait au grand orchestre) ou romantique, voire Debussy, Stravinsky, avec une sorte de fraîcheur, de naturel bienfaisants.

Je découvre sur YouTube, avec une vive émotion, ces captations très récentes de Michael Tilson Thomas avec l’orchestre de jeunes – le New World Symphony, basé en Floride, qu’il a fondé en 1997 et dont il a cédé la direction musicale en 2002 à Stéphane Denève. Dans un répertoire que le chef n’a jamais abordé au disque.

Heureux finalement de pouvoir dire notre admiration et à notre gratitude de manière anthume à celui que nous continuerons de nommer par ces trois lettres MTT !

PS Je signale que le coffret Sony est en France vendu à plus de 200 €, en Italie il est à 159 €… Vive l’Europe !

Beethoven 250 (I) : Steinberg, Milstein

C’est entendu, un anniversaire comme celui-ci, c’est une aubaine pour les programmateurs et les éditeurs de disques : Beethoven est né il y a 250 ans, le 15 décembre 1770 ! Personne n’échappera à la déferlante de concerts, festivals, nouveautés, rééditions.

Beethoven 2020 a déjà commencé.. en 2019 : pour Universal The New Complete Edition

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Warner fait plus restreint (80 CD) et moins cher, mais moins varié aussi !

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Je me propose, quant à moi, d’emprunter des chemins de traverse pour parcourir la discographie beethovenienne et, au fil de l’année, épingler des versions, des artistes, moins exposés aux feux de la notoriété (ou du marketing !), oubliés parfois. Mes coups de coeur !

Commençons par une intégrale des symphonies, jamais citée ni référencée par la critique européenne, celle d’un très grand chef, William Steinberg (1899-1978).

Après des études musicales auprès d’Hermann Abendroth au Conservatoire de Cologne, il devient en 1924 l’assistant d’Otto Klemperer à l’Opéra de Cologne. De 1925 à 1929, il dirige l’Opéra de Prague, puis celui de Francfort de 1929 à 1933.

Démis par les nazis en raison de ses origines juives, il quitte l’Allemagne en 1936 et rejoint la Palestine, future Israël. Avec Bronisław Huberman, il fonde et dirige en 1936 l’Orchestre symphonique de Palestine (futur Orchestre philharmonique d’Israël) jusqu’en 1938, date à laquelle il rejoint les États-Unis. Arturo Toscanini, qui avait apprécié le travail de Steinberg avec l’Orchestre symphonique de Palestine, l’engage comme assistant à l’Orchestre symphonique de la NBC.

Il conduit l’Orchestre philharmonique de Buffalo de 1945 à 1953, l’Orchestre symphonique de Pittsburgh de 1952 à 1976. Il dirige également l’Orchestre philharmonique de Londres de 1958 à 1960. En 1962, pressenti pour succéder à Charles Münch à la tête du prestigieux Orchestre symphonique de Boston, c’est finalement Erich Leinsdorf qui lui est préféré. Néanmoins, Steinberg sera fréquemment invité à Boston avant de succéder finalement à Leinsdorf en 1969. Il emmène l’orchestre en tournée en Europe en 1971, mais doit abandonner son poste en 1972 pour des raisons de santé.

Il y a quelques temps, un petit label a réédité, à partir de reports des vinyles originaux, une intégrale des symphonies superbement captée en concert ou en studio au début des années 60.

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Cette intégrale a également été retravaillée par l’expert canadien Yves Saint Laurent – (78experience.com) qui redonne un éclat spectaculaire aux bandes – et pas seulement aux 78 tours ! – qu’il traite. Son catalogue est déjà impressionnant et disponible en ligne.

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Les affinités de Steinberg avec Beethoven sont tout aussi évidentes dans une formidable Missa Solemnis captée par la WDR à Cologne en 1970 et très bien rééditée par ICA Classics.

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William Steinberg est le partenaire de Nathan Milstein dans l’une des plus éloquentes versions du Concerto pour violon

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