Pierre Boulez : un centenaire (I)

J’ai souvent évoqué ici la figure et la personne de Pierre Boulez, dont on va célébrer le centenaire de la naissance ce 26 mars..

Je raconterai encore quelques souvenirs personnels, mais je me garderai de participer à la critique et à l’exégèse de son oeuvre et de son action : le colloque Pierre Boulez, l’orchestre et la politique culturelle , auquel j’assisterai mercredi et jeudi prochains à la Philharmonie de Paris devrait susciter d’utiles débats.

Parce que, comme le relevait Bruno Mantovani lors d’une récente soirée du Printemps des Arts de Monte-Carlo, l’admiration qu’on peut éprouver pour Boulez n’empêche pas, au contraire, de reconnaître ses erreurs, voire ses ratages.

La critique a souvent relevé que le chef d’orchestre Pierre Boulez excellait dans la musique du XXe siècle, et qu’à la différence de ses contemporains, son répertoire au disque était plutôt réduit, commençant à Mahler pour finir par lui-même et une liste parcimonieuse des autres grands noms de la composition (Ligeti, Birtwhistle, Carter, un peu de Messiaen).

L’une des plus belles versions de la Valse de Ravel est assurément celle de Pierre Boulez à Berlin.

La sensualité, la conduite des ralentis comme des emballements, la capture de la décadence de cette valse morbide, sont d’un maître absolu de l’orchestre.

Pourquoi donc le même chef était-il si peu à l’aise – c’est un euphémisme – avec le répertoire plus classique où ses quelques incursions au disque sont assez spectaculairement ratées.

Les ratages

Dans le coffret Sony qui récapitule ses années américaines et londoniennes, il y a quelques perles rares qui sont autant d’anti-modèles : Haendel et Beethoven par exemple.

Je découvre sur YouTube un enregistrement que j’ignorais, et qui n’est guère plus convaincant de Water Music, réalisé à La Haye

J’ai aussi acheté des « live » chez Yves St.Laurent (78experience.com), ce courageux amateur canadien qui a déjà restauré un impressionnant catalogue d’enregistrements de concert.

Il fallait bien que comme directeur musical à Cleveland comme à New York, Pierre Boulez dirige aussi le grand répertoire. Les témoignages qu’on en a ne sont pas ce que le chef nous a laissé de meilleur…

Schubert avec des pieds de plomb…

Schumann n’est pas mieux servi !

Mais en 1962 à Baden Baden, le Beethoven de la 3e symphonie « Héroïque » lui convient manifestement mieux :

Les « one shot »

Il y a aussi des oeuvres que Boulez n’a enregistrées qu’une seule fois et sans doute rarement abordées au concert. Sans doute pas sa tasse de thé, mais à plus d’un titre intéressant.

C’est par Pierre Boulez dirigeant l’Orchestre de Paris pour un concert de gala à la fin des années 70 que j’ai découvert le ballet de Paul Dukas, La Péri. Depuis j’ai appris à préférer la transparence et la sensualité d’un Martinon ou d’un Jordan.

Dans la 3e symphonie de Roussel, il manque tout de même la saveur, le pétillement qu’y mettait un Bernstein

Richard Strauss n’était pas non plus dans le coeur de répertoire du chef Boulez. Il a certes enregistré pour DG un Also sprach Zarathustra de belle facture mais pas primordial dans une discothèque. Et le Till Eulenspiegel que j’ai sur un double CD édité par la boutique du Chicago Symphony est loin d’être inoubliable.

Enfin il se niche dans un coffret hommage à Yvonne Loriod un authentique rareté : les quatre premiers concertos pour piano de Mozart, peut-être l’un des tout premiers disques de Pierre Boulez.

J’invite ceux qui voudraient explorer plus avant l’héritage discographique de Pierre Boulez à lire Les chefs de l’été..

J’invite surtout à réécouter tous ces enregistrements qui nous ont nourri, enchanté, souvent fait découvrir des oeuvres, comme les Sieben frühe Lieder de Berg, chantés ici par la grande Heather Harper

et plus encore dans cette version de concert au Japon, en 1995, avec l’insurpassée Jessye Norman

Et toujours le petit frère de ce blog : brevesdeblog

Un vrai festival

Qu’est-ce que ça fait du bien d’assister à un vrai festival, de partager débats, discussions, moments de musique et d’amitié qui réchauffent le coeur autant que les oreilles ! C’est ce qui m’est arrivé le week-end dernier au Printemps des Arts de Monte-Carlo, et dont j’ai essayé de rendre compte pour Bachtrack.:

Le Bruckner « objectif » de Jukka Pekka Saraste

Venise et Vienne à Monte Carlo

« Un mot d’abord d’un festival qui porte bien et haut son nom, qui n’est pas juste une addition de grands noms et de tubes du classique, qui rempliraient à coup sûr le Forum Grimaldi ou l’Auditorium Rainier III, mais un patchwork astucieux de rencontres d’avant (les before) ou d’après (les after) concert, de soirées de musique de chambre, de récitals, de concerts symphoniques, et à l’intérieur de ces formats habituels, des surprises, des aventures, et toujours ce lien entre un directeur artistique, le compositeur Bruno Mantovani, aussi savant que pédagogue, et le public qui boit ses paroles introductives, rit à ses souvenirs croustillants ou admire sa capacité d’expliquer simplement des concepts bien complexes. » (Extrait de Venise et Vienne au Printemps des Arts de Monte Carlo @JPR)

Ne pas prendre le public pour des c…

En réalité, il n’y a pas de mystère. Un bon festival, une bonne saison de concerts (ou d’opéra) c’est d’abord un(e) bon(ne) « patron(ne)  » qui a des envies, des idées, des intuitions, si possible une grande culture, et qui n’oublie pas qu’il fait partie lui aussi, lui d’abord, du public auquel il s’adresse.

Lors d’une de mes premières présentations de saison à Liège, j’avais eu cette formule, qui avait surpris la presse : « Je ne programme que ce que j’ai envie d’entendre » Au-delà de la formule elliptique, je voulais évidemment dire qu’on ne peut rien faire sans la passion, le désir de convaincre, mais surtout cette irrépressible envie de partager avec le plus grand nombre les merveilles – artistes et/ou partitions – qu’on aime, qu’on a découverts.

Quand j’évoquais avec Bruno Mantovani sa programmation à Monte Carlo, en louant son audace, son courage même, sa réplique a fusé : « Il faut arrêter de prendre le public pour des cons« . Du Mantovani tout craché, tel que je l’aime et le pratique (pas assez souvent à mon gré) depuis des années. J’ai ici même théorisé – ou plus modestement rapporté mon expérience personnelle – sur « le grand public« . Je n’ai pas une ligne à changer à cet article d’il y a bientôt dix ans. J’ajoute, dans le cas de l’ami Mantovani, une sorte de gourmandise (pas seulement celle du gastronome !), d’exubérance absolument contagieuses, que ses origines catalanes n’expliquent pas totalement.

Porter la musique partout où elle peut aller

Lorsque j’ai dû composer ma première édition en 2015 comme directeur du festival de Radio France, fondé il y quarante ans par Georges Frêche (maire de Montpellier), Jean-Noël Jeanneney (PDG de Radio France) et René Koering, j’ai immédiatement pensé célébrer « 30 ans d’amour« , d’audace, de premières, de découvertes d’un festival unique en son genre. Et c’est la même idée qui a présidé à toutes les éditions qui ont suivi jusqu’en 2022. Comme l’attestent ces quelques bandes-annonces

En 2021, après l’épreuve du COVID, nous avions affirmé : Chaque concert est une fête

En réalité, ce n’est pas seulement le slogan d’un festival. C’est l’essence même du concert.

Heureusement, il y a plein de festivals en France qui se sont régénérés ces dernières années, grâce à des musiciens et des animateurs gourmands, créatifs, attentifs précisément à offrir au public l’aventure de la découverte, je pense – liste absolument pas exhaustive – à Colmar, Beaune, La Chaise-Dieu

Pour les à-côté de mon séjour à Monaco : brevesdeblog

Les galettes du bonheur

J’avais commencé un billet d’agaceries, pour ne pas dire du bien de ce que les quelques FNAC disposant encore de rayons classiques sont obligées de mettre en avant. Comme en témoigne une visite hier rue de Rennes.

Non, on ne rêve pas Bruno Mantovani est au même rayon que Riopy, ou inversement !

Mais aucun des deux n’a sorti le sixième ou septième volume de la série Emotions/Inspirations…d’un violoncelliste qui ne rate jamais une occasion de faire son auto-promotion, et qu’on a connu jadis bon musicien, devenu aujourd’hui tête de gondole.

L’agacement pourrait venir aussi de ce pianiste venu du froid, qui, parce qu’il est sous étiquette jaune, et qu’il enregistre les variations Goldberg, fait se pâmer les mânes de Glenn Gould devenus durs d’oreille.

La jeunesse de Cleveland

C’est du passé que vient le bonheur, dans cette réédition – cette fois à tout petit prix ! – par Sony, des gravures du Cleveland Quartet (1969-1995) qui n’a pas eu la longévité de ses compatriotes comme Juilliard ou Emerson, mais qui a laissé de jolies perles discographiques, dont une intégrale des quatuors de Beethoven;

Je ne m’essaierai pas au jeu de la critique comparée, jeu au demeurant bien vain, s’agissant de formations comme un quatuor, qui, par essence même, n’est comparable à aucun autre.

J’ai toujours eu une tendresse pour cette version du sublime Quintette à deux violoncelles de Schubert.

Les grandeurs de Janet

On connaissait bien sûr les incontournables et éternels enregistrements de Dame Janet Baker pour EMI avec John Barbirolli notamment (Sir John ou la musique en fête).

Ceux de la grande mezzo-soprano anglaise, qui a fêté ses 90 ans le 21 août dernier, pour d’autres labels, avec d’autres partenaires et chefs, ont été rassemblés dans ce coffret qui annonce bien la couleur : A Celebration. Qu’on trouve à prix réduit sur jpc.de

Bien sûr les deux versions admirables de Didon de Purcell, des Haendel, des Glück, Berlioz, Britten idiomatiques et des raretés :

Adrienne Lecouvreur idéale

Comme je l’ai écrit pour Bachtrack, j’ai entendu mardi soir au théâtre des Champs-Elysées une Adrienne Lecouvreur – l’opéra de Cilea – absolument idéale en version de concert. Il faut absolument l’écouter ou la réécouter sur France Musique le 10 janvier 2024.

La dernière fois que j’avais vu cet opéra en scène, c’était il y a trente ans, Mirella Freni à l’Opéra Bastille !

J’irai voir et entendre ce qu’Anna Netrebko en fera en janvier prochain…

De bonne compagnie

Il me faut ajouter deux noms à ma liste de Disparus de mai : Tina Turner et Jean-Louis Murat. Mais on me pardonnera, j’espère, de n’en avoir rien à dire de mieux ou de plus que toutes les louanges qui ont été déversées par les médias et les réseaux sociaux.

En moins de 48 heures, je suis passé par toute une palette d’impressions, de sentiments, plutôt agréables, même s’ils ont été parfois troublés par les alarmes que le grand âge de ma mère (qui a fêté ses 96 ans il y a trois jours) peut engendrer.

Le bon Compagnon

Je l’avais aperçu en 2018 au festival Radio France, membre du quatuor de saxophones Zahir. Sandro Compagnon m’a invité hier à une soirée « privée », en réalité très courue, dans une galerie du centre de Paris, pour présenter son nouvel enregistrement. Prouvant avec brio que le répertoire du saxophone ne se limite pas au jazz, à quelques concertos du XXème siècle ou à quelques brillantes interventions dans Ravel, Bizet ou Berg. Je n’ai pas pu rester jusqu’à la fin, mais j’ai eu le bonheur d’entendre plusieurs pièces de l’autre héros de la soirée, le compositeur Bruno Mantovani (à gauche sur la photo).

Pourquoi le cacher ? j’ai été heureux de retrouver bien sûr Bruno Mantovani, à qui me lient tant de souvenirs – lui-même se montrait nostalgique d’une époque, sa jeunesse, Liège, où tout semblait permis. Il reste, on en a encore eu la preuve hier, l’un des compositeurs les plus originaux de notre temps. On comprend que Sandro Compagnon en ait bavé pour dire la force et la poésie de « Rondes de printemps ». Belle réussite ! Mais, en plus de Bruno Mantovani, on a aperçu, salué, Philippe Hersant, Eric Montalbetti, Marc Monnet, Marc Coppey, Michel Dalberto, Laurence Equilbey, Arnaud Merlin, j’en oublie sûrement… J’ai beau avoir quitté la « vie active » comme on dit, les amitiés, les aventures d’antan demeurent.

La reconstruction Pogorelich

La rumeur, des collègues, les réseaux sociaux m’avaient mis en garde. Un récital d’Ivo Pogorelich, la star du piano des années 80, c’était un risque, une probable déception. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack – lire Le piano hypnotique d’Ivo Pogorelich -, je ne vais jamais à un concert chargé de préjugés. Je me mets toujours dans un état d’écoute et de disponibilité, et puis j’attends d’être entraîné, intrigué, séduit.. ou irrité par l’interprète.

Photo surprenante, prise cinq minutes avant le début du concert : Ivo Pogorelich fait les derniers réglages…

Pas vraiment orthodoxe le pianiste croate, mais tant mieux…

Il y avait déjà tout cela dans les enregistrements des jeunes années.

Dudamel s’en va

Gustavo Duhamel démissionne de son poste de directeur musical de l’Opéra de Paris, qu’il devait occuper jusqu’en 2027.

Je n’ai envie d’aucun commentaire. Et surtout pas des airs entendus – « c’était à prévoir », « on le savait d’avance » -.

J’ai juste une question, de bon sens et de principe : dès lors qu’un vaisseau amiral comme l’Opéra de Paris est très largement dépendant de la subvention publique, de l’argent de l’Etat, du nôtre donc, comment tolérer que le traitement, salaire, cachets du directeur musical soient classés « secret défense »‘. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, la rémunération des chefs est publique, alors qu’elle dépend de subsides privés. En France, on est incapable de jouer la transparence, alors qu’il s’agit de deniers publics…Il faudra que j’y consacre bientôt un billet !

La révélation Marie-Ange

La dictature du marketing

Il y a trois ans, je relatais une interview plutôt cash de celui qui allait quitter la direction du Conservatoire de Paris (le CNSMD !), Bruno Mantovani (Soft porn au Conservatoire), et je prenais comme exemple – qu’elle ne m’en veuille pas plus aujourd’hui qu’hier ! – une artiste magnifique qui se soucie bien peu de ressembler à des consoeurs qui bénéficient d’une exposition médiatique qui ne dépend pas uniquement de leur talent pianistique, euphémisme !

J’évoquais alors Marie-Ange Nguci, 24 ans aujourd’hui, que j’ai invitée en 2019 et en 2021 au Festival Radio France. La jeune pianiste née en Albanie m’avait raconté un souvenir très fort, que je m’autorise à reproduire ici. Ce 16 juillet 2019, pour son premier récital à Montpellier, elle paraissait très émue, bouleversée même, tandis qu’elle achevait de répéter sur la scène de la salle Pasteur du Corum. Elle finit par nous expliquer les raisons de son émotion : lorsque sa famille avait débarqué d’Albanie, elle s’était établie quelque part entre Nîmes et Montpellier, et le tout premier concert de la petite fille qui avait commencé l’étude du piano à 4 ans, fut un concert du Festival !

(Photo Caroline Dourthe)

La révélation

J’ai revu et entendu Marie-Ange jeudi dernier au Théâtre des Champs-Elysées, en soliste de l’Orchestre de chambre de Paris et dans le compte-rendu que j’ai fait pour Bachtrack (Deux solistes, une révélation), j’ai parlé à son propos de « révélation ». Révélation pour ceux qui comme moi ne l’avaient jamais entendue dans Mozart. Parce que, pour le grand répertoire romantique, et même plus contemporain – la jeune pianiste semble n’avoir aucune limite à sa curiosité – on savait déjà qu’elle joue dans la cour des grands.

On le sait d’autant plus qu’elle fut l’une des élèves emblématiques du très cher et regretté Nicholas Angelich. Elle fut de ceux et celles qui rendirent l’été dernier un bel hommage au pianiste disparu, dans le cadre du festival de La Roque d’Anthéron.

Mais, comme je l’écris dans mon papier pour Bachtrack, tous les vrais musiciens le savent, rien n’est plus difficile que Mozart. Même les plus grands s’y aventurent avec précaution.

En préparant ce billet, j’ai trouvé cette belle captation d’un autre concerto, le 20ème en ré mineur, réalisée à Lille, il y a quelques mois. Marie-Ange Nguci y démontre ses affinités avec Wolfgang.

On ne boudera pas son plaisir d’entendre ou réentendre la jeune pianiste dans Saint-Saëns ou Rachmaninov, tant elle y est éloquente, souveraine.

Un seul disque en forme de carte de visite pour le moment ! Les responsables de labels seraient bien inspirés de ne pas s’en tenir à ce premier opus…

Intéressant d’entendre ce qu’en disait Marie-Ange Nguci à l’époque, il y a quatre ans déjà !

Antoine et John Eliot en Italie

Jeudi, Daniele Gatti et le Requiem de Verdi au théâtre des Champs Elysées (Immortel requiem), vendredi, faute d’avoir pu aller revoir Hamlet à l’Opéra Comique (Il ne faut pas croire Chabrier) – regrets avivés par les échos unanimes que j’en ai – je m’étais promis d’aller entendre Louis Langrée à la Seine Musicale, avec l’Orchestre des Champs-Elysées et un joli programme de musique française (Bizet, Saint-Saëns). Rendez-vous manqué, pour cause de méforme passagère.

John Eliot Gardiner, dont Louis Langrée fut l’assistant à l’Opéra de Lyon, assistait à la dernière d’Hamlet (Photo @Chrysoline Dupont/Twitter)

Heureusement hier soir j’ai pu me rendre à la Maison de la Radio et de la Musique, où je n’avais pas remis les pieds depuis plusieurs semaines :

Et retrouver justement un chef (Le jardinier de la musique) qu’on avait laissé, conquis, bouleversé, à La Côte Saint-André en août 2018, dirigeant des cantates de Bach. Et un soliste, Antoine Tamestit, qu’on n’a plus jamais perdu de vue, depuis une stratosphérique Symphonie concertante de Mozart en janvier 2006 à Liège. Je ne suis pas sûr d’avoir déjà raconté les circonstances de cette première rencontre : le magnifique violoniste Frank Peter Zimmermann, qui était un peu un abonné de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, et que nous avions sollicité pour le festival Mozart dirigé par Louis Langrée, nous avait dit : « Je ne le connais pas encore, mais j’aimerais bien qu’on invite Antoine Tamestit à mes côtés ». C’est peu dire que ce fut un coup de foudre entre les deux solistes, entre Antoine et le chef, avec le public. Et, même à distance, entre l’altiste et moi, une amitié admirative qui m’a souvent fait regretter de manquer tel ou tel de ses concerts..

Un grand souvenir

A La Côte Saint-André, en 2018, je n’avais pu assister, justement, au concert de l’Orchestre révolutionnaire et romantique dirigé par John Eliot Gardiner, où Antoine Tamestit devait jouer cette oeuvre si étrange de Berlioz, sa « symphonie avec alto principal », Harold en Italie.

Hier soir, dans le cadre chaleureux de l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique, d’abord on rattrapa les souvenirs perdus, et on eut le sentiment d’une plénitude rare.

Ce miraculeux Harold est heureusement à (ré)écouter sur francemusique.fr.

Manifestement l’entente entre le chef anglais – qui fêtera ses 80 ans l’an prochain – et l’Orchestre philharmonique de Radio France produit des étincelles autant dans Berlioz, qui n’est pas la partition la plus facile à diriger, que dans la seconde partie du programme.

Elgar dans le sud

J’ai raconté mes vacances d’entre deux confinements en 2020 : Italie 2020, et notamment ma visite d’une charmante cité balnéaire de Ligurie, Alassio : C’est au cours de l’hiver 1903/1904 qu’Elgar séjourne à Alassio. Dans l’une des nombreuses lettres qu’il adresse à son ami August Johannes Jaeger – qu’il surnomme affectueusement Nimroddu titre qu’il a donné à la fameuse neuvième variation des Enigma Variations– il écrit, à Noël 1903 : « …This place is jolly – real Italian and no nursemaids calling out ‘Now, Master Johnny!’  like that anglicised Bordighera!…Our cook is an angel…We have such meals! Such Wine! Gosh!… » Plus tard il écrira : “Then in a flash, it all came to me – the conflict of the armies on that very spot long ago, where I now stood – the contrast of the ruin and the shepherd – and then, all of a sudden, I came back to reality. In that time I had composed the overture – the rest was merely writing it down.” (extrait de mon billet du 25 août 2020)

Je n’avais jamais entendu ce poème symphonique d’ElgarIn the South – en concert (pas difficile puisque la musique anglaise n’est quasiment jamais programmée en France ! on se rattrapera avec la prochaine édition du Festival Radio France). Encore moins l’oeuvre qui terminait le concert : Sospiri.

Merci Sir John Eliot ! Revenez à Paris dès que vous pouvez.

Un disque indispensable !

Soft porn au Conservatoire ?

Est-ce parce que le numéro de septembre de Diapason connaît de sérieux problèmes de distribution ? Je n’ai vu nulle part repris les propos explosifs de l’ex-directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD pour les intimes) de Paris, mon cher Bruno Mantovani

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Interviewé à la suite du très complet dossier que le mensuel consacre au blues des conservatoires de France, Bruno Mantovani qui, à 45 ans, fait le bilan de ses 9 ans de mandat à la tête de la prestigieuse école, n’y va pas par le dos de la cuillère.

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A la question Le CNSM prépare-t-il mieux aujourd’hui ses élèves à une insertion professionnelle qui ne va plus de soi ?, Bruno Mantovani répond :

« C’était une de mes priorités. Nous avons créé des séminaires sur la pratique du métier, avec des modules sur la santé, la culture administrative des contrats et droits, la façon de se présenter et de promouvoir, l’engagement social dans les écoles, les hopitaux, les prisons. Mon but c’est de former des honnêtes gens.

Mais je dois m’avouer un peu désabusé devant le marketing de la musique classique, je me demande si on n’aurait pas dû créer des séminaires de mannequinat et de soft porn en ligne. C’est normal de ne plus voir en scène de jeunes artistes moches ? Combien de grands génies ressemblaient jadis à des sacs à patates ?.

Je me bats contre cette dictature de l’image, contre les Victoires de la Musique, le vu à la télé et périmé dans trois ans. Contre l’impudeur des réseaux sociaux. Peut-être hélas contre les moulins à vent, tant est profonde l’anxiété face au début de carrière. »

C’est cash, direct, et c’est malheureusement la réalité. L’exposition médiatique des jeunes artistes n’est pas toujours – euphémisme – proportionnelle à leur talent.

Illustration, parmi d’autres, de ce que dénonce Bruno Mantovani, cette couverture de disque

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A l’inverse, on ne va pas se plaindre qu’un très bon musicien soit aussi joli garçon.

 

Mais je doute qu’on propose à une fantastique pianiste de 21 ans, qu’on a entendue cet été à Montpellier (Festival Radio France), Toulouse, La Roque d’Anthéron ou Bagatelle, d’abord un enregistrement, ensuite une « promo » sur son look. Marie-Ange Nguci est un talent formidable, une musicienne extrêmement cultivée, mais elle attache plus d’importance à son art qu’à son apparence en concert.

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La dictature de l’image a évidemment contaminé le monde de l’opéra : combien d’exemples ces dix dernières années de cantatrices recalées sur de grandes scènes parce que trop grosses, pas assez glamour !

Impensable d’imaginer aujourd’hui une couverture de disque comme celle-ci, il est vrai, particulièrement moche.

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La collection Decca Eloquence vient de rééditer ce récital d’Anita Cerquetti, en en changeant opportunément la photo de couverture…

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Les nuits de La Côte

Je connais depuis longtemps, de réputation, le Festival Berlioz, surtout depuis que le très actif Bruno Messina en assume les destinées, mais je n’y étais jamais venu, mes vacances ou les obligations liées à la rentrée coïncidant avec les dates du festival.

J’avais trois bonnes raisons de venir cette année à La Côte Saint-André, la ville natale de Berlioz,  trois concerts qui se succédaient judicieusement, me permettant d’entendre trois programmes passionnants sous des baguettes tout aussi passionnantes.

IMG_8947(Le château Louis XI de La Côte Saint-André)

Mardi soir, Hervé Niquet, tout juste sorti des affres de la re-création des Cris de Paris au Festival Radio France, il y a un mois, dirigeait, comme de juste, l’illustre contemporain de Georges Kastner, l’enfant du pays, Hector Berlioz et sa Messe solennelle, sorte de coup de génie juvénile, où tout ce qui fera la singularité du compositeur de la Symphonie fantastique se trouve déjà affirmé, alors même que le jeune Hector – 20 ans – n’est pas encore passé par le Conservatoire ! En première partie, un étrange Requiem « à la mémoire de Louis XVI et Marie-Antoinette » de Martini, qui n’est pas que l’auteur de la célèbre romance Plaisir d’amour.

 

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Coïncidence, mercredi soir, j’allais applaudir celui qui avait fait le premier enregistrement mondial de cette Messe solennelle, John Eliot Gardiner, mais dans un programme de cantates de Bach.

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IMG_8959Le concert était donné à une trentaine de kilomètres de La Côte Saint-André, dans l’église abbatiale de Saint-Antoine-l’Abbaye.

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Quatre cantates très différentes, BWV 20 : O Ewigkeit, du Donnerwort BWV 34 : O ewiges Feuer, o Ursprung der Liebe, et en deuxième partie, saisissant contraste entre la BWV 12 : Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen et la BWV 103 : Ihr werdet weinen und heulen.

Les mots me manquent pour dire l’émotion qui m’a saisi dès les premières notes et qui ne m’a plus lâché jusqu’au dernier choral. Je n’avais jamais entendu Gardiner dans ce répertoire – en dehors bien sûr du disque – et avec ces fabuleux musiciens. Y a-t-il aujourd’hui interprète plus inspiré, inspirant, de Bach, après qu’ont disparu les Harnoncourt, Leonhardt, Brüggen ?

 

 

 

 

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John Eliot Gardiner dirige ce soir un programme tout Berlioz (Légendes sacrées du Sudauquel participe l’ami Antoine Tamestitavec qui nous avons échangé, hier soir, quelques beaux souvenirs d’aventures liégeoises : une symphonie concertante de Mozart (avec Louis Langrée en 2006) – Antoine m’a confié que, de cette date et sa rencontre avec le violoniste Frank-Peter Zimmermannétait née l’idée du trio à cordes qu’il forme avec le violoniste allemand et le violoncelliste Christian Poltera

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et l’enregistrement avec l’autre Zimmermann, Tabea, du concerto pour deux altos de Bruno Mantovani.

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Hier soir, c’était au tour de François-Xavier Roth et de son ensemble Les Siècles – qui viennent d’être distingués par les Gramophone Classical Music Awards – de se produire sous le velum (excellente acoustique) de la cour du château Louis XI de La Côte Saint-André.

Une brève pièce chorale de 1861 de Berlioz Le Temple universel écrite pour « double chœur pour deux peuples, chacun chantant dans sa langue. Les Anglais chanteront en anglais, les Français en français » et exaltant une Europe visionnaire : « Embrassons-nous par-dessus les frontières, L’Europe un jour n’aura qu’un étendard » précédait un autre hymne à l’humanité fraternelle, la 9ème symphonie de Beethoven. Avec de belles forces chorales (Spirito, Jeune Chœur symphonique, Chœur d’oratorio de Lyon), un jeune quatuor de solistes Jenny Daviet, Adèle Charvet, Sébastien Droy, Laurent Alvaro, et un orchestre fruité – F.X.Roth me dira qu’il jouait l’oeuvre pour la première fois ! – un concert longuement applaudi par un public qui vient de loin pour suivre une programmation exigeante !

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IMG_8945Les fameuses cloches de la Symphonie fantastique fondues tout exprès à la demande du Festival Berlioz.

Toutes les photos de la maison natale de Berlioz à voir ici : Chez Berlioz (lemondenimages.wordpress.com)

 

 

La soirée qu’on lui devait

Comme pour toutes les soirées de ce genre, on pouvait s’attendre au pire… ou au meilleur. On ne pouvait faire mieux ni plus juste que cet hommage rendu à Pierre Boulez (1925-2016) hier soir à la Philharmonie de Paris. 

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Enormément de figures connues, compositeurs, musiciens, artistes, « institutionnels », mais aussi beaucoup d’anonymes qui, vu leur âge, découvraient la musique et l’homme. Pas de discours officiel, mais des images d’archives, réjouissantes, qui nous donnaient à voir l’homme joyeux, pétillant, d’une intelligence exceptionnellement vive (qui avait de quoi impressionner ses pairs), rien d’inédit (pour la plupart des documents présentés dans l’exposition que lui avait consacrée la Philharmonie). Des lectures de textes sobrement faites par Catherine Tasca, Laurent Bayle, Bruno Hamard (Orchestre de Paris), Frank Madlener (IRCAM), Hervé Boutry (Ensemble InterContemporain) et beaucoup de musique surtout.

Dans le hall d’entrée puis dans la salle Initiale (1987) pour 7 cuivres (Solistes de l’EIC), des extraits spectaculaires du Dialogue de l’ombre double (1985) avec les clarinettes virtuoses d’Alain Damiens et Jérôme Comte, puis les Improvisations I et II (1957) sur Mallarmé dans la voix de Yeree Suh insérée dans l’ensemble conduit par Mathias Pintscher. Venait ensuite cette extraordinaire pièce pour ensemble de violoncelles Messagesquisse (1977),  une commande de Rostropovitch pour les 70 ans  du mécène Paul Sacher :

Le violoncelliste Marc Coppey m’expliquait que son célèbre aîné, pourtant si ardent promoteur de la création (ils sont si nombreux ceux qui ont écrit pour et à la demande de Rostropovitch, Dutilleux, Chostakovitch, Prokofiev, Schnittke, etc. !), avait été plutôt embarrassé par la complexité de la pièce de Boulez et ne l’avait plus rejouée après sa création.

Bruno Mantovani dirigeait Dérives I (1984) pour six instruments, avec quelques excellents élèves de « son » Conservatoire voisin. Puis prenait place le très grand orchestre requis par l’oeuvre symphonique sans doute la plus célèbre de Boulez, d’abord les Notations I à IV (1980) puis Notation VII (1997-2004). Très logiquement, c’est à l’Orchestre de Paris que revenait l’honneur de clore cette soirée. C’est en effet la phalange parisienne qui fit la création des quatre premières Notations en juin 1980 sous la direction de son chef d’alors – et ami de toujours de Boulez – Daniel Barenboim. Je me rappelle comme si c’était hier du choc, de la fascination que j’avais éprouvés à l’écoute de France Musique qui diffusait le concert en direct – c’était ma première « rencontre » avec l’oeuvre de Boulez. Hier soir c’était Mathias Pintscher, aussi bon chef qu’inventif compositeur (aujourd’hui directeur musical de l’Ensemble InterContemporain), qui s’attelait à une partition d’une redoutable difficulté d’exécution et d’une tout aussi exceptionnelle séduction sonore. Paavo Järvi le relayait pour une Notation VII  contemplative, presque ravélienne, d’une magnifique transparence.

D’ailleurs toute cette soirée démontrait, et révélait au nouveau public, combien la musique de Pierre Boulez s’inscrit dans une tradition française de raffinement, d’évocation plus que d’affirmation, de richesse sonore, de sensualité.

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L’après-concert était l’occasion d’échanger avec nombre de figures amies, comme Pascal Dusapin à qui je rappelais que très exactement un an plus tôt, le 26 janvier 2015 (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/01/29/personnalites/) ici même, Renaud Capuçon avait créé, avec un succès considérable, son concerto pour violon Aufgang.

Ou de faire des projets avec Lionel Bringuier ou Paavo Järvi, qui a titillé ma curiosité de directeur de festival. Mais c’est une autre histoire… à suivre !

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( à l’arrière plan à gauche, Mathias Pintscher)