Le Choeur et l’Orchestre de Paris dirigés par Alain Altinoglu à la Philharmonie le 17 décembre 2025 (Photo JPR)
Il y avait d’abord… une création, la première audition publique de Semiramis, les esquisses d’une cantate que Ravel avait prévu de présenter pour le Prix de Rome en 1902. Lire la note très complète que publie le site raveledition.com.
Ici la création à New York, de la première partie – Prélude et danse
Mais le clou de cette soirée parisienne, ce fut l’intégrale de Daphnis et Chloé, une partition magistrale, essentielle, qu’on entend trop peu souvent en concert. Je lui avais consacré un billet en mars dernier (Ravel #150 : Daphnis et Chloé) en y confiant mes références, qui n’ont guère changé. Mais j’ai un peu revisité ma discothèque, où j’ai trouvé 24 versions différentes, qui ont toutes leurs mérites – il est rare qu’on se lance dans l’enregistrement d’une telle oeuvre si l’on n’a pas au moins quelques affinités avec elle ! Je ne vais pas les passer toutes en revue, mais m’arrêter seulement à celles qui, en plus des versions déjà citées comme mes références, attirent l’oreille.
Le 1er Mai pour les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin c’est toujours un jour travaillé. La preuve en a encore été donnée ce 1er mai 2025 dans le merveilleux théâtre Petruzzelli de Bari (Italie) avec Riccardo Muti (concert diffusé sur Arte Concert)
Depuis 1991, les Berliner Philharmoniker célèbrent le 1er mai, et l’Europe, grâce à un très généreux sponsor, en visitant les plus beaux lieux d’Europe, où les concerts sont captés et télévisés.
Les 25 premières années ont été rassemblées dans un coffret de DVD
En général, le soliste et/ou le chef de ces concerts ont un rapport avec le lieu ou la salle choisis.
C’est ainsi que le 1er mai 2003 Pierre Boulez dirigeait les Berlinois à Lisbonne avec comme invitée, une Lisboète pur jus, Maria-João Pires.
Deux ans avant, les mêmes jouaient à Istanbul, sans qu’il y ait aucun rapport entre les nationalités du soliste, Emmanuel Pahud (français et suisse) et du chef Mariss Jansons (letton).
J’ai un temps caressé l’espoir d’accueillir l’Orchestre philharmonique de Berlin à Liège, dans la merveilleuse Salle Philharmonique. Emmanuel Pahud, qui faisait alors partie du board de l’orchestre, m’avait dit que l’orchestre était toujours en quête de lieux chargés d’histoire pour leur 1er Mai… et qu’il n’avait encore jamais joué à. cette occasion en Belgique. Entre temps j’ai quitté Liège et le projet n’a jamais vu le jour..
Et en 2019 c’était au Musée d’Orsay à Paris d’accueillir les Berlinois avec Daniel Harding et Bryn Terfel
Comme à mon habitude j’ai plusieurs livres sur ma table de chevet ou mon smartphone. Je les ouvre en fonction de l’humeur, du moment, du lieu où je me trouve. Parfois j’en lâche un plusieurs semaines, et je le retrouve sans en avoir perdu une miette, parfois je retarde le moment de le terminer, pour prolonger le plaisir.
Visionnaires
Je me suis replongé dans deux bouquins presque hors d’âge, qui valent toujours mieux, beaucoup mieux que tout ce qui sort ces jours-ci de la plume (?) des politiques.
L’essai de Georges Pompidou (1911-1974), je l’avais lu à sa sortie en 1974, puis plus jamais rouvert. Je redécouvre un personnage vraiment singulier, le contraire du conservateur bourgeois, gaulliste d’occasion : ses pages sur l’éducation, l’Université et son avenir, le capitalisme et le marxisme, sur les sujets de société en général, sont visionnaires, appuyées sur une culture historique et philosophique qui impressionne. Saisissant !
Quant à Roland Dumas, mort à 102 ans il y a moins d’un an, on a le sentiment qu’il a disparu de l’Histoire. Le personnage n’a jamais démenti sa réputation de séducteur sulfureux. Mais le témoignage qu’il livre notamment sur les années 80 qui sont aussi les années Mitterrand est plus que précieux, et aide à comprendre nombre de sujets de notre actualité avec les personnages de Khadafi, Reagan, Gorbatchev, Assad, le Proche-Orient, l’Iran… A-t-on vraiment beaucoup progressé depuis ?
J’ajoute – c’est évidemment de première importance pour moi – que chez l’un comme chez l »autre le style fait l’écrivain.
Le retour de Maryvonne
On avait l’impression que l’ex-directrice du Patrimoine au ministère de la Culture, maniant volontiers la polémique, Maryvonne de Saint-Pulgent, avait un peu disparu des radars. C’était sans compter sur son nouvel opus, opportunément publié pour coïncider avec le centenaire de Pierre Boulez. Que d’aucuns, qui ne l’ont pas lu, ont un peu hâtivement présenté comme un pamphlet anti-Boulez.
Cette somme « montre que le rapport de Lully et Boulez au pouvoir et ses conséquences sur notre paysage musical ne sont pas des singularités, mais le fruit d’une exception française, due à la préférence nationale pour le mécénat d’État et les régimes politiques à exécutif fort, ainsi qu’à l’importance de la musique dans notre société.. Née sous la monarchie absolue, cette exception qui concerne aussi Rameau, Berlioz, Fauré et le groupe des Six perdure sous la Révolution, sous les monarchies du XIXᵉ siècle et au XXᵉ siècle, avec des éclipses pendant les régimes parlementaires, le relais étant alors pris par d’autres lieux de pouvoir, académies et salons parisiens notamment. Cette parenthèse de quatre siècles paraît refermée aujourd’hui, la musique savante ayant cessé d’intéresser les dirigeants politiques alors que disparaissait Pierre Boulez » (Présentation de l’éditeur).
A consommer à petites doses, mais sans temps morts.
Les dames du siècle
Le hasard m’a fait trouver ces deux petits livres en même temps dans la même librairie parisienne. De l’une et l’autre dames, je sais déjà bien des choses, mais c’est toujours mieux de creuser le sujet, d’en savoir plus sur des personnages qui ont servi la petite et parfois la grande histoire
Tous ceux qui se sont passionnés pour l’histoire du Festival d’Aix-en-Provence ont forcément rencontré son nom, la comtesse Pastré. Mais savent-ils que « Lily Pastré (1891-1974) a été bien plus qu’une riche mécène. Voici le récit de la vie d’une grande excentrique, d’une grande généreuse, d’une grande amie des artistes, des années folles aux Trente Glorieuses en passant par le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale.Née à Marseille, héritière des célèbres apéritifs Noilly Prat, elle épouse un aristocrate et vit à Paris dans un entre-deux-guerres tourbillonnant de fêtes et de concerts. Sa passion première, c’est la musique. Elle est l’amie des plus grands compositeurs et interprètes du moment. Dans sa villa du sud de Marseille, elle reçoit des personnalités aussi diverses que Christian Bérard et Édith Piaf, Luc Dietrich et André Masson. Pendant la guerre, au risque de sa vie, elle cache et aide des musiciens juifs, tels que Clara Haskil et Darius Milhaud, les sauvant d’une mort certaine » (Présentation de l’éditeur).
Quant à la sulfureuse Liane de Pougy, ce n’était pour moi qu’un nom connu. Je vais découvrir ces Dix ans de fête : « une série d’articles parus dans le quotidien La Lanterne en 1903 et 1904 qui raconte dans le détail et avec une liberté sidérante, la vie d’une demi-mondaine pendant une dizaine d’années. Comme l’annonce Liane de Pougy : » On y reconnaîtra toutes les reines de la fête, qui ont conquis la célébrité par la grâce de leur sourire et le prestige de leur beauté. Ces mémoires renfermeront les indiscrétions les plus piquantes, relateront les aventures les plus pimentées du Tout-Paris qui s’amuse… » (PdE)
Le crime est son affaire
Joseph Macé-Scaron récidive. Après une Reine jaune qu’on avait rencontrée in situ l’été dernier (lire Les romans de la Côte) et sa Falaise aux suicidés, l’ami Joseph opère un retour gagnant au polar.
« Depuis quelque temps, des événements inquiétants ont lieu à Baugé, petite cité angevine abritant un morceau de la Vraie Croix du Christ. Tout bascule lorsque des meurtres spectaculaires sont commis. Sont-ils l’œuvre d’un psychopathe ? D’un esprit avide de vengeance ? Le coupable est-il seulement humain ?
Dépassées, les autorités font appel au capitaine Guillaume Lassire et à l’archiviste Paule Nirsen, membres du mystérieux Département S, un bureau non officiel chargé d’élucider des affaires étranges. Lancés dans une course effrénée sur les traces d’une autre croix, qui plongea l’Europe dans les ténèbres durant la Seconde Guerre mondiale, les deux enquêteurs vont remonter jusqu’aux racines du Mal.«
On s’y plonge avec d’autant plus de bonheur et d’impatience que l’auteur a élagué, épuré une matière introductive qui était précédemment trop dense, trop riche de références. Le suspense s’en trouve décuplé, comme l’intérêt du lecteur. On imagine aisément le film qu’on pourrait en tirer.
Entre temps, Deutsche Grammophon regroupe dans un coffret de 19 CD (pour moins de 70 € !) une intégrale de ses symphonies, quelques musiques de scène et les six concertos pour piano, violon et violoncelle du compositeur, enregistrées par Andris Nelsons avec le Boston Symphony Orchestra, et comme solistes Yuja Wang, Baiba Skride et Yo Yo Ma. A quoi il faut ajouter rien moins que l’opéra révolutionnaire de Chostakovitch, Lady Macbeth de Mzensk. Plusieurs de ces enregistrements ne sont même pas encore sortis séparément…
Je suis loin d’avoir encore tout écouté, même si j’avais déjà prêté une oreille attentive aux premières symphonies parues ces dernières années. Je me rappelle certaines critiques, que je partageais souvent, sur les choix interprétatifs du chef letton, qui « décontextualise » cette musique pourtant difficilement séparable des circonstances qui l’ont vue naître.
On avait fait, si je me souviens bien, un peu le même reproche à Bernard Haitink qui avait, sauf erreur de ma part, enregistré la première intégrale « occidentale » des symphonies de Chostakovitch à Londres et Amsterdam.
J’ai rappelé ici même il y a peu mes préférences pour les visions en quelque sorte natives de Kondrachine, Mravinski, les chefs russes en général.
Sans souvenirs et sans préjugés
Mais je me demande s’il n’est pas temps, comme auditeur, d’aborder Chostakovitch« sans souvenirs et sans préjugés » (pour reprendre une célèbre formule de Jacques Lonchampt à propos du Parsifal de Boulez à Bayreuth en 1966). Exercice certes difficile quand on est nourri depuis des lustres de culture russe mais sûrement salutaire pour ne pas réduire ce compositeur et son oeuvre à leur seule dimension historique.
C’est la démarche, en tout cas, qu’adopte Andris Nelsons, en choisissant d’enregistrer tout son Chostakovitch avec l’orchestre sans doute le moins familier de l’oeuvre du Russe, le Boston Symphony. On serait bien en peine de trouver un disque Chostakovitch dirigé par l’un des prédécesseurs de Nelsons à la tête de cet orchestre, qu’il s’agisse de Munch, Leinsdorf, Steinberg, Ozawa ou Levine.
On n’est pas au bout de ses – bonnes – surprises en écoutant, pas à pas, cette nouvelle intégrale, pour l’essentiel captée en concert.
Les vraies surprises viennent, pour moi, des solistes des concertos.
Dans les deux concertos pour piano, Yuja Wang se montre plutôt moins exubérante qu’on l’attendrait, et finalement assez classique dans son approche
Pour ce qui est de Yo Yo Ma, bientôt septuagénaire (!), on connaissait bien le 1er concerto pour violoncelle gravé jadis avec Eugene Ormandy, mais pour les 2 concertos ensemble, c’est une première
Quant aux concertos pour violon, ils sont confiés à une compatriote du chef, la Lettonne Baiba Skride, que j’ai bien connue (et invitée) lorsqu’elle remporta le premier prix du Concours Reine Elisabeth en 2001, à tout juste 20 ans. La carrière discographique de Baiba a pris son cours sous le label Orfeo, avec plusieurs belles réussites. Ici, certains ne manqueront pas de relever une certaine retenue, l’absence de folie dans le jeu. Mais cela correspond à l’esthétique développée par le chef, et mérite l’écoute.
Je vais maintenant prendre le temps d’écouter l’opéra maudit de Chostakovitch, mais je tenais à saluer cette nouvelle et importante contribution moderne à la discographie du compositeur.
Bref retour sur le premier billet de cette mini-série consacrée à Ravel et à son fameux Boléro.
Je m’attendais à beaucoup d’écrits, de célébrations, d’hommages – mais il n’y a apparemment pas eu une note de Ravel, ni de Boulez dans la cérémonie des Victoires de la Musique classique du 5 mars dernier ! – mais rien qui m’eût laissé supposer un témoignage… d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, publié avant-hier, le jour du 150e anniversaire du compositeur ! Je ne savais pas la bientôt ex-maire mélomane, mais dès lors qu’elle signe un texte, elle doit en assumer les termes. J’ignore qui a pu lui inspirer pareille navrance, des mots et des expressions aussi risibles (« fredonner une interprétation »). A moins qu’il ne faille comprendre, en filigrane, une auto-célébration, puisque honorer Ravel le Parisien, c’est honorer Paris, et par voie de conséquence honorer sa maire ! A lire à la fin de cet article.
En revanche, j’ai été heureux de découvrir sur Instagram les photos que Louis Langrée a prises lors de sa visite très privée, le 7 mars, de la maison de Ravel à Montfort-l’Amaury. Il faudra vraiment que je m’organise pour m’intégrer à une prochaine visite, puisque, vu l’étroitesse et la fragilité du lieu, ce ne peut pas être un musée qu’on visite à son gré.
Le piano de Ravel
J’ai songé à faire un billet spécial sur l’oeuvre pianistique de Ravel. Mais je ne m’en sens ni le talent ni l’envie. Ravel est interdit aux mauvais pianistes. Je ne connais pas une mauvaise intégrale. J’ai lu que la soirée du 7 mars à la Philharmonie de Paris, où Bertrand Chamayou a donné tout l’oeuvre pour piano, a été une formidable réussite. Je n’en suis pas surpris.
Et quand je veux écouter Gaspard de la nuit, je me tourne vers Samson François et Martha Argerich
Shéhérazade
J’ai une affection, un attachement sans borne pour le cycle de mélodies Shéhérazade , créé le 17 mai 1904. J’ai compté 25 versions différentes (par 22 chanteuses) de l’œuvre dans ma discothèque. Et j’en ai sûrement oublié.
En concert, j’ai eu la chance de l’entendre assez souvent, et je n’ai jamais manqué une occasion de le programmer quand j’avais la combinaison idéale chef-chanteuse.
Je m’en veux d’avoir manqué ce concert du 6 octobre 2023 :
Magnifique Fatma Said, mieux que magnifiquement « accompagnée » par Pietari Inkinen et l’orchestre philharmonique de Radio France.
Beaucoup de mes versions préférées sont le lot de chanteuses de langue anglaise. J’ai toujours été frappé par la qualité de la diction française d’interprètes qui parfois, dans la vie courante, ne parlent pas un mot de français. Souvenir d’une tournée en Amérique du Sud, en 2008, avec l’orchestre de Liège et Susan Graham chantant les Nuits d’été de Berlioz à la perfection, et ne parlant qu’anglais dans nos conversations.
Admirable Marilyn Horne en 1975 au théâtre des Champs Elysées avec l’Orchestre national de France et Leonard Bernstein
Jessye Norman, plus placide mais somptueuse de voix, avec Colin Davis et le London Symphony
Disparue il y a six ans, la soprano irlandaise Heather Harper m’a toujours séduit, quelque soit le répertoire abordé. Elle trouve en Pierre Boulez un partenaire idéal.
Oui j’en reviens souvent à Armin Jordan, tant son intégrale Ravel reste une référence. Peu se souviennent en revanche de la Shéhérazade qu’il grava avec la grande Rachel Yakar, disparue il y a deux ans. Armin Jordan récidivera plus tard avec Felicity Lott.
Anne Hidalgo : Ravel et moi
« Génie de la musique, la vie, l’art et la mémoire du grand Maurice Ravel sont intimement liés à Paris.
Arrivé en 1875 à Paris, Maurice Ravel y trouve son terrain d’inspiration.
Dès son entrée au Conservatoire de Paris et poussé par l’effervescence culturelle parisienne, il puise ses influences aux côtés de Fauré ou de Debussy. C’est de là que naissent à la fois ses premières compositions et ses premiers succès.
Mais c’est sans aucun doute avec son célèbre Boléro qu’il joue le 22 novembre 1928 à l’Opéra de Paris, que Maurice Ravel accède au rang des plus grands musiciens du monde. Cette interprétation que nous continuons encore aujourd’hui de fredonner marquera à jamais l’histoire de la musique.
Le Boléro est largement inspiré par la musique andalouse qui a bercé mon enfance et que j’aime tant.
Le Boléro, est sans doute l’œuvre la plus écoutée au monde, toujours réinventée ou réinterprétée. Partout où l’on va il n’est pas rare d’entendre le Boléro.
Ce morceau est pour moi l’incarnation de l’esprit de Paris, cette ville qui ne cesse de se réinventer, baignée par toutes les influences du monde, une ville où l’on marche, où l’on court parfois, où on se mélange, où on fait des rencontres improbables à toute heure ; bref c’est tout cela à la fois le Boléro. C’est Paris.
Alors que nous célébrons le 150e anniversaire de sa naissance, à travers lui, c’est la ville lumière que nous célébrons, moderne et ouverte sur le monde qui a su au fil des siècles accompagner les artistes et donner toute sa place à l’art et à la culture.
Suite de cette série consacrée au sesquicentenaire de Ravel – né le 7 mars 1875.
Autre oeuvre célèbre s’il en est, son concerto pour piano en sol majeur, contemporain de son autre concerto « pour la main gauche« . L’oeuvre est créée le 14 janvier 1932 par sa dédicataire, Marguerite Long, le compositeur étant au pupitre de l’orchestre des Concerts Lamoureux.
On ne compte plus, depuis, les centaines de versions au disque et parmi elles, des références qui gardent leur statut au fil des ans.
Tout a été dit sur la perfection du jeu, la qualité du « pianisme » de l’interprète. En 1982, à Londres, avec Celibidache à ses côtés, il continue de fasciner.
L’autre miracle de cette époque, c’est la version plus fantasque, plus libre de Samson François.
Ensuite, il y a l’embarras du choix parmi les multiples versions de Martha Argerich. On l’avait entendue, admiratif comme toujours, au côté d’Emmanuel Krivine et de l’Orchestre national de France
Parmi les multiples versions qui existent au disque, la plus aboutie est aussi la plus récente, où Martha Argerich et Lahav Shani forment un duo de rêve
Réécoutant récemment la version ZImerman/Boulez, bénéficiaire de tous les éloges à sa sortie, j’ai été frappé par le statisme, l’immobilisme d’une version louée en son temps, qui paraît bien neutre, surtout en regard d’autres versions contremporaines
Me revient un souvenir, tard dans la nuit, sur une route de Belgique, nous revenions d’un concert, Louis Langrée et moi, et nous écoutions la rediffusion d’une émission de critique de disques de la RTBF, sur le concerto en sol de Ravel. Résonne alors une version magnifiquement captée – on pense justement à la récente version Zimerman/Boulez/Cleveland, et quand le producteur reprend la parole il annonce : « cette version qui recueille tous vos suffrages, c’est celle de Claire-Marie Le Guay et Louis Langrée avec l’Orchestre philharmonique de Liège ! »
Mars est le mois des anniversaires : Ravel né le 7 mars 1875 et Boulez né le 26 mars 1925. Comme en témoignent les couvertures des magazines musicaux – la dernière malheureusement pour Classica.
Je profite de quelques jours loin des réseaux et des connexions pour entamer une petite série sur Ravel. Je n’ai aucune prétention musicologique ou historique. Les bons ouvrages et les bons articles pullulent.
Plutôt mon parcours de découverte de l’oeuvre de Ravel et, partant, des souvenirs de concerts et des choix discographiques assumés.
Le Boléro
Le dernier souvenir que j’ai de la plus célèbre oeuvre de Ravel, c’est au cinéma il y a un an avec le film d’Anne Fontaine (lire Le Boléro d’Anne Fontaine)
Au concert, je n’en ai pas tant que cela finalement. Deux me reviennent, en total contraste. Le premier catastrophique, c’est le 18 juin 2000 dans ce qui tient lieu de salle de concert provisoire pour l’Orchestre philharmonique de Liège (l’église Saint-Martin). Louis Langrée que j’ai pressenti pour la fonction de directeur musical a souhaité un programme tout Ravel pour « tester » l’orchestre. Le régisseur de l’époque de l’orchestre a programmé à la caisse claire un charmant garçon qui fait office alternativement de garçon d’orchestre, chauffeur… et percussionniste. Ce qui devait se passer arriva : la caisse claire perdue en rase campagne au milieu du Boléro, heureusement rattrapée par un autre percussionniste, un vrai, un titulaire, de l’orchestre… Pas sûr que dans la touffeur de cette après-midi, le public se soit rendu compte de quelque chose. Mais comme entrée en matière, on était très mal partis…
L’autre souvenir, nettement plus agréable, se situe quinze ans plus tard, pour le concert d’ouverture de la 30e édition du Festival Radio France, la première issue de ma programmation (2015). A la tête de l’orchestre de Montpellier, j’ai invité un jeune chef encore peu connu en France, avec un programme particulièrement festif qui se terminait par le Boléro. Je l’ai dit le soir même à Domingo Hindoyan, et lui ai répété à l’occasion : il a donné ce soir-là l’une des meilleures exécutions que j’aie jamais entendues du Boléro.
Le génie de l’oeuvre tient à la tenue inexorable, imperturbable de la même formule rythmique soutenue par un crescendo orchestral de pure magie. Mais un tempo trop lent (cf. Celibidache par exemple), des variations – non écrites – de tempo (cf. l’épouvantable ralenti avant la modulation finale de Maazel avec le philharmonique de Vienne) ou, ce qui est plus rare, une accélération, compromettent absolument l’oeuvre.
Quelques exemples, pas forcément attendus, de belles versions du Boléro
Leonard Bernstein et l’Orchestre national de France
Günther Herbig avec l’orchestre de Berlin-Est, dans une prise de son admirable
Et Daniel Barenboim, qui fait le show, avec son orchestre de jeunes West-Eastern Divan.
L’occasion de faire le point sur la discographie – plus exactement mes choix – des trois oeuvres que j’ai entendues
Le Tombeau de Couperin
Je rappelle dans l’article les circonstances de l’écriture de cette oeuvre, d’abord pour le piano ensuite pour l’orchestre. Ce Tombeau de Couperin fait partie des oeuvres de Ravel que j’écoute le moins. Je l’admire certes, mais ne l’aime pas.
Ici les mêmes que mardi, dans une captation de 2020 :
Karajan n’a enregistré l’oeuvre qu’une fois, et c’était dans la brève période où il fut « conseiller musical » de l’Orchestre de Paris après la mort de Charles Munch.
Pierre Boulez manque un peu de poésie et de souplesse, même en concert avec Berlin
On ne m’en voudra pas de revenir à Armin Jordan, qui avait une manière assez incroyable de laisser venir cette musique, d’un geste, d’un regard, que les orchestres comprenaient immédiatement
Ma Mère l’Oye
On peut difficilement louper la suite de Ma Mère l’Oye, les bonnes versions sont légion.
Giulini y est la poésie même. Son « jardin féerique » ! inégalé
Dans le gros coffret TIlson Thomas Sony, il y a ce bel exemple de l’art de MTT
Petrouchka
L’Orchestre de Paris et son chef donnaient en septembre dernier leur version de Petrouchka aux Prom’s de Londres
Ni la conception ni le jeu d’ensemble n’ont foncièrement changé depuis cette soirée londonienne.
Comme je l’écris, c’est une version plus symphonique que chorégraphique.
On a la chance d’avoir d’excellentes versions du créateur de l’oeuvre, Pierre Monteux, et du compagnon de route des Ballets russes, longtemps ami de Stravinsky, Ernest Ansermet. Les comparaisons sont édifiantes.
On notera à quel point les orchestres ont techniquement progressé en un demi-siècle !
Je garde une préférence pour la version sensationnelle d’Antal Dorati
Par rapport au premier coffret, cette boîte jaune comprend beaucoup d’inédits, de documents exceptionnels à propos de pianistes dont on a parfois même perdu la trace.
Pour les discophiles, le nom du pianiste russe Lev Oborine (1907-1974) est associé au violoniste David Oistrakh (mort la même année que lui !). Malgré ses prix de concours, sa carrière et sa notoriété sont restées limitées à la sphère soviétique. Compatriote plus tardif d’Oborine, le natif d’Odessa (1951) Boris Bloch a quitté l’URSS en 1974 et s’est installé depuis 1985 en Allemagne et il témoigne d’une discographie plutôt conséquente, mais je me demande où il fait carrière. Pas en France en tout cas.
Quant à Steven De Groote (1953-1989), il fait partie de ces étoiles filantes – vainqueur du concours Van Cliburn – que la maladie a fauchées dans l’éclat de leur jeunesse. Tout comme le merveilleux Youri Egorov (La nostalgie des météores) dont on a ici un Carnaval de Schumann capté « live » en 1975. Ou l’Italien Dino Ciani (1941-1974) disparu dans un accident de voiture à 32 ans !
En revanche, je dois avouer que je n’avais entendu, jusqu’à ce coffret, la Brésilienne Diana Kacso (1963-2022), Mikhaïl Faerman, Belge d’origine moldave, lauréat 1975 du concours Reine Elisabeth et professeur au conservatoire de Bruxelles, la Polonaise Ewa Poblocka, l’Américaine Zola Mae Shaulis (1942-2021).
Content de retrouver le cher Claude Helffer (1922-2004) qui ne dédaignait pas passer de Berg ou Boulez à Milhaud !
Les détails du coffret :
CD 1 CHOPIN Piano Concerto No. 2; Ballade No. 2 Études; Mazurkas; Scherzo No. 4 VLADIMIR ASHKENAZY Warsaw National Philharmonic Orchestra / Zdzisław Górzyński RACHMANINOFF 6 Études-Tableaux, Op. 33* LEV OBORIN *FIRST RELEASE ON CD
CD 2 BEETHOVEN Piano Sonata No. 6 in F major, Op. 10 No. 2 RACHMANINOFF Vocalise, Op. 34 No. 14; Lilacs, Op. 21 No. 5; Études-Tableaux Op. 33 Nos. 1 & 2, Op. 39 No. 5 BUSONI Turandots Frauengemach LISZT Figaro Fantasy, S.697 BORIS BLOCH FIRST RELEASE ON CD
CD 3 CHOPIN Piano Sonata No. 2; Polonaise, Op. 53; Prelude, Op. 28 No. 17; 3 Mazurkas; Valse, Op. 34 No. 1 MICHEL BLOCK
CD 4 DEBUSSY Préludes – Livre I (1971 recording – previously unpublished)* Children’s Corner DINO CIANI *FIRST-EVER RELEASE
CD 5 WEBER Piano Sonatas Nos. 2 & 3 DINO CIANI
CD 6 PROKOFIEV Sonata No. 6 BRAHMS Paganini Variations MIKHAIL FAERMANN SCHUMANN Carnaval* YOURI EGOROV *FIRST CD RELEASE ON DG
CD 7 BEETHOVEN Eroica Variations SCHUMANN Études symphoniques STEVEN DE GROOTE FIRST RELEASE ON CD
CD 8 BOULEZ Piano Sonata No. 2* BERG Piano Sonata, Op. 1* MILHAUD Le Carnaval d’Aix CLAUDE HELFFER Orchestre National de l’Opéra de Monte-Carlo / Louis Frémaux *FIRST RELEASE ON CD
CD 9 SCHUMANN Piano Sonata No. 2*; Novelette, Op. 21 No. 8*; 3 Fantasiestücke, Op. 111*; Nachtstücke, Op. 23 (Previously unpublished recording)° VERONICA JOCHUM VON MOLTKE *FIRST RELEASE ON CD °FIRST-EVER RELEASE
CD 10 LISZT Piano Sonata in B minor CHOPIN Polonaise-Fantaisie; Étude, Op. 10 No. 10 DIANA KACSO FIRST RELEASE ON CD
CD 11 CHOPIN Ballade Nos. 1–4; Impromptus Nos. 1–4; Berceuse JULIAN VON KAROLYI FIRST INTERNATIONAL RELEASE ON CD
CD 12 CHOPIN Sonata No. 3; Boléro; Mazurka, Op. 17 No. 4; Valse No. 14; Andante spianato et Grande Polonaise brillante JULIAN VON KAROLYI
CD 13 RAVEL Le Tombeau de Couperin STRAVINSKY Tango; Piano-Rag-Music; Trois mouvements de Pétrouchka DAVID LIVELY FIRST RELEASE ON CD
CD 14 SCHOENBERG 3 Klavierstücke, Op. 11 SCHUBERT Sonata No. 16 ALEXANDER LONQUICH FIRST RELEASE ON CD
CD 15 BEETHOVEN Piano Sonatas Nos. 8 ‘Pathétique’ & 31 ELLY NEY
CD 16 BEETHOVEN Piano Sonatas Nos. 14 ‘Moonlight’ & 23 ‘Appassionata’ ELLY NEY
CD 17 J.S. BACH Aria variata alla maniera italiana CHOPIN Scherzo No. 1 DEBUSSY Images I & II EWA POBŁOCKA FIRST RELEASE ON CD
CD 18 BEETHOVEN Piano Sonata No. 28 SCHUMANN Toccata RAVEL Gaspard de la nuit JORGE LUIS PRATS FIRST RELEASE ON CD
CD 19 J.S. BACH Goldberg Variations PROKOFIEV Piano Sonata No. 7 ZOLA MAE SHAULIS FIRST RELEASE ON CD
CD 20 J.S. BACH Toccatas, BWV 911–915 ZOLA MAE SHAULIS FIRST RELEASE ON CD
CD 21 IVES Piano Sonata No. 2 ‘Concord, Mass., 1840–1860’; Three-page Sonata ROBERTO SZIDON
CD 22 REGER Telemann Variations ERIK THEN-BERGH BEETHOVEN Diabelli Variations PAUL BAUMGARTNER
J’ai pris quelques jours de vacances en me promettant de me tenir loin de l’actualité.
Le cas Pollini
Mais voilà qu’après avoir débarqué sur les rivages d’une mer calme après un heureux voyage je suis submergé par les hommages que je lis de tous côtés sur le pianiste Maurizio Pollini, mort ce 23 mars.
Comme pour Frédéric Mitterrand avant-hier mon premier réflexe est de me taire, de ne rien écrire ou dire de plus que le tombereau de tributs sous lequel le disparu est déjà enseveli. J’avais écrit naguère, après un récital du pianiste italien à la Philharmonie de Paris, un billet sobrement intitulé Crépuscule, qui m’avait valu tellement de reproches, voire de sarcasmes – comment osais-je critiquer une « légende » ? – que je vais m’en tenir là.
Maurizio Pollini 21 novembre 2019 / Philharmonie de Paris (Photo JPR)
Un jour, quand je ne serai plus en vacances, j’expliquerai peut-être pourquoi je n’ai jamais marché dans le « narratif » (c’est comme ça qu’on dit aujourd’hui !) élaboré autour du personnage et même de l’artiste. Entre-temps, je réécouterai sûrement quelques-uns de ses enregistrements (je précise, tout de même, que, tout critique que je sois à l’égard de Pollini, j’ai la totalité de ses enregistrements officiels dans ma discothèque et même quelques « live »)
Peter Eötvös (1944-2024)
Peter Eötvös (1944-2024)
Je ne peux pas dire que j’ai bien connu le chef et compositeur Peter Eötvös, qui vient de disparaître à tout juste 80 ans, mais les quelques rencontres que j’ai eues avec lui m’ont marqué, pour différentes raisons. Et sa disparition, même prévisible – la maladie l’avait empêché d’assister à l’hommage que Radio France voulait lui rendre pour son anniversaire en janvier dernier -, m’attriste.
Le personnage était très attachant, exigeant mais jamais poseur, et il a sans doute fait beaucoup plus pour la « musique contemporaine » que nombre de ses collègues, parce qu’il avait le don de la pédagogie, y compris dans son écriture.
La dernière fois que j’ai eu l’occasion de faire oeuvre utile pour lui, c’était il y a neuf ans, dans mes fonctions d’alors de directeur de la musique de Radio France, comme je l’ai raconté dans un billet précédent (Suites et conséquences) :
« C’est ainsi qu’un magnifique projet de concerts et d’enregistrements fin 2014 autour de Peter Eötvös avait failli capoter, parce que la mise en place des répétitions et des concerts dans les deux toutes nouvelles salles de concert de la Maison de la radio (Studio 104 et Auditorium) s’avérait très compliquée du fait des effectifs requis. Il n’y avait pas de maison de disques partenaire à l’horizon. A force de conviction, de persévérance, et de beaucoup de bonne volonté de la part de toutes les personnes impliquées, on a pu organiser les répétitions, les concerts, puis la collaboration entre Radio France et le label Alpha, membre du groupe Outhere (le même éditeur que le coffret Lalo des Liégeois !). Le disque vient de sortir, où ma préférence va, je l’avoue, à la prestation pyrotechnique de Martin Grubinger !
J’ajouterai à ce que j’écrivais en 2016 que l’organisation administrative qui régissait alors les services de Radio France mettait tous les freins possibles à ce qui ‘n’entrait pas dans les périmètres balisés des uns et des autres…
Je reviendrai plus tard sur d’autres souvenirs de cette lumineuse personnalité…