Suivez le chef

Débuts parisiens

Devais-je y aller en tant qu’ami ou comme critique ? J’ai hésité un moment avant d’accepter de « couvrir »‘ pour Bachtrack le Rigoletto donné à l’Opéra Bastille ce dimanche. C’était une première pour le chef vénézuélien Domingo Hindoyan. Une première parfaitement réussie pour lui, même si la mise en scène et certains chanteurs laissent à désirer (Bachtrack: « la direction musicale et le rôle-titre sont autant d’atouts qui magnifient le chef-d’oeuvre de Verdi« )

Il y a une bonne quinzaine d’années que je connais l’actuel chef de l’orchestre de Liverpool, que je l’avais invité à plusieurs reprises (à l’instigation d’un impresario – Pedro Kranz – aujourd’hui disparu en qui j’avais grande confiance) à diriger l’Orchestre philharmonique royal de Liège (lire Hindoyan dirige à Liège). Pour ma première édition en 2015 comme directeur du Festival Radio France à Montpellier, c’est tout de suite à lui que j’avais pensé pour le concert d’ouverture avec un programme particulièrement festif avec l’orchestre de Montpellier. Les musiciens comme le public se rappellent encore un fameux Boléro !

Et puis il y eut en 2016 Iris de Mascagni, en 2017 Siberia de Giordano, avec Sonya Yoncheva, et en 2021 une glorieuse soirée de clôture avec ce couple aussi heureux sur la scène que dans la vie.

Ecoutez ce que disait Christian Merlin, mon cher confère du Figaro, à propos du travail du chef et de la chanteuse, alors qu’on prévoyait de donner avec eux, en juillet 2020, Fedora de Giordano. Projet évidemment abandonné pour cause de pandémie…

Ici à Bordeaux, après une superbe représentation du Démon de Rubinstein dirigée par un autre ami cher, Paul Daniel (à droite) et avant un concert que devait diriger Domingo Hindoyan (à gauche) en janvier 2020.

Soirée de clôture du festival Radio France 2021 : la fête retrouvée après la longue parenthèse de la pandémie, avec Sonya Yoncheva et Domingo Hindoyan.

Oui ou non

Je me pose toujours la question de la pertinence pour un chef d’orchestre d’aller au bout de ses limites. Pour un Bernard Haitink qui, à 90 ans, un an avant sa mort, a mis fin à sa carrière, après quelques concerts où il n’était déjà plus que l’ombre de ce qu’il avait été, on a le contre-exemple éloquent de Charles Dutoit, 88 ans depuis le 7 octobre, qui ne ralentit ni ses voyages (on se demande quels pays il lui reste à visiter dans le monde !), ni ses concerts. Dans le nouveau numéro de Classica, Olivier Bellamy livre une interview-fleuve, qui aurait mérité un meilleur découpage et un vrai travail de décryptage d’un entretien où tout se mêle et s’emmêle parfois : Charles Dutoit est bavard et il a tant à dire d’une vie foisonnante. A lire tout de même !

En revanche, quel intérêt y a-t-il pour le public, ses admirateurs, et le grand musicien qu’il a été, de documenter l’inexorable décrépitude de Daniel Barenboim ? Je trouve presque indécent d’assister à cette déchéance. La critique n’ose pas écrire ce qui pourtant saute aux oreilles des derniers disques de Barenboim chef : qu’on ne devrait même pas les publier. Dernier triste exemple en date : la Symphonie de Franck avec l’orchestre philharmonique de Berlin ! Emouvant diront certains, infiniment triste diront tous les autres…

Barenboim avait gravé il y a presque cinquante ans une magnifique version de la dite symphonie avec l’Orchestre de Paris au tout début de son mandat. En rester à ce souvenir lumineux !

2890 jours : ils ont fait Montpellier (V) Top chefs

Durant mon mandat à la direction du Festival Radio France Montpellier Occitanie (lire 2890 jours) de 2014 à 2022, comme pendant mes années à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (Merci), j’ai eu l’obsession de faire découvrir, de susciter la curiosité du public. Après les pianistes, les clavecinistes, les instrumentistes et les formations à cordes, place aux orchestres, choeurs et à leurs chefs et cheffes. Qui nous ont offert des soirées mémorables, sans doute les plus marquantes du festival. Et si certains ensembles et chefs étaient déjà familiers de Montpellier, je suis heureux d’avoir pu inviter des femmes et des hommes de très grand talent, qui, pour certains, occupent aujourd’hui les positions les plus en vue.

Je rêve – peut-être pour les 40 ans du festival – d’une édition discographique qui regrouperait les grandes heures symphoniques et chorales du Festival. Et pourquoi pas ‘d’une chaîne thématique spécifique sur France Musique ?

Montpellier pilier du Festival

Nul n’aurait pu imaginer le festival, hier et maintenant, sans la présence essentielle de l’Orchestre national Montpellier Occitanie. La liste des productions auxquelles il a participé est impressionnante. Il faut en remercier ici tous les musiciens qui n’ont jamais ménagé leur engagement, et donc beaucoup me disaient qu’ils attendaient avec impatience le mois de juillet et l’aventure du Festival.

2015 : Fantasio, dirigé par le regretté Friedemann Layer (1941-2019), pour qui, cette année-là, ce furent des retrouvailles émues avec l’orchestre qu’il avait dirigé de 1993 à 2007.

Pour l’ouverture du festival, j’avais fait appel à Domingo Hindoyan (1980) devenu entre-temps directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liverpool

et pour la clôture à mon cher Christian Arming, tout indiqué comme Viennois pur jus pour diriger la IXe symphonie de Beethoven !

2016 : Michael Schønwandt  comme chef principal de l’ONM a, bien entendu, été de toutes nos aventures, surtout lorsqu’il s’agissait de redécouvrir quelques fameux ouvrages lyriques (lire 17 opéras)

Mon très cher Paul Daniel, invité en 2015 avec l’Orchestre de Bordeaux, devait diriger l’ONM pour plusieurs concerts Beethoven dans la région Occitanie, lorsqu’est survenu l’effroyable attentat de Nice le soir du 14 juillet 2016. Spontanément, Paul Daniel, les musiciens de l’ONM, la Ville de Montpellier et moi avons décidé d’un hommage, diffusé en direct sur France Musique, le dimanche 16 juillet au soir : L’hommage de Montpellier aux victimes de l’attentat de Nice (Le Figaro)

Domingo Hindoyan revient, cette fois, avec la grande Sonya Yoncheva, son épouse à la ville, pour l’opéra Iris de Mascagni (17 opéras)

2017

Jader Bignamini (Bellini, les Puritains)

Domingo Hindoyan (Siberia Giordano)

Michael Schønwandt 

2018

Marzena Diakun

Michael Schønwandt  (Delibes / Kassya)

George Pehlivanian

2019

Kristjan Järvi

Au lendemain de l’ouverture du festival par son père, Neeme Järvi, son fils Kristjan dirigeait l’ONM dans un programme contemporain

Les violonistes Daniel Lozakovich et Mari Samuelsen encadrant Kristjan (debout) et Neeme Järvi (assis)

Michael Schønwandt  (D’Indy /Fervaal)

2021

Michael Schønwandt 

Domingo Hindoyan : très grand souvenir de la soirée de clôture du festival 2021 avec une carte blanche à Sonya Yoncheva et à son mari !

2022

Pierre Dumoussaud : heureux d’avoir pu compter sur le formidable talent du jeune chef français pour l’ouverture (le 14 juillet) de mon dernier festival, et le Concours Eurovision des jeunes musiciens

Le jury du Concours Eurovision 2022 : debout de gauche à droite le violoniste Tedi Papavrami, la hautboïste Nora Cismondi, le violoncelliste Christian-Pierre La Marca, assis JPR et la présidente du jury, la pianiste Mūza Rubackytė

Michael Schønwandt  (Thomas / Hamlet)

Christopher Warren-Green, une première à l’ONM pour le chef britannique, avec un soliste au patronyme illustre : Gabriel Prokofiev

Les formations de Radio France

Très logiquement, et suivant le pacte fondateur du Festival en 1985, j’ai invité chaque année les formations musicales de Radio France.

Orchestre national de France

2015 Alexander Vedernikov est tragiquement disparu le 26 octobre 2020 à 56 ans des suites du Covid-19.

2016 John Neschling, le grand chef brésilien dirigeait un programme particulièrement original : Epiphanie d’André Caplet (avec le violoncelliste Marc Coppey) et la Symphonie lyrique de Zemlinsky

De 2017 à 2019 c’est Emmanuel Krivine, directeur musical de l’ONF de 2017 à 2020, qui est naturellement venu à Montpellier pour des programmes toujours élaborés dans l’esprit du Festival.

2021 et 2022 C’est le successeur de Krivine, Cristian Măcelaru, qui viendra défendre des programmes particulièrement originaux

Orchestre philharmonique de Radio France

2015 Patrick Davin (lire : Un ami disparaît)

2016 Pablo Gonzalez

2017 Vladimir Fedosseiev : c’est à un vétéran de la direction russe que l’OPRF et le Festival avaient fait appel pour donner la cantate Octobre de Prokofiev, écrite en 1937 pour commémorer les vingt ans de la Révolution russe.

2018 Santtu-Matias Rouvali

2019 Andris Poga

2021 Santtu-Matias Rouvali

Orchestres de jeunes

J’ai tenu, chaque année de mon mandat, à inviter des orchestres de jeunes, puisque la raison d’être même du Festival a toujours été la découverte et la promotion des jeunes talents.

Australian Youth Orchestra (19) / Krzysztof Urbanski

I Culture Orchestra (18) / Kirill Karabits

Jove Orquestra Nacional de Catalunya / Manel Valdivieso (17)

National Youth Orchestra USA (16) / Valery Gergiev

Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (21) (22) / Duncan Ward

Les formations invitées

La liste ci-desous indique assez l’éclectisme de nos choix, dans l’idée qu’un Festival doit toujours être une fête populaire, ouverte à tous les publics, à tous les genres.

Le Bagad de Lann-Bihoué (2015)

Le Concert de la Loge / Julien Chauvin (17)(19)

Le Concert Spirituel / Hervé Niquet (15) (17) (19) (21)

Ensemble Les Surprises / Louis-Noël Bestion de Camboulas (18)

Harmonie et Orchestre de la Garde républicaine (18) / Sébastien Billard / Hervé Niquet

Orchestre de chambre de Paris (16) / Douglas Boyd

Orchestre national Bordeaux-Aquitaine (15) / Paul Daniel

Orchestre national du Capitole de Toulouse (16) (17) : Andris Poga / (19) Tugan Sokhiev / Lio Kuokman / (21) Nil Venditi

Orchestre National de Lille (17) / Alexandre Bloch

Orchestre de Pau Pays de Béarn (18) / Fayçal Karoui

Orchestre philharmonique royal de Liège (18) / Christian Arming

Orchestre philharmonique de Tampere (19) / Santtu-Matias Rouvali

Orchestre symphonique national d’Estonie (19) / Neeme Järvi

Les Passions (16) / Jean Marc Andrieu

Il Pomo d’Oro (21)

Pygmalion (16) / Raphaël Pichon

Scottish Chamber Orchestra (22) / Maxim Emelyanychev

Les Siècles (21) / François-Xavier Roth

Sinfonia Varsovia (2015)

Choeurs

Pas de festival réussi, pas de découverte de répertoires inconnus sans la présence des choeurs, celui de Radio France bien sûr, mais aussi durant tant d’années de celui de la radio lettone.

Choeur de l’Armée française (18) / Aurore Tillac

Choeur de l’Armée rouge (17) / Victor Elisseiev

Choeur de Radio France (15) (16) (17)/Sofi Jeannin, (18) Marina Batic (22) Christophe Grapperon

Choeur de la radio lettone / Sigvards Klava (15, 16, 17, 18, 19)

Les Elements (16) Jean-Marc Andrieu, (17) (19) (22) Joël Suhubiette

The King’s Singers (22)

Maîtrise de Radio France (16) / Sofi Jeannin

Opera Junior (16) / Vincent Recoin

Orfeo Donostiarra (2015)

A tous ces formidables ensembles, orchestres, choeurs, et leurs chefs, une immense gratitude pour tant d’émotions partagées.

2890 jours : ils ont fait Montpellier (III) 17 opéras

Dès sa fondation en 1985, le Festival Radio France Occitanie Montpellier s’est singularisé dans le paysage musical international par la programmation d’ouvrages lyriques rares, voire inédits, de redécouvertes considérables. C’est une politique que j’ai résolument poursuivie, de 2014 à 2022, durant mon mandat de directeur du festival (lire 2890 jours), même si la pandémie d’une part, les réductions budgétaires d’autre part, nous ont obligé à réduire la voilure.

Il n’empêche que la liste des oeuvres jouées durant 8 éditions, et des interprètes engagés à cette fin, ne laisse pas d’impressionner.

2015 : Bodin de Boismortier, Offenbach, Lalo

(L’affiche du Festival 2015 avait été créée par l’artiste Gérard Matharan disparu en avril 2022)

Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la Duchesse

L’Opéra de Versailles reprenait cette fin janvier le spectacle inauguré en 2015 à MontpellierDon Quichotte chez la Duchesse – dirigé par Hervé Niquet et mis en scène par Gilbert et Corinne Bénizio (ex- Shirley et Dino)

(De gauche à droite : Corinne Bénizio, Jany Macaby, Hervé Niquet, Gilles Bénizio, JPR)

Jacques Offenbach : Fantasio

Ce fut l’événement du Festival 2015, une authentique redécouverte d’un ouvrage oublié d’Offenbach, qui a depuis fait les beaux soirs de l’Opéra-Comique (lire Brillante résurrection de Fantasio)

Edouard Lalo : La Jacquerie

2016 : Rameau, Offenbach, Aboulker, Mascagni

Jean-Philippe Rameau : Zoroastre

Pietro Mascagni : Iris

Isabelle Aboulker : Marco Polo et la Princesse de Chine

Jacques Offenbach : Ba-Ta-Clan

Il faut préciser ici que cette pochade avait été programmée avant les attentats du 13 novembre 2015 dans la salle de spectacle – le Bataclan – qui tire son nom de l’ouvrage d’Offenbach, et que ce concert a été dédié à toutes les victimes du terrorisme.

2017 : Bellini, Giordano et le mélange Niquet

2018 : Offenbach, Destouches, Delibes


2019 Pomme d’Api et Fervaal

Jacques Offenbach : Pomme d’Api

L’événement de ce festival 2019 c’est la restitution intégrale d’une partition devenue mythique à force de ne jamais avoir été jouée, a fortiori représentée, Fervaal de Vincent d’Indy.

Vincent d’ Indy, Fervaal Op. 40 

Opéra en 3 actes et un prologue sur un livret du compositeur d’après le poème « Axel » d’Esaias Tégner.

Michael Spyres (ténor), Fervaal
Gaëlle Arquez (mezzo-soprano), Guilhen
Jean-Sébastien Bou (baryton), Arfagard
Elisabeth Jansson (mezzo-soprano), Kaito
Nicolas Legoux (basse), Grympuig
Eric Huchet (ténor), Lennsmor
Kaëlig Boché (ténor), Edwig
Camille Tresmontant (ténor) 4ème Paysan, 1er Paysan sarrazin, Chennos
François Piolino (ténor), Ilbert
Rémy Mathieu (ténor), Ferkemnat, Moussah
Matthieu Lécroart (baryton), Geywihr, 5ème Paysan
Eric Martin-Bonnet (basse), Penwald, Buduann
Pierre Doyen (baryton), le Messager, 3ème Paysan, 2ème Paysan sarrazin
Jérôme Boutillier (baryton), 1er Paysan, Gwellkingubar
Anas Seguin (basse), Berddret
Guilhem Worms (baryton-basse), Helwrig
François Rougier (ténor), 2ème Paysan, Le Berger, Le Barde

Choeur de la Radio Lettone
Choeur de l’Opéra national de Montpellier Occitanie
Orchestre national de Montpellier Occitanie
Michael Schonwandt, direction

Il y avait un projet d’édition de cette soirée en CD, qui n’a jamais abouti pour des raisons non artistiques… Mais les amateurs peuvent retrouver l’intégralité de la soirée du 24 juillet 2019 sur YouTube

2021 Pas de Bacchus mais une création

Nous avions prévu, d’abord en 2020, puis en 2021, de redonner vie à un opéra de Massenet, Bacchus. Projet annulé en 2020 pour cause de pandémie.. et en 2021 pour cause de conséquences de la pandémie ! Trois ans après, tout le monde semble avoir oublié que si les festivals ont pu reprendre leur activité, c’était au prix de restrictions toujours en vigueur en matière de nombre de spectateurs, et bien sûr de distanciation sur scène, aussi bien en répétition qu’en concert. Or Bacchus exigeait un nombre important d’interprètes et surtout plusieurs formations additionnelles en coulisses. Nous avons dû très vite nous résoudre à annuler l’opération, au grand dam du chef, des musiciens et des chanteurs qui avaient travaillé sur cette partition reconstituée pour l’occasion.

Mais en co-production avec l’Opéra de Montpellier, ce fut la création de l’opéra de Philip Venables Denis et Katya.

(De droite à gauche : Philip Venables, Ted Huffmann, Jakub Jozef Orlinski et JPR)

2022 Hamlet d’Ambroise Thomas

En 2022, un seul opéra, mais pas le moindre, pour illustrer la thématique « so British » de cette édition : Hamlet d’Ambroise Thomas, mais pas dans la version baryton, la plus jouée, dans celle où le rôle-titre est chanté par un ténor. Et quel ténor en ce 15 juillet 2022 avec John Osborn !

Prochain « épisode » : les chanteurs, chanteuses, en concert ou en récital !

Les Ex écrivent

Peut-être plus que des romans, j’aime lire essais, mémoires, témoignages de ceux qui pensent, analysent ou, mieux encore, ont été ou sont encore dans l’action publique.

Surtout quand ce sont des personnalités dont je ne partage pas les tendances, a fortiori l’idéologie.

J’ai été gâté ces dernières semaines avec trois ouvrages de très inégal intérêt.

Commençons par celui qu’un vieil et stupide a priori m’eût normalement empêché de lire, le définitivement « droit dans ses bottes » Alain Juppé.

C’est d’abord – et de loin – le mieux écrit des trois livres en question (de beaux restes du normalien qu’il fut !) et c’est surtout le plus intéressant pour comprendre les quarante dernières années de la politique française. A quelques paragraphes près – où l’on sent un peu trop les contributions extérieures – c’est du Juppé dans le texte, moins « techno » que l’image qu’il a donnée tout au long de sa carrière active, plus personnel, et d’une hauteur de vues qui est devenue rare, très rare, dans le paysage politique français. Je n’ai jamais voté pour Juppé ni pour Chirac, même si j’ai pu avoir de l’estime, voire de l’amitié pour tel ou tel de leurs ministres ou successeurs (je pense à Jean-Pierre Raffarin). Mais cette « histoire française » vaut vraiment d’être lue.

Ensuite Edouard Philippe, ex-Premier ministre lui aussi, dont il se murmure qu’il a 2027 en ligne de mire. Lui aussi sait écrire, mais les chantournements dont il use et abuse dans l’expression de sa pensée finissent par lasser et par noyer son message. Les premiers chapitres de son dernier-né, dont tout le monde aura perçu l’aimable contrepèterie du titre – qu’on peut aussi lire comme « Des dieux qui lisent » ! mélangent de longs, trop longs souvenirs personnels et familiaux (parents enseignants), et, comme s’il y avait rapport de cause à effet, de longs développements sur la nécessité de réformer l’école et le système d’enseignement français.

Je préférais de loin l’auteur de romans faussement policiers, ou les confessions sur ses goûts de lecteur écrits en duo avec son complice Gilles Boyer. Mais ce nouvel ouvrage doit s’inscrire dans la stratégie de communication pré-présidentielle de l’homme politique préféré des électeurs de droite…

Je n’avais jamais lu Nicolas Sarkozy, mais j’ai pensé que les souvenirs d’un ancien président de la République, portant sur la deuxième partie de son unique quinquennat, pouvaient avoir de l’intérêt.

C’est amusant, ici je n’ai aucune hésitation quant au véritable auteur du livre. C’est tellement mal écrit, gauche (!), autosatisfait, que c’est vraiment N.S. qui l’a écrit. Il écrit comme il parle, et là où quelques pages serrées pourraient utilement nous éclairer sur les décisions qu’il a dû prendre, les rencontres à haut niveau qu’il a vécues ou organisées, on a droit, systématiquement, à des confidences, délayées jusqu’au ridicule, sur ses sentiments, ses impressions, ses sensations. Et il s’étonne tout du long d’être la cible favorite des médias, de ses adversaires comme de ses amis politiques, et bientôt d’une écrasante majorité de Français… Le contraste avec Juppé est sidérant : là où l’ancien Premier ministre lâche parfois une flèche non pas sur les personnes mais sur les idées ou les comportements de ceux qu’il côtoie ou affronte, Sarkozy n’est que fiel et vinaigre. Personne n’y échappe…

Au moment de clore ce billet, j’entame la lecture du Journal d’Agnès Buzyn.

J’ai toujours eu du respect, et même de l’admiration pour Agnès Buzyn. La manière dont elle a été traitée pendant et après la crise du COVID m’a toujours scandalisé. Et encore maintenant qu’elle fait le tour des plateaux télé pour la promotion de son livre, j’entends et je lis des choses ahurissantes, y compris de la part de journalistes qui n’ont pas lu le bouquin.

Elle le dit elle-même, il s’agit d’un journal qui comprend toutes les pièces, tous les documents, déjà versés à la Cour de justice de la République, mais aussi et surtout non pas d’une auto-justification, encore moins d’une revanche, mais d’un récit passionnant, palpitant même, de ce qui s’est passé au sommet de l’Etat au début de la pandémie. Mais c’est aussi le récit de tous les autres sujets – la réforme des retraites, tiens déjà ! – les déserts médicaux, la crise hospitalière, la loi sur la bioéthique, la fin de vie – que devait gérer simultanément la ministre de la Santé. C’est souvent cash – comme l’était celle qui fut la belle-mère d’Agnès Buzyn, Simone Veil – c’est parfois touchant lorsque le grand médecin qu’elle est toujours restée dans l’âme s’oppose au politique qu’elle est devenue.

Personnellement, ce livre m’a vraiment aidé à mieux comprendre les enjeux de notre système de santé, la crise qui secoue tout le secteur médical et hospitalier. Il révélera à ses lecteurs la complexité de l’action politique, à l’heure des réseaux sociaux, et, comme les mémoires d’Alain Juppé, les vertus de la modération et de la réflexion.

La mer qu’on voit danser

#FestivalRF22 #SoBritish

Je l’évoquais avant-hier (A Sea Symphony) ce mois de juillet s’annonce très British du côté de Montpellier.

L’une des oeuvres que l’on y a programmées m’est très chère depuis des lustres, depuis que j’ai découvert la mythique version au disque des Sea Pictures d’Edward Elgar, ce cycle de cinq mélodies écrites pour contralto et orchestre et créées en 1899 : Janet Baker et John Barbirolli (le grand chef est né la même année que les Sea Pictures !)

C’est pour sortir de cette idée idiote, de ce cliché, selon lesquels la musique anglaise ne serait l’apanage que des Anglais que nous avons proposé à l’une des plus belles et chaudes voix françaises du moment, Marianne Crebassa, de chanter ces Sea Pictures le 21 juillet prochain à Montpellier. Elle-même nous avouait ne pas connaître ce cycle mais n’a pas hésité une seconde, une fois lue et entendue cette partition, à répondre à notre invitation.

Il est vrai que dans la discographie de l’oeuvre, les chanteuses anglophones se taillent la part du lion: Yvonne Minton, Alice Coote, Della Jones, etc…

C’est encore un chef anglais – Paul Daniel – mais avec un orchestre français – Bordeaux – qui a signé avec une chanteuse canadienne – Marie-Nicole Lemieux – l’une des plus récentes et belles versions discographiques :

Mais j’ai aussi dans ma discothèque dans un gros coffret consacré à Evgueni Svetlanov, une version très surprenante de ces Marines (c’est le titre français validé par Elgar lui-même !), chantée… en russe par Larissa Avdieyeva !

Une idée pour Warner (qui édite Marianne Crebassa) : un « live » des Sea Pictures ? Puisque le concert du 21 juillet est bien entendu capté et diffusé par France Musique

Teresa et Narcisse

Berganza l’unique

La disparition, à l’âge respectable de 89 ans, de Teresa Berganza, a suscité un légitime flot de louanges. La presse spécialisée rappelle les grands rôles qui ont marqué sa carrière sur scène et au disque. Pour ma part, j’ai un seul souvenir d’elle au concert. C’était l’été, au début des années 90, un concert au Victoria Hall, avec l’Orchestre de la Suisse romande dirigé par le regretté Jesus Lopez-Cobos. J’ai le souvenir d’un programme original – y avais-je contribué ? ma mémoire est floue. En première partie la symphonie n°60 « Il Distratto » de Haydn, en seconde partie des airs de zarzuelas chantés par… Teresa Berganza.

Teresa Berganza n’avait plus chanté depuis longtemps à Genève. A la sortie du concert, les terrasses autour du Victoria Hall étaient pleines. Lorsque nous passâmes devant pour aller dîner avec le chef et la chanteuse, nombre de gens se levèrent et l’applaudirent. Elle en fut bouleversée, pensant que les gens l’avaient oubliée…

Narcisse en son miroir

Il y a exactement huit ans Mathieu Gallet, qui avait pris ses fonctions de PDG de Radio France le 12 mai 2014, me nommait directeur de la musique de Radio France avant de m’en écarter un an plus tard parmi une quinzaine de hauts cadres de la Maison ronde qui devaient, semble-t-il, payer la longue grève du printemps 2015.

C’est dire si j’étais impatient de lire ce qui était annoncé comme un recueil de souvenirs de l’ex-PDG limogé par le CSA en janvier 2018, un an avant le terme normal de son mandat.

Les années passées par Mathieu Gallet à la tête de Radio France, de 2014 à 2018, semblent avoir été écrites pour un scénario de série. Coups tordus, trahisons : tous les ingrédients d’une intrigue qui s’est jouée dans le monde impitoyable des médias et de la politique se trouvent ici réunis. À quoi s’est ajoutée, pour pimenter le tout, la rumeur tenace d’une liaison cachée entre le futur chef de l’État, Emmanuel Macron, et le président du premier groupe radiophonique de France. Après s’être imposé une longue période de silence, Mathieu Gallet évoque pour la première fois publiquement cette histoire retentissante dans laquelle divers protagonistes ont essayé de l’impliquer en l’instrumentalisant à ses dépens. 
Des ors de la République jusqu’aux bancs du palais de Justice en passant par la Maison de la radio, ce livre retrace le parcours d’un jeune provincial qui réussit son ascension dans la société parisienne en accédant à de hautes fonctions dans le domaine de l’audiovisuel, avant de payer le prix d’un succès qui a heurté les intérêts de certains et dérangé les calculs des autres. 
Mathieu Gallet rappelle son action à la tête de Radio France, marquée par un profond mouvement de transformation qui, après des débuts chahutés, a permis à l’entreprise de se mettre en ordre de marche pour se trouver aujourd’hui dans la situa tion enviable de leader. À l’heure où les médias publics sont mis en cause et fragilisés, il dessine des perspectives pour que ce bien commun soit préservé et renforcé. 
Cette période de sa vie a correspondu au temps d’une relation amoureuse, étrangère à celle que la rumeur lui prê tait. Elle aura beaucoup compté dans la prise de conscience de ce qu’il doit à ses origines sociales et à sa vie personnelle : la capacité de tout affronter dans un univers où règne trop souvent la violence des jeux de pouvoir.
(Présentation de l’éditeur)

En ce qui concerne le domaine dont j’étais chargé, l’ex-PDG de Radio France se met à son avantage et révèle à tout le moins une naïveté, d’autres diront candeur (Lire : Ma part de vérité).

« Forcément autocentrées, pleines de détails intimes dont l’auteur aurait pu se passer, ces Illusions perdues à la première personne décrivent avec un certain cran un petit monde politico-médiatique, dont le jeune provincial fut un temps un des rois éblouis pour en devenir, selon lui, une victime expiatoire » (Le Point, 12 mai 2022)

Dans un livre de 324 pages qui aurait pu aisément tenir en cent, si l’auteur avait évité de très longues et inutiles digressions sur sa famille, ses parents, ses grands-mères, et nous avait épargné les voyages et week-ends en amoureux qui rythment son récit, on en apprend finalement peu sur la réalité et le contenu des missions dont Mathieu Gallet avait été chargé à la tête de l’INA et bien sûr de Radio France. En revanche, l’auteur s’y entend en name dropping, et les people avec qui il dînait ou festoyait ne seront peut-être pas très heureux de retrouver tant de détails personnels.

Et bien sûr le livre tourne et retourne autour de la fameuse « rumeur » de sa liaison supposée avec le futur (et l’actuel) président de la République. Tout a été dit depuis 2017 sur le sujet, le seul reproche que MG puisse se faire c’est d’avoir alors traité le sujet avec la désinvolture qui fait une partie de son charme.

Le livre a un mérite : celui de prouver qu’un provincial, peu diplômé, qui n’est passé par aucune grande école ni la fonction publique, peut accéder à des postes importants – les quatre années qu’il a passées à la tête de Radio France peuvent vraiment être mises à son crédit -, de prouver aussi que, faute d’appartenir aux grands corps, aux réseaux puissants qui tiennent les lieux de pouvoir, on peut se retrouver du jour au lendemain déchu de tout.

Rencontres : le Peul et la Pologne

Les Rencontres de Pétrarque, c’est le rendez-vous annuel de France Culture à Montpellier, dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier, c’était le début hier dans la cour Soulages du Rectorat.

En dépit du report en octobre du sommet Afrique France, initialement programmé le week-end prochain, les Rencontres ont maintenu leur thème : « Sommes-nous dépassés par l’Afrique ? ». La foule était au rendez-vous de la première soirée

Deux invités, deux artistes sénégalais, le plasticien Mansour Ciss Kanakassy et le poète Souleymane Diamanka.

Je ne connaissais ni l’un ni l’autre (devrais-je m’en excuser ?) et ce n’est pas faire injure au plasticien que d’avouer que la révélation, la « rencontre » de ce débat a été, pour moi, Souleymane Diamanka.

Parce que sa langue est magnifique, somptueuse, son jeu sur et avec les mots, un double héritage fièrement et humblement revendiqué, la langue peule et le français.

Double hommage

J’ai chroniqué pour Forumopera la récente publication de l’opéra Halka du grand compositeur polonais Stanislas Moniuszko, contemporain de Verdi et Wagner. Lire La Fiancée perdue

Je ne pensais pas, ce faisant, devoir rendre un double hommage, au chef Gabriel Chmura disparu quelques mois après la captation « live » dans les murs de l’opéra de Poznan dont il était le directeur artistique (lire Deux disparitions) et à la lumineuse Mélanie Defize (voir Un an après) victime des attentats terroristes de Bruxelles du 22 mars 2016, qui avait écrit pour Forumopera un texte aussi érudit que passionnant sur le personnage de Halka et l’oeuvre de Moniuszko.

Les raretés du confinement (XIV) : Funérailles, Baudelaire, la culture à Bordeaux, Dudamel, Mozart etc.

9 avril : Baudelaire a 200 ans

Evoquer le bicentenaire de la naissance de Baudelaire, c’est immédiatement songer à tous ces musiciens d’hier et d’aujourd’hui que le poète des Fleurs du Mal a inspirés et continue d’inspirer – Lire : Baudelaire en musique – Je diffusais hier L’invitation au voyage version Diepenbrock. Aujourd’hui la sublime version de Duparc, dans l’interprétation bouleversante du très grand José Van Dam

10 avril : quand Bordeaux voit vert

Tout a commencé par un tweet du ténor bordelais Stanislas de Barbeyrac « sans voix » devant une campagne d’affichage. J’ai retwitté son message en interpellant le maire écologiste de Bordeaux, la ministre de la Culture puis tous les médias se sont emparés de l’affaire : Une campagne de communication de la Ville de Bordeaux fait scandale

11 avril : la Reine de la nuit

Une version un peu négligée de la Flûte enchantée de Mozart, la première qui ait figuré dans ma discothèque (Sawallisch 1973), et l’une des plus formidables Reine de la Nuit de toute la discographie de l’oeuvre, Edda Moser

12 avril : Offenbach et Scherchen

Un peu de légèreté ne nuit pas en ces temps pesants. Le grand Hermann Scherchen (1891-1966) ne dédaignait pas ces musiques qu’on dit « légères ». Son ouverture de La Grande Duchesse de Gérolstein d’Offenbach fait frétiller les musiciens de l’Opéra de Vienne (et nous avec !)

13 avril : la création du Messie

L’oratorio le plus célèbre de Haendel, Le Messie, a été créé le 13 avril 1742 lors d’un gala de charité au Temple Bar de Dublin.

« Why do the nations so furiously rage together? » c’est une question toujours actuelle et c’est l’un des airs les plus virtuoses du Messie. Ici c’est le baryton-basse britannique John Shirley-Quirk (1931-2014) qui l’a gravé à quatre reprises qui l’interprète sous la direction de Raymond Leppard (1927-2019)

14 avril : la grande dame n’est pas celle qu’on croit

L’ex-candidate (il y a 14 ans !) à l’élection présidentielle ne se résout pas à prendre, à 68 ans, une retraite qu’elle prône pour tous les travailleurs à 60 ans. Voici Ségolène Royal candidate à devenir sénatrice des Français de l’étranger !! et elle parle de crédibilité de la classe politique ? (Je me sens très proche des Français de l’étranger)

Une vraie grande dame, elle, c’est Maria Tipo :

J’ai eu la chance de connaître (un peu) la grande pianiste italienne Maria Tipo (90 ans cette année !), de siéger avec elle dans le jury du Concours de Genève il y a plus de trente ans. Elle a gravé plusieurs concertos de Mozart avec Armin Jordan et l’Ensemble Orchestral de Paris pour EMI. Disques devenus introuvables. Warner Classics & Erato devrait les rééditer.

15 avril : Notre Dame deux ans après

Deux ans après l’incendie de Notre Dame (lire Les héros de Notre Dame) qui mieux que Bach, qui mieux que Wilhelm Kempff pour consoler et redonner l’espérance ? L’évidence.

J.S.Bach : Choral BWV 639 « Ich ruf zu Dir, Herr Jesu Christ »

16 avril : Dudamel à Paris

C’était un secret de polichinelle depuis des semaines: la nomination de Gustavo Dudamel à la direction musicale de l’Opéra de Paris a été officiellement annoncée ce vendredi.

Pour saluer la nomination de Gustavo Dudamel à la direction musicale de l’ Opéra national de Paris, cet extrait d’une oeuvre rare – La Noche de Los Mayas – du compositeur mexicain Silvestre Revueltas (1899-1940). Une oeuvre qui sera donnée le 18 juillet au Festival Radio France Occitanie Montpellier par l’ Orchestre Philharmonique de Radio France (dir. Santtu-Matias Rouvali).

Silvestre Revueltas : La Noche de Los Mayas, scherzo

Orchestre Simon Bolivar du Vénézuela

dir. Gustavo Dudamel

17 avril : simplicité royale

Ma mère (un an de moins que la reine d’Angleterre !) samedi au téléphone : « Tu vas regarder les obsèques du prince Philip ? C’est un peu ton pays, puisque tu as été conçu à Londres, et qu’à trois mois près tu aurais pu y naître « .

J’ai suivi en partie son conseil, et comme beaucoup de téléspectateurs, j’ai été frappé par la simplicité d’une cérémonie certes contrainte par la crise sanitaire, la pure beauté des musiques choisies pour ces funérailles et de leurs interprètes.

18 avril : Peter Maag

Je signalais le 16 avril – vingt ans après sa mort – l’hommage rendu au chef suisse Peter Maag (1919-2001) : lire Peter le Suisse/

En dehors de ce coffret, la discographie de ce chef qui n’aimait rien tant que sa liberté est éparpillée en de multiples labels, et rarement disponible, sauf sur certains sites de téléchargement.

Ainsi ce 23ème concerto de Mozart – dont le sublime adagio parcourt tout le film L’Incompris de Luigi Comencini (1967) – joué ici par le bien oublié pianiste autrichien Walter Klien (1928-1991).

Mozart : Concerto pour piano n°23, adagio

Walter Klien, piano

Orchestre du Volksoper Wiendir. Peter Maag (Vox 1963)

Troisième tour

Le 5 mars dernier, à la fin d’un long article – Élections municipales : hier et aujourd’hui – j’écrivais : « Que donneront les élections du 15 et du 22 mars prochains ? Je suis évidemment de très près les campagnes dans quelques villes où j’ai des attaches, Thonon-les-Bains bien sûr, Paris évidemment, Montpellier, et quelques autres encore…Bien malin qui pourrait faire un pronostic dans les trois villes que j’ai citées… et dans bien d’autres. L’éclatement de l’offre politique, le nombre de listes en concurrence, la perte des repères traditionnels – cause et conséquence des élections présidentielle et législative de 2017 – rendent les résultats plus qu’incertains. Les sondages ? cela fait des années qu’ils sont régulièrement démentis ou corrigés par les élections. Le suspense est entier… »

On a désormais la réponse, à l’issue d’un second tour qui n’a pas eu lieu le 22 mars, mais le 28 juin dernier !

J’aurais pu ajouter une quatrième ville, celle de mon enfance, de mon adolescence, celle aussi où je fus pour la première fois candidat sur une liste municipale en 1977, Poitiers

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Usure

Le taux d’abstention, depuis plus de dix ans, à des élections traditionnellement très suivies – présidentielles et municipales – est évidemment l’élément essentiel du dernier scrutin. Et, contrairement à la majorité des commentateurs, je ne pense pas que la crise sanitaire en soit la principale raison. La démocratie représentative a plus que du plomb dans l’aile: en témoigne éloquemment le mouvement des « Gilets jaunes » qui a établi, dans l’opinion, qu’une minorité agissante, voire violente, pouvait penser dicter sa loi à la majorité par essence silencieuse.

Mais les électeurs ont voté, et comme en 1977, ils ont « dégagé » des équipes depuis trop longtemps au pouvoir. Inutile de reprendre la liste : Bordeaux, Lyon, Marseille…

À Poitiers, la ville était PS depuis 1977, Jacques Santrot d’abord, Alain Claeyes ensuite. Rien de répréhensible dans ce long règne socialiste. De l’usure, de la lassitude, de l’envie de voir d’autres visages, politiquement proches, mais différents.

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Pour citer les trois autres villes où j’ai des attaches, c’est au contraire la constance dans la fidélité à des valeurs, à des idéaux, qui a été « récompensée » par les électeurs.

À Paris, une ville où une majorité d’habitants n’a pas de voiture, Anne Hidalgo a eu beau jeu de mettre en oeuvre, systématiquement, méthodiquement – obstinément lui reprocheront beaucoup – une politique délibérément hostile à l’automobile, favorable au vélo et autres « mobilités douces » pour reprendre l’abscons verbiage à la mode. Mais qui oserait revenir à la voie Georges Pompidou livrée à la circulation automobile ? Anne Hidalgo a fait ce qu’elle a dit, et les électeurs l’ont reconnu.

À Thonon-les-Bainsla constance d’un candidat de droite modérée a fini par payer. Après des essais infructueux en 2008 et 2014, l’avocat Christophe Arminjon a fini par triompher de l’immobilisme immobilier qui avait caractérisé son prédécesseur, élu à chaque fois à une très courte majorité depuis 1995.

À Montpellier, où l’on a localement l’habitude de dire que rien ne se passe comme ailleurs, la démonstration a été faite, au contraire, qu’il y a des invariants en politique.

Bref rappel historique : en 1977, le socialiste Georges Frêche, éminent professeur d’université, fait basculer à gauche une belle assoupie dans le giron de la droite depuis 1959. Georges Frêche meurt subitement en 2010. L’équipe qu’il avait formée et qu’il tenait d’une main de fer se disloque, et en 2014, les élections municipales voient s’affronter les amis d’hier. Philippe Saurel se présente en dissident, au milieu du quinquennat Hollande marqué par les frondes internes au PS, Philippe Saurel ex-adjoint de Georges Frêche, puis d’Hélène Mandroux qui a succédé à Frêche. Saurel profite de cette posture « dégagiste » et se fait élire maire, puis président de la Métropole de Montpellier (contrairement à ses engagements de campagne).

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(Juillet 2015: de g.à d.R.Koering, J.P.R., Jean-Noël Jeanneney, Damien Alary, Mathieu Gallet et Philippe Saurel)

Nommé en juillet 2014 directeur du Festival Radio France Occitanie Montpellier, c’est avec Philippe Saurel que j’aurai à faire dès ma prise de fonction. Etrange personnage, à qui me liera une connivence qui surmontera les divergences, les à-coups que sa pratique solitaire et versatile du pouvoir ne manquera pas de susciter au fil des ans. Comme si, ayant pris goût à la part d’absolutisme que confère le mandat de maire et surtout de président d’une métropole qui regroupe 31 communes, il s’était rêvé en lider maximo, oscillant entre Podemos en Espagne, Macron en France – il reniera sa proximité avec les « marcheurs » présidentiels dès que l’étoile du président commencera à pâlir -, s’acharnant contre ses anciens amis du PS, au point parfois d’aboutir à des situations absurdes, simplement pour s’opposer à la Région présidée par la PS Carole Delga, ou au département de l’Hérault présidé par le PS Kléber Mesquida.

Le 28 juin, Philippe Saurel a été sévèrement distancé (13 points d’écart) par son ancien collègue de la municipalité Mandroux, alors adjoint à la Culture, Michaël Delafosse. 

Le battu l’a reconnu, sans base politique, sans soutiens structurés, l’aventurier qu’il était, et qui avait forcé le destin en 2014, n’avait aucune réserve électorale, alors même que sa gestion de la crise sanitaire avait été plutôt appréciée.

Le nouveau maire de Montpellier – 43 ans – a le mérite de n’avoir jamais varié de ligne politique, même quand l’étiquette PS était au plus creux de la vague. Il a construit une majorité de projet, logique, avec les écologistes. Il a émis deux ou trois idées-force. Sa constance a payé. Il a donné le sentiment aux électeurs qu’il tiendrait ses engagements. Qu’on pouvait lui faire crédit de ses engagements en faveur de la culture, de la justice sociale, d’une gouvernance respectueuse de la démocratie.

Si l’on voulait extrapoler la situation de Montpellier, de Paris, de Lyon et d’autres, on pourrait conseiller au président de la République de prendre garde à ce qu’enseignent ces élections municipales : débâcle d’un parti qui n’a d’autre légitimité et de raison d’être que le soutien à l’épopée victorieuse d’un candidat qui, défiant (presque) toutes les lois de la politique, s’est fait élire en 2017 à la fonction suprême, débâcle d’un parti qui n’a aucune ramification avec le pays profond, d’un parti qui n’a jamais su (ou voulu ?) valoriser ses candidats, ses élus. Qui connaît aujourd’hui plus de deux ou trois ministres de l’actuel gouvernement ? Qui pourrait citer les futures élites du parti présidentiel ?

Emmanuel Macron l’a emporté en 2017 en prenant tout le monde par surprise. En 2022, il risque fort de lui manquer ce qui a toujours constitué le socle électoral des présidents de la Vème République, une base populaire, ancrée dans les territoires.

De Compiègne à Bordeaux : Raretés lyriques

On est habitué aux raretés au Festival Radio France Occitanie Montpellier, c’est même la marque de fabrique de la manifestation qui fêtera son 35ème anniversaire (et sa 36ème édition !) du 10 au 30 juillet prochains (cf. Fervaal de D’Indy le 24 juillet 2019)

C’est nettement moins souvent le cas – euphémisme ! – dans la programmation des saisons d’opéra. Pourtant, entre dimanche dernier et hier soir, j’ai été gâté : une création à Compiègne, une première française (?) à Bordeaux.

Connesson à Compiègne

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« Vivre d’amour et d’eau fraîche, c’est une chose. Ç’en est une autre de mourir d’amour et d’eaux thermales… Né de la rencontre du romancier Olivier Bleys et du compositeur Guillaume Connesson, cet opéra-comique contemporain mêle les joies de la répartie, les plaisirs d’une enquête policière, le souffle du thriller, et les vertiges de l’amour au-delà de la mort. Une œuvre moderne à l’ancienne, menée avec finesse, humour, et parfumée de quelques gouttes de fantasmagorie. »

C’est en ces termes que l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet annonce les représentations des Bains Macabres de Guillaume Connesson qui, à partir de ce vendredi, prennent le relais de celles qui ont été données au théâtre impérial de Compiègne le week-end passé.

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Evidemment, on était intrigué par ce que ce diable de Guillaume Connesson (lire Les nouveaux modernes) tout juste quinquagénaire, à l’éternelle allure de gendre idéal, allait nous réserver dans un genre qu’il aborde pour la première fois.

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On se dit d’emblée, dans ce théâtre de Compiègne qui sonne si idéalement bien, qu’il n’y aura pas tromperie sur la qualité de la musique. Les ombres de Poulenc, Fauré, Messager, ces couleurs, alliages instrumentaux et transparences qui ne sont qu’à la musique française, Connesson en fait son miel, et délivre une partition qui tient en haleine tout au long d’une action – un livret du Québecois Laurent Siaud – qui eût gagné à plus de concision, de folie et de rebondissements. On n’est pas loin de partager l’avis de Benoît Fauchet qui assistait à cette création pour Diapason (lire : Guillaume Connesson plonge dans les eaux anciennes de l’opéra-comique.)

Belle distribution, les excellents musiciens de l’orchestre Les Frivolités parisiennesdirection au cordeau d’Arie van Beek.

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Le Démon à Bordeaux

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Pour une rareté, c’en est une que celle qu’affiche le Grand Théâtre de Bordeaux jusqu’au 9 février : Le Démon, opéra en trois actes d’Anton Rubinsteincomposé en 1871 et créé en janvier 1875 au théâtre Marinski de Saint-Pétersbourg, à partir du poème éponyme de Lermontov

Survolant le Caucase, le Démon tombe amoureux de Tamara, une jeune Géorgienne qui attend le retour de son fiancé. L’esprit du mal fait tomber ce dernier dans une embuscade, où il perd la vie. Le Pervers poursuit ensuite la jeune fille, qui court s’enfermer dans un monastère. Le Démon parvient à la convaincre qu’il renoncera au mal pour elle. Tamara meurt lorsque le Démon l’embrasse. Un ange enlève la jeune fille à ce moment. Le Démon continue à rôder, « seul et sans espoir« , dans l’univers.

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Pour la première hier soir (et la deuxième représentation demain), le titulaire du rôle-titre, le baryton-basse français Nicolas Cavallier s’était fait porter pâle – une mauvaise angine – C’est un tout jeune chanteur russe, Alexei Isaiev, qui l’a remplacé au pied levé, et avec quelle grâce, quelle musicalité !

206A71F4-4777-4531-BF21-42CE947471F8Avec dans la voix des couleurs qui rappelaient celles du regretté Dmitri Hvorostovsky – disparu il y a deux ans, vaincu par le cancer – qui chantait ici dans une version de concert ce Démon qu’il incarnait à la perfection.

La mise en scène de ce Démon bordelais est due au directeur du théâtre Helikon de Moscou, Dmitri Bertman. On s’attendait à vrai dire à autre chose que cette vision très datée, très sixties.

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C’est sur le plateau et dans la fosse qu’il faut chercher le succès de cette première : surprise de retrouver en Tamara la formidable Evgenia Muraveva qu’on avait tellement aimée dans La Ville morte de Korngold à Toulouse en décembre 2018. A l’exception du prince Dougal à la voix ingrate et fruste du ténor Alexei Dolgov, tout le reste de la distribution est à louer. De même que les choeurs qui ont fort à faire dans cette partition foisonnante.

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Il fallait un chef de l’envergure de Paul Daniel, le toujours inspiré directeur musical de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, pour traduire le foisonnement d’une musique puissamment romantique, sans verser dans Wagner, manier un orchestre mis à rude contribution par le compositeur, tant les changements de décor sonore, d’atmosphère, sont fréquents. Bien sûr on entend souvent Tchaikovski (dont Anton Rubinstein a été le professeur !) et, comme chez tous les Russes, un substrat populaire (certes moins évident que chez Borodine ou Rimski-Korsakov) qui transparaît dans les pages chorales.

On se réjouit de pouvoir écouter bientôt l’ouvrage sur France Musique et on ne peut que recommander à ceux qui le peuvent de se rendre au Grand Théâtre de Bordeaux !

IMG_8841(Domingo Hindoyan, JPR, Paul Daniel)

A l’issue de la représentation, le bonheur de retrouver un autre chef ami, présent à Bordeaux ce jeudi soir pour diriger un programme Schubert/Strauss avec l’ONBA, Domingo Hindoyanqui sera le 17 juillet à Montpellier, pour diriger son épouse, Sonya Yoncheva, dans Fedora de Giordano, dans le cadre du Festival Radio France 2020 (#FestivalRF20)