Les raretés de l’été (VII) : Zinman chez les Suisses

Je ne pourrai pas cette année non plus souhaiter une joyeuse Fête nationale à ma mère, mais je peux le faire à cette grande famille éparpillée de cousins, cousins et autres descendants de la branche maternelle des Zemp, et en particulier à mon cousin Joseph, auteur prolifique d’un blog passionnant (dernier article paru sur Arthur Honegger !)

En ce 1er août, honneur donc à la Suisse et à l’un de ses orchestres – je n’ai pas écrit « le meilleur » parce que la discussion s’envenime toujours lorsque, à Genève, Bâle, ou Zurich, il s’agit de s’attribuer le titre ! – Mais l’orchestre de la Tonhalle – qui, comme celui d’Amsterdam, porte le nom de la salle de concert où il se produit – compte dans le paysage musical européen : je lui avais d’ailleurs consacré tout un article (Tonhalle) à l’occasion de son 150e anniversaire en 2018.

Pour peu que vous soyez un peu collectionneur, de disques, de livres, de DVD, vous savez ce que c’est : vous achetez un coffret, vous l’écoutez en tout ou partie, et vous le posez dans votre bibliothèque, le destinant parfois à un repos éternel. C’est un peu ce qui m’est arrivé avec le bien mal intitulé coffret qui regroupe tous les enregistrements réalisés pour les labels américains RCA / Arte Nova / Sony par le chef américain David Zinman avec la Tonhalle dont il fut le directeur musical, vingt ans durant, de 1995 à 2014.

Pourquoi avais-je délaissé ce coffret ? et du coup, perdu de vue l’originalité, la qualité, l’intelligence de la démarche interprétative de ce chef dans un répertoire où la concurrence est vive : des intégrales des symphonies de Beethoven, Brahms, Schubert, Schumann et Mahler et un admirable bouquet de poèmes symphoniques de Richard Strauss.

Quand on célèbre – ou pas – son successeur (Paavo Järvi) dans les mêmes répertoires, quand on rappelle les mérites de feu Roger Norrington dans son intégrale Beethoven, on doit absolument se replonger dans ce legs prodigieux, où on a le sentiment que Zinman réinvente ce qu’il dirige, subtilement, sans grands effets de manche : l’articulation, l’impulsion, le phrasé, et un travail sur les rythmes internes à un mouvement.

Trois exemples éloquents :

La toute première phrase de la 8e symphonie de Beethoven est vraiment un « allegro vivace con brio », qui donne furieusement envie de poursuivre l’écoute.

La comparaison avec un autre chef que j’admire, Karl Böhm, est, comment dire, bien peu convaincante.

Même choc à l’écoute de la si rabâchée symphonie « inachevée » de Schubert. David Zinman n’en fait pas, comme tant de ses confrères, un monument brucknérien. Le 2e mouvement est une pure poésie, et surtout écoutez bien ce que font le hautbois et la clarinette, leurs ornements subtils qui ôtent à ce mouvement la dimension tragique qu’on y entend trop souvent :

Pour être tout à fait honnête, j’avais laissé de côté les symphonies de Mahler – une intégrale – de David Zinman. Quelle erreur ! En commençant par la 9e, j’ai vraiment très envie de découvrir tout le corpus, parce que j’ai l’impression qu’en suivant à la lettre les indications du compositeur – très précises et nombreuses dans ses partitions – Zinman en restitue parfaitement l’esprit.

Et puisque mon cousin évoque aujourd’hui Arthur Honegger, compositeur aussi français que suisse (et inversement !), je signale ce très beau disque… de David Zinman et la Tonhalle.

L’une des premières oeuvres que j’ai programmées à Liège était la Pastorale d’été. C’était en juin 2001, j’avais invité Stéphane Denève et Sophie Karthäuser, l’une et l’autre à l’orée d’une carrière formidable, dans un programme qui comprenait outre la Pastorale d’été, les Nuits d’été de Berlioz, la suite de Pelléas et Melisande de Fauré et la 2e suite de Bacchus et Ariane de Roussel !

Je vais évoquer la figure de Bob Wilson, disparu hier, sur mes brèves de blog

La naissance de Fauré

Gabriel Fauré est né le 12 mai 1845, il y a donc 180 ans, à Pamiers (Ariège).

La statue de Gabriel Fauré, due au sculpteur Sébastien Langloÿs, inaugurée il y a six mois à Pamiers

On a beaucoup parlé de Fauré, l’an dernier (voir Le vrai Fauré), parce que c’était le centenaire de sa mort. La vie culturelle, musicale, les sorties de disques, les expositions, tout est désormais rythmé par les anniversaires (lire Du bon usage des anniversaires).

Aujourd’hui personne ne parlera de Fauré, le jour de sa naissance, puisqu’on semble avoir épuisé le sujet pour le centenaire de sa mort. Et, à vrai dire, on s’en fiche…

Je veux juste en profiter pour ressortir de ma discothèque quelques raretés, oeuvres ou interprètes.

Nathalie et Catherine

L’un des plus beaux disques de mélodies de Fauré rassemblant Nathalie Stutzmann (60 ans depuis quelques jours !) et la très regrettée Catherine Collard

Le bouquet de mélodies gravées par Victoria de Los Angeles m’émeut toujours

C’est par Yves Montand qu’adolescent j’ai découvert Les Berceaux de Fauré !

J’avais déjà écrit ici mon admiration pour le pianiste américain Grant Johannesen (1921-2005) et son interprétation de la Ballade pour piano et orchestre

J’ai consacré pas mal d’articles à l’oeuvre pour piano de Fauré.

Juste cette pépite, cet Impromptu n°2 capté au festival de Montreux en 1988. Quatre ans plus tard pour les 90 ans d’Hugues Cuénod, Nikita Magaloff qui devait disparaître quelques temps après, en donna une version inoubliable, d’une beauté crépusculaire.

Masques et bergamasques est une pièce tardive de Fauré, elle résiste aux baguettes qui n’en saisissent pas l’esprit, mais évidemment pas à Armin Jordan, qui l’a enregistrée avec l’Orchestre de chambre de Lausanne. Merci à l’OSR et à la télévision suisse de nous restituer cette vision de concert

Pénélope oubliée

On ne peut pas dire que l’unique opéra de Fauré, Pénélope, créé en 1913 à Monte Carlo, encombre les programmes d’opéra ni les discothèques.

C’est dire si la version de Charles Dutoit, avec son fabuleux cast, est précieuse.

Fauré à Bâle

Il faut saluer le travail que fait le chef britannique Ivor Bolton sur la musique française depuis qu’il préside aux destinées de l’Orchestre symphonique de Bâle (Basler Sinfonie-Orchester), avec notamment ce très beau disque :

Et toujours les échos de mon week-end à Athènes et autres impressions : brèves de blog

18 mai : Arming, François, Bâle

Le centenaire de Samson

Je l’avais anticipé le 17 mars dernier – Rédécouvrir Samson – c’est aujourd’hui le centenaire de la naissance du pianiste Samson François. On ne manquera pas le nouveau Portrait de famille que Philippe Cassard lui consacre aujourd’hui sur France Musique

Il y a dix ans (II) : halte à Bâle

Comme je le rappelais dans le premier épisode de la série Il y a dix ans, l’Orchestre philharmonique royal de Liège entreprenait au printemps 2014 une nouvelle tournée en Suisse et en Autriche, qui avait commencé à Bâle le 18 mai.

A propos de cette belle ville frontalière de la France et de l’Allemagne, je ne peux m’empêcher de raconter à nouveau une anecdote vécue sur l’antenne de France Musique, il y a heureusement bien longtemps. Un présentateur devait annoncer puis désannoncer un disque enregistré par Armin Jordan dirigeant l’orchestre symphonique de la ville suisse. En anglais comme en allemand, Bâle se dit Basel. Et la dénomination allemande de l’orchestre est : Basler Sinfonie-Orchester. Ce qui donna sur France Musique : « Armin Jordan(e) dirige l’orchestre Basler » ! Rien de grave franchement, juste amusant.

Donc, le 18 mai 2014, l’OPRL était à Bâle, et j’en avais profité pour dresser le portrait d’une personnalité exceptionnelle liée à l’industrie pharmaceutique qui a fait la fortune de la cité suisse, Paul Sacher. Lire Le mécène musicien.

On pourrait suggérer à Warner de rééditer le legs discographique passionnant de ce monument du XXe siècle :

La fidélité à un chef

Il y a cinq ans, j’avais assisté à Liège au dernier concert de Christian Arming en sa qualité de directeur musical de l’OPRL (lire Fidélité). C’est lui qui très logiquement dirigeait la tournée de l’orchestre au printemps 2014, j’en reparlerai dans quelques jours à propos de l’étape viennoise.

C’est encore Christian Arming que j’accueillerais plusieurs fois à Montpellier (voir Ils ont fait Montpellier : Top chefs), notamment en 2018 avec les Liégeois et en ouverture de programme le chef-d’oeuvre du compositeur Guillaume Lekeu (1870-1894)

César Franck #200

C’est aujourd’hui le bicentenaire de la naissance, le 10 décembre 1822 à Liège, de César Auguste Franck.

En dehors de sa ville natale, et de quelques concerts parisiens, on ne peut pas dire que cet anniversaire ait bénéficié de grandes célébrations. Pas très vendeur sans doute le père Franck.

Après le point fait sur la discographie – lire Ave César -, mes choix purement subjectifs, et quelques pépites bien cachées ou oubliées.

Symphonie

L’unique symphonie, en ré mineur, de César Franck, achevée en 1888 et créée le 17 février 1889, bénéficie d’une discographie pléthorique. J’ai déjà ici souvent exprimé mes préférences, corroborées par la critique.

Je ne peux évidemment pas revoir, sans une profonde émotion, ces deux vidéos pourtant si différentes : l’Orchestre national de France exalté par le geste conquérant de Leonard Bernstein, l’Orchestre de la Suisse romande et Armin Jordan si authentiques.

J’ai fait le compte, j’en ai 43 versions dans ma discothèque (en CD) sans compter les téléchargées. Dont les trois enregistrées par Carlo-Maria Giulini, à Londres, à Berlin et à Vienne. On admire immensément ce chef, mais sa lecture hiératique, chargée d’intentions, statufie un peu plus le père Franck !

La sonate pour violon

Définitivement le duo Christian Ferras – Pierre Barbizet dans leurs deux versions EMI (1958) et DG (1965)

Psyché avec ou sans choeur

Déjà écrit (Ave Cesar), pour ceux qui voudraient sortir de la Symphonie, la trop justement méconnue symphonie qui ne dit pas son nom, le « poème symphonique avec choeur » Psyché.

Malheureusement pas grand chose à tirer ni à entendre de la toute récente et bien banale version des Liégeois dirigés par leur actuel chef, mais tout à redécouvrir grâce à la réédition d’un enregistrement de 1976 avec le même orchestre de Liège et son chef de l’époque, l’Américain Paul Strauss, pour la version complète avec choeur :

Et pour la version sans choeur, un enregistrement que j’écoutais hier dans un taxi – c’est rare un taxi branché sur France Musique ! – et qui m’enthousiasmait sans que je parvienne à le reconnaître. Lorsque j’entendis, à la fin de l’extrait, « désannoncer » Armin Jordan et l’orchestre symphonique de Bâle. (et pas, comme je l’entendis jadis sur cette même chaîne, l’orchestre Basler !!), je n’en fus pas surpris. Comme dans la symphonie, Armin Jordan est un chef qui a tout saisi du caractère de la musique de Franck, né au carrefour des cultures germanique et latine.

Le chasseur maudit

Sans doute l’oeuvre la plus « romantique » de César Franck, un poème symphonique d’une quinzaine de minutes où rodent les ombres de Berlioz, de Weber et du premier Wagner.

Michel Plasson et « son » Capitole de Toulouse en donnent une vision frémissante :

Piano et orchestre

Franck a écrit plusieurs pièces pour piano et orchestre, un concerto notamment (on les retrouve dans le coffret anniversaire OPRL/Fuga Libera. Seules restent jouées les Variations symphoniques – en réalité un concerto bref en trois parties – et Les Djinns.

J’ai longtemps été rebuté par le début empesé, lourd, de beaucoup de versions des Variations symphoniques, malgré l’excellence des pianistes et des chefs. Et à chaque fois je reviens à mon tout premier disque, inégalé, inégalable : Artur Rubinstein en 1957 et un chef Alfred Wallenstein qui ne se croit pas obligé d’embrumer Franck.

Pour le reste, je renvoie à l’esquisse de discographie déjà dressée dans Ave Cesar.

Petit cadeau pour cet anniversaire, une version vraiment inattendue de l’une des mélodies (genre qu’il a peu cultivé) de Franck, son Nocturne :

L’île berlinoise

C’est devenu une tradition. Entre mon anniversaire, le 26, et la Saint-Sylvestre, je m’échappe vers une ville où je peux faire le plein de musique et de musées, l’an dernier Leipzig et Dresde, que je ne connaissais pas, cette année Berlin où je suis venu si souvent en coup de vent pour un concert ou un congrès professionnel.

Première visite à la Alte Nationalgallerie, où j’ai enfin vu le tableau qui manquait à ma galerie de l’Île des morts de Böcklin. Il y a longtemps, à Bâle, en 2012 à New York, en 2013 à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg – avec cette énigme L’île mystérieuse,et l’an dernier à Leipzig en majesté dans ce fabuleux Museum der bildenden Künste

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Tableau toujours aussi fascinant…

Pour rappel, deux compositions également fascinantes, le poème symphonique éponyme de Rachmaninov, et la tétralogie symphonique de Reger, dans d’immenses versions :

815o92UdZLL._SL1500_Version/vision légendaire de Fritz Reiner captée en 1957 à Chicago, reprise dans la sélection de Diapason

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https://www.youtube.com/watch?v=V5-PeW66-W8

 

 

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Lecture éminemment inspirée de la fresque symboliste de Reger due au grand Schmidt-Isserstedt, à qui j’ai promis de consacrer bientôt un portrait…

En attendant de trier les photos prises à la Alte Nationalgallerie (toute une salle dédiée à Caspar David Friedrich !) ces quelques toiles ou sculptures liées à la musique :

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L’un des célèbres portraits de Wagner par Franz von Lenbach (1832-1904)

Buste de Wagner par Lorenz Gedon.

Quant à ce portrait de groupe, il vaut plus pour la qualité de ceux qui sont représentés que pour son intérêt artistique :

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De Joseph Danhauser (1805-1845), l’un des représentants de la période Biedermeierce tableau de 1840 montrant Liszt au clavier. Face au buste de Beethoven, sa compagne d’alors, la comtesse Marie d’Agoult à ses pieds, le virtuose est bien entouré : assis à gauche, Alexandre Dumas et George Sand. Au second plan, debout, de gauche à droite, le jeune Victor Hugo, Paganini et Rossini !

Mais puisqu’on est venu à Berlin pour la musique, première étape hier soir à la Komische Operpour un spectacle qui tenait tout à la fois du cabaret Chez Michou, de l’opérette viennoise, des Folies Bergère, Les Perles de Cléopâtre d’Oscar Straus (qui décida lui-même d’ôter un S à son nom, pour ne pas être confondu avec le reste de la dynastie Strauss, avec laquelle il n’avait pas lien de parenté).

On a bien ri, on s’est bien amusé, une partition bien troussée, même si elle n’approche ni Strauss (Johann) ni Lehar.

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Tchèque, Français ou Américain ?

Si l’on vous demande, à brûle-pourpoint, de citer des compositeurs tchèques, les noms de Dvořák*, Smetana, Janáček vous viendront immédiatement. En insistant, vous rajouterez Bohuslav Martinů.(1890-1959).

Un compositeur que je ne me rappelle pas avoir déjà évoqué – ou alors par allusion (Wiener Waltersur ce blog, alors que j’aime et pratique son oeuvre depuis longtemps. Je me rattraperai bientôt sur bestofclassic à propos de son oeuvre symphonique.

Je saisis l’occasion d’un double CD écouté ce week-end pour évoquer une personnalité dont la vie et l’oeuvre sont profondément marquées par les cahots de l’Histoire.

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Né à Polička dans l’actuelle République tchèque, Martinů a été naturalisé Américain, mais a vécu le plus longtemps, avant et après la Seconde Guerre mondiale… en France !

Peut-on dès lors l’assimiler à un compositeur tchèque ? Le débat sur la nationalité ou l’appartenance à une esthétique « nationale » n’a, en réalité, pas beaucoup d’intérêt ni de pertinence. Surtout dans le cas de MartinůQui a subi, s’est nourri de plusieurs influences, évidemment pendant ses années de formation à Prague, puis à Paris. Mais qui a composé l’essentiel de ses symphonies aux Etats-Unis.

Et pourtant, à l’instar d’un Poulenc, Martinů est immédiatement reconnaissable, sa musique ne ressemble à aucune autre, même si elle peut emprunter des traits, des tournures, des figures à celle de ses contemporains. Comme ce Double concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales

Un petit air de Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók ? Oui, certes, et les circonstances de la commande et de la création des deux oeuvres ne sont pas étrangères à ces apparentes proximités. Les deux sont, en effet, des commandes de Paul Sacher, le mécène musicien de Bâle, Bartók est créé le 21 janvier 1937, Martinů le 9 février 1940, par le commanditaire et son orchestre de chambre de Bâle.

Pour en revenir au double CD qui vient de paraître – pensée émue pour celui a sans doute encore participé à l’élaboration de ce très copieux album et qui avait fondé le label Praga Digitals, Pierre-Emile Barbier – c’est, par son programme, et le choix des interprètes, sans doute la meilleure introduction qui soit à l’univers singulier de MartinůUn authentique indispensable de toute discothèque !

Il manque encore un ouvrage de référence en français. Le cher Harry Halbreich qui a établi le catalogue raisonné des oeuvres de Martinů n’aura pas eu le temps de faire pour lui ce qu’il avait fait pour Honegger ou Messiaen.

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Seul est disponible (?) dans la collection Actes Sud l’essai que lui avait consacré Guy Erismann.

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Dans un prochain billet, j’évoquerai le lien de Martinů avec… Montpellier ! 

*Pour la prononciation deDvořák, lire Comment prononcer les noms de musiciens ?

Etat de grâce

Il aura fallu attendre le dixième anniversaire de sa mort, le 20 septembre 2006, pour qu’enfin un hommage discographique digne de ce nom, et surtout digne de sa personnalité, soit rendu à Armin Jordan

C’est dans la prestigieuse collection Icon de Warner que l’ami Jean-Charles Hoffelé a regroupé tout le legs symphonique français du grand chef suisse, publié jadis par Erato, 13 galettes généreusement remplies, avec plusieurs inédits en CD – notamment les références des deux chefs-d’oeuvre symphoniques de Guillaume Lekeu, cet  extraordinaire compositeur belge, prématurément disparu à 24 ans, son Adagio pour orchestre à cordes (qui préfigure la Nuit transfigurée de Schoenberg) et sa Fantaisie sur deux airs populaires angevins.

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J’ai souvent évoqué ici , et dans de précédentes éditions de ce blog, l’attachement presque filial qui me liait au chef suisse. Il était le patron de l’Orchestre de la Suisse Romande, lorsque, il y a exactement trente ans aujourd’hui, j’ai intégré la Radio suisse romande comme « producteur responsable de la musique symphonique » (ça ne s’invente pas un titre pareil), empruntant un nouveau  chemin professionnel – la radio, la musique – que je n’ai jamais regretté d’avoir choisi ! J’ai coutume de dire qu’Armin m’a tout appris d’un métier où l’expérience, la sensibilité, le sens des rapports humains, la perception des forces et des fragilités des artistes ne sont inscrits dans aucune règle. Puisque le 13ème CD de ce coffret nous restitue un enregistrement resté confidentiel de mélodies françaises avec Felicity Lott, ce souvenir de la première rencontre entre la cantatrice britannique et le chef suisse : Voisine.

Un autre souvenir lié à Disques en lice, l’émission de critique de disques créée fin 1987 par la chaîne culturelle (Espace 2) de la radio suisse, sous la houlette de François Hudry (Pierre Gorjat et moi formions avec lui le trio infernal de l’émission !). Lorsque, au printemps 1988, paraît l’enregistrement de la Symphonie de Franck réalisé par Armin Jordan à la tête de « son » OSR, François Hudry invite le chef à participer à l’émission. Pari risqué, même si l’écoute se fait à l’aveugle. Mais Armin est un bon client et joue le jeu (dommage que l’émission n’ait pas été filmée : ce qui s’est dit et montré hors micro valait le détour, comme toujours avec lui !). Six versions en lice, dont un « live » mythique de Furtwängler avec le Philharmonique de Vienne qui commence en catastrophe (Jordan est scandalisé « mais c’est pas possible » !), et parmi elles, les deux versions de l’Orchestre de la Suisse romande, celle d’Ansermet en 1961 et la sienne. Sans nous forcer (ni nous influencer) les uns les autres, nous reconnaissons immédiatement le son de l’OSR, même à 25 ans d’écart.

Ce coffret, à petit prix, est évidemment un indispensable de toute discothèque. Pour retrouver l’état de grâce dans lequel public et musiciens étaient placés chaque fois qu’Armin Jordan dirigeait cette musique française qu’il aimait tant. On espère maintenant la réédition de tout le reste, notamment le répertoire germanique, et les opéras !

https://www.youtube.com/watch?v=JT2szIB9A0k

Détail des 13 CD du coffret Icon : Armin Jordan, l’hommage

 

Histoires belges

D’abord il y avait un devoir d’amitié, une présence depuis longtemps promise à l’ami P. qui prenait possession de ses nouvelles pénates. Et puis à d’autres aussi, parmi celles et ceux avec qui on a partagé toutes ces années liégeoises. Mais jusqu’au bout rien n’était sûr, on a donc un peu débarqué par surprise en Cité ardente, extrêmement animée en ce premier samedi d’octobre, conjonction de l’ouverture de la traditionnelle Foire d’octobre et des Coteaux de la Citadelle. Une horreur, un pic de pollution et d’embouteillages dont on s’est vite extirpé !

Une brève visite à la FNAC, qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut, hors le personnel et sa gentillesse légendaire – « je suis heureuse de vous revoir, ça fait longtemps que je ne vous vois plus » (une caissière, pardon une hôtesse de caisse !), dont je ne suis pas ressorti les mains vides.

D’abord un excellent livre, mal intitulé de mon point de vue, dû à un jeune et talentueux journaliste, François Brabant, l’un des meilleurs que j’aie croisés durant mes années belges. C’est très documenté, vif, alerte comme un thriller, et plus que le petit bout de la lorgnette d’une histoire locale – c’est pour cela que je n’aime pas le titre ! – c’est toute une époque de la vie politique belge qui est évoquée avec à la fois un sens de la vaste perspective et la précision du détail historique. Passionnant, et – plutôt rare – ni combattant, ni complaisant.

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Puis des disques à prix bradé, qui n’ont rien de belge ni de liégeois, mais que je n’avais pas trouvés ailleurs.

J’ai une pleine collection de concertos de Bach (Jean-Sébastien) au piano moderne, une hérésie pour certains, mais voilà mes oreilles ont toujours mieux supporté le Steinway au ferraillement du clavecin dans un répertoire où l’instrument compte moins que la musique elle-même. Et j’ai découvert que de  jeunes artistes ont appliqué le même traitement aux fils de Bach, avec un résultat surprenant et captivant, puisqu’au piano ludique, bondissant (on est aux antipodes du tricotage de Monsieur Gould) du sino-néerlandais See Siang Wong répond un orchestre de chambre de Bâle  baroque, rauque, acéré – trop parfois – mené à la cravache par le violon de Yuki Kazai, une ancienne élève de Raphael Oleg au Conservatoire de cette ville suisse, pionnière en matière d’interprétation « historiquement informée » (August Wenzinger, la Schola cantorum basiliensis) . Je jubilais sur la route du retour.

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Une belle découverte, et dans mon panier, une redécouverte, un grand monsieur du piano français, Vlado Perlemuter, dont ma discothèque est étrangement peu pourvue. Grâce à Alain Lompech qui avait construit une collection « Le Monde du piano », sans doute disponible en kiosque, mais que je n’avais pas remarquée à sa sortie française, et qui était justement proposée soldée à la FNAC de Liège, j’ai retrouvé les Ravel justement mythiques, enregistrés, pas très bien, au mitan des années 50, avec Jasha Horenstein au pupitre des concerts Colonne pour les concertos, et trois sonates miraculeuses de Mozart.

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J’ai bien sûr profité, outre de la joie des retrouvailles, de paysages, d’une campagne – le pays d’Herve, l’Ardenne bleue -, l’ancienne route de Liège à Aix-la-Chapelle, que l’autoroute toute proche et plus rapide m’avait jusqu’alors masquées.

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Réapprovisionnement en thés de toutes sortes dans un petit magasin familial de Maastricht qui vaut tous les Mariage Frères et autres Palais des thés, un authentique torréfacteur de surcroît, une adresse incontournable : Blanche Dael, Wolfstraat 28 (en plein coeur piétonnier de la ville)

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Sir Christopher

La sanglante actualité de ces dernières heures a complètement éclipsé la disparition d’un grand musicien, Christopher Hogwood, qui venait de fêter son 73ème anniversaire (http://fr.wikipedia.org/wiki/Christopher_Hogwood).

De la génération des William Christie ou John Eliot Gardiner, celle d’après Harnoncourt ou Norrington, Christopher Hogwood est très représentatif de cette génération de musiciens britanniques, qui ont considérablement enrichi notre connaissance de la musique ancienne et classique, puis se sont tournés sans complexe vers les répertoires plus contemporains, sans jamais renier leurs premières amours. Christopher Hogwood avait régulièrement dirigé l’Orchestre philharmonique de Radio France.

Il reste heureusement une abondante discographie, qui n’a pas toujours été considérée par la critique à sa juste valeur. J’avoue avoir découvert assez récemment ses symphonies de Haydn, Mozart et Beethoven, flamboyantes, magnifiquement enregistrées avec l’Academy of Ancient Music qu’il avait fondée en 1973. Mais aussi des Haendel et des Vivaldi tout aussi passionnants. Et plus récemment des programmes originaux avec l’Orchestre de chambre de Bâle.

https://www.youtube.com/watch?v=C4UYUp8gHEU

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Le mécène musicien

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Première étape de la tournée de l’OPRL le 18 mai dernier, Bâle est la ville natale d’un personnage considérable, né en 1906, mort il y a quinze ans jour pour jour, en 1999 : Paul Sacher. 

Le nom ne dit peut-être plus grand chose aux jeunes générations (http://www.universalis.fr/encyclopedie/paul-sacher/) . Si l’on commence à énumérer la liste des 300 oeuvres qu’il a commandées à la presque totalité des grands compositeurs du XXème siècle, on prend conscience de l’importance, du rôle décisif de ce musicien, devenu riche par son mariage en 1934 avec Maja Stehlin, l’héritière de la firme pharmaceutique Hoffmann-La Roche. Bartok, Martinu, Honegger, Boulez, Rihm, Tippett, Moret, Frank Martin, Dutilleux, et tant d’autres vont bénéficier non seulement de ses commandes, mais aussi d’un soutien artistique, amical très précieux.

Pour lui rendre hommage, Mstislav Rostropovitch, qui a lui aussi bénéficié des largesses de Paul Sacher, incite, en 1976, douze compositeurs à écrire des pièces pour violoncelle sur le nom de SACHER. Cela donne un joli bouquet :

Compositeur Œuvre
Alberto Ginastera Puneña n° 2, op. 45
Wolfgang Fortner Zum Spielen für den 70. Geburtstag : Thema und Variationen für Violoncello Solo
Hans Werner Henze Capriccio
Conrad Beck Für Paul Sacher : Drei Epigramme für Violoncello solo
Henri Dutilleux Trois Strophes sur le nom de Sacher
Witold Lutosławski Sacher-Variationen
Luciano Berio Les Mots sont allés
Cristobal Halffter Variationen über das Thema eSACHERe
Benjamin Britten Tema « Sacher »
Klaus Huber Transpositio ad infinitum, für ein virtuoses Solocello
Heinz Holliger Chaconne, für Violoncello Solo
Pierre Boulez Messagesquisse, pour 7 violoncelles

J’ai eu la chance de voir et d’entendre quelquefois Paul Sacher. Personnage imposant à tous les sens du terme. Premier souvenir, pendant le festival de Lucerne en 1974, il dirigeait un concert sérénade (à la tête du Collegium musicum de Zurich) dans les jardins du Monument au Lion (Löwendenkmal). Je me le rappelle d’autant mieux que j’ai découvert ce soir-là la Posthorn-Serenade de Mozart.

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Aujourd’hui la Fondation Paul Sacher, à Bâle, est une source inépuisable de documentation et d’information pour tous les apprentis musicologues, musiciens et compositeurs.

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J’imagine qu’on en a déjà eu l’idée, mais cela vaudrait le coup de se pencher sur les rapports particuliers de la pharmacie et de la musique. Sacher donc, mais aussi Poulenc (Rhône-Poulenc), Beecham (les célèbres pilules… laxatives Beecham !), et aujourd’hui, à Venise, le Palazzetto Bru-Zane / Centre de musique romantique française, branche de la Fondation Bru (http://www.fondation-bru.org/docteurs-bru/une-reussite-exemplaire.php).

ImageImage(L’hôtel de ville de Bâle)