Conspiratif

Normal, l’arrestation du « terroriste le plus recherché d’Europe » (ne chercher ni la nuance ni l’exactitude !), le dénommé Salah Abdeslam, a fait la une de tous les journaux télévisés de ce vendredi soir. Sur France 2, j’ai appris que Molenbeek (écrite Molenbeck !) qualifiée par Marie Drucker de « repère de djihadistes » (toujours le sens de la nuance et de l’exactitude), abritait, selon un expert auto-proclamé du terrorisme, des « appartements conspiratifs« .

Entendant cet adjectif, je me dis que j’avais loupé ou une séance du dictionnaire de l’Académie française ou une circulaire du ministère de l’Education nationale. En fait j’avais manqué cet article d’Emmanuelle Cossé dans La Croix du 3 février dernier :

Le 18 novembre dernier, au soir de l’assaut contre les terroristes retranchés dans un appartement à Saint-Denis, le procureur de la République a épaté le pays. Au cours de sa conférence de presse, cet homme éminent a parlé de l’« appartement conspiratif » de la rue Corbillon. La formule me turlupine. Qu’on me pardonne de relever ce détail des moments dramatiques qu’a vécus et que vit le pays. C’est que le fait n’est pas anodin. Car nous assistons depuis un moment à une épidémie d’adjectifs ainsi incongrus.

Pourquoi s’étonner ? on parle bien d’espace collaboratif, de table ou d’étape gourmande. Puisqu’on a oublié depuis longtemps ce que veut dire : adjectif qualificatif, un adjectif qui qualifie le nom auquel il est accolé. On voit bien que ce n’est pas l’appartement qui conspire, l’espace qui collabore, ou la table du restaurant qui manifeste sa gourmandise…

Mais il faut croire que l’actualité qui menacerait d’être répétitive impose l’invention lexicale, le néologisme qui fait mouche. Remettant du même coup au goût du jour des mots anciens, comme conspiration, qui avaient disparu du vocabulaire courant, au profit de complot ou d’entreprise (terroriste).

Réjouissons-nous que l’organisateur présumé des monstrueux attentats de Paris et Saint-Denis soit désormais sous les verrous. Manifestons une nouvelle fois notre compassion à l’égard des victimes, les morts et les survivants, blessés à vie dans leur chair et leur coeur. Et n’oublions pas qu’au moment même où Abdeslam était transféré de l’hôpital au parquet de Bruxelles, une attaque-suicide se produisait dans la principale rue commerçante d’Istanbul. Quelques jours après les attentats de Côte d’Ivoire et d’Ankara…

le-bataclan-le-29-novembre-2015_5473862

La mort et la tristesse

Il n’est presque pas de jour, depuis le début de cette année, sans l’annonce d’une mort célèbre. Au point que, sur les réseaux sociaux, des groupes se forment pour conjurer le mauvais sort qui semble s’acharner sur notre pauvre humanité meurtrie.

On ne parle pas ici des meurtres de masse à Istamboul, Ouagadougou, Djakarta, en Syrie. Après les attentats de Paris, on est comme insensibilisé, anesthésié par la monstrueuse routine de la terreur.

On est ici dans le registre people. Entre le mari de Céline Dion, l’auteur du Roi des Aulnes, Michel Tournier, Ettore Scola, la grande faucheuse ratisse large…

AVT_Michel-Tournier_795

Les nombreuses réactions que j’ai lues après mon billet (La dictature de l’émotion) qui ne concernaient qu’incidemment David Bowie, m’ont interpellé : pour d’aucuns, je passais pour un sans coeur, incapable de comprendre et de partager l’émotion, sans aucun doute sincère, profonde, de ceux que la disparition de la star affectait.

4850150_6_fb55_le-cineaste-italien-ettore-scola-sur-un_d0ca4574efc5d0b7c48a32fc246a99c5(Ettore Scola)

Mais en quoi une mort doit-elle nécessairement être triste (ah la formule convenue : « apprend avec tristesse la disparition de… ») ? en quoi et pourquoi devrait-elle nous attrister, nous affecter ?

La perte d’un proche, la mort d’un père, d’une mère, d’un enfant,  d’un être aimé, la tragique réalité de sa disparition de notre existence, de l’obligation qui nous est faite de continuer à vivre sans lui, en son absence, c’est une tristesse infinie, beaucoup plus, une douleur, un chagrin inépuisables. Que vos amis, vos relations, ceux qui vous sont connectés sur les réseaux sociaux, partagent votre peine, vous réconfortent, vous soutiennent, peut sinon atténuer votre douleur, du moins alléger le poids de cette mort. J’aime ce mot  de condoléances qui en rejoint un autre, tout aussi fort, la compassion.

Mais lorsqu’il s’agit de la disparition d’une célébrité de la politique, de la littérature, de la chanson, de la musique, de la scène, il n’y a pas de séparation, d’absence. Notre vie ne s’en trouve pas bouleversée. D’autant moins que, pour tous les récents disparus, en dehors de David Bowie qui a livré une sorte de testament avec son dernier disque, ils n’étaient plus dans la plénitude de leur activité et ils n’ont pas cessé et ne cesseront de vivre à travers leur oeuvre, leur production, leurs enregistrements.

J’en reviens à cette sorte de dictature de l’émotion, en l’occurrence de la tristesse, à ces expressions toutes faites et galvaudées, à ces R.I.P. ridicules accolés à la va-vite à la photo du disparu.

Oui j’ai bien lu aussi ce que certains écrivent, quand le chanteur des Eagles disparaît, quand David Bowie meurt, quand Michel Delpech succombe à un cancer, c’est une « part de nous-même », « toute notre jeunesse », « toute une époque » qui disparaissent. Autrement dit on pleurerait sur notre propre sort… Absurde ! Qui nous empêche de réécouter en boucle Hotel California, Blackstar, de voir et revoir les grands films de Scola, sans parler des disques de Pierre Boulez chef et/ou compositeur ? C’est bien le propre des artistes, des créateurs, que d’être immortels ! Leur mort physique n’a aucune raison de nous attrister puisqu’elle ne nous prive pas de leur présence sprirituelle, morale ou artistique…

Rendre hommage, oui, faire redécouvrir l’oeuvre, la carrière d’un créateur, d’un artiste, oui, et encore oui. Mais dans la gratitude et le bonheur. Pas dans les larmes formatées.

Quand j’ai eu mon Bach

12376225_1071021919609032_3438269246764538709_n

L’actualité a complètement occulté l’excellent dossier que le numéro de janvier de Diapason consacre à un compositeur qui n’a jamais fait l’objet des foudres ni de Pierre Boulez ni de David Bowie, ni de quiconque avant eux d’ailleurs. Même si on n’aime ou ne comprend pas toute son oeuvre, Bach est le père, la référence, la source de notre musique. Incontesté. Incontestable.

Il faut donc lire Diapason, et les remarquables articles de Gilles Cantagrel, la discographie proposée par Gaëtan Naulleau et Paul de Louit, et le billet de Jacques Drillon qui recycle le débat, plutôt stérile de mon point de vue, sur : Bach, clavecin ou piano ?.

J’ai plusieurs fois pris parti, ici, pour le piano, sans doute parce que c’est en jouant moi-même du Bach sur mon piano – et pendant mes quelques années d’études au conservatoire – et en entendant Bach au piano sur mes premiers disques. Quoique non… je me rappelle un disque Musidisc avec des concertos pour clavier de Bach joués par le claveciniste Roggero Gerlin et le Collegium musicum de Paris dirigé par Roland Douatte.

 

417RqaKrZkL._SS500_

Mais le vrai premier choc, ce fut un disque d’Alfred Brendel, retrouvé bien sûr dans l’imposant coffret Philips (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2016/01/07/tout-brendel-8552178.html), les deux préludes de choral surtout « Nur komm’der Heiden Heiland » et « Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ ».

51oQA8FBCqL

Puis Le Clavier bien tempéré dans la version naguère parue sous étiquette Eurodisc et longtemps considérée comme une référence, puisque c’était celle du grand Sviatoslav Richter

71uMtQyKRuL._SL1094_

Depuis on y a regardé de plus près, et le bloc d’admiration s’est un peu fissuré, surtout lorsque beaucoup plus tard on a découvert la liberté, les libertés dont s’emparait le pianiste russe en concert. Et qu’on a retrouvées, magnifiées, dans le coffret du centenaire (attention édition limitée, la meilleure offre reste http://www.amazon.it)

71uxYWAdI3L._SL1500_61AwPZg8GZL._SL1150_.jpg

Dans les années 90, c’est à Tatiana Nikolaieva, en concert à Evian et à Genève, puis au disque, que je dois mes plus grands bonheurs chez un compositeur qu’elle chérissait entre tous (« la base », « la source », m’avait-elle répété, lorsque j’avais eu le bonheur de siéger à ses côtés dans un jury du Concours international de Genève).

71aBBjjwBRL._SL1022_

71GwDaYk5YL._SL1171_

Puis j’ai butiné du côté d’Evgueni Koroliov et Vladimir Feltsman et bien sûr Martha Argerich (sa 2e Partita est la plus jazzy de toute la discographie !)

51B8YizJUUL

61zGkBIH-dL

51UGjaeJrcL

Le dernier Kempff, à qui les doigts manquent parfois, pare son Bach d’une poésie ineffable.

71podlRHaTL._SL1109_

71rGTCyOGcL._SL1066_

Et puis, à Maastricht, en voisin, j’ai découvert un jour un magnifique artiste, Ivo Janssen, qui me semblait exprimer à la perfection (magnifique instrument, superbe prise de son de surctoît) le Bach que j’aime :

41h2TNa8BbL

Et puis, Bach est inépuisable, tout est possible, toutes les visions sont intéressantes, dès lors qu’elles disent l’humanité, la simple grandeur, d’un compositeur qu’on n’aura jamais fini de découvrir.

Ce DVD reflet de concerts suisse et parisien est sans doute plein d’imperfections, il a une qualité primordiale à mes yeux et à mes oreilles : il nous met d’excellente humeur, il raconte la vie.

71D6ZIuTzlL._SL1024_

Mauvais traitement

Tragique fait divers (et d’hiver) comme il en arrive souvent en montagne : deux lycéens d’un établissement de Lyon qui skiaient, hors piste, aux Deux-Alpes, ont été tués par une avalanche (http://www.ledauphine.com/isere-sud/2016/01/13/les-deux-alpes-une-avalanche-aurait-fait-un-blesse-grave-et-plusieurs-disparus).

Dans le même temps, une attaque terroriste faisait plusieurs morts à Djakarta (Indonésie), cela dit en passant.

Et malheureusement une nouvelle démonstration de ce que je dénonçais il y a trois jours : comment en est-on arrivé à traiter, dans les journaux télévisés de la matinée, une avalanche meurtrière de la même manière qu’un attentat ou un accident grave ?

On peut comprendre la peine des familles des lycéens emportés par la neige, même celle de leurs camarades. Mais ouvrir les journaux de 8 h et 9 h de France 2 avec cette info, multiplier les reportages pour témoigner de la « vive émotion » non seulement des proches concernés, mais de « toute une ville » – le maire de Lyon, lui-même, interviewé avec des sanglots dans la voix -, annoncer un numéro de « cellule de crise » – mais à quelle fin? puisque les familles concernées sont malheureusement déjà informées…

les-secours-sur-les-lieux-de-l-avalanche-vers-17-h-30-photo-sebastien-izzilo-le-dauphine-libere-1452706156

On marche sur la tête ! On croyait ce commerce de la tristesse et de l’émotion réservé à une certaine presse à sensation. On déplore une fois de plus que ce soit devenu la norme, même si, on le constate heureusement, au sein des rédactions, des journalistes résistent à cette uniformisation – je pense notamment à la revue de presse de Télématin. Ou à cet article de L’Expresshttp://www.lexpress.fr/culture/musique/tout-n-etait-pas-bon-dans-le-bowie_1752531.html.

Rien à voir avec ce qui précède, le rappel de l’événement du 14 janvier 2015 :

https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/01/15/philharmonie/

 

 

La dictature de l’émotion

Lire aussi : (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/01/20/la-mort-et-la-tristesse/)

Un ancien président de Radio France s’insurgeait courageusement, ce matin, sur Facebook, contre le traitement réservé par une chaîne de radio publique à la disparition de David Bowie (plus de la moitié de la séquence 8- 9 h) et la place disproportionnée que cet événement prenait dans les journaux au détriment d’autres informations plus importantes pour l’humanité, « instance parmi d’innombrables autres de l’invasion de l’actualité « réelle » par ce qu’on appelait à juste titre les « variétés »…Et pour être clair, je suis tout à fait d’accord à ce qu'(on) lui fasse à partir de 9h10 la place que mérite ce grand chanteur dans une émission précisément consacrée à la culture, et notamment aux variétés. Mais dans les « journaux », non, non et non! On informe et on passe à autre chose!« .

DAVID BOWIE AT THE CANNES FILM FESTIVAL - 1983
Mandatory Credit: Photo by Richard Young/REX (100574d) David Bowie DAVID BOWIE AT THE CANNES FILM FESTIVAL – 1983

Plus encore que cette absence de hiérarchie dans le traitement de l’information, il y a cette prééminence donnée au ressenti des auditeurs et téléspectateurs. Sitôt l’information donnée ce matin sur France 2, des reporters étaient dépêchés dans la rue pour « recueillir les premiers témoignages » des passants et leur « émotion« .

Il est vrai que depuis le début de cette année, on est servi en morts illustres et en commémorations d’événements tragiques : Delpech, Galabru, Boulez, Courrèges, maintenant Bowie, les attentats de janvier 2015  contre Charlie, l’hyper casher de la porte de Vincennes, la manifestation du 11 janvier…

Mais on en arrive à ne plus supporter des mots pourtant chargés de sens lorsqu’ils ne sont pas abusivement utilisés et usés par les médias. Pas un reportage qui ne commence par « l’émotion est à son comble« , « beaucoup d’émotion« etc… Et les caméras d’insister sur un visage en pleurs, sur les larmes d’un président. Et le/la présentateur/trice de prendre la mine de circonstance.

C’est la dictature de l’émotion, ajoutée à celle de l’hyperbole. Tout disparu devient immédiatement le plus grand, le plus mythique, le plus célèbre. Il est paré de toutes les vertus qu’on lui avait souvent déniées de son vivant, d’une importance et d’un rôle qui deviennent essentiels alors qu’ils pouvaient n’être que modestes ou simplement à leur juste place.

On est prié évidemment de ne pas jouer le trouble-fête, le grincheux de service.

Je n’ai pas cru devoir écrire ici d’hommage à Michel Delpech, pourtant j’aimais bien certaines de ses chansons, et je reconnais le courage qu’il a manifesté dans sa lutte contre une maladie qui terrasse chaque année des milliers d’anonymes.

Je n’ai rien écrit sur Michel Galabru, même si je l’avais aperçu à Liège il y a deux ou trois ans, et si son personnage de l’adjudant Gerber dans la série des Gendarmes m’a souvent fait rire.

 J’ai apporté mon très modeste témoignage sur Pierre Boulez (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/01/06/un-certain-pierre-boulez/mais laissé à d’autres, beaucoup plus compétents que moi, le soin d’écrire – très bien le plus souvent – sur un personnage qui a porté toutes les contradictions artistiques du XXème siècle.

Mais David Bowie ? Certes c’est une star, une idole, une icône. Dois-je avoir honte de dire ici que je n’ai jamais été fan, que sa musique m’est toujours passée un peu à côté ?

Mais pour Delpech, Boulez ou Bowie, l’important c’est ceci – merci Monsieur Trenet ! :

Longtemps, longtemps, longtemps 
Après que les poètes ont disparu 
Leurs chansons courent encore dans les rues 
Un jour, peut-être, bien après moi 
Un jour on chantera 
Cet air pour bercer un chagrin

Ou quelque heureux destin

Fera-t-il vivre un vieux mendiant 
Ou dormir un enfant…

Et pour les médias, cette recommandation : chercher dans un dictionnaire le sens des mots pudeur, réserve, compassion…

Le roi et le président

Suis-je définitivement déconnecté de la réalité ?  Si je revenais aujourd’hui d’un séjour d’un mois sur une île déserte, je trouverais à la une des journaux télévisés ou papier deux événements essentiels. La conférence mondiale sur le climat ? la lutte contre le terrorisme ? Non évidemment.

Il n’est question que du bond spectaculaire de popularité du président de la République française et du séjour balnéothérapeutique du roi des Belges. Pour être complet, juste après, l’affaire Benzema/Valbuena, et la percée du Front National aux élections régionales de dimanche (un détail sans doute)

424680293_B977217719Z.1_20151201232016_000_GJD5NLUSQ.1-0

Si j’ai bien lu, Philippe et Mathilde de Belgique sont accusés d’avoir séjourné en Bretagne, sous un nom d’emprunt (mais celui qui a volé la photo et l’a vendue, sans doute pour un bon prix, est resté anonyme !) alors que le gouvernement belge allait décider de hausser le niveau d’alerte au maximum, le lendemain de l’arrivée du couple royal…

Si j’ai bien lu aussi, le roi – qui n’a aucun pouvoir de gouvernement – est rentré à Bruxelles dès que sa sécurité a pu être assurée, et, scandale absolu, il s’est abstenu d’apparaître dans les médias, respectant en cela les prérogatives du gouvernement fédéral.

De toute façon le débat était piégé d’avance : s’il était intervenu, les mêmes commentateurs n’auraient pas manqué de dénoncer cette entorse aux règles institutionnelles du Royaume. Aurait-il dû annuler son séjour breton ? sur la base de quelles informations ? et dans quel but ?

4821823_7_37c4_francois-hollande-le-30-novembre-a-la-cop21_7b134ef372ae5ae872b868869d0767af

Quant à François Hollande, selon Le Monde, il « conquiert » désormais la moitié des Français : « Bond de popularité pour le président de la République. La cote de François Hollande a augmenté de 22 points en un mois pour atteindre 50 % d’opinions positives, son meilleur score depuis juillet 2012, selon le tableau de bord IFOP/Fiducial pour Paris Match et Sud Radio réalisé après les attentats du 13 novembre et publié mardi 1er décembre » . À la toute fin de l’article, en tout petit, on lit ceci : Enquête réalisée par téléphone du 27 au 28 novembre 2015, sur un échantillon de 983 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

J’ai tout de même entendu un journaliste dire qu’il n’était peut-être pas très « décent » de gloser sur les raisons de ce rebond.

Ah oui, il y a aussi ce curé de l’Ariège qui a piqué l’argent de ses paroissiens (on dirait un scénario pour Jean-Pierre Mocky) et un reportage sur place. Et puis l’attente impatiente des révélations que doit faire aujourd’hui le maître à penser du sport français, Karim Benzema…

Un mardi presque idéal en somme !

 

Hommage

Un sans-faute, très exactement ce qu’on attendait, ce qu’on espérait. Dignité, sobriété, simplicité. Toute la cérémonie d’hommage national aux victimes des attentats du 13 Novembre a été juste.

Mon ami Philippe Cassard n’était pas là pour accompagner Natalie Dessay, mais dans un avion en partance pour New York, il a écrit ceci à son arrivée, j’en partage chaque mot : http://piano.blogs.la-croix.com/liberte-de-la-musique/2015/11/28/

Je ne sais pas qui a organisé les aspects musicaux de la cérémonie, mais il/elle doit être félicité(e). On n’avait aucun doute sur la qualité des formations de la Garde républicaine – orchestre et choeurs – (admiration cependant pour des artistes confrontés à des températures problématiques pour leurs doigts et leurs instruments). Emotion particulière quand retentirent ces dernières strophes de La Marseillaise : « Amour sacré de la Patrie…. Liberté, liberté chérie »

Le Président de la République a dit ce qu’il fallait, un discours serré, essentiel, pour la Nation, pour l’Histoire. Pour la génération de mes fils.

Qu’elles étaient belles, qu’elles étaient fortes les voix mêlées de Camélia Jordana, Yaël Naïm et Nolwenn Leroy !

Quand on n’a que l’amour… pour unique raison, pour unique secours… (Jacques Brel)

Quant à Natalie Dessay, elle n’avait pas choisi par hasard Perlimpinpin. Après Brel, Barbara. Et Alexandre Tharaud au piano.

Et puis, des profondeurs de son violoncelle, dans l’immense silence de la Cour des Invalides, Edgar Moreau adressait la Sarabande de la 2e suite de Bach aux morts et aux vivants. (http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaques-du-13-novembre-a-paris/videos-l-hommage-national-aux-victimes-des-attentats-de-paris-en-six-moments-forts_1195001.html).

C’est à Vézelay que Rostropovitch, le dissident, le survivant de la dictature stalinienne, avait choisi à la fin de son parcours, d’enregistrer les Suites de Bach.

https://www.youtube.com/watch?v=fbIvO0EyTUs

Au plus noir de l’horreur, il s’est toujours trouvé des artistes, des musiciens, des poètes, des hommes debout pour clamer comme Eluard :

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Liberté, Paul Eluard (1942)

L’amour et la mort

Ce vendredi soir, je ne pourrai pas assister à un concert que j’ai (un peu) contribué à organiser: Karine Deshayes chante à Liège le Poème de l’amour et de la mer de Chausson. Sans doute l’oeuvre vocale qui occupe la première place dans mes souvenirs heureux.

Ce vendredi matin, je regarderai sans doute la cérémonie nationale d’hommage aux victimes des attentats du 13 novembre dernier.

Jamais le poème de Maurice Bouchor, sur lequel Ernest Chausson a posé une musique sublime, ne m’a paru plus correspondre avec notre état d’hébétude et d’espérance, d’infini chagrin et d’éternel amour.

La fleur des eaux

L’air est plein d’une odeur exquise de lilas,
Qui, fleurissant du haut des murs jusques en bas,
Embaument les cheveux des femmes.
La mer au grand soleil va toute s’embraser,
Et sur le sable fin qu’elles viennent baiser
Roulent d’éblouissantes lames.

O ciel qui de ses yeux dois porter la couleur,
Brise qui va chanter dans les lilas en fleur
Pour en sortir tout embaumée,
Ruisseaux, qui mouillerez sa robe,
O verts sentiers,
Vous qui tressaillerez sous ses chers petits pieds,
Faites-moi voir ma bien-aimée!

Et mon cœur s’est levé par ce matin d’été;
Car une belle enfant était sur le rivage,
Laissant errer sur moi des yeux pleins de clarté,
Et qui me souriait d’un air tendre et sauvage.

Toi que transfiguraient la Jeunesse et l’Amour,
Tu m’apparus alors comme l’âme des choses;
Mon cœur vola vers toi, tu le pris sans retour,
Et du ciel entr’ouvert pleuvaient sur nous des roses.

Quel son lamentable et sauvage
Va sonner l’heure de l’adieu!
La mer roule sur le rivage,
Moqueuse, et se souciant peu
Que ce soit l’heure de l’adieu.

Des oiseaux passent, l’aile ouverte,
Sur l’abîme presque joyeux;
Au grand soleil la mer est verte,
Et je saigne, silencieux,
En regardant briller les cieux.

Je saigne en regardant ma vie
Qui va s’éloigner sur les flots;
Mon âme unique m’est ravie
Et la sombre clameur des flots
Couvre le bruit de mes sanglots.

Qui sait si cette mer cruelle
La ramènera vers mon cœur?
Mes regards sont fixés sur elle;
La mer chante, et le vent moqueur
Raille l’angoisse de mon cœur.

La mort de l’amour

Bientôt l’île bleue et joyeuse
Parmi les rocs m’apparaîtra;
L’île sur l’eau silencieuse
Comme un nénuphar flottera.

À travers la mer d’améthyste
Doucement glisse le bateau,
Et je serai joyeux et triste
De tant me souvenir bientôt!

Le vent roulait les feuilles mortes;
Mes pensées
Roulaient comme des feuilles mortes,
Dans la nuit.

Jamais si doucement au ciel noir n’avaient lui
Les mille roses d’or d’où tombent les rosées!
Une danse effrayante, et les feuilles froissées,
Et qui rendaient un son métallique, valsaient,
Semblaient gémir sous les étoiles, et disaient
L’inexprimable horreur des amours trépassés.

Les grands hêtres d’argent que la lune baisait
Etaient des spectres: moi, tout mon sang se glaçait
En voyant mon aimée étrangement sourire.

Comme des fronts de morts nos fronts avaient pâli,
Et, muet, me penchant vers elle, je pus lire
Ce mot fatal écrit dans ses grands yeux: l’oubli.

Le temps des lilas et le temps des roses
Ne reviendra plus à ce printemps-ci;
Le temps des lilas et le temps des roses
Est passé, le temps des œillets aussi.

Le vent a changé, les cieux sont moroses,
Et nous n’irons plus courir, et cueillir
Les lilas en fleur et les belles roses;
Le printemps est triste et ne peut fleurir.

Oh! joyeux et doux printemps de l’année,
Qui vins, l’an passé, nous ensoleiller,
Notre fleur d’amour est si bien fanée,
Las! que ton baiser ne peut l’éveiller!

Et toi, que fais-tu? pas de fleurs écloses,
Point de gai soleil ni d’ombrages frais;
Le temps des lilas et le temps des roses
Avec notre amour est mort à jamais.

Armin Jordan a enregistré trois fois ce Poème, c’est avec ce Poème que Louis Langrée avait ouvert sa première saison à Liège, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 (souvenir de la présence lumineuse d’une étoile filante du chant, Alexia Cousin). Les Liégeois – et les auditeurs de Musiq3 – ont de la chance, quatorze ans après, d’y entendre Karine Deshayes. Au disque, en plus des versions Jordan (avec Jessye Norman, Françoise Pollet et Felicity Lott), il y a l’insurpassée vision d’Irma Kolassi et Louis de Froment (Accord)

5153HHKYJYL71sbc5zTZsL._SL1065_51pNq8bSHGL

91ssaBGunhL._SL1500_

Silence

« De tous ceux qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent » (Coluche, Pensées et anecdotes).

Jamais le côté « café du commerce » de la Toile, des réseaux sociaux, Facebook surtout, ne m’a paru plus insupportable que depuis dimanche. L’effet de sidération, de stupeur, qui nous avait tous saisis dès vendredi soir, s’étant estompé, les pires vannes se sont ouvertes. Pourtant je suis resté connecté sur ces réseaux, j’ai essayé de partager les questions, les analyses, les commentaires de beaucoup de mes amis et relations.

Comme tout le monde, j’essaie de comprendre, d’écouter ceux qui en savent plus que moi, je fais appel aussi aux ressources de ma conscience, de ma mémoire. Et finalement je préfère le silence, qui n’est pas l’indifférence, le repli sur soi. Qui peut être communion avec ceux qui ne sont plus, avec ceux qui restent et pleurent leurs morts, avec ceux qui veulent vivre.

J’ai eu besoin de beaucoup de musique. Comme celles-ci :

Schubert à retrouver dans le magnifique coffret que publie Decca pour les 70 ans de Radu Lupu (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2015/11/15/radu-lupu-au-singulier-8528752.html)

71QbK0oNtGL._SX425_

La 6eme symphonie n’est pas la plus connue ni jouée des symphonies de Bruckner, et pourtant j’y reviens souvent, à cet extraordinaire adagio d’une grandeur infinie.

81ofFEh0BjL._SX425_

https://www.youtube.com/watch?v=hjxpYRAkKSA

La voix, le timbre de la grande contralto canadienne Maureen Forrester (https://fr.wikipedia.org/wiki/Maureen_Forrester) me bouleversent à chaque écoute. Le label Praga vient de rééditer deux versions de référence, parues séparément au début des années 60, des cycles de Mahler, Des Knaben Wunderhorn et les Rückert Lieder.

513ZARLYKLL._SX425_

https://www.youtube.com/watch?v=SEXWM94xwI8

La pureté, la simplicité, l’essence de ce chant de douleur de Bach, sous les doigts de ma grand-mère préférée du piano russe, Tatiana Nikolaieva que j’ai eu la chance de côtoyer dans un jury à Genève et surtout d’entendre en concert. Je reviens souvent à ses Bach et ses Beethoven, gorgés d’humanité.

71GwDaYk5YL._SX425_

J’ai dû écouter ces derniers jours plusieurs versions de l’ultime chef-d’oeuvre de Rachmaninov, ses Danses symphoniques. Aucune n’atteint l’intensité du désespoir que Kirill Kondrachine exprime dans le 2e mouvement, cette valse de fin du monde, ces trompettes hurlantes qui ouvrent le bal tragique. Ecouter à partir de 11’10 » (mais les trois Danses sont de la même eau)

61dB3rf8WXL._SX425_.jpg