Élégances, inélégances

Les mots que j’ai choisis pour le titre de cet article paraissent bien désuets, dépassés. Et pourtant, je trouve qu’ils résument tant d’attitudes, de comportements actuels. Florilège.

Des amours de violonistes

Je ne sais plus comment ça a commencé sur Facebook, ce devait être pour célébrer le centenaire d’une violoniste française aujourd’hui bien oubliée, Michèle Auclair, née le 16 novembre 1924, morte le 8 juin 2005.

J’ai découvert les concertos de Mendelssohn et Tchaikovski par ses 33 tours parus dans la collection Philitps/Fontana

C’est l’ami Laurent Korcia, lui-même élève de Michèle Auclair au conservatoire de Paris, qui a lancé la chasse aux souvenirs.

De nouveau, les souvenirs affluent : j’ai raconté (L’or des Liégeois) l’aventure, il y a bientôt 15 ans, de l’enregistrement des concertos de Korngold et Tchaikovski à Liège, et le Diapason d’Or qui a salué cette parution. Fierté et reconnaissance.

A cette « discussion » facebookienne sur l’héritage de Michèle Auclair, s’est greffé un dialogue inattendu, surprenant, magnifique entre Laurent Korcia et Tedi Papavrami. Les réseaux sociaux passent pour être des déversoirs de haine, de jalousie, d’insultes, et même Facebook n’y échappe pas toujours, y compris quand on échange sur la musique. Ici c’est au contraire un assaut de compliments, de témoignages d’admiration et d’amitié, auquel les « amis » de l’un et l’autre violonistes ont pu assister. J’approuve au centuple, concernant Tedi P. qui est une aussi belle personne qu’il est un fabuleux musicien. Il a raconté qu’un enregistrement de concert du 2e concerto de Paganini avait été longtemps bloqué par YouTube pour une histoire de cadence présumée couverte par des droits d’auteur. Et Laurent Korcia, rejoint par bien d’autres amis de l’intéressé, de redire haut et fort son absolue admiration pour ce « live » exceptionnel.

Voilà pourquoi j’ai tant aimé mon métier d’organisateur de concerts, de diffuseur de beauté.

A propos de réseaux sociaux, j’en profite pour signaler que comme des millions d’autres, je quitte X (ex-Twitter) pour rejoindre Bluesky

Nomination

Je n’ai pas été le dernier à me réjouir de l’annonce de la nomination de Philippe Jordan (lire Le Suisse de Paris) à la tête de l’Orchestre national de France… à compter de septembre 2027.

Tristan Labouret pour Bachtrack et Remy Louis pour Diapason ont rendu compte élogieusement du concert que dirigeait Philippe Jordan jeudi soir (qu’on peut réécouter sur France Musique), auquel je n’ai pu assister pour cause de perturbations météorologiques !

Mais au chapitre des élégances, ou plutôt des inélégances, on peut regretter que l’emballement qu’a suscité cette nouvelle ait fait perdre à certains la notion de calendrier. Il reste encore près de trois ans à Cristian Măcelaru à exercer son mandat de directeur musical (se rappeler ici les manifestations d’enthousiasme notamment de la direction de Radio France et des musiciens à l’annonce de sa nomination !). A lire les communiqués, les interviews, nombreux depuis jeudi, on peut avoir le sentiment qu’il a purement et simplement disparu de la circulation… Pas très élégant !

J’invite à relire le papier que j’écrivais pour Bachtrack en septembre 2023, et le numéro de décembre de Diapason qui évoque la liste des « Diapasons d’Or » décernée le 16 novembre dernier :

De manière générale – j’en ai parfois été le sujet ou l’objet – on ne gagne jamais rien, et jamais devant l’Histoire, à dénigrer, amoindrir, dissimuler l’action, le travail, voire la personnalité de celui auquel on succède. Certes il y a les formules toutes faites par lesquelles on lui « rend hommage », mais elles ne grandissent ni le nouveau nommé, ni ceux qui l’ont nommé.

Dans le cas d’un orchestre, comme le National, on ne mesure qu’après coup ce qu’ont apporté, construit, des chefs, des directeurs musicaux, qu’on a tour à tour admirés puis détestés, voire oubliés. C’est aussi vrai d’une grande entreprise comme Radio France.

L’autre Gould

Je lui ai déjà consacré tout un article : Le dossier Gould. J’invite à le relire. De nouveau, c’est une discussion sur Facebook qui me conduit à en reparler. L’un rappelait les formidables enregistrements de Morton Gould avec le Chicago Symphony, l’autre citait, parmi eux, son disque Ives comme une référence – je n’ai pas dit le contraire dans mon dernier article : L’Amérique d’avant

Pour Jodie

Trouvé par hasard dans une FNAC. Un disque qui m’avait échappé. Une lumière, un souvenir, celui de Jodie Devos, si douloureusement disparue il y a presque six mois (Jodie dans les étoiles)

L’Amérique d’avant : Ives, Bolet, Stokowski

J’ai bien fait de faire un saut aux Etats-Unis il y a un an (New York toujours, Sur les rives de l’Ohio). Je ne suis pas près d’y retourner dans les quatre ans à venir…

Pour entretenir l’admiration que j’ai pour ce pays et sa culture, il y a heureusement la musique, et d’innombrables témoignages d’un glorieux passé, comme le prouvent trois superbes rééditions.

Charles Ives (1874-1955) le sesquicentenaire

Il n’y a pas eu beaucoup de précipitation chez les éditeurs pour célébrer le 150e anniversaire de la naissance du compositeur : « L’intérêt de Charles Ives pour le mélomane européen est qu’il n’entre dans aucune case, aucune catégorie pré-définie. Et s’il nous fallait simplement des oreilles neuves, débarrassées de références, de comparaisons, pour écouter une oeuvre disparate, audacieuse, singulière » (Ives l’Américain)

Sony vient de publier l’un des coffrets les plus intelligents et documentés qui soient, une « anthologie » d’albums enregistrés par et pour la Columbia entre 1945 et 1970. Avec une excellente présentation – en anglais – du compositeur, de ses oeuvres et de ses interprètes.

Pour un prix – pour une fois – très modique, c’est l’occasion ou jamais de pénétrer un univers surprenant, parfois déconcertant, toujours passionnant.

Ainsi son oeuvre chorale :

Charles Ives est encore admiré par les compositeurs d’aujourd’hui, comme ici Matthias Pintscher dirigeant l’Ensemble Intercontemporain dans ce qui reste l’une des oeuvres les plus jouées de l’Américain : Three Places in New England

Dans ce coffret, il y a du connu, les 4 symphonies – Bernstein, Ormandy, Stokowski pour la 4e – et les pièces d’orchestre connues (Central Park in the Dark, The unanswered question, les variations sur America), la musique de chambre peu nombreuse, le piano (les 2 sonates)

et surtout peut-être un extraordinaire bouquet de mélodies chantées par Evelyn Lear etThomas Stewart, excusez du peu !

De La Havane à la Californie

J’ai eu la chance de voir une fois en concert, à Genève, avec l’Orchestre de la Suisse romande, le pianiste cubain Jorge Bolet (1914-1990), né à La Havane, mort en Californie. En réalité, je le connais par le disque et quelques vidéos. Je lui ai toujours trouvé tant dans le port que dans son jeu une allure aristocratique, un faux air de colonel de l’armée des Indes.

Peut-être parce qu’ils avaient oublié le centenaire de sa naissance, les responsables de Decca sortent… pour ses 110 ans, une intégrale vraiment intégrale de ses enregistrements, déjà connus, souvent réédités (notamment un coffret Liszt). C’est un bonheur de retrouver cette noblesse, ce quelque chose qui nous paraît venu d’un temps oublié, où la chaleur du son, l’éloquence de la diction, imposaient une personnalité.

Peut-on mieux jouer ces pièces si célèbres qu’on ne les entend plus au concert….

Stokowski et l’Everest

Leopold Stokowski (1882-1977) est un sujet inépuisable de polémiques… et d’admiration. Encore récemment (Vive le live) j’évoquais la parution d’un coffret de prises de concert réalisées par la BBC avec le chef anglais (en dépit d’un patronyme qu’il tient d’un père aux ascendances polonaises, Stokowski n’a jamais été russe ni assimilé !). Et j’écrivais : On est à nouveau frappé par l’immensité du répertoire que Stokowski a abordé tout au long de sa carrière et jusqu’à un âge très avancé. Il a longtemps passé pour un chef excentrique, privilégiant le spectaculaire au respect de la partition. Stokowski vaut infiniment mieux que cette caricature. Stokowski a bénéficié d’un nombre impressionnant de rééditions, à la mesure d’une carrière et d’une discographie gigantesques.

J’ai dans ma discothèque bon nombre d’autres disques isolés, trouvés souvent par hasard lorsqu’il y avait encore, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, des disquaires spécialisés, et en France chez Gibert ou Melomania. Notamment pour des labels toujours tenus en très haute estime pour la qualité de ses prises de son.. Vanguard et Everest. Le label britannique Alto qui recycle nombre d’enregistrements, parfois devenus introuvables, a l’excellente idée de regrouper dans un coffret de 10 CD tout le legs Stokowski pour Everest.

Parmi les « spécialités » de Stokowski, il y avait outre ses arrangements spectaculaires de Bach, les suites symphoniques qu’il réalisait de grands opéras de Wagner ou… Moussorgski. Mais le chef fut surtout l’un des plus ardents promoteurs, voire créateurs, de la musique de son temps, de ses contemporains du XXe siècle. Témoins certaines des pépites de ce coffret :

La nuit américaine

L’incertitude

J’écris ce billet, au lendemain de l’élection présidentielle américaine, à une heure où les candidats eux-mêmes, les commentateurs, les « experts » se perdent en conjectures quant au résultat, au milieu de la nuit pour les Américains. Un journaliste, sur France 2, faisait remarquer ce matin que le résultat définitif de l’élection de 2000 avait été proclamé… le 14 décembre, six semaines après le vote !

Je ne vais pas me lancer à mon tour dans une analyse même sommaire, sauf à faire remarquer – comme je l’ai déjà fait pour d’autres élections (Quand les sondages ont tort) – qu’en matière électorale il vaut mieux éviter de prendre ses désirs pour des réalités. Il est entendu depuis longtemps, pour 98% des commentateurs européens, que Trump étant une nullité avérée, il ne peut, il ne doit pas être réélu. Ce sont les mêmes d’ailleurs qui affirmaient, en 2016, qu’un milliardaire menteur, vulgaire, méprisant, ne pouvait accéder à la fonction suprême.

Je n’ai pas le début d’une esquisse de sympathie pour le président américain sortant, je n’en ai pas beaucoup plus pour son concurrent qui n’a pas toujours manifesté dans le passé des positions aussi ouvertes sur bien des sujets de société que celles qu’il a timidement esquissées durant sa campagne. Et je crois moins encore que le résultat de cette élection changera profondément le comportement des Etats-Unis sur la scène mondiale. Rappelons-nous le non-interventionnisme de Barack Obama (qui certes succédait au désastreux va-t-en guerre George W. Bush), tendance que Trump n’a fait qu’accentuer.

Patriotisme musical

En revanche, ce qui peut nous frapper, nous Européens, c’est le patriotisme musical dont ont fait et font encore preuve compositeurs et interprètes. En dehors du concert du 14 juillet sous la Tour Eiffel, et des cérémonies officielles, on entend plutôt rarement La Marseillaise entonnée par des musiciens classiques ou de jazz.

Aux Etats-Unis toutes les occasions sont bonnes pour célébrer et chanter l’Amérique.

Ce matin sur France Musique, Max Dozolme racontait l’histoire rocambolesque qui était arrivée à Stravinsky lorsque celui-ci avait « arrangé » l’hymne américain :

Et en faisant un simple petit tour dans ma discothèque, j’ai retrouvé un joli bouquet de ces témoignages festifs d’attachement à la Beautiful America

Ce gala de la Richard Tucker Music Fondation en 1991 n’avait pas fait les choses à moitié

Ici Marilyn Horne chante lors d’un gala qui célèbre, en 1988, le centenaire de la naissance d’Irving Berlin (mort à 101 ans en 1989 !), auteur de ce God bless America.

Un autre compositeur américain plus connu pour ses musiques de film ou ses oeuvres « légères », Morton Gould, écrit au coeur de la Seconde Guerre mondiale cet American salute (1942)

En 2013 pour son concert inaugural de directeur musical de l’orchestre de Cincinnati, Louis Langrée invitait Maya Angelou à être la narratrice d’une oeuvre emblématique d’Aaron Copland, A Lincoln Portrait, créée en 1942 par cette phalange.

Leonard Bernstein, qui avait ses entrées à la Maison Blanche, a connu avec sa dernière comédie musicale 1600 Pennsylvania Avenue (1976) – c’est l’adresse de la Maison Blanche à Washington – le pire bide de sa carrière. Il en avait tiré une White House Cantata qui a été publiée à titre posthume en 1997.

Evidemment, de Bernstein, tout le monde a en tête cet hymne à l’Amérique de West Side Story

Moins connu que Copland ou Bernstein, William Schuman (avec un seul n) – 1910-1992 n’est pas en reste de patriotisme

Les hommages à l’Amérique sont multiples – un seul article de blog n’y suffirait pas – et parfois très inattendus. Il faudra que je demande à Jean-Christophe Keck*, le grand spécialiste d’Offenbach, à quelle occasion l’auteur de La Belle Hélène a composé cette American Eagle Waltz

Si tout le monde connaît la 9ème symphonie dite du « Nouveau monde » de Dvorak, qui fut le premier directeur du Conservatoire de New York (de 1892 à 1895), il y a fort à parier que cette cantate The American flag n’est pas resté dans les mémoires.

*Offenbach en Amérique

Jean-Christophe Keck a bien voulu apporter ces précisions sur l’origine de cette American Eagle Waltz : « En 1876 ruiné par la faillite du Theatre de la Gaité, Offenbach accepte une tournée de concerts aux États Unis lors de l’Exposition universelle. Il en reviendra épuisé mais y aura écrit plusieurs pièces pour grand orchestre dont cette valse qu’il rebaptise commercialement Offenbach valse. Et surtout il y écrit un essai qui mérite d’être lu : Notes d’un musicien en voyage. L’an passé j’ai acquis le bâton avec lequel il a dirigé tous ses concerts américains. Les villes y sont notées dessus à l’encre de sa propre main. Un précieux souvenir sauvé in extremis qui faillit être mis aux ordures par les descendants du maître croyant qu’il s’agissait d’un simple bâton de cerceau, avant de découvrir fortuitement les inscriptions autographes qui y figuraient dessus...

Jean-Christophe Keck ajoute sur sa page Facebook : Page titre de l’American Eagle Waltz [pour grand orchestre] d’Offenbach, finalement rebaptisée par le compositeur Offenbach Waltz, puis Offenbach-valse (ou aussi Le Fleuve d’or) pour la commercialisation française dans sa version piano par l’éditeur Choudens. Manuscrit autographe dont je suis l’heureux propriétaire… pour le moment

Après l’élection

La nuit avait commencé à la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis, Jane Hartleyrue du faubourg Saint-Honoré, à quelques mètres de l’Elysée. Dispositif de sécurité impressionnant à l’extérieur… et assez peu discret à l’intérieur malgré la batterie de contrôles à l’entrée.img_6712

La foule n’est pas au rendez-vous, quelques têtes connues de la haute magistrature, un seul ministre en exercice, plusieurs ex, l’ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, le PDG de Radio France, un célèbre compositeur de musique de films récemment « oscarisé », des parlementaires, la mère de la première victime de Mohammed Merah, et une ambiance générale plus grave que joyeuse. Au détour des conversations le pressentiment que le résultat sera serré, très serré.

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Et ce mercredi matin, les premières réactions sur les réseaux sociaux. Toutes catastrophées à des degrés variables. Au fil de la matinée, des avis s’expriment, plus réfléchis, nuancés, argumentés. Je les partage ci-dessous, ils ont d’autant plus de sens, à mes yeux, que plusieurs émanent de musiciens, d’artistes.

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On réagit comme à l’annonce d’un attentat terroriste ou d’une catastrophe naturelle… Mais les gens ont CHOISI ça, en majorité [rectification : pas en majorité puisqu’Hillary a remporté un peu plus de voix individuelles]. C’est fou qu’on soit si déconnectés de cette réalité, au point de ne pas y croire. Comment faire pour remettre l’éducation au cœur de la vie ? (Thomas E.)

Tout cela montre à quel point nous vivons dans de petits cercles, entre bien-pensants d’accord avec nos propres opinions, dans un confort aveugle, certains que notre microscopique vérité est forcément celle des autres. Sur FB ou autres réseaux sociaux, on s’auto-like avec des gens qui pensent comme nous. On lit la presse qui dit ce qu’on veut entendre et ça nous conforte dans notre cécité. Je ne connais personnellement AUCUNE personne qui ait voté pour le Brexit ou pour Trump…. alors, il est facile d’imaginer que c’est FORCÉMENT comme ça partout!!! Après le Brexit, c’est peut-être une occasion de regarder le monde différemment, d’avoir une vision plus réaliste du monde qui nous entoure. Ça fait forcément un peu peur…. (Cédric T.)

D’une amie franco-américaine, qui vit à Cincinnati :

Réveil 6 AM ce matin j’ai conduit les enfants l’école …Petit déjeuner au goût moche, tétanisé, plein de révolte mais surtout de questions. Comment leur dire que ce n’est pas la fin des belles choses, que oui le monde change et de façon spectaculaire, que c’est à leur génération dorénavant avec nous de veiller, de s’éveiller, de se réveiller encore davantage, à devenir plus clairvoyants, plus éduqués et éduquants, que ce pays n’est pas tout « bon à jeter avec l’eau du bain », qu’il fallait quand même avaler une tartine, qu’il y avait contrôle de chimie en première heure, on a même revu les fiches le ventre noué, comment leur expliquer qu’ils ont raison de se sentir abandonnés dans leurs idéaux, des idéaux de leurs ancêtres, perdus, inquiets mais qu’ils ont maintenant 14 ans, 17 ans, le devoir de devenir acteurs de tout cela…. qu’il va falloir digérer, comprendre et accepter le raz de marée du peuple. comment leur dire que oui c’est l’election de la vulgarité et de la brutalité. de la consternation autour d’un homme affligeant en tous points. Qu’il faut vivre avec et qu’il faut faire que ca change, que ce pays, comme nous tous, comme la psyché humaine renferme le pire et le meilleur. je suis aussi une enfant de l’Amérique des années 70, je ne sais pas comment les préserver, mais je ne renoncerai pas à faire d’eux des citoyens de leur monde… Je suis profondément blessée. pas de doute, faut leur dire et on trouvera les mots. My darlings I love you. restons groupés. 7 AM j’ai conduit les enfants à l’école, en revenant j’avais les larmes aux yeux.  (Aimée C.L)

D’un ami belge :

Sans se rallier au choix électoral posé aux USA, voudrait rappeler ceci :
1) cette élection était démocratique. Elle doit donc être respectée.
2) boycotter les USA serait inutile et ridicule. Le souci de cohérence inviterait par ailleurs à boycotter dès lors aussi la Turquie, la Russie, les pays du Golfe, la Chine, la Hongrie,….
3) insulter les électeurs américains est déplacé. Qui comprend leurs réalités ? Quel est l’espoir d’un étudiant qui doit, ses études finies, d’abord consacrer 25 ans de sa vie à rembourser lesdites études? Le vote des citoyens désenchantés se tourne toujours (en France aussi), vers des solutions simples
4) le système institutionnel américain comporte de forts garde-fous. Un ancien acteur de westerns a occupé la Maison Blanche durant 8 ans, encadré par la Constitution, le Congrès et la Cour suprême.
(Grégory J.)

Et cette réaction – toujours sur Facebook du journaliste et chroniqueur Laurent Kupfermann :

Depuis le référendum de 2005, un fossé s’est installé entre le peuple et ses représentants. La crise économique majeure qui secoue le monde depuis bientôt 10 ans, a rajouté de la crise à la crise, creusant plus encore le fossé entre les insiders-ceux qui sont inclus dans un système- et les outsiders- qui en sont durablement exclus. Des signaux politiques ont été envoyés par les électeurs. Le 21 avril, la crise politique et financière en Grèce qui n’est toujours pas terminée, le Brexit , la crise lors de la signature du CETA en Wallonie, et maintenant l’élection de Donald Trump qui marque d’une trace indélébile la défiance des électeurs envers la capacité de toutes les classes politiques à peser sur le destin des femmes et des hommes.

Chacun ira de son explication, bonne ou mauvaise, mais il serait illusoire de nier qu’il s’agit d’autre chose que d’un puissant mouvement de fond. À l’heure où les fossés s’élargissent de manière historique entre ceux qui ont tout, et ceux qui n’ont rien, même plus l’espoir, il est temps d’aborder d’un regard neuf, réaliste et volontaire l’avenir. Nos institutions, tant nationales qu’européennes sont-elles à la hauteur du défi démocratique qui est le nôtre ?

Le repli, l’isolationnisme, tentations pernicieuses , ne sont pas raisonnables dans un monde multipolaire. La France, seule contre le monde entier, c’est la France fragilisée, attaquée et la France finalement mise à genoux.

C’est donc bien un échelon supérieur que nous devons bâtir de manière urgente. Mais il faut être lucide :la défiance des citoyennes et des citoyens envers le projet européen tel qu’il existe aujourd’hui est profonde et réelle. La crise en Wallonnie et le Brexit en sont de réelles illustrations.
Pour autant le rejet de l’Union Européenne n’est pas le signe que les peuples ne veulent plus d’Europe mais qu’ils veulent une autre Europe. Une Europe démocratique fière de son histoire, de sa diversité et des valeurs chèrement acquises à la suite des terribles conflits mondiaux du XXème siècle.
Une Europe qui agit pour affirmer des politiques de solidarité, dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la formation, de la protection contre les accidents de la vie, qui sont les piliers de l’émancipation citoyenne.
Une Europe qui garantit la liberté, l’égalité en droit pour l’ensemble de ses citoyens et de ses citoyennes au delà de leurs origines, de leurs opinions philosophiques et / ou religieuse, ou de leur orientation sexuelle.

Si le communisme a perdu le combat idéologique et éthique, la victoire de l’ultra-libéralisme, du « laissez-faire économique » est une fausse victoire, dont on voit aujourd’hui la dangereuse limite qui menace nos démocraties. Le pouvoir que donne la souveraineté politique issue du peuple, est là pour défendre l’intérêt général, dans un dialogue constructif avec le monde économique, qui doit accepter qu’il n’est pas hors-sol.

Ces idéologies du XIX e siècle, qui agitent toujours nos pensées politiques nous n’en voulons plus.

Face un monde qui ne glorifie que la compétitivité économique devenue folle, celle qui accroit la richesse mais en accroissant les différences, sans profiter à toutes et tous, tout en portant atteinte aux règles élémentaires de protections de notre environnement, nous avons besoin d’une Europe forte et nouvelle qui protège ses citoyennes et ses citoyens. C’est cette identité européenne citoyenne qu’il nous faut bâtir.
Laissons les débats sur les portions de frites, ou les pains au chocolats dans les oubliettes, et agissons maintenant, sans oublier qu’un pacte social, pour être stable se doit de rechercher toujours cet indispensable point d’équilibre entre le réel, l’idéal et l’éthique.

Le président élu ne devrait pas oublier que le peuple américain c’est aussi et surtout cela :

https://www.youtube.com/watch?v=Qy6wo2wpT2k

(Mal)traité

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La une de Libé ce matin pour amusante qu’elle soit donne accroire que les Belges francophones se font une publicité d’enfer sur le dos de l’Europe et du Canada.

Honnêtement, je n’ai pas lu le contenu du traité proposé entre le Canada et l’Union européenne, ce fameux CETA, mais j’ai du mal à comprendre que les mêmes qui trouvent finalement le TAFTA (avec les Etats-Unis) insignable, ne voient aucun inconvénient à signer avec le Canada, dont je ne sache pas qu’un mur infranchissable borde sa frontière avec les Etats-Unis !

Il doit bien y avoir quelques bonnes dispositions dans ce traité, mais là n’est pas la question soulevée par le brillant président du gouvernement wallon, Paul Magnette. 

Son intervention vaut d’être écoutée de bout en bout. Une leçon de pédagogie politique. Enfin un discours qui rappelle que la démocratie suppose, impose, de tenir compte du peuple, de la vox populi. Quelque chose me dit que la leçon vaut aussi pour bien d’autres pays européens, à commencer par la France.

 

Le Nobel de Bob

La surprise a été générale : le prix Nobel de littérature 2016 a été attribué à Bob Dylan (lire Bob Dylan, prix Nobel de Littérature).

Mais ma surprise a été plus grande encore de lire, sur les réseaux sociaux, l’avalanche de critiques, de sarcasmes, la violence verbale même que cette décision de l’Académie suédoise a suscitées. Comme s’il était inconvenant, indécent même, de récompenser un auteur de chansons, célèbre, admiré, reconnu depuis un demi-siècle. Un poète qui a nourri notre culture collective. L’enchanteur de toute une génération (la mienne oui !). Un chanteur populaire (quelle horreur !).

Avait-il besoin de la consécration du Nobel ? Non? D’autres que lui ne la méritaient-ils pas plus, ou plus tôt ? Sans doute oui. Mais pourquoi s’écharper sur les mérites comparés des vrais (?) et des faux(?) poètes – Dylan faisant évidemment partie de la seconde catégorie selon ses contempteurs – ?

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Retour à Lisbonne

Un lecteur de mon blog – qui se reconnaîtra – partageant mon amour de Lisbonne (voir Lisboa meu amorm’a fait l’autre jour un cadeau qui me touche doublement. Un livre et un auteur Antonio Muñoz Molina, dont je connaissais le nom mais qui avait échappé jusqu’à maintenant à mes lectures. Ce sont les mystères des dilections et des affinités : alors que j’ai du sang latin, que j’aime les pays et les gens de soleil, mes préférences littéraires m’ont toujours porté vers le Nord et l’Est. Ignorance avouée est-elle à demi pardonnée ?

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Profitant de mes allers-retours entre Paris et Montpellier, je me suis plongé avec délectation dans ce livre étonnant. Style fluide, factuel. Et les mystères de Lisbonne si vivants, si chaleureux. Pour moi une découverte.

Le 4 avril 1968, James Earl Ray assassine Martin Luther King à Memphis et prend la fuite. Entre le 8 et le 17 mai de la même année, il se cache à Lisbonne où il tente d’obtenir un visa pour l’Angola. En octobre 2013, sur les traces de James Earl Ray dans la capitale portugaise, Antonio Munoz Molina se remémore son premier voyage dans cette ville, en 1987, quand, mari et père immature, fuyant un travail médiocre, il essayait d’écrire son deuxième roman, une histoire d’amour sur fond de jazz et de roman noir, L’Hiver à Lisbonne. La fascinante reconstruction du séjour de l’assassin croise alors le passé de l’auteur, et les deux récits alternent. L’un, autobiographique, relate, à la première personne et sur un mode très intime, l’apprentissage de la vie et des mécanismes du roman ; l’autre, à la manière d’un thriller, témoigne de ce qu’est l’accomplissement de la fiction, quand, fondée sur le réel, elle va au-delà des faits pour entrer dans la conscience des protagonistes. Maître de sa création littéraire, Antonio Munoz Molina imagine les peurs de l’assassin exhibant ses faux passeports, assiste à ses déambulations nocturnes dans les bars et les hôtels de passe, le suit pas à pas avant de revenir à Memphis pour tenter de savoir pourquoi il appuie le canon de son fusil sur la fenêtre des toilettes d’une pension misérable et exécute Martin Luther King au balcon du Lorraine Motel. En prestidigitateur, le grand écrivain espagnol fait entrer le lecteur dans le mystère de l’univers mental du tueur, où se mêlent racisme, misère, admiration pour les livres de science-fiction, et la certitude que l’on peut impunément tuer un Noir militant des droits civiques. Comme l’ombre qui s’en va est un livre important, hypnotique, qui prend le risque de mêler deux genres littéraires et, en dernière instance, expose la théorie du roman de l’auteur (Présentation de l’éditeur).

Il ne me reste plus qu’à lire L’Hiver à Lisbonne, et peut-être quelques autres ouvrages de ce bel écrivain mélomane et musicien des mots.

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11 Septembre

Un présentateur du journal télévisé de la mi-journée l’affirmait : tout le monde se rappelle exactement où il était, ce qu’il était en train de faire, lorsqu’est survenue la première attaque sur l’une des tours du World Trade Center de New York le 11 septembre 2001Exact.

C’était un mardi. Depuis la veille Louis Langrée répétait le programme qui devait inaugurer sa première saison comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège (qui ne deviendra « royal » qu’en 2010). Un programme emblématiquement français qui comportait en son coeur le Poème de l’amour et de la mer de ChaussonChanté par une artiste de 22 ans, la merveilleuse Alexia Cousin.

Vers 15h 15, le comptable de l’Orchestre lance dans le couloir du 5ème étage de la Salle Philharmonique, où nous avions nos bureaux : « Il se passe quelque chose de bizarre sur mon écran, il y a eu un accident d’avion à New York ! » J’allume le téléviseur de mon bureau, et quelques instants plus tard je vois le deuxième avion percuter la deuxième tour. Plus aucun doute n’est permis, il ne s’agit plus d' »accidents ».

J’ai promis au délégué artistique de l’orchestre, Stéphane Dado, qui est hospitalisé pour quelques jours à l’hôpital de la Citadelle de Liège de lui apporter des documents et de passer le voir – il enrage de ne pouvoir être à son poste la semaine où Louis Langrée entame son mandat ! Je prends ma voiture, me branche sur une des chaînes de la RTBF qui commente l’actualité américaine, j’entends qu’un autre avion s’est écrasé sur le Pentagone. Affolant ! François Bayrou déclare qu’on est vraisemblablement entré dans une nouvelle guerre mondiale, nul ne sait si d’autres attaques ne vont pas s’abattre sur les grandes capitales du monde.

Je sors hagard de ma voiture sur le parking de la Citadelle, je rejoins Stéphane dans sa chambre. Il n’est pas encore au courant, au moment où je branche son petit appareil de télévision, il reçoit un appel de son compagnon qui est alors le porte-parole du Premier ministre belge, en déplacement ce jour-là en Ukraine, à Yalta !!Toutes les capitales essaient de comprendre, de parer aussi à d’autres attaques du même type. Le chef du gouvernement de Belgique décide de rentrer immédiatement en Belgique, son porte-parole se veut rassurant.

Je rentre ensuite à l’orchestre, toujours aussi sonné. J’appelle mes enfants à Paris. Puis je descends dans la loge du chef. La répétition est terminée depuis un bon moment, mais Louis Langrée travaille encore avec Alexia Cousin. L’un et l’autre n’ont évidemment rien suivi de la tragique actualité de l’après-midi, et c’est moi qui relate les événements à Louis Langrée. Il passera la nuit suivante essayant d’avoir des nouvelles d’un ami, son ancien agent, qui devait s’installer dans ses nouveaux bureaux à proximité des tours, accroché aux images qui tournent en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Moi aussi.

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Le lendemain, il faut prendre une décision quant au sort des trois concerts prévus, le 13 à Bruxelles, le 14 et le 15 à Liège. Annuler ? modifier ? Finalement nous décidons de maintenir et de ne rien changer à un programme qui est parfaitement compatible avec l’atmosphère de recueillement et de compassion qui s’imposera à tous. Le public bruxellois est clairsemé, celui de Liège plus dense.

Louis Langrée a, à chaque fois, les mots justes. Il a été frappé par l’attitude des Américains qui, le soir du 11 septembre, se sont spontanément rassemblés sur toutes les places, dans toutes les villes des Etats-Unis, pour chanter ensemble leur émotion, leur douleur, leur refus de la terreur aveugle. Oui, la musique comme réponse à l’horreur, comme partage de la solidarité avec les victimes, les familles et tout un peuple.