L’été 24 (VIII) : la comète Catherine Collard

Mon voyage en Asie centrale m’a tenu éloigné quelque temps de la musique classique – c’est une saine récréation pour l’esprit et les oreilles, et il y avait tant de merveilles à découvrir ! – même si ces derniers jours m’y ont ramené (lire Sur la trace de Tamerlan).

A mon retour, j’ai eu le bonheur de trouver dans ma boîte aux lettres des coffrets, commandés pour certains il y a plusieurs semaines.

La comète Catherine Collard

Morte à 46 ans des suites d’un cancer, Catherine Collard (1947-1993) est tôt entrée dans la légende.

J’ai un souvenir d’elle, romantique en diable. C’était à Thonon-les-Bains. La soeur de Patrick Poivre d’Arvor, un temps mariée au petit-fils de Rachmaninov, Alexandre (1933-2012) – que j’avais rencontré lors d’un dîner à Chamonix – organisait un petit festival au Château de Ripaille (elle était bien évidemment venue me demander l’aide de la Ville – j’étais alors Maire-Adjoint chargé de la Culture !). Une scène sommaire avait été installée devant la façade du château, un Steinway de concert apporté de Genève, le temps était à l’orage, mais le public clairsemé était bien décidé à écouter le récital de Catherine Collard. Une première partie classique (des sonates de Haydn je crois), et Schumann en deuxième partie. A peine la pianiste française avait-elle entamé la 2e sonate que le vent se levait, emportant la partition, suivi d’une pluie battante. L’artiste et le public eurent tout juste le temps de se réfugier dans les communs du château, je ne sais plus ce qu’il advint du piano de concert…

Quelque temps auparavant, dans le cadre de l’émission Disques en lice sur Espace 2, nous avions sélectionné une version inattendue du concerto pour piano de Schumann, parmi les centaines disponibles, au terme d’une écoute comparée toujours à l’aveugle, celle de Catherine Collard accompagnée par Michel Tabachnik (qui n’avait pas encore défrayé la chronique du funeste Ordre du temple solaire !) et l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo

Cette version reste pour moi une référence, qui conforte le statut de Catherine Collard comme une interprète particulièrement inspirée de Schumann.

Le coffret que publie Erato nous restitue, enfin, une grande part du legs schumannien de la pianiste, et c’est un bonheur sans mélange :

Dans ce coffret, de vraies raretés, plus disponibles depuis leur parution en 33 tours, les sonates pour violon et piano de Franck, Lekeu, Prokofiev et Schumann avec la violoniste française Catherine Courtois, née en 1939, lauréate de plusieurs concours (Genève, Long-Thibaud) dans les années 60, bien oubliée aujourd’hui.

On eût aimé, rêvé, que cet hommage à Catherine Collard regroupe tous les enregistrements de cette grande poétesse du piano. Ceux où elle accompagne Nathalie Stutzmann dans des disques de mélodies qui sont autant de trésors d’une discothèque…

Et bien sûr, tout ce que René Gambini lui a fait enregistrer pour Lyrinx, à un moment où la carrière de Catherine Collard connaissait le creux de la vague : encore des Schumann, de fantastiques sonates de Haydn, quasi-introuvables, des Mozart, etc…

Mais saluons le travail d’Erato/Warner ! Et remercions Anne Queffélec, Nathalie Stutzmann, Antoine Palloc et Marc Trautmann pour leurs beaux témoignages.

Rach 3

Dans le jargon des pianistes, on a ses raccourcis pour désigner certaines oeuvres du répertoire, surtout si ce sont des must des grands concours internationaux. Ainsi le 3ème concerto pour piano de Rachmaninov est-il appelé le Rach 3 ! (On fait de même pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini du même Rachmaninov qu’on désigne en abrégé par Rach Pag).

J’évoque aujourd’hui ce sommet de la littérature concertante pour piano parce que je viens, coup sur coup, d’en entendre deux versions extraordinaires.

La première c’était hier soir, à Montpellier, lors du concert qui célébrait le 40ème anniversaire de l’Orchestre National Montpellier Occitanie. Je retrouvais mon très cher Nelson Goerner, six ans après que je l’eus invité à Liège à jouer ce même Rach 3 dans le cadre du festival I love Rachmaninov qui présentait l’intégrale des concertos (avec Bertrand Chamayou dans le 2ème, Benedetto Lupo dans le 1er et Claire-Marie Le Guay dans le 4ème).

IMG_7200(Michael Schonwandt, Nelson Goerner et l’Orchestre National Montpellier Occitanie le 15 novembre 2019)

Ce n’est pas un hasard si, lors de plusieurs écoutes comparatives, la version, captée en concert il y a une vingtaine d’années, du pianiste genevois d’origine argentine est toujours arrivée en tête.

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Nelson Goerner y est souverain, dans cette manière supérieure de faire oublier la technique – un concentré de difficultés redoutables – pour ne donner à entendre que le chant, les élans rhapsodiques, la densité d’une partition qui n’est pas qu’un numéro d’esbroufe. Le soliste me confiait à l’entracte : « Tu es d’accord, on ne doit pas « taper » dans ce concerto ». 

On ne manquera pas d’écouter ce concert le 3 janvier sur France Musique.

Seconde version extraordinaire écoutée ce matin. Hier, Bruno Fontaine écrivait sur sa page Facebook : Ébloui…fasciné …mais surtout ému à l’écoute de ce nouveau Rach 3…
Nul besoin de s’étendre sur la fabuleuse technique de Daniel Trifon.ov .mais plutôt sur sa merveilleuse maîtrise des lignes, du contrepoint…jamais entravée par sa virtuosité …et puis…et j’allais dire, surtout…!!!
La beauté absolue de l’orchestre de Philadelphie, dirigé avec une science admirable des équilibres et des couleurs par Nézet-Séguin…!!!

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Je n’écrivais pas autre chose quand étaient parus les 2ème et 4ème concertos : Quand Rachmaninov rime avec Trifonov. « … le tandem Trifonov/Nézet-Séguin est d’une telle qualité d’écoute réciproque, de liberté poétique, qu’on accepte sans réticence leurs tempi buissonniers. Et pour le Quatrième concerto l’on tient certainement la meilleure version de la discographie rachmaninovienne (malgré les beautés du piano d’Arturo Benedetti Michelangeli, si pâlement secondé par Ettore Gracis dans la légendaire version EMI de 1957).

On imagine que le Troisième concerto suivra bientôt ». 

Voeu exaucé, ô combien. A écouter absolument ! Cette nouvelle intégrale des concertos de Rachmaninov due au trio magique que constituent Trifonov, Nézet-Séguin ET l’orchestre de Philadelphie se hisse dans le peloton de tête de la discographie pléthorique de ce corpus (où figure le légendaire tandem Peter Rösel / Kurt Sanderling)

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Un souvenir me revient, que j’avais naguère évoqué sur un précédent blog. Il y a presque trente ans j’avais été convié à un dîner à Chamonix par une relation professionnelle qui m’avait promis une surprise, quelqu’un qu’elle voulait me présenter ! Pour une surprise c’en fut une ! A peine arrivé dans le bel hôtel où se tenait ce dîner, j’eus l’impression de me trouver face à… Rachmaninov !

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Mêmes traits, même stature.

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Il s’agissait du petit-fils du compositeur, Alexandre Rachmaninoff (il tenait à cette orthographe usitée hors de Russie) – 1933-2012 – Alexandre était le fils de Tatiana Rachmaninova (1907-1961), la cadette des deux filles de Rachmaninov, Tatiana avait épousé Boris Conus (prononcer Ko-niouss), fils du violoniste et compositeur Julius Conus   (1869-1942), auteur d’un concerto pour violon jadis joué par les plus grands, aujourd’hui un peu oublié. Alexandre était né Conus et avait relevé le nom de son grand-père.

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