Si on cherche « Yuja Wang » sur mon blog, on a des chances de tomber sur une dizaine d’articles consacrés à la pianiste chinoise, 38 ans aujourd’hui et toujours cette allure d’adolescente effrontée et joueuse.
Elle était à Montpellier lundi dernier (voir mes brèves de blog du 7.07.2025)
A la sortie du concert, on n’entendait parler que de ses tenues sur la scène de l’Opéra Berlioz !


Il faut dire que pour quelqu’un qui n’avait jamais vu l’artiste sur scène, la surprise était au rendez-vous. Les avis étaient tout de même partagés, entre réprobation de la part de dames d’un certain âge, et étoiles dans les yeux pour la gent masculine !
Cela fait vingt ans que Yuja Wang balade sa plastique avantageuse sur tous les continents. Et pourtant elle ne prend pas la pose ou alors c’est pour laisser éclater sa joie, son espièglerie. Sans doute prend-elle plaisir à choquer un peu – joue-t-elle ainsi accoutrée lorsqu’elle se produit dans son pays natal ? Quelle importance !
Yuja Wang est un phénomène. Je l’avais déjà écrit il y a dix ans – Les surdouées – la comparant à Martha Argerich, ce qui m’avait valu quelques commentaires pas toujours bienveillants. Entre temps j’ai souvent écouté l’une et l’autre, au disque et surtout au concert. Dans cet article de 2015, je me disais impatient d’écouter Yuja dans les concertos de Ravel qu’elle a gravés avec Lionel Bringuier. Je l’ai entendue les jouer en concert il y a deux ans à Bucarest, et je n’ai pas caché ma déception dans mon article pour Bachtrack :
» …on est curieux d’entendre la pianiste chinoise dans le Concerto pour la main gauche . Première surprise : depuis le fond du parterre où, la veille, on entendait très distinctement le piano de Kirill Gerstein, on tend cette fois-ci l’oreille pour percevoir un clavier émacié, privé de puissance, et surtout stylistiquement complètement à côté de la plaque. Quand Ravel regarde ouvertement du côté de Gershwin, la pianiste fait du Rachmaninov ou du Scriabine, le sfumato de ses pianissimosn’a rien à faire ici/…/ dans le Concerto en sol, le premier et le dernier mouvements sont pris à un tempo d’enfer mais le piano est toujours engorgé, à l’exact opposé de la clarté solaire que demande Ravel. Le pire restera le mouvement médian, pourtant lui pris au bon tempo, où l’on n’entend tout simplement pas la soliste qui s’avère incapable d’énoncer cette simple mélodie si mozartienne d’inspiration.
Je me demande si ce n’est pas Alain Lompech qui (d)écrit le mieux ce qu’est l’art et qui est aujourd’hui Yuja Wang dans ce billet : Chopin rappelle à l’ordre Yuja Wang : « Qu’elle joue bien du piano, se dit-on immédiatement ! À ses débuts, elle éblouissait par sa virtuosité, mais une sonorité monochrome et un feeling discret semblaient la déconnecter parfois de la musique sans nous y connecter nous. Deviendrait-elle ce « néant avec des doigts au bout » raillé par Yves Nat ? Elle a au contraire acquis un répertoire encyclopédique qui lui vaut le respect et l’admiration de nombre de ses confrères qui s’inclinent devant une telle versatilité, et avec d’autant plus d’admiration qu’elle profite de sa célébrité pour présenter des œuvres anti-démagogiques au possible… tout en sachant s’amuser quand elle sort le grand jeu de la virtuosité. Et elle joue pour des maîtres. Pas pour être adoubée, puisque sa carrière surclasse souvent la leur : elle cherche, elle écoute, elle travaille. »
Lundi soir elle avait décidé de remplacer le 2e concerto de Chopin – qu’elle devait jouer en première partie avant le n°1 de Tchaikovski en seconde partie ! – par le 4e concerto de Nikolai Kapoustine (1937-2020), un compositeur russe qui n’écrivit ses oeuvres « classiques » qu’en recourant au langage du jazz, ce qui lui valut une place très singulière dans la musique russe. D’ailleurs Gershwin, ou le Bernstein de The Age of anxiety ne sont jamais loin dans une oeuvre longue et bavarde qui avait l’air d’amuser follement la pianiste et le batteur du Mahler Chamber Orchestra. On peut réécouter tout cela sur France Musique.
Mais on comprend que la pianiste ait été séduite par ce compositeur si longtemps resté dans l’ombre.
La jeune génération de pianistes paraît s’être amourachée de ce compositeur singulier


Quant au 1er concerto de Tchaikovski, Yuja Wang, qui dirige le Mahler Chamber Orchestra de son clavier, le joue sans jamais verser dans les défauts usuels dans cette oeuvre, la virtuosité tape-à-l’oeil, le romantisme à l’eau de rose. C’est époustouflant techniquement, mais toujours guidé par la musique, et c’est bien en cela que la pianiste est une grande artiste. Et puis, avouons-le, c’est tellement réjouissant de voir une musicienne de ce calibre, casser les codes, manifester, après vingt ans de carrière, toujours la même espièglerie, la même joie de jouer !
Mes humeurs du jour à suivre sur mes brèves de blog
Une réflexion sur “Le phénomène Yuja”