Le retour à Schubert

Mon week-end a été largement nourri d’écoutes de Schubert – en dehors des funérailles papales (voir brevesdeblog : Pauvre François)

D’abord parce que j’ai reçu trois CD sortis il y a cinq ans : je connaissais des disques d’Andrea Lucchesini, qui enregistra pour EMI dans sa jeunesse Beethoven, Liszt ou Chopin, mais je n’avais pas prêté attention à ces Schubert.

J’y retrouve tout ce que j’attends dans ces dernières sonates de Schubert, en particulier la D 960 (lire Quand ça se termine mal pour Schubert)

Pure merveille que ce finale de la dernière sonate, qui respire, écoute, s’ouvre à la poésie de l’infini :

Et cet adagio si simple, si pur, de la D 959 ! On n’en sort pas indemne.

Réécouter Böhm

J’avais oublié de réécouter la Neuvième symphonie de Schubert telle que l’a dirigée Karl Böhm à Dresde le 12 janvier 1979. Prodigieux non ?

Samuel Hasselhorn

Voici plusieurs mois que je lis des choses très flatteuses sur le baryton allemand Samuel Hasselhorn, sans que j’aie eu la possibilité de l’entendre en concert. Ce qu’écrit Sylvain Fort dans Diapason à propos de son dernier disque m’a convaincu de rattraper mes retards d’écoute.

J’ai toujours cru que l’interprétation de « Die junge Nonne » par Kathleen Ferrier était indépassable. Celle de Samuel Hasselhorn la rejoint dans mon panthéon personnel. Les deux Alleluia qui concluent ce Lied me laissent toujours sans mots…

La passion Liège et une disparition

J’avais déjà dit (lire Le choix du chef) combien la nomination de Lionel Bringuier à la direction musicale de l’Orchestre philharmonique royal de Liège me réjouissait et constituait pour une formation que j’ai eu l’honneur et le bonheur de diriger de 1999 à 2014, une formidable opportunité de retrouver une trajectoire de succès dans ses répertoires de prédilection.

Je viens de découvrir la présentation de la saison 2025/2026 de l’OPRL, et j’ai déjà envie d’inscrire toutes les dates à mon agenda.

Je veux d’abord saluer une équipe qui a travaillé avec Lionel Bringuier à ce spectaculaire renouvellement de la « fabrication » d’une saison, de sa communication, de ses répertoires. Une équipe bien menée par Aline Sam-Giao, qui est restée très largement fondée sur celles et ceux que j’ai pu recruter, avec qui j’ai aimé travailler et innover et qui sont toujours là, fidèles et ardents (Sabine, Sophie, Silvia, Séverine, Elise, Valérie, Robert, Laurent, Erwan, Pierre, Christophe, Eric), une équipe qui comme les musiciens a aussi beaucoup changé au fil des départs à la retraite et des recrutements et à laquelle je souhaite bonne chance !

Un orchestre c’est surtout et d’abord une affaire d’identité dans un paysage musical mouvant, ce sont aussi des affinités électives entre des chefs, des répertoires, et des publics. Ce fut, quinze ans durant, mon ambition et mon obsession. Je suis vraiment très heureux de voir combien Lionel veut incarner – et incarne déjà – cette identité forte, avec ces nouvelles séries, ces nouveaux formats, qui prolongent, amplifient tout ce que nous avions déjà lancé, créé, au fil des saisons. Quand je vois par exemple le succès des Music Factory que j’avais naguère confiées à Fayçal Karoui, reprises aujourd’hui avec un talent incomparable par Pierre Solot, mon bonheur est complet.

J’ajoute combien il est important, pour les musiciens, pour le public, que l’orchestre ait à sa tête musicale un chef francophone et particulièrement à Liège où le français est la langue pratiquée, aimée, désirée. Tout le monde se rappelle les présentations de Louis Langrée, les Dessous des quartes qu’il animait, tout le monde aimera entendre Lionel Bringuier partager ses envies de musique, comme il l’a fait dans sa présentation de « sa » première saison liégeoise.

La mort d’un ami

Au moment de boucler cet article, j’apprends la disparition de Jean-Paul Montanari, l’infatigable fondateur et animateur du festival Montpellier Danse (lire le bel article que lui consacre Le Midi Libre)

PORTRAIT DE JEAN PAUL MONTANARI / DIRECTEUR DU FESTIVAL INTERNATIONAL MONTPELLIER DANSE / AGORA CITE DE LA DANSE / PHOTO GIACOMO ITALIANO

Jean-Paul avait largement dépassé l’âge de la retraite, mais à chaque fois que lui, ou d’autres, évoquaient l’idée d’arrêter ce qui fut l’oeuvre de sa vie, ce festival incomparable, je l’interrogeais mi-sérieux mi-goguenard (« vraie ou fausse sortie » ?), et lorsque je lui annonçai mon départ de la direction du festival Radio France en 2022, il me confia qu’en réalité il devrait lui aussi se résoudre à passer la main, mais nous savions tous qu’il ne pouvait l’imaginer. Je ne peux m’empêcher de penser que la maladie qui l’a emporté n’est pas sans lien avec la fin de cette, de son aventure. Hommage !

Je relis cet article (Une certaine modernité) où je relatais un souvenir personnel partagé avec Jean-Paul Montanari :

« Je racontais à Jean-Paul Montanari, l’infatigable animateur de ce rendez-vous estival, un souvenir personnel de Dominique Bagouet, l’inoubliable chorégraphe, le lumineux fondateur de Montpellier Danse en 1981. C’était en 1977 ou 1978, j’habitais alors un tout petit atelier d’artiste sous les toits dans le 3ème arrondissement de Paris à quelques mètres du Centre Pompidou qui venait d’être inauguré, j’avais invité quelques amis pour un verre, l’un d’eux arriva accompagné d’un tout jeune homme, timide, fluet, un doux sourire aux lèvres. C’était Dominique Bagouet, dont le nom m’était inconnu. Je n’ai plus jamais revu personnellement le jeune chorégraphe, mais le souvenir de cette brève rencontre ne m’a jamais quitté »

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(Une certaine modernité, 9 juillet 2017)

Musiques papales

Depuis lundi et l’annonce de la mort du pape François (voir 21.04.2025), on décortique tout de sa personnalité, ses goûts, ses pratiques culturelles. On savait son prédécesseur Benoît XVI fin mélomane et jouant lui-même du piano et frère de Georg Ratzinger, longtemps chef des Petits Chanteurs de Ratisbonne (Regensburger Domspatzen). Un article du journal canadien Le Devoir nous éclaire sur les goûts musicaux du défunt pape : Un souverain pontife amoureux de la musique classique.

Quant aux musiques associées au Vatican – dont je suis loin d’être un spécialiste – on est loin, en termes de notoriété, de Venise, Londres, Vienne ou même Paris. Je ne suis pas sûr que spontanément on arrive à citer les compositeurs qui ont officié à Saint-Pierre-de-Rome.

Palestrina (1525-1594)

Comme Vivaldi est associé à Venise, Pierluigi da Palestrina est lié à Rome où il est né et mort, où il devint maître de chapelle de Saint-Pierre, laissant entre autres cette célèbre Messe du pape Marcel

Benevolo (1605-1672)

Hervé Niquet aura largement contribué à faire connaître l’oeuvre étonnante de l’un des successeurs de Palestrina, le Romain Orazio Benevolo (ou Benevoli)

Alessandro Scarlatti (1660-1725)

Alessandro Scarlatti né à Palerme, mort à Naples, passe deux longues périodes de sa vie à Rome. On lui doit entre autres le motet Tu es Petrus, qui inspire quantité de compositeurs comme Liszt

L’hymne du Vatican

Je découvre que l’hymne officiel du Vatican – Inno e Marcia Pontificale -a été composé par le Français Charles Gounod !

Le temps retrouvé

J’achève un week-end à Deauville et dans sa région, pour « couvrir » quelques concerts du Festival de Pâques de Deauville qui en est à sa 29e édition (compte-rendu à lire sur Bachtrack: Les joyeuses Pâques musicales de Deauville)

Le souvenir de Nicholas

Ce 18 avril, je ne pouvais pas ne pas penser à la disparition, il y a trois ans exactement – le 18 avril 2022 – au terme de mois de souffrance, de Nicolas Angelich (lire Sur les ailes du chant). Parce que je retrouvais Deauville et son directeur artistique, compagnon de tant d’aventures musicales et amicales, Yves Petit de Voize, et que c’était précisément pendant la première édition du festival, au printemps 1997, que Nicholas avait joué – et gravé pour toujours dans ma mémoire de mélomane – le Concert de Chausson avec Augustin Dumay au violon, et comme 1er violon du quatuor formé pour l’occasion, un tout jeune violoniste Renaud Capuçon. Cette oeuvre est d’ailleurs devenue une figure obligée du festival : elle était encore donnée le 12 avril dernier… avec Augustin Dumay et de tout jeunes partenaires.

Les souvenirs de Deauville

Depuis 1997, j’ai dû revenir trois ou quatre fois à Deauville pour le festival. Je n’ai jamais beaucoup aimé cette partie de la côte normande, la foule qui l’envahit. Je préfère de loin les alentours, l’intérieur des terres ou des lieux plus authentiques comme Houlgate. Mais une balade sur les célèbres planches est incontournable surtout lorsque les prévisions de la météo sont aussi contredites que ce samedi de Pâques

Mais ce que j’ai toujours aimé ici, c’est l’état d’esprit d’un festival qui fait ce que tout festival digne de ce nom devrait faire : révéler des artistes, des partitions, des compositeurs, et ainsi gagner la fidélité d’un public toujours plus curieux.

Vendredi soir, Justin Taylor et l’ensemble Sarbacanes
Samedi soir, de gauche à droite, Pierre Fouchenneret, Théo Fouchenneret, Lise Berthaud, François Salque

La Villa de Cabourg

A Cabourg, il y a bien sûr le Grand Hôtel et Marcel Proust. J’y ai découvert un lieu dont l’intitulé ne pouvait manquer de m’intriguer : la Villa du Temps retrouvé, en fait un musée municipal inauguré au printemps 2021 dans une jolie demeure.de ce quartier comme hors du temps de la cité côtière.

Voir l’album photo : Cabourg, Villa du Temps retrouvé

J’y ai vu beaucoup de correspondances avec la Maison de Tante Léonie à Illiers-Combray que j’avais visitée en novembre dernier (Tante Léonie et les favorites)

On n’est pas surpris que la musique y ait une place de choix, surtout en découvrant ce fameux portrait par Jacques-Emile Blanche du Groupe des Six : tout en bas à gauche Germaine Tailleferre, au-dessus à gauche, de face Darius Milhaud, de profil Arthur Honegger, au fond avec des lunettes le pianiste Jean Wiener, au centre la pianiste Marcelle Meyer, à sa droite debout Francis Poulenc et Jean Cocteau, assis Georges Auric. Manque Louis Durey.

Je ne peux que renvoyer à l’excellent petit bouquin de Pierre Brévignon publié chez Actes Sud et à l’article que je lui avais consacré (Groupe de Six)

Exemple de ce foisonnement des années folles, ce ballet, aujourd’hui bien oublié, de Darius Milhaud, Le Train bleu (1924)

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Bach concertant et déconcertant

Comme souvent, ça commence par une discussion sur Facebook et ça devient un article de blog. Jean-Charles Hoffelé fait un portrait laudatif du dernier disque de Beatrice Rana, tout entier consacré à des concertos de Bach joués au piano. J’ai réagi à son papier en disant : « On n’a pas dû entendre la même chose », et la discussion a commencé…

Dès que cet enregistrement a été disponible sur IDAGIO, je me suis précipité pour l’écouter… et j’ai été pour le moins déconcerté.

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Je ne comprends pas le parti pris par une pianiste que j’ai admirée dès que je l’ai entendue en concert (en 2012), que j’ai invitée à ouvrir le Festival Radio France 2016 à Montpellier avec les Variations Goldberg de Bach qu’elle a enregistrées dans la foulée.

En réalité, cette approche – que je n’aime pas – révèle combien Bach est à la fois solide et fragile. C’est une musique qui tient bon, quelque traitement qu’on lui fasse subir, mais c’est une musique qui ne se révèle que lorsqu’on trouve le point d’équilibre entre toutes ses composantes : tempo, rythme, articulation, mélodie, contrepoint, etc… Dans ce concerto en ré mineur pour le clavier – mais cela vaut pour les autres – il y a les interprètes qui trouvent ce point d’équilibre… et beaucoup d’autres qui ne le trouvent pas.

Je me suis amusé à revoir d’abord ma discothèque personnelle, qui offre une variété de versions finalement assez vaste.

Glenn Gould

En écoutant Beatrice Rana et sa mécanique toute droite, j’ai pensé à Glenn Gould… que je n’avais pas écouté depuis des lustres. A tort ! Le pianiste canadien est aux antipodes, c’est le moins qu’on puisse dire de sa jeune consoeur et cela nous paraît aujourd’hui insupportable, tout autant que « l’accompagnement » de Bernstein. Mais cette vidéo est émouvante en ce qu’elle rappelle la formidable série des Young People Concerts animés par le génial Leonard Bernstein.

Tatiana Nikolaieva

La grande pianiste russe (lire La grand-mère du piano) que j’ai entendue jouer ce concerto à Evian au début des années 90 continue de me fasciner. Elle est un peu plombée par un accompagnement trop plan-plan, mais que j’aime ce Bach à la fois dense et joyeux !

Vasso Devetzi

J’ai une affection particulière pour cette version captée à Moscou au mitan des années 60 et qui a plutôt bien vieilli. Rudolf Barchai et son orchestre de chambre de Moscou sont nettement plus alertes que les Lituaniens, et la pianiste grecque, aujourd’hui bien oubliée, Vasso Devetzi (1927-1987) joue un Bach qui chante et vibre.

Pletnev et Richter

Pour continuer avec les Russes, deux visions/versions vraiment caricaturales. Celles de Mikhail Pletnev et de Sviatoslav Richter. Pourtant Dieu si on admire l’un et l’autre dans les autres répertoires !

A l’exact opposé, le pianiste allemand Martin Stadtfeld dame le pion à Beatrice Rana question vitesse et précipitation dans le vide…

La version de David Fray est étrange, elle fait dresser l’oreille au début. Le tempo est giusto, mais outre qu’on n’entend quasiment pas l’orchestre, le pianiste français fait quantité de choses qui ne sont pas vraiment écrites, le discours en devient artificiel.

Murray Perahia

C’est peut-être Murray Perahia qui trouve le mieux ce point d’équilibre entre toutes les composantes de l’oeuvre, et qui donne tout son sens à l’allegro initial

Konstantin Lifschitz

J’ai découvert récemment ces disques enregistrés par le pianiste d’origine ukrainienne, Konstantin Lifschitz, installé à Lucerne depuis 2008. Les tempi sont vifs, mais on ne perd absolument rien de la richesse de la partition et de la variété du jeu du pianiste.

To avoid

Dans les magazines anglais (Gramophone ou BBC Music Magazine) quand ils font des discographies sélectives, il y a toujours une version « to avoid » (à éviter). Ici cette étonnante captation (on trouve vraiment tout sur YouTube) d’un pianiste qui, dans les années 80, enregistra une série de concertos de Bach avec Neville Marriner – non indispensables, et qui n’est manifestement plus tout à fait en possession de ses moyens, Andrei Gavrilov.

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Carmen est de la revue

Dira-t-on en cette année qui célèbre le sesquicentenaire de la création de Carmen, et subséquemment du décès brutal de son auteur, Georges Bizet, que trop de Carmen tue Carmen ?

C’est bien possible, sinon probable. Je connais des amis qui ne supportent plus ni d’écouter, ni de voir Carmen. Je n’en suis pas, même si je ne cours pas après toutes les Carmen qui se présentent. Après le dossier très complet que consacre Diapason, dans son numéro d’avril, à « l’opéra le plus aimé au monde », je me suis amusé à réexaminer ma discothèque personnelle.

Comme Diapason, je mets depuis longtemps tout en haut de la pile la version Beecham, dont j’avais raconté les aventures et mésaventures (L’impossible Carmen)

Pas loin je place Rafael Frühbeck de Burgos avec un couple Carmen/Don José étonnant

C’est la même Grace Bumbry et les mêmes comparses qui seront du film réalisé à Salzbourg sous la direction de Karajan.

On mettra loin derrière le remake plantureux de Karajan pour DGG avec Agnes Baltsa, tout comme la version de 1964 avec Leontyne Price.

La Carmen de Maria Callas, n’est peut-être pas idiomatique, mais elle est d’abord très bien entourée et dirigée, et elle m’évoque un souvenir très particulier. Au cours de l’été 1973, j’étais au fin fond de la Roumanie dans un camping, avec pour seule liaison avec le « pays », un poste à transistor et en longues ondes France Inter. Un dimanche soir, la radio diffusait Carmen chantée par Callas. Surréaliste mais vrai !

Puis au hasard d’une Tribune des critiques de disques de France Musique, j’ai découvert la version de Georg Solti, à laquelle je n’ai cessé au fil des ans de trouver de plus en plus d’atouts, à commencer par l’incarnation si juste et touchante du rôle-titre par Tatiana Troyanos

Lorin Maazel, qui n’a pas toujours eu la main heureuse dans ses enregistrements d’opéra, réussit parfaitement la bande-son du film de Francesco Rosi. Julia Migenes n’est peut-être pas la plus grande chanteuse, avec ses partenaires elle incarne une Carmen plus que cr’édible

Lorin Maazel, quelques années plus tôt, a gravé une autre Carmen avec une interprète capiteuse à souhait, à laquelle il est difficile de résister, Anna Moffo

On s’étonnera peut-être que je ne place qu’ici, en tout cas pas dans les priorités, la version toujours présentée comme une référence de Claudio Abbado avec Teresa Berganza et Placido Domingo. Je n’ai jamais partagé l’engouement général pour cette version, que je trouve certes bien réalisée, mais trop statique, pas assez vivante. Et des soucis de prononciation rédhibitoires.

Très exotique aussi, mais pour d’autres raisons, la version de Thomas Schippers, grand chef de théâtre s’il en fut, avec une Carmen impossible en la personne de Regina Resnik, caricature de cantatrice et de Carmen en même temps. Rien ne va dans cet album, à part la direction racée de Schoippers et la rigueur de l’Escamillo de Tom Krause.

Je ne suis pas non plus très fan de la version de Michel Plasson, avec une Carmen vraiment peu crédible malgré (ou à cause de) la présence d’une Angela Gheorghiu que je n’arrive pas à me représenter en Carmen. Si Roberto Alagna fait un Don José émouvant, Thomas Hampson (Escamillo) et Inva Mula (Micaela) ne m’ont jamais convaincu.

En bonne dernière, malgré l’admiration qu’on nourrit pour le chef – Leonard Bernstein – et l’interprète principale – Marylin Horne – il faut bien reconnaître le ratage de cette Carmen.

En DVD il y a plusieurs versions qui ne manquent pas d’intérêt. J’en ai 4 dans ma bibliothèque (Karajan/Price), Philippe Jordan avec la blonde Anne-Sofie von Otter à Glyndebourne, Anna-Caterina Antonacci avec John Eliot Gardiner, et la plus surprenante Carlos Kleiber à Munich avec un « cast » étonnant autour de l’éternel Placido Domingo, Elena Obraztsova (!) en Carmen, Isobel Buchanan en Micaela

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Du Bach et des livres

Comme à mon habitude j’ai plusieurs livres sur ma table de chevet ou mon smartphone. Je les ouvre en fonction de l’humeur, du moment, du lieu où je me trouve. Parfois j’en lâche un plusieurs semaines, et je le retrouve sans en avoir perdu une miette, parfois je retarde le moment de le terminer, pour prolonger le plaisir.

Visionnaires

Je me suis replongé dans deux bouquins presque hors d’âge, qui valent toujours mieux, beaucoup mieux que tout ce qui sort ces jours-ci de la plume (?) des politiques. 

L’essai de Georges Pompidou (1911-1974), je l’avais lu à sa sortie en 1974, puis plus jamais rouvert. Je redécouvre un personnage vraiment singulier, le contraire du conservateur bourgeois, gaulliste d’occasion : ses pages sur l’éducation, l’Université et son avenir, le capitalisme et le marxisme, sur les sujets de société en général, sont visionnaires, appuyées sur une culture historique et philosophique qui impressionne. Saisissant !

Quant à Roland Dumas, mort à 102 ans il y a moins d’un an, on a le sentiment qu’il a disparu de l’Histoire. Le personnage n’a jamais démenti sa réputation de séducteur sulfureux. Mais le témoignage qu’il livre notamment sur les années 80 qui sont aussi les années Mitterrand est plus que précieux, et aide à comprendre nombre de sujets de notre actualité avec les personnages de Khadafi, Reagan, Gorbatchev, Assad, le Proche-Orient, l’Iran… A-t-on vraiment beaucoup progressé depuis ?

J’ajoute – c’est évidemment de première importance pour moi – que chez l’un comme chez l »autre le style fait l’écrivain.

Le retour de Maryvonne

On avait l’impression que l’ex-directrice du Patrimoine au ministère de la Culture, maniant volontiers la polémique, Maryvonne de Saint-Pulgent, avait un peu disparu des radars. C’était sans compter sur son nouvel opus, opportunément publié pour coïncider avec le centenaire de Pierre Boulez. Que d’aucuns, qui ne l’ont pas lu, ont un peu hâtivement présenté comme un pamphlet anti-Boulez.

Cette somme « montre que le rapport de Lully et Boulez au pouvoir et ses conséquences sur notre paysage musical ne sont pas des singularités, mais le fruit d’une exception française, due à la préférence nationale pour le mécénat d’État et les régimes politiques à exécutif fort, ainsi qu’à l’importance de la musique dans notre société.. Née sous la monarchie absolue, cette exception qui concerne aussi Rameau, Berlioz, Fauré et le groupe des Six perdure sous la Révolution, sous les monarchies du XIXᵉ siècle et au XXᵉ siècle, avec des éclipses pendant les régimes parlementaires, le relais étant alors pris par d’autres lieux de pouvoir, académies et salons parisiens notamment. Cette parenthèse de quatre siècles paraît refermée aujourd’hui, la musique savante ayant cessé d’intéresser les dirigeants politiques alors que disparaissait Pierre Boulez » (Présentation de l’éditeur).

A consommer à petites doses, mais sans temps morts.

Les dames du siècle

Le hasard m’a fait trouver ces deux petits livres en même temps dans la même librairie parisienne. De l’une et l’autre dames, je sais déjà bien des choses, mais c’est toujours mieux de creuser le sujet, d’en savoir plus sur des personnages qui ont servi la petite et parfois la grande histoire

Tous ceux qui se sont passionnés pour l’histoire du Festival d’Aix-en-Provence ont forcément rencontré son nom, la comtesse Pastré. Mais savent-ils que « Lily Pastré (1891-1974) a été bien plus qu’une riche mécène. Voici le récit de la vie d’une grande excentrique, d’une grande généreuse, d’une grande amie des artistes, des années folles aux Trente Glorieuses en passant par le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale.Née à Marseille, héritière des célèbres apéritifs Noilly Prat, elle épouse un aristocrate et vit à Paris dans un entre-deux-guerres tourbillonnant de fêtes et de concerts. Sa passion première, c’est la musique. Elle est l’amie des plus grands compositeurs et interprètes du moment. Dans sa villa du sud de Marseille, elle reçoit des personnalités aussi diverses que Christian Bérard et Édith Piaf, Luc Dietrich et André Masson. Pendant la guerre, au risque de sa vie, elle cache et aide des musiciens juifs, tels que Clara Haskil et Darius Milhaud, les sauvant d’une mort certaine » (Présentation de l’éditeur).

Quant à la sulfureuse Liane de Pougy, ce n’était pour moi qu’un nom connu. Je vais découvrir ces Dix ans de fête : « une série d’articles parus dans le quotidien La Lanterne en 1903 et 1904 qui raconte dans le détail et avec une liberté sidérante, la vie d’une demi-mondaine pendant une dizaine d’années. Comme l’annonce Liane de Pougy :  » On y reconnaîtra toutes les reines de la fête, qui ont conquis la célébrité par la grâce de leur sourire et le prestige de leur beauté. Ces mémoires renfermeront les indiscrétions les plus piquantes, relateront les aventures les plus pimentées du Tout-Paris qui s’amuse…  » (PdE)

Le crime est son affaire

Joseph Macé-Scaron récidive. Après une Reine jaune qu’on avait rencontrée in situ l’été dernier (lire Les romans de la Côte) et sa Falaise aux suicidés, l’ami Joseph opère un retour gagnant au polar.

« Depuis quelque temps, des événements inquiétants ont lieu à Baugé, petite cité angevine abritant un morceau de la Vraie Croix du Christ. 
Tout bascule lorsque des meurtres spectaculaires sont commis. Sont-ils l’œuvre d’un psychopathe ? D’un esprit avide de vengeance ? Le coupable est-il seulement humain ? 

Dépassées, les autorités font appel au capitaine Guillaume Lassire et à l’archiviste Paule Nirsen, membres du mystérieux Département S, un bureau non officiel chargé d’élucider des affaires étranges. Lancés dans une course effrénée sur les traces d’une autre croix, qui plongea l’Europe dans les ténèbres durant la Seconde Guerre mondiale, les deux enquêteurs vont remonter jusqu’aux racines du Mal.« 

On s’y plonge avec d’autant plus de bonheur et d’impatience que l’auteur a élagué, épuré une matière introductive qui était précédemment trop dense, trop riche de références. Le suspense s’en trouve décuplé, comme l’intérêt du lecteur. On imagine aisément le film qu’on pourrait en tirer.

Repasser son Bach

Je n’ai pas été très convaincu par le concert que dirigeait Klaus Mäkelä mardi soir (compte-rendu à lire sur Bachtrack: Une messe en si sans ferveur)

Je vais me replier ce week-end sur des valeurs sûres, impérissables et ferventes, de ma discothèque.

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Encore Chostakovitch

Le numéro de février de Diapason faisait sa couverture sur Chostakovitch* et consacrait au compositeur russe disparu il y a 50 ans un passionnant dossier (voir Des disques et des critiques).

Entre temps, Deutsche Grammophon regroupe dans un coffret de 19 CD (pour moins de 70 € !) une intégrale de ses symphonies, quelques musiques de scène et les six concertos pour piano, violon et violoncelle du compositeur, enregistrées par Andris Nelsons avec le Boston Symphony Orchestra, et comme solistes Yuja Wang, Baiba Skride et Yo Yo Ma. A quoi il faut ajouter rien moins que l’opéra révolutionnaire de Chostakovitch, Lady Macbeth de Mzensk. Plusieurs de ces enregistrements ne sont même pas encore sortis séparément…

Je suis loin d’avoir encore tout écouté, même si j’avais déjà prêté une oreille attentive aux premières symphonies parues ces dernières années. Je me rappelle certaines critiques, que je partageais souvent, sur les choix interprétatifs du chef letton, qui « décontextualise » cette musique pourtant difficilement séparable des circonstances qui l’ont vue naître.

On avait fait, si je me souviens bien, un peu le même reproche à Bernard Haitink qui avait, sauf erreur de ma part, enregistré la première intégrale « occidentale » des symphonies de Chostakovitch à Londres et Amsterdam.

J’ai rappelé ici même il y a peu mes préférences pour les visions en quelque sorte natives de Kondrachine, Mravinski, les chefs russes en général.

Sans souvenirs et sans préjugés

Mais je me demande s’il n’est pas temps, comme auditeur, d’aborder Chostakovitch « sans souvenirs et sans préjugés » (pour reprendre une célèbre formule de Jacques Lonchampt à propos du Parsifal de Boulez à Bayreuth en 1966). Exercice certes difficile quand on est nourri depuis des lustres de culture russe mais sûrement salutaire pour ne pas réduire ce compositeur et son oeuvre à leur seule dimension historique.

C’est la démarche, en tout cas, qu’adopte Andris Nelsons, en choisissant d’enregistrer tout son Chostakovitch avec l’orchestre sans doute le moins familier de l’oeuvre du Russe, le Boston Symphony. On serait bien en peine de trouver un disque Chostakovitch dirigé par l’un des prédécesseurs de Nelsons à la tête de cet orchestre, qu’il s’agisse de Munch, Leinsdorf, Steinberg, Ozawa ou Levine.

On n’est pas au bout de ses – bonnes – surprises en écoutant, pas à pas, cette nouvelle intégrale, pour l’essentiel captée en concert.

Les vraies surprises viennent, pour moi, des solistes des concertos.

Dans les deux concertos pour piano, Yuja Wang se montre plutôt moins exubérante qu’on l’attendrait, et finalement assez classique dans son approche

Pour ce qui est de Yo Yo Ma, bientôt septuagénaire (!), on connaissait bien le 1er concerto pour violoncelle gravé jadis avec Eugene Ormandy, mais pour les 2 concertos ensemble, c’est une première

Quant aux concertos pour violon, ils sont confiés à une compatriote du chef, la Lettonne Baiba Skride, que j’ai bien connue (et invitée) lorsqu’elle remporta le premier prix du Concours Reine Elisabeth en 2001, à tout juste 20 ans. La carrière discographique de Baiba a pris son cours sous le label Orfeo, avec plusieurs belles réussites. Ici, certains ne manqueront pas de relever une certaine retenue, l’absence de folie dans le jeu. Mais cela correspond à l’esthétique développée par le chef, et mérite l’écoute.

Je vais maintenant prendre le temps d’écouter l’opéra maudit de Chostakovitch, mais je tenais à saluer cette nouvelle et importante contribution moderne à la discographie du compositeur.

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*Je refuse d’utiliser l’orthographe internationale – Shostakovich –

Surprises et déceptions

Si je voulais résumer cette semaine en partie parisienne, je le ferais d’une formule : deux concerts, deux expositions, une déception.

Mercredi ce fut d’abord balade dans Paris sous le premier soleil de printemps. Un régal (voir l’album Paris 2 avril 2025). Et le soir au théâtre des Champs-Elysées un grand moment de musique avec deux frères hollandais repérés lors d’un 1er janvier à La Haye et invités à jouer à la Salle Philharmonique de Liège à l’automne 2009, Arthur et Lucas Jussen. Jeanine Roze leur avait fait faire leurs débuts parisiens en mars 2023, près de quinze ans après leur premier récital hors des Pays-Bas. Du piano 5 étoiles comme je l’ai écrit pour Bachtrack: Le sacre des frères Jussen au théâtre des Champs-Elysées

C’est le bis qu’ils ont joué après l’ovation monstre qui a salué leur Sacre du printemps.

Léger & Co.

L’après-midi même j’avais visité l’exposition qui vaut mieux que son titre jeu de mots, au musée du Luxembourg, rue de Vaugirard.

Je ne suis pas fou de ce genre d’expo-concept, mais je dois reconnaître que j’ignorais les fils qui reliaient Fernand Léger à certains de ses contemporains ou de ses successeurs (si tant est que le concept de successeur ait une quelconque validité s’agissant d’artistes peintres). Par exemple entre ce tableau de Fernand Léger et cette sculpture d’Yves Klein : le bleu sans doute !

Quelques autres photos à voir dans l’album Expo Léger /Musée du Luxembourg.

Disco no disco

En revanche, la déception est venue de l’expo Disco, organisée à grand renfort de communication – visites impossibles le week-end en raison de l’affluence ! – à la Philharmonie de Paris.

On a eu pitié du personnel de surveillance qui doit se taper une ambiance boîte de nuit autour d’une fausse piste de danse. Pour le reste, peu de documents vraiment informatifs ou exclusifs, des photos, des vidéos vues cent fois dans des documentaires ou sur les réseaux sociaux. Rien ou presque du règne du disco en France (une série de photos, cf. ci-dessus, prises au Palace). Quelques tenues de scène de Sheila, Dalida ou Patrick Juvet. Rien sur les boîtes de nuit à la mode à la fin des années 70/80 telles que je les ai connues (lire Mes années disco). On peut voir quelques photos sur mon album Expo Disco / Philharmonie.

Si la situation prêtait à sourire, je me suis demandé en voyant deux ou trois photos d’eux dans l’expo si le président américain – que je me refuse à citer – savait que ce sont deux Français Henri Belolo et Jacques Morali qui ont créé, en 1978, son groupe fétiche les Village People

En sortant de la Philharmonie, le contraste avec cet enclos était saisissant.

Ce jeudi soir, j’étais de retour cette fois dans la salle de concert de la Cité de la Musique.

Je suis en train de terminer mon papier pour Bachtrack, mais puisque le concert a été filmé (et diffusé en direct par France Musique), je le livre ici sans commentaire. Mais je peux déjà dire que je ne suis pas sorti indemne de cette Voix humaine.

Et toujours au jour le jour : brevesdeblog

L’admirable John Nelson

Quand je dis Nelson je pense spontanément à mes amis pianistes, le très regretté Nelson Freire, et le toujours bien vivant Nelson Goerner. Mais ce soir je repense avec émotion au chef américain John Nelson (1941-2025) qui vient de disparaître après une terrible maladie qui l’avait défiguré et pourtant pas empêché de poursuivre sa tâche jusqu’au bout de ses forces

Je veux d’abord citer Alain Lanceron, le patron de Warner et Erato :

« Nous n’oublierons pas le véritable amour qu’il éprouvait pour la musique et les musiciens, et pour ses deux compositeurs fétiches, Haendel et Berlioz. Nous n’oublierons pas non plus son enthousiasme, sa bonté, son humanité. John Nelson est mort lundi, un mois seulement avant les séances d’enregistrement que nous avions prévues à Strasbourg pour achever son cycle Berlioz. J’ai la chance de pouvoir me rappeler les 20 projets sur lesquels nous avons travaillé ensemble sur une période de trois décennies. La plupart d’entre eux étaient avec l’Ensemble Orchestral de Paris dont il a été directeur musical pendant 11 ans (de 1998 à 2009), et avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg pour un cycle Berlioz qui constitue un jalon dans l’histoire de l’enregistrement, en particulier Les Troyens avec Joyce DIDonato, Michael Spyres, Marie-Nicole Lemieux et une superbe équipe de chanteurs français. Juste y penser me fait venir les larmes aux yeux« 

Série à laquelle il faut ajouter une de mes références de toujours des Nuits d’été de Berlioz

J’ai deux souvenirs personnels forts de John Nelson.

À Besançon en 1995, comme je l’ai raconté sur ce blog  » je reçois une nouvelle invitation à siéger au Concours de jeunes chefs d’orchestre (j’y avais déjà siégé en 1992) Entre-temps je suis devenu directeur de France Musique (depuis l’été 1993), une absence d’une semaine de Paris n’est pas très bien vue par mes patrons de Radio France, mais le prestige du concours, etc… Cette année-là le jury est présidé par John Nelson. Personne parmi les candidats ne se détache vraiment, certains ne sont pas prêts – c’est le cas du fils d’un chef d’orchestre français, qui depuis a pris un bel envol, mais à qui John Nelson et d’autres membres du jury avaient dû expliquer amicalement qu’il devrait mûrir et s’aguerrir ). Un premier prix est attribué à un jeune Japonais, dont je n’ai plus jamais entendu parler depuis…

C’est finalement le lot de tous les concours, qui ne sont jamais une garantie de carrière pour les lauréats, mais qui, parfois, révèlent d’authentiques talents. Et pour qui a, comme moi, eu la chance de siéger dans plusieurs jurys, c’est sans doute l’expérience la plus enrichissante sur le plan artistique et humain. On ne voit plus jamais les artistes de la même manière, on mesure le courage, l’énergie, l’abnégation qu’il faut à un jeune musicien, au-delà de ses qualités musicales, d’abord pour affronter ces compétitions inhumaines, ensuite pour se lancer dans une carrière complètement aléatoire.« 

L’attitude de John Nelson pendant toutes les épreuves du concours, sa bienveillance, même quand nous manifestions notre impatience ou notre mécontentement face à l’impréparation manifeste de. certains candidats, est restée pour moi une leçon d’humanité.

Le second souvenir c’est l’invitation que j’avais faite à John Nelson de venir diriger la 6e symphonie de Mahler à Liège en 2005 (lire la critique de ResMusica).

Et puis bien sûr d’autres concerts à Paris, avec l’Ensemble orchestral de Paris auquel il aura assuré une renommée internationale. Souhaitons que Warner/Erato réédite une belle collection d’enregistrements qui font honneur à ce grand chef.