Il y a dix ans (I) : l’annonce

J’entreprends cette nouvelle série d’articles dix ans après une année – 2014 – qui a été un tournant dans ma vie professionnelle, et donc dans ma vie tout court. Pour y raconter des souvenirs personnels que le temps a tamisés, rétablir parfois certaines vérités, dire sans fard mon opinion sur les gens que j’ai côtoyés. Mais qu’on ne s’attende pas à un grand déballage, je n’ai aucun compte à régler, j’ai toujours l’admiration plus active que l’inimitié.

L’attente

Dans les premières semaines de 2014, j »avais été mis en contact avec un homme jeune, qui avait défrayé la chronique audiovisuelle en étant nommé, en 2010, président de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) à 33 ans seulement, par Nicolas Sarkozy sur proposition du ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand. Mathieu Gallet était candidat, dans un secret qui a été très bien gardé, à la présidence de Radio France. Des amis communs avaient pensé que je pourrais l’aider à « porter » (je déteste vraiment ce terme mis à toutes les sauces) sa candidature sur ses aspects musicaux, le devenir des formations musicales de Radio France, etc. J’étais à vrai dire un peu surpris qu’on songe à moi, parti à Liège depuis bientôt quinze ans, même si j’avais, semble-t-il, laissé quelques bons souvenirs de mon passage à la direction de France Musique (lire L’aventure France Musique)

Le contact se fit d’abord par téléphone, puis nous convînmes d’un déjeuner le 5 mars à Paris. Tout le monde fut pris de court par la décision du Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) prise le 27 février : Mathieu Gallet le choix du CSA. (Le Monde, 27 février 2014).

(Photo AFP BERTRAND LANGLOIS)

J’envoyai un message de félicitations au nouvel élu, qui me confirma le rendez-vous prévu. Au cours de ce déjeuner, le premier d’une série de rencontres qui allaient jalonner les semaines suivantes, j’explicitai ma vision des choses, et Mathieu Gallet me fit comprendre qu’il pourrait envisager de me nommer à la direction de la Musique de Radio France. A vrai dire, je n’y croyais pas trop – comme d’ailleurs je n’y avais pas cru lors de ma nomination à France Musique – parce que ce jeune président serait inévitablement sollicité de toutes parts par des candidats disposant de réseaux puissants, bien implantés dans les rouages politico-administratifs de la capitale. J’aurais quelques mois plus tard la confirmation du mépris que nourrissaient un des chefs de la place et sa clique (*) pour le provincial venu de Liège (quelle horreur !) que j’étais. Nous nous revîmes plusieurs fois dans le salon de thé d’un grand hôtel parisien, je le mis à l’aise en lui disant que je comprendrais qu’il choisisse finalement quelqu’un d’autre, mais Mathieu Gallet tint bon. Et le secret fut bien gardé. Le nouveau PDG prit ses fonctions le 12 mai 2014 dans la Maison ronde.

L’annonce

Il se trouve que le 14 mai, je devais annoncer à Liège, d’une part la nouvelle saison de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, d’autre part le renouvellement du contrat de Christian Arming comme directeur musical. Il était impossible que je ne parle pas de Radio France… J’avais prévenu le président de l’Orchestre, le jour même avant la conférence de presse, j’avais réuni les collaborateurs et les musiciens de l’orchestre pour leur dire… ce que j’allais annoncer.

Il fallait bien sûr que, à Paris, la communication du côté de Radio France soit concomitante. J’eus une petite idée de ce qui m’attendrait une fois en poste, en mesurant la complexité des circuits de décision et de validation pour la seule rédaction du communiqué de presse annonçant ma nomination. Je passe sur les allers-retours, les coups de téléphone qui furent nécessaires… Jusqu’à ce sorte « le » communiqué : Jean-Pierre Rousseau nommé à la direction de la Musique de Radio France

Le matin même ma boîte Messenger et ma page Facebook avaient été envahis de messages de félicitations, Mathieu Gallet ayant vendu la mèche en visitant les bureaux de la direction de la musique et de France Musique.

Et Liège ?

Comme les médias belges allaient le relater – Le directeur de l’OPRL part à Radio France – la surprise de mon départ de Liège fut totale et en partie source d’inquiétude. J’étais convenu avec mon nouvel employeur comme avec le conseil d’administration de l’Orchestre que j’assumerais mes responsabilités jusqu’à ce que mon successeur soit trouvé. Ce fut fait en novembre.

(*) J’ai pris le parti de ne jamais nommer ce personnage. Le devoir de réserve auquel je suis tenu m’interdit d’en dire plus à son sujet, et pourtant…

2 réflexions sur “Il y a dix ans (I) : l’annonce

  1. Bonjour. Je relisais l’éditorial d’Emmanuel Dupuy dans un « vieux diapason » de septembre 2017 : L’ENCOMBRANT M. GERGIEV à propos du concert du 14 juillet de cette même année 2017.

    « Au pied de la dame de fer, il faut un capitaine du même métal afin de cornaquer quelque 350 exécutants. Pour le cru 2017, Mathieu Gallet promettait un coup d’éclat :
    Valery Gergiev, le chef le plus demandé de la planète (143 concerts annuels au compteur, un record), nous fait l’« immense honneur […] de venir diriger les musiciens
    le soir de notre fête nationale », annonçait pas peu fier le P.-D.G. de Radio France. »
    …/…
    Après avoir évoqué les concerts de Gergiev en 2008 « à Tskhinvali, la capitale d’Ossétie
    du Sud, tout juste reprise à la rébellion géorgien ne par les forces loyales à Moscou », en mai 2016 « parmi les ruines de Palmyre, afin de saluer la reconquête de la cité antique par les troupes fidèles à Bachar El-Assad. »
    …/…
    « Mais M. Gallet a préféré les ignorer, dressant en vain l’improbable paravent de l’art pour l’art : « Je ne veux pas commenter les choix qu’il peut faire au niveau politique,
    il ne s’agit que de musique ce soir-là. » Ah bon ? On croyait que le 14 juillet célébrait l’esprit de 1789, les Droits de l’Homme, la liberté, l’égalité et tout ce genre
    de choses… Au reste : le mégapublic du mégashow qu’est le « Concert de Paris » fait-il vraiment la différence entre la « stature et la renommée médiatique » d’un
    Gergiev qu’on nous vante, et celles d’un Lionel Bringuier, d’un Stéphane Denève, d’un Alain Altinoglu ? (tiens, trois chefs français) »

    Edito à relire dans son intégralité !

    Le choix des responsables de nos institutions est un choix politique (Dati à la culture pour le cru 2024….). Le choix des chefs aussi.
    Il ne faut pas s’attendre à entendre du Harrison Birtwistle, du Friedrich Cerha, du Xenakis ou autres oeuvres de moins de 50 ans en nommant Klaus Makela. Rien que du « grand » répertoire archiconnu mais avec un peu de saupoudrage de raretés pour se donner bonne conscience… Bruckner, probablement bientôt, c’est obligatoire…et en plus, je parie qu’il sera mal joué à la lumière de ses disques actuels.
    Pitoyable aussi son intervention dans le reportage sur la 9ième de Beethoven sur Arte
    Le monde du classique et de ses stars serait-il devenu fou?

    Ravi en tout cas de lire votre blog depuis 2 ans environ. Indispensable, tout comme la chaine youtube de David Hurwitz.

    1. Merci pour ces rappels et cette appréciation. Je veux juste préciser que ma mission comme directeur de la Musique de Radio France a pris fin prématurément en mai 2015, et que les décisions prises pour le 14 juillet 2017 ne m’engagent évidemment pas. Ma seule et grande fierté est d’avoir poussé à l’engagement de 8 chefs français au cours de la saison 2016-2017 comme le rappelait Diapason (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/05/25/au-diapason/)

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