La grande pâque russe

Il y a dix ans – c’était plutôt vers la fin avril – j’ai eu la chance de découvrir « en vrai » des lieux, des paysages d’une Russie que je connaissais déjà par coeur pour les avoir parcourus tout au long de mes années d’études de la langue et de la civilisation russes, au lycée puis à l’Université.

Ce que l’on appelle Золотое кольцо / L’Anneau d’or, un circuit de cités historiques, parmi les plus anciennes de Russie, situé au nord-est de Moscou.

Et, ce 24 avril 2011, de tomber à Iaroslavl sur les célébrations de la Pâque russe, en présence de l’archimétropolite de Vladimir. Célébrations festives, ferveur populaire, dans un joyeux désordre, d’où tout protocole semblait absent.

Христос Воскресе! : le Christ est ressuscité, c’est ce que proclame la banderole fixée sur le portail de l’église où se presse la foule.

Cette année-là, la Pâque orthodoxe coïncidait avec la fête de Pâques catholique ou protestante.

Et plus que jamais j’ai éprouvé cette impression phénoménale d’une immersion dans une histoire millénaire, je n’ai pas vécu cette journée comme un touriste avide d’images exotiques, mais comme une sorte de retour dans une famille que j’avais choisie de faire mienne à l’âge de 11 ans (j’avais pris le russe en seconde langue à mon entrée en quatrième).

Deux jours après cette pâque à Iaroslavl, je visiterais le monastère de Sergev Possad (jadis Zagorsk), considéré comme le coeur de l’orthodoxie russe.

Et bien entendu, je resterai toujours fasciné par l’œuvre de Rimski-Korsakov, dont le titre même est une promesse : La grande Pâque russe.

Je me rappelle mon tout premier disque de musique russe, et un chef, Lovro von Matacic, auquel je ne m’intéresserais que bien plus tard (lire : Les sans-grade: Lovro von Matacic)

Rimski-Korsakov écrit La grande Pâque russe, une « ouverture de concert », entre août 1887 et avril 1888 à la mémoire de Moussorgski (1839-1881) et surtout Borodine, mort le 27 février 1887, qui faisaient partie de ce fameux Groupe des Cinq (avec César Cui et Mily Balakirev)

La première édition de M. P. Belaïeff de 1890 précise en français : La Grande Pâque Russe. Ouverture sur des Thèmes de l’Église Russe pour Grand Orchestre . Elle est sous-titrée Ouverture sur des thèmes liturgiques d’après le psaume 68 et l’Évangile selon Saint Marc, chapitre XVI. La création a lieu à Saint-Pétersbourg, le 3 décembre 1888 sous la direction du compositeur dans le cadre des Concerts symphoniques russes.

Les thèmes de cette ouverture sont en grande partie extraits de la liturgie orthodoxe russe, basés plus exactement sur une collection d’anciens cantiques disparates, souvent anonymes, appelés Obikhod et adoptés comme chants liturgiques officiels à la Cour Impériale des Romanov.

Dans son programme de présentation, Rimsky-Korsakov inclut plusieurs citations bibliques afin de guider l’auditeur sur ses intentions. Pour caractériser l’office de la  Pâque russe, il réunit dans cette œuvre les souvenirs du prophète antique, du récit évangélique en y associant les joies païennes du peuple russe. Chaque partie de l’ouverture est décrite avec précision par Rimski-Korsakov dans ses Chroniques de ma vie musicale :

  • Lento mystico – Maestoso

« L’assez longue et lente introduction à La Grande Pâque russe sur le thème Dieu ressuscitera, évoquait pour moi la prophétie d’Isaïe sur la résurrection du Christ. »

  • Andante lugubre

« Les sombres couleurs de l’andante lugubre semblent représenter le Saint Sépulcre s’illuminant au moment de la résurrection… »

  • Allegro agitato

« Le commencement de l’Allegro, extrait du psaume Ceux qui le haïssent fuiront de devant sa face, est bien en harmonie avec la joie qui caractérise la cérémonie orthodoxe : la trompette solennelle de l’Archange alterne avec le son joyeux et presque dansant des cloches, coupé tantôt par la lecture rapide du diacre, tantôt par le chant du prêtre lisant dans le Livre saint la Bonne Nouvelle. »

  • Maestoso alla breve

« Le thème Christ est ressuscité, constituant en quelque sorte le thème secondaire de l’œuvre, apparaissait entre l’appel des trompettes et le son des cloches, et formait également une coda solennelle. »

Il existe de cette Grande Pâque d’innombrables versions au disque. Beaucoup passent à côté de la dimension mystique de l’oeuvre, pour n’en retenir que la flamboyance orchestrale.

Je reste, quant à moi, fidèle à Lovro von Matacic, et je garde une place de choix pour Neeme Järvi et Igor Markevitch

Souvenir d’une rencontre récente (juillet 2019) avec un géant tant admiré, mon cher Neeme Järvi

Beethoven 250 (XIX) : les géants d’Amsterdam

Après l’année du 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven, c’est encore l’anniversaire !

Je ne sais à vrai dire pas quand est paru le coffret que je veux évoquer aujourd’hui. Je viens de l’acheter et j’ai commencé à l’écouter, avant ce long week-end pascal confiné.

A l’occasion de son 125ème anniversaire – décidément qu’est-ce qu’on aime les anniversaires dans le monde de la musique ! – l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, pour le dénommer complètement, avait publié deux forts coffrets, composés de prises de concert. La liste des chefs et des solistes qui ont fait la glorieuse histoire de la phalange néerlandaise donne le vertige (tous les détails à lire ici : Concertgebouw Amsterdam 125).

On pensait que ces coffrets avaient fait le tour de la question, et que cette nouvelle boîte doublonnerait avec ce qui avait déjà été publié. Ce n’est pas le cas et l’affiche fait rêver !

Certains chefs sont attendus (Harnoncourt dans l’Héroïque, Carlos Kleiber dans la Septième) d’autres moins (Bernstein dans la Deuxième, Dorati dans la Neuvième) et pour des chefs, comme Norrington, Herreweghe, Zinman qui ont gravé avec les formations dont ils étaient les patrons, des intégrales des symphonies de Beethoven, il est fascinant d’entendre le son qu’ils obtiennent du Concertgebouw. Un orchestre qui n’a pas travaillé pour rien avec Harnoncourt dans les années 80 et 90, et qui en a gardé une formidable capacité d’adaptation stylistique et sonore.

Le vétéran Herbert Blomstedt prouve, une nouvelle fois, que le grand âge n’a pas prise sur sa vision juvénile du finale de la Quatrième symphonie


Seul doublon entre ce coffret et celui qui fut consacré à Mariss Jansons, directeur musical du Concertgebouw, la 5ème symphonie :

Roger Norrington, qui n’avait laissé personne indifférent, c’est peu de le dire, avec son intégrale des années 90 avec les London Classical Players (souvenir d’un passionnant Disques en Lice autour de la Pastorale justement )

Quant à la Septième dirigée, en 1983, par Carlos Kleiber, elle est depuis entrée dans la légende. Et, s’il est possible de comparer l’incomparable, je préfère – de peu – cette version à celle, tout aussi légendaire, que le chef, disparu en 2004, a gravée avec les Wiener Philharmoniker.

Philippe Herreweghe est égal à lui-même, tendre et bienveillant dans ce menuet de la Huitième symphonie.

Quant à Antal Dorati, cet immense chef qu’on n’a, à tort, que rarement associé à Beethoven, prouve qu’en concert il était toujours inspiré. Qu’on écoute simplement le récitatif qui ouvre le 4ème mouvement de la Neuvième symphonie…