Je me rappelle l’admiration que j’éprouvais jadis pour des critiques musicaux qui me semblaient exprimer idéalement ce qu’ils avaient entendu, ressenti, observé au concert ou à l’opéra. Jacques Lonchampt était l’un d’eux, pilier du journal Le Monde de 1961 à 1990.
D’un autre, à Genève, j’étais plus proche – je l’ai revu récemment, tel que l’âge ne l’a pas changé ! – j’avais coutume de lui dire : « Quand j’ai assisté au même concert que toi, je lis dans ton papier tout ce que j’ai ressenti – évidemment mieux écrit que je n’aurais su le faire – quand je n’y ai pas assisté, il me suffit de te lire pour savoir ce que j’ai manqué (ou pas !) ».
Pourquoi ce préambule, avant de parler du Cosi fan tutte que j’ai vu hier soir à Aix-en-Provence ? Parce que je n’ai jamais lu, sous la plume de ces critiques, de formules à l’emporte-pièce, de jugements péremptoires, de facilités dans l’air du temps. Aujourd’hui n’importe qui, sur les réseaux sociaux, sur son blog (!), sur des sites dédiés, peut se déclarer critique musical, émettre avis et jugements, sans craindre l’autorité d’un rédacteur en chef ni suivre une ligne éditoriale. Il y a heureusement le bon grain et l’ivraie, et quelques vrais talents.
Je me suis toujours senti incapable, sauf dans des domaines ou des répertoires que je pense à peu près connaître, de porter un jugement définitif sur ce que j’ai vu ou entendu, notamment à l’opéra. Réaction primaire sans doute, j’aime ou j’aime pas, j’ai été porté, transporté par ce que j’ai vu, ou je me suis ennuyé ferme.
Tenez, par exemple, ce Cosi aixois dirigé par Louis Langrée, mis en scène par le cinéaste Christophe Honoré. J’ai à peu près tout lu, et sans nuance, sur cette mise en scène. On est prié de détester, de rejeter ou d’accepter en bloc, selon les censeurs patentés. Moi je n’ai pas été gêné par les partis-pris d’Honoré, il privilégie la violence des rapports humains, la veulerie des sentiments et des attirances, et en tout cas ne déforme pas l’ouvrage de Mozart et da Ponte. J’avais été beaucoup plus réservé sur la mise en scène du même Cosi à Aix par Patrice Chéreau en 2005, l’intéressé avait lui-même reconnu son échec.
Je ne sais pas si le spectacle a été « sauvé » (de quoi?) par Louis Langrée. Le chef français n’a plus à prouver qu’il est chez lui dans Mozart – je me rappelle ma toute première visite à Glyndebourne à l’été 2000, un Cosi fan tutte dirigé par lui révélant à chaque instant les complexités et les grandeurs d’un opéra jadis découvert dans l’austère version Böhm/Schwarzkopf/Ludwig (EMI). Même si la distribution d’Aix 2016 n’est pas d’un niveau exceptionnel, les ensembles , si nombreux dans cet ouvrage, fonctionnent admirablement grâce à l’alchimie créée par Louis Langrée avec l’aide ô combien précieuse du Freiburger Barockorchester. Oserai-je avouer, quitte à encourir les foudres de ceux qui savent, que ça me va très bien quand la fosse et le plateau me contentent et que la scène n’obstrue pas la musique ?
On peut revoir ici ce Cosi fan tutte Aix 2016. Et se faire sa propre opinion sur tous les éléments de cette production. Lire aussi le papier de Raphael de Gubernatis dans L’Obs
