Scènes d’automne

J’ai évoqué brièvement (c’est le principe de mes brèves de blog !) mes sorties récentes au théâtre et au concert :

Le Canard enchaîné de ce 29 octobre a trouvé plus de qualités que moi à La Jalousie de Guitry, jouée et mise en scène par Michel Fau au théâtre de la Michodière (cf. ma brève du 27.10).

La lecture de cet article me rappelle qu’Yvonne Printemps – qui fut l’une des épouses de Sacha Guitry – fut longtemps la directrice de ce théâtre qui célèbre son centenaire.Yvonne Printemps l’inoubliable créatrice de ces Chemins de l’amour de Poulenc

Valérie Lemercier, la déception

J’avais acheté mes places il y a six mois – ce que je ne fais jamais – mais je me doutais que le retour de Valérie Lemercier au One Woman show lui vaudrait une affluence record. Hier soir au théâtre Marigny, il n’y avait plus un strapontin de libre. Que dire quand on a assisté au premier spectacle de la comédienne, à deux reprises, une fois en France, une fois en Suisse – où la différence de perception de l’humour de V.L. était flagrante ! -, qu’on a aimé ses prestations décalées, loufoques, dans certaines émissions, quand on a aimé ses films (Aline) ?

Comme on nous a seriné de toutes les manières, humour compris, qu’on ne pouvait prendre aucune photo, aucune vidéo du spectacle, j’en déduis que c’est motus aussi sur le contenu de ce qu’on a vu. De toute façon, les aficionados, dont je suis, le resteront, quelque déception qu’on ait éprouvée devant un spectacle, certes bref- 1h15 – mais assez distordu, avec des séquences qui prennent leur temps, d’autres très brèves – qui ne sont pas les moins réussies !- En fait, c’est du pur Valérie Lemercier qui hésite entre le remake, actualisé, de scènes cultes, quelques sketchs bien tournés, mais avec un sentiment d’inabouti, d’inachevé, comme si elle n’avait pas osé creuser, et se renouveler avec plus de distance. Bref, on est comme un amoureux déçu de ne pas avoir complètement retrouvé celle qu’on a adorée il y a trente ans…

La foule pour Napoleon

Je ne sais combien de dizaines de fois je suis passé en voiture devant le dôme des Invalides, place Vauban, me disant à chaque fois que je devrais tout de même m’y arrêter. Faire le touriste quoi !

J’ai enfin mis ce projet à exécution hier, oubliant qu’on est encore en période de vacances scolaires. J’ai été sidéré du nombre de familles et donc d’enfants qui visitaient les lieux.

D’abord le tombeau de Napoléon, sous l’impressionnante coupole :

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Ils sont peu nombreux à entourer Napoléon ici : Vauban, Turenne, Lyautey, et le maréchal Foch

Ce tombeau – très impressionnant – est l’oeuvre du sculpteur Paul Landowski, qui doit toute sa célébrité au célébrissime Christ rédempteur (Corcovado) qui domine la baie de Rio de Janeiro. Ce qui nous intéresse aussi c’est le lien du sculpteur avec la musique : c’est le père de Marcel Landowski, compositeur qui n’a pas laissé en tant que tel une trace considérable dans le XXe siècle, mais à qui l’on doit l’organisation de la musique en France (cf. l’excellent ouvrage de Maryvonne de Saint-Pulgent que j’évoquais dans Du Bach et des livres). Paul Landowski, et cela je l’ignorais, est aussi le petit-fils du côté maternel d’Henry Vieuxtemps, un grand compositeur, lui, que je suis fier d’avoir pu honorer durant mes années liégeoises, par l’enregistrement intégral de ses concertos pour violon sous la baguette de mon très regretté Patrick Davin, brutalement disparu il y a cinq ans déjà !

Des Invalides je ne connaissais bien sûr la Cour d’Honneur et surtout l’église Saint-Louis-des-Invalides où se déroule une belle saison de concerts. Mais j’eus le privilège de m’y recueillir hier seul à l’écart de la foule,

Avant de visiter le Musée de l’Armée, que j’ai véritablement découvert, au milieu certes de la foule, mais souvent ému par l’intérêt, l’attention, que portaient les très nombreux enfants et adolescents présents, à ce qui leur était montré, notamment dans les deux étages consacrés aux deux guerres mondiales.

A propos de Napoléon, je suis demandeur de l’avis de mes lecteurs : j’aimerais voir et donc acheter le DVD du film que Sacha Guitry a consacré en 1955 au premier empereur des Français, avec une distribution éblouissante. Je lis des avis très contrastés sur la seule édition qui existe en DVD à ma connaissance, sur ses qualités techniques…Recommandé/recommandable ou non ?

Humeurs et bonheurs toujours à lire dans mes brèves de blog

Des chemins d’amour

Francis Poulenc disparaissait il y a soixante ans le 30 janvier 1963. Ce n’est ni le moment ni le lieu de récapituler sa vie ni son oeuvre. Juste de rappeler une mélodie à jamais gravée dans ma mémoire :

Les chemins de l’amour est une mélodie composée par Francis Poulenc sur des paroles de Jean Anouilh en 1940, d’après une valse chantée tirée de la musique de scène de la pièce Léocadia.
La mélodie est composée en octobre 1940, elle est dédiée à la comédienne et chanteuse Yvonne Printemps, qui la chante à la création de la pièce Léocadia le 1er décembre 1940. La chanson connaît un certain succès, et Yvonne Printemps l’enregistre.

Rien n’est moins évident que de réussir la fausse nonchalance, ce « je ne sais quoi » qui n’est pas donné à toutes les interprètes de cette mélodie.

C’est par Jessye Norman, dans un Grand échiquier je crois, que j’appris à connaître et aimer Les chemins de l’amour. Totalement excessif et pourtant si aimable !

Dans les interprétations récentes, Patricia Petibon donne dans la vénéneuse subtilité, aidée en cela par Susan Manoff et Christian-Pierre La Marca.

Fatma Said n’est pas mal du tout. Elle sait ce qu’elle chante !

Trois morts

Tandis que j’achève ce billet, j’apprends trois disparitions : l’une qui me touche parce que c’était un musicien que j’avais recruté tout jeune à l’orchestre philharmonique royal de Liège en 2009, devenu délégué syndical estimé de tous, le contrebassiste François Haag, mort à 40 ans « des suites d’une longue maladie ». Injuste !

Une autre, plus prévisible, a un lien direct avec Poulenc : le pianiste Gabriel Tacchino est mort à 88 ans. Il laisse un beau legs discographique.

Sans doute moins connu en France qu’en Belgique où, depuis une victoire au concours Reine Elisabeth, il comptait amis et fidèles, le pianiste ukrainien Evgueni Mogilevski, né à Odessa en 1945, est mort hier. J’ai précieusement acheté les quelques disques qu’on trouve de lui. Un immense musicien, révéré par ses pairs, admiré par ceux qui l’aimaient.

Jessye Norman : Les chemins de l’amour

J’ai grandi musicalement avec Jessye Norman, disparue hier à quelques jours de son 74ème anniversaire.

Mes souvenirs s’emmêlent mais c’est d’elle que j’ai appris d’abord par le disque et la télévision des pans entiers de répertoire, français notamment.

Premier disque de mélodies françaises avec ces « Chemins de l’amour » hyper sophistiqués entendus dans un Grand Échiquier, qui se sont à jamais gravés dans ma mémoire, malgré Yvonne Printemps, Felicity Lott et autres voix plus « légères »

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Et à peu près en même temps – une Tribune de France Musique peut-être ? – quelques années avant que j’aie la chance de travailler avec lui, la première des trois versions du Poème de l’amour et de la mer de Chausson qu’a enregistrées Armin Jordan. À nouveau un choc puissant, que ne supplanteront pas Irma Kolassi ou Felicity Lott et Françoise Pollet (les deux autres solistes d’Armin Jordan dans ce Poème)

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Et puis les incursions de la chanteuse originaire de Géorgie dans son répertoire natif de songs, dans la comédie musicale.

Le marketing déjà…mais à bon escient !

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Ne viendront que plus tard ses incarnations lyriques, toujours au disque, jamais sur scène.

Des Mozart, Strauss, Wagner, Verdi, Offenbach même, mais toujours ce sentiment que la voix d’or en fusion, le timbre unique de Jessye Norman se fondaient difficilement dans des ensembles, ne s’entendaient, ne s’écoutaient qu’en seule majesté. Quelques ratages, mais si peu (impossible Carmen avec Seiji Ozawa).

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Et un jour je crois bien que c’était au Théâtre des Champs-Elysées (?) un unique récital. La diva dans toute sa splendeur, tout ce qu’on a déjà dit d’elle, le port altier d’une souveraine de l’Antiquité, la voix longue et charnelle, l’attention presque maniaque au texte, à la diction au risque du maniérisme. Inatteignable diva !

Une mort anonyme

Samedi après-midi. Les gros titres des journaux de la mi-journée, des histoires tragiques : les victimes de l’incendie de la tour Grenfell de Londres, la visite de réconfort de la reine d’Angleterre et de son petit-fils le prince William, les rebondissements dans l’affaire du petit Grégory (interviews nauséabondes de la famille).

Et juste en face de chez moi, une voiture de gendarmerie stationnée depuis le début de la matinée. Devant le garage d’une belle maison aux volets rouges.

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Une terrasse/jardin en surplomb de la rue, de belles roses anciennes. L’apparence d’une demeure entretenue.

Depuis quelque temps, la maison semblait endormie. Non qu’elle fût jamais animée. Mais  depuis que je m’étais installé dans la mienne en face, j’avais pris l’habitude d’apercevoir une silhouette féminine sans âge, cheveux gris filasse, à la fenêtre du premier étage, toujours ouverte en toute saison. Parfois, dans une robe de chambre défraîchie, vieux rouge comme les volets de la maison, toujours la même, je la voyais parcourir la terrasse et la surprenais à m’épier. Mais dès que je me manifestais, par un salut même à distance, elle tournait la tête et les talons.

Elle paraissait vieille, très vieille, comme fatiguée de la vie, recluse, repliée dans sa solitude. Je me faisais tout un cinéma de cette mystérieuse voisine. Ne dit-on pas que, dans mon village, de vieilles actrices finissent leurs jours dans l’oubli ? À cinquante mètres de la maison natale d’Yvonne Printempsà quelques encablures du petit cimetière de Valmondois où reposent d’anciennes gloires du music hall et de la télévision comme Pierre Sabbagh et Catherine Langeais, c’était plausible.

Mû par un étrange pressentiment, je  me décidai tôt ce matin à appeler la gendarmerie. S’il était arrivé quelque chose à ma voisine ? à moins qu’elle ne soit partie en voyage ? ou qu’elle ait été hospitalisée ? Mais je ne pouvais pas rester plus longtemps spectateur de cette maison close, inanimée.

La gendarmerie prit mon message très au sérieux, puisque quelques minutes après mon appel, deux jeunes pandores et une gendarmette sonnaient chez moi, enquêtant immédiatement dans le voisinage et les commerces locaux. Personne ne connaissait l’habitante de la maison. La boîte aux lettres débordait. Le téléphone fixe ne répondait pas. Pas de téléphone portable. Les pompiers furent appelés à la rescousse, pour accéder à la terrasse et procéder à l’ouverture des portes et fenêtres de la maison.

Le temps soudain parut s’étirer. Comme dans un film d’Hitchcock. De là où j’étais, je ne pouvais qu’apercevoir des ombres, parfois un casque de pompier, des mains gantées aussi. Je ne voulais pas non plus jouer les voyeurs « comme à la télé », mais je parvenais mal à me concentrer sur mes travaux de jardinage.

Midi sonnait lorsque les pompiers redescendirent, repliant leurs échelles, remisant leurs casques, et prirent congé de leurs collègues gendarmes. Un peu d’effervescence autour, quelques rares voisins étonnés par la présence de la maréchaussée (« Il y a eu des cambriolages dans le coin ? »).

De nouveau la gendarmette du groupe sonna à mon portail. Pour relever mon identité, mes coordonnées, puisqu’on aurait certainement besoin de m’entendre. Il était bien arrivé quelque chose à ma voisine inconnue, elle avait été trouvée morte au pied de son lit. Une jeune femme médecin-légiste arrivée en début d’après-midi devait déterminer les circonstances et la date du décès, mais, même exprimés avec pudeur, les mots des jeunes gendarmes disaient éloquemment le choc éprouvé devant le spectacle macabre qui s’était offert à leur vue lorsqu’ils avaient pénétré quelques heures plus tôt derrière les volets rouges.

Un café serré pour les réconforter, et leur permettre de tenir le coup pour les heures à venir : la découverte d’un cadavre, toutes les formalités qui s’ensuivent, l’enquête etc.

Et voilà comment une femme, moins vieille que je ne croyais, 75 ans, veuve depuis dix ans, sans enfants, sans amis, brouillée semble-t-il avec un frère vivant loin d’ici, meurt dans l’anonymat, la solitude, le silence, à quelques mètres de voisins qu’elle ne fréquentait pas et qui respectaient (?) ou n’osaient franchir cette distance. Une mort comme des milliers d’autres. La mort de ma voisine inconnue…