Un bouquet de Strauss (I) : dix valses

#JohannStrauss200

Nous y voilà : il y a deux cents ans, le 25 octobre 1825, naissait le plus célèbre compositeur du monde. Le plus célèbre, oui, puisque ce sont plusieurs milliards de téléspectateurs qui chaque 1er janvier entendent ses oeuvres, on veut parler de Johann Strauss, que je me refuse à appeler Strauss II – il n’est ni pape, ni roi… même de la valse – éventuellement Johann Strauss fils. Même si d’évidence il a acquis une légitime et universelle célébrité, qui surpasse celle de son père (Johann) et de ses frères (Josef et Eduard) pourtant très doués.

La célèbre statue dorée de Johann Strauss dans le parc de la ville de Vienne et un chef, pur Viennois, Christian Arming, qui dirigeait l’orchestre philharmonique royal de Liège dans sa ville natale en mai 2014 (Les soirées de Vienne) / Photo JPR

Pour célébrer ce bicentenaire à ma manière – puisque mon pays, la France, est bien timide – c’est un euphémisme – en dehors d’un beau concert de l’Orchestre national – je propose trois volets très personnels d’exploration de son oeuvre avec des versions que je recommande particulièrement.

D’abord 10 valses, celles qui me touchent le plus, et pour chacune non pas une discographie exhaustive – impossible – mais, tirées de ma discothèque personnelle, des versions qui me semblent être des références et/ou des raretés (mais je mentionne pour chaque valse toutes les versions de ma discothèque !)

1. An der schönen blauen Donau / Le beau Danube bleu

La plus célèbre valse de Johann Strauss est d’abord une valse chantée, sur un texte satirique de Josef Veyl, un ami d’enfance du compositeur, qui fera scandale lors de la création le 13 février 1867 au Dianabad par le Wiener Männergesang-Verein. C’est à Paris, lors de l’Exposition universelle, le 1er avril de la même année, qu’est donnée la version orchestrale sous la direction de Johann Strauss.

La seule version avec choeur qui figure dans ma discothèque est celle de Willi Boskovsky avec le choeur de l’opéra de Vienne et bien entendu les Wiener Philharmoniker

Naguère distingué à l’aveugle par l’émission Disques en lice, Claudio Abbado, capté le 1er janvier 1988, reste une/ma référence, loin devant tant d’autres !

D’autres versions à retrouver dans cet article : Le beau Danube coule depuis 158 ans

(Abbado x2, Barbirolli x2, Barenboim x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky x5, Dorati, Dudamel, Fiedler, Fricsay x2, Gerhardt, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons x2, Karajan x8, Keilberth, Carlos Kleiber x2, Krips, Maazel x4, Mehta x4, Muti x5, Ormandy, Ozawa, Paulik, Prêtre x2, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

2. Kaiserwalzer ou la valse des empereurs

L’Orchestre national de France et Manfred Honeck rendaient hommage récemment à Johann Strauss (lire Chiche bicentenaire).

Parmi la quarantaine de versions de ma discothèque (avec des récidivistes comme Karajan avec 8 versions studio et « live » !), j’ai mes préférences :

Jascha Horenstein a enregistré à Vienne (avec l’orchestre de l’opéra, c’est-à-dire les Wiener Philharmoniker !) deux disques parus sous diverses étiquettes. Sa Kaiserwalzer (ici à 7’50 ») est idéale d’entrain, d’allure.

Autre version oubliée, viennoise elle aussi, mais avec les Wiener Symphoniker, Wolfgang Sawallisch

(Abbado x2, Barbirolli x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky, Fiedler, Fricsay, Furtwängler, Gielen, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons, Karajan x8, Keilberth, Kempe, Klemperer, Krips, Henry Krips, Maazel x4, Muti, Paulik, Prêtre, Previn, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Walter x2, Wildner)

3. Wein, Weib und Gesang / Aimer, boire et chanter

J’avais déjà consacré un long article à cette valse de 1869 assez unique dans la production de Strauss. C’est presque un poème symphonique, avec une longue introduction, souvent écourtée, voire supprimée.

Mon premier choix est toujours Willi Boskovsky, qui dirige vraiment une valse qui ne traîne pas, ne s’alanguit pas.

Mais la version de Georges Prêtre en 2010 est émouvante, en ce qu’elle révèle dans l’introduction le grand chef de théâtre qu’il fut.

(Bauer-Theussl, Boskovsky x3, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Järvi, Karajan x3, Keilberth, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Prêtre, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

4. Rosen aus dem Süden / Roses du Sud

Depuis des lustres, « ma » version de la valse Roses du sud (créée le 7 novembre 1880 par Eduard, le benjamin des Strauss, au Musikverein de Vienne) est celle de Karl Böhm. Indépassable !

(Barbirolli, Barenboim, Bauer-Theussl, Bernstein, Böhm, Boskovsky x2, Fiedler, Fricsay, Guth, Horenstein, Karajan, Keilberth, Krips, Maazel, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Reiner, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Alfred Walter)

5. Nachtfalter / Papillon de nuit

J’intitulais un de mes (nombreux) articles consacrés à Vienne « Capitale de la nostalgie« . S’il est une valse qui exprime précisément ce sentiment diffus qui m’envahit à chaque fois que j’écoute cette musique, c’est bien Nachtfalter (1854).Zubin Mehta avec la complicité des Wiener Philharmoniker a tout compris du caractère double de cette confidence douce-amère.

(Oliver Dohnanyi, Mehta)

6. Tausend und eine Nacht/Mille et une nuits

Reprenant les thèmes de l’opérette Indigo et les quarante voleurs, cette valse est créée, comme Roses du sud, par Eduard Strauss au Musikverein de Vienne le 12 mars 1871.

Carlos Kleiber avait choisi cette valse, plutôt rare au concert, pour célébrer, le 1er janvier 1992, le sesquicentenaire des Wiener Philharmoniker. Le modèle absolu !

(Boskovsky, Dudamel, Fiedler, Horenstein, Kempe, Carlos Kleiber, Maazel, Ormandy, Stolz, Alfred Walter)

7. Geschichten aus dem Wiener Wald / Légendes de la forêt viennoise

Celle valse de 1868 commence par un solo de cithare, pour faire plus exotique sans doute. Dans plusieurs versions des années 60, comme celle de Boskovsky, on a fait appel à un musicien resté célèbre pour un film qui a donné à l’acteur Orson Welles l’un de ses plus grands rôles, Le Troisième homme. L’auteur du thème de Harry Lime est un artiste qui jouait dans une brasserie du Prater, Anton Karas (1906-1985)

Mes deux versions préférées de ces Légendes sont du même chef, Rudolf Kempe (1910-1976), resté justement célèbre pour son intégrale symphonique de l’autre Strauss (Richard), qui a gravé quelques anthologies de la famille Strauss, d’abord à Vienne en 1959, puis dix ans plus tard à Dresde.

Rudolf Kempe / Wiener Philharmoniker

Rudolf Kempe / Staatskapelle Dresde

J’ai dans ma discothèque une unique version chantée de cette valse : Rita Streich (1920-1987) y déploie tous ses sortilèges

(Barbirolli, Barenboim, Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Fricsay, Guth, Harnoncourt, Horenstein, Karajan x3, Kempe x2, Knappertsbusch, Krauss, Maazel x3, Mehta, Muti, Ormandy, Felix Slatkin, Stolz, Walter, Wildner)

8. Künsterleben / Vie d’artiste

Cette valse suit de peu le succès du Beau Danube bleu. L’introduction orchestrale de cette valse est un pur moment de poésie. Certains s’y attardent tellement qu’ils en oublient de valser. Ce n’est pas le cas d’un chef qui, comme Fiedler à Boston, connaissait par coeur ses classiques à Hollywood, Felix Slatkin (1915-1963),

(Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Jansons, Karajan x4, Keilberth, Carlos Kleiber, Maazel, Ozawa, Paulik, Reiner, Sawallisch, Felix Slatkin, Stolz)

9. Lagunen Walzer / Valse de la lagune

La valse créée en 1883 reprend – d’où son titre ! – une grande partie des thèmes de l’opérette Une nuit à Venise. J’en aime le début qui semble ouvrir sur tous les matins du monde et qui, contrairement à bien d’autres valses de Strauss, semble inexorablement optimiste.

Je n’avais pas beaucoup aimé le concert du 1er janvier 2025 censé ouvrir les célébrations du bicentenaire Strauss. Riccardo Muti qu’on a connu fringant et conquérant, dès son premier concert de l’An viennois en 1993, semblait ici engoncé, excessivement retenu. Finalement sa version est l’une des plus convaincantes.

Autre grand habitué des concerts de Nouvel an – Lorin Maazel – très irrégulier d’une année à l’autre :

(Boskovsky x2, Oliver Dohnanyi, Horenstein, Jansons, Maazel, Muti, Stolz)

10. Seid umschlungen Millionen / Embrassez-vous par millions

Un petit air d’ode à la joie ? Ce sont bien les mêmes mots qu’emploient Schiller et Beethoven dans le finale de la 9e symphonie, ce sont eux qui donnent son titre à cette valse créée en 1893. Mélancolique souvent, joyeuse parfois, ce n’est pas la plus aisée à diriger. On retrouve, comme par hasard, Abbado en 1988.

(Abbado, Barenboim, Boskovsky, Harnoncourt, Maazel, Stolz, Alfred Walter)

Ce choix de dix valses est éminemment subjectif, comme le choix des interprètes. J’ai surtout voulu attirer l’attention sur des versions dignes d’intérêt, moins connues ou repérées.

Il existe une intégrale symphonique de l’oeuvre de Johann Strauss parue chez Naxos. L’ensemble est assez médiocre du côté des orchestres et des chefs, mais au moins il y a toute l’oeuvre éditée de Strauss !

* Le titre de cette série est bien sûr un clin d’oeil, Strauss voulant dire « bouquet » en allemand… et en viennois !

Demain 2e volet de cette mini-série sur les opérettes et oeuvres vocales de Johann Strauss

Et toujours humeurs et bonheurs du jour à lire dans mes brèves de blog

Jupiter

Les symphonies de Mozart ne sont quasiment plus au répertoire des orchestres symphoniques traditionnels. C’est dire si, comme je l’ai écrit pour Bachtrack, la présence de la 41e symphonie dite « Jupiter » de Mozart au programme de l’Orchestre national de France dirigé par Simone Young le 19 juin dernier faisait figure d’événement.

La conception de Simone Young, ici à Munich en 2018, n’a pas foncièrement changé. C’est l’illustration même de ce que je décris dans mon article : Soir de fête pour Simone Young et l’Orchestre national

Je crois me souvenir que la dernière fois que j’ai entendu la Jupiter en concert, c’était à Liège avec Louis Langrée en janvier 2006 ! Je me rappelle surtout une séance pédagogique où il avait réparti le public de la Salle Philharmonique en cinq groupes suivant chacun l’une des cinq « phrases » fuguées par Mozart dans le dernier mouvement. On peut voir quelques extraits du grand festival Mozart dans ce film à 26′

L’ultime chef-d’oeuvre symphonique de Mozart a évidemment bénéficié d’un grand nombre d’enregistrements. J’en ai distingué quelques-uns dans ma discothèque, parfois surprenants ou inattendus

Les grands classiques

Josef Krips, Amsterdam (1971)

Souvent réédité le bloc des symphonies 21 à 41 enregistrées par le chef viennois Josef Krips à Amsterdam au début des années 70, garde son statut de référence, même si les réussites y sont très inégales. Mais la 41e symphonie a fière allure

L’autre inévitable est Karl Böhm, auteur de la première intégrale des symphonies de Mozart, très inégale elle aussi, mais on retrouve bien dans la 41e symphonie ce mélange d’apparente rigueur et d’élan qui a souvent caractérisé l’art de ce chef

Karl Böhm, Berlin (1962)

Pour des raisons commerciales probablement, on a confié peu de Mozart à Eugen Jochum, qui pourtant dans Haydn, Mozart, Beethoven, était en terrain de connaissance et de liberté

Eugen Jochum à Boston (1973)

James Levine a gravé une autre intégrale des symphonies de Mozart à Vienne.

La 41e commence à 28′

Autre intégrale remarquable, globalement la plus réussie, celle de Charles Mackerras avec l’orchestre de chambre de Prague (il a réengistré les six dernières symphonies avec le Scottish chamber orchestra). C’est pour moi la plus recommandable globalement.

Les inattendus

On n’attend pas vraiment Zubin Mehta dans ce répertoire. Pourtant, formé à Vienne auprès des meilleurs, le chef indien se coule sans peine dans la peau du chef mozartien…

Zubin Mehta à Vienne

Autre chef inattendu dans ce répertoire, et surtout le seul à avoir officiellement enregistré la 41e symphonie, alors âgé de 28 ans, avec l’Orchestre national de l’époque. Et ça sonne vraiment bien…

Lorin Maazel avec l’ONF (1958)

Quelques mois avant sa mort, le chef américain se retrouve invité (à grands frais certainement) en Galice en 2012.

Lorin Maazel en Galice (2012)

Sur YouTube, on trouve dette étonnante captation d’un concert où le vieux chef soviétique Evgueny Svetlanov épouse la grandeur du compositeur, donnant une version fascinante.

Evgueni Svetlanov à Moscou (1992)

Yehudi Menuhin, Sinfonia Varsovia

Pour rappel, Yehudi Menuhin était aussi un excellent chef d’orchestre (lire Le chef oublié) et Hugues Mousseau dans Diapason avait justement distingué sa version de la Jupiter de Mozart

La nouvelle génération

Maxim Emelyanychev, Il Pomo d’Oro

J’écrivais, il y a trois ans, après les deux concerts finaux du Festival Radio France : « Maxim Emelyanychev réinvente tout ce qu’il dirige, sans céder aux excès de certains de ses contemporains plus médiatisés« . Je me réjouis infiniment de retrouver le jeune chef russe, actuel chef principal du Scottish Chamber Orchestra, à la tête de l’Orchestre national de France ce jeudi au Théâtre des Champs-Elysées.

Il a commencé un projet Mozart enthousiasmant :

Julien Chauvin et le Concert de la Loge

J’ai le même enthousiasme pour le parcours de Julien Chauvin et son Concert de la Loge. Je me rappelle la jubilation éprouvée avec le Don Giovanni « implacable et génial » donné à l’Athénée en novembre 2024, qui vient d’être distingué par le Prix 2025 du syndicat de la critique Théâtre, Musique et Danse.

Plus radicales certes, mais passionnantes, les démarches de Mathieu Herzog et Riccardo Minasi

Mathieu Herzog, Appassionato

Riccardo Minasi, Resonanz

PS Je précise, une fois de plus, à l’intention de certains lecteurs – qui ne manquent jamais une occasion de me reprocher mes choix, mes oublis, voire mon ignorance – que, dans ce type d’articles, je n’ai, d’abord, aucune prétention ni volonté d’exhaustivité, et que je fais un choix tout à fait subjectif. En plus de celles déjà citées, je n’ignore pas les versions d’Abbado, Barbirolli, Barenboim, Beecham, Bernstein, Blech, Blomstedt, Boult, Brüggen, Davis, Dorati, Adam Fischer, Fricsay, Gardiner, Giulini, Glover, Harnoncourt, Hogwood, Jacobs, Jordan, Karajan, Keilberth, Klemperer, Koopman, Krivine, Kubelik, Leibowitz, Leinsdorf, Manacorda, Marriner, Monteux, Munch, Muti, Oistrakh, Pinnock, Reiner, Rhorer, Sawallisch, Schmidt-Isserstedt, Schuricht, Solti, Suitner, Tate,Tennstedt, Vegh, Walter… pour ne citer que celles que j’ai dans ma discothèque !!

Et toujours mes brèves de blog !

Les chefs de l’été (III) : Ansermet et Haydn

Le légendaire fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, Ernest Ansermet (1883-1969) a laissé un prodigieux legs discographique, pour l’essentiel gravé pour et par Decca avec l’orchestre suisse dont il fut le directeur musical durant 50 ans !

La musique française bien sûr, les Russes tout autant, comme son ami Stravinsky, et tout un répertoire considérable.

Haydn n’est pas le compositeur qu’on associerait spontanément à Ansermet. Et pourtant on lui doit l’une des très belles versions des Symphonies parisiennes :

Pour la symphonie n°85, un document que je ne connaissais pas : Ernest Ansermet dirige l’orchestre symphonique de la BBC en studio le 2 février 1964 !

Etonnamment, Ansermet n’a pas enregistré au disque, la symphonie n°88 qui était un « tube » pour à peu près tous ses contemporains (Furtwängler, Walter, Klemperer, Reiner…) mais on dispose d’un « live » enregistré par la Radio suisse romande lors du festival de Montreux, le 31 août 1960 :

Plus rare au disque, la symphonie n°90 avec sa fausse fin (ça fonctionne toujours en concert !):

ou la symphonie n°22 dite « Le Philosophe »

Le titre « le Philosophe » ne figure pas sur le manuscrit original et il est peu probable qu’il vienne de Haydn lui-même. On le trouve en revanche sur une copie manuscrite de la symphonie trouvée à Modène et datée de 1790 ; ainsi le surnom date de la vie même du compositeur. Ce titre proviendrait de la mélodie et du contrepoint du premier mouvement (entre les cors et le cor anglais), qui font musicalement allusion à une question suivie d’une réponse et qui constituent l’essence de la disputatio. L’effet de tic-tac en sourdine évoque également l’image d’un philosophe plongé dans ses pensées

Les témoignages d’Ernest Ansermet dans les symphonies « londoniennes » de Haydn sont plus rares. En concert avec l’orchestre de la Radio bavaroise, la n°95 nous semble étrangement poussive.

En revanche, sa gravure de studio, réalisée en 1949 à Genève, de la symphonie n°101, est une démonstration d’allégresse, de virtuosité collective !

Lumières baltes

Les présidentes et président des républiques baltes d’Estonie, Lettonie et Lituanie, ont inauguré, lundi dernier, aux côtés d’Emmanuel Macron, une très belle exposition au Musée d’Orsay  : Âmes sauvages, le Symbolisme dans les pays baltes.

IMG_4970(Nikolai Trrik / Estonie, Le départ pour la guerre 1909)

Cette exposition – la première de cette envergure à Paris – s’inscrit dans un ensemble de manifestations culturelles organisées pour célébrer le centenaire de l’indépendance de ces trois pays de l’est de l’Europe – Lettonie, Lituanie, Estonie – si mal connus. Le moins qu’on puisse dire est que ceux qu’on désigne par facilité les pays baltes sont les grands oubliés de l’histoire du XXème siècle (lire Les pays baltes).

On n’a pas honte d’avouer qu’à l’exception du Lituanien Čiurlionis – que je connaissais comme compositeur, que j’ai découvert comme peintre – les noms des peintres et sculpteurs exposés à Orsay m’étaient tous inconnus.

IMG_4954(Oskar Kallis / Estonie, Linda portant un rocher, 1917)

IMG_4956(Janis Rozentals / Lettonie, Arcadie, 1910)

IMG_4960(Emilija Gruzite / Lettonie, Paysage fantastique, 1910)

IMG_4964(Petras Kalpokas / Lituanie, La Cité enchantée, 1912)

IMG_4963(Alexandrs Romans / Lettonie, Paysage au cavalier, 1910)

IMG_4966(Rudolfs Perle / Lettonie, Le soleil au crépuscule, 1916)

IMG_4968(Antanas Zmuidzinavicius / Lituanie, Au pays où sont les tombes des héros, 1911)

IMG_4972(Antanas Zmuidzinavicius / Lituanie, La tombe de Povilas Visinskis, 1907)

IMG_4974(Johann Walter / Lettonie, Jeune paysanne, 1904)

IMG_4976(Ferdynand Ruszczyk / Biélorussie, Le passé, 1902)

IMG_4978(Nikolai Trrik / Estonie, Paysage décoratif de Norvège, 1908)

IMG_4982(Vilelms Purvitis / Lettonie, Les eaux printanières, 1910)

IMG_4980(Jaan Koort / Estonie, Paysage de Norvège, 1907)

IMG_4984(Vilelms Purvitis / Lettonie, Hiver, 1908)

IMG_4986(Vilelms Purvitis / Lettonie, Automne, 1914)

IMG_4988(Johann Walter / Lettonie, Un bois, 1904)

IMG_4990(Petras Kalpokas / Lituanie, Paysage, 1911)

IMG_4992(Petras Kalpokas / Lituanie, Arbres près d’un lac, 1914)

Je laisse aux spécialistes le soin d’opérer des rapprochements ou des comparaisons avec les peintres symbolistes occidentaux, j’ai pour ma part été enthousiasmé par la lumière et la vivacité des couleurs de ces toiles.

Si la peinture balte est encore une vaste terra incognita pour nos regards français, que dire de la musique de ces pays ? Pour un Arvo Pärt qui a conquis une célébrité universelle, les noms de ses compatriotes estoniens Tubin, Tüur, restent l’apanage des seuls mélomanes curieux, grâce aux efforts des Järvi, père et fils, pour les faire connaître.

La musique lituanienne est bien servie, notamment par le label Naxos, et grâce à des interprètes comme la pianiste Mūza Rubackytė.

Le violoniste Gidon Kremer, né à Riga, s’est toujours fait le héraut des musiques baltes, il ne manquait jamais une occasion – j’en ai vécu quelques-unes ! – de donner un bis d’un compositeur complètement inconnu, souvent imprononçable, après avoir joué un grand concerto du répertoire.

Les fidèles du Festival Radio France retrouveront, quant à eux, en juillet prochain l’une des plus fameuses phalanges chorales d’Europe, le Choeur de la radio lettone et son chef Sigvards Klava, présents chaque été à Montpellier depuis plus de 25 ans. Mais cette année, pour célébrer le centenaire de l’indépendance de leur pays, ils ont concocté un beau programme en forme de découverte de la spiritualité balte.

41mJEGXmy1L

Le 23 juillet à la Cathédrale de Montpellier et le 25 juillet à la Cathédrale de Cahors : Chants de la Baltique

Wolfgang le mal aimé

Le père, Julius, avait prénommé son premier fils Robert, en hommage à Schumann, pour le second il n’avait pas osé ajouter Amadeus (ou Amadé) à Wolfgang. Pourtant l’enfant né à Brno le 29 mai 1897, prénommé Erich Wolfgang, sera lui aussi un Wunderkind comme son illustre aîné né le 27 janvier 1756 à Salzbourg, un certain Mozart.

Erich Wolfgang Korngold est un cas (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/01/31/la-mort-en-majeur/). Enfant prodige, mondialement célèbre à 20 ans, rejeté par sa patrie et l’histoire à 50 ans. Méprisé, voire ignoré aussi par une grande partie de la critique et du milieu musical « sérieux »qui n’avaient d’yeux et d’oreilles que pour Berg, Webern ou Schoenberg, Lulu, Moses und Aaron ou Wozzeck pour en rester à l’opéra. Zemlinsky, Krenek, Schreker n’ont pas été mieux traités par la postérité, au moins jusqu’à ce que, dans les années 1990, le formidable projet mené par Decca, Entartete Musik, ne réhabilite ces compositeurs de première importance qui n’avaient pas assez épousé les canons de la modernité radicale…

banner_2

Mais pour Korngold, c’est pire. Au tribunal de l’histoire, il est doublement coupable : d’avoir eu tous les succès à l’âge où d’autres balbutient encore – il a 23 ans quand est créée La Ville morte ! et d’avoir perverti son talent dans et pour les studios hollywoodiens ! Le retour à Vienne après la Deuxième guerre mondiale sera catastrophique, on y reviendra.

Richard Strauss, écrivant à Julius Korngold, avait vu juste : « Le premier sentiment qui vous envahit est la peur et la crainte qu’un génie si précoce ne puisse se développer d’une manière aussi normale qu’on le souhaiterait sincèrement pour lui. Cette sûreté du style, cette maîtrise de la forme, cette individualité de l’expression (particulièrement dans sa sonate), ces harmonies – tout cela a de quoi nous étonner… ». 

En 1936, Korngold s’installe à Hollywood avec sa famille, retrouvant le dramaturge Max Reinhardt qui a fui l’Europe dès l’arrivée de Hitler au pouvoir, après une première collaboration sur le film Le Songe d’une nuit d’été (1934).

411G4D4Q1AL

Vont suivre des années fécondes.. pour la musique de film. On retrouve dans ces partitions les orchestrations luxuriantes et transparentes à la fois qui ont fait l’originalité de Korngold compositeur d’opéra.

51-DpSQNw-L

71VFK2SD9IL._SX425_

81L11GYwuUL._SX425_

51os1bUpnzL._SX425_

La création en 1947 par Heifetz de son concerto pour violon (même tonalité – ré majeur – même numéro d’opus – 35 – que celui de Tchaikovski !) ne lui attire pas les bonnes grâces de la critique, c’est le moins qu’on puisse dire : « more corn than gold » (plus de maïs que d’or), le très mauvais jeu de mot d’Irvin Kolodin dans le Sun de New York témoigne de l’aigreur du milieu musical à rebours de l’accueil triomphal du public.

51WmpqzrmSL

51rztH21aLL

Mais c’est à Vienne, dans son Europe natale, que Korngold veut revenir à ses premières amours. Il se remet à des compositions symphoniques de grande envergure (sa Sérénade symphonique, sa Symphonie en fa dièse majeur). Le retour prévu en 1947 est reporté en raison d’une crise cardiaque qui l’oblige à un long repos. En 1949 il franchit de nouveau l’Atlantique, avec l’espoir de se réinstaller dans sa chère Mitteleuropa. La création de la Sérénade symphonique en janvier 1950 par Furtwängler lui-même et les Wiener Philharmoniker, puis celle – calamiteuse – de la Symphonie en fa dans les studios de la radio autrichienne en 1954, laissent le monde musical et la critique indifférents, malgré quelques soutiens de poids (Walter, Mitropoulos). Le monde a changé, a oublié le jeune homme prodigieux qui avait mis l’Europe lyrique à ses pieds trente ans plus tôt. En 1955, Erich Wolfgang revient à Hollywood, vite rattrapé par la maladie, une embolie cérébrale, qui l’emportera quelques semaines après son soixantième anniversaire.

817E0UwBw-L._SL1417_

Tout Korngold mérite d’être (re)découvert. Sa personnalité est singulière dans un XXème siècle qui n’a pas été pauvre en grandes figures musicales et qui a vu se confronter, parfois s’affronter des esthétiques, des courants, des écoles qui ont tous droit de cité dans le grand livre de notre Histoire.

C’est peut-être dans ses mélodies et sa musique de chambre que se révèle le mieux le chantre de l’inépuisable nostalgie viennoise

4191YDZK4QL

Enfin ce document rappelle que Korngold était un fabuleux pianiste, mais quels dons n’avait-il pas ?

 

Redécouverte

Le magazine Diapason en est à son troisième opus d’une série de « Discothèques idéales ». Après la musique de chambre de Mozart, une anthologie Chopin, voici que, dans le numéro de mars, le mensuel propose une double intégrale des Symphonies de Beethoven.

La-Discotheque-Ideale-de-Diapason-Volume-3-Beethoven_exact783x587_lSubjective, forcément subjective, cette sélection dans une telle multitude d’enregistrements, d’intégrales (parfois sous la baguette de récidivistes, comme Karajan).

Et on a beau jeu de repérer les absents, pas seulement chez les chefs récents – mais ce n’était sans doute pas le but de l’exercice – mais chez les contemporains des versions retenues, notamment au tournant des années 50/60. Deux grands regrets : Pierre Monteux et Ferenc Fricsay.

Je connais peu de visions aussi dionysiaques que celles du vétéran Monteux, qui à plus de 80 ans, grave une intégrale partagée entre Vienne et Londres de 1958 à 1962 pour Decca et Westminster. Vitalité, vivacité, énergie, poésie inaltérables. Malheureusement peu et mal rééditée.

4194Q5424ML

Mais autant Monteux m’est familier depuis longtemps dans ses Beethoven, autant j’avais oublié qu’un autre immense chef, trop tôt disparu en 1963 à 48 ans, Ferenc Fricsay, est, dans des tempi plus modérés que son aîné, d’une acuité, d’une précision narrative. tellement impressionnantes. Une Héroïque implacable, une 9e symphonie exceptionnelle avec un quatuor de solistes sans égal (Irmgard Seefried, Maureen Forrester, Ernst Haefliger, Dietrich Fischer-Dieskau)

510HTY4943L

51dczkaUYZL._SX425_

https://www.youtube.com/watch?v=rh9w3JvN75g

On avait signalé l’an passé (pour le centenaire de la naissance du chef hongrois) un premier coffret consacré au legs orchestral de Fricsay. On espère, on attend avec impatience la suite, opéra, musique sacrée…

91fbX6c4y4L._SL1500_

Les trente glorieuses

Les mythes ont la vie longue, surtout s’ils recouvrent une réalité. Les Wiener Philharmoniker – l’Orchestre philharmonique de Vienne – demeurent cet orchestre à la sonorité unique, reconnaissable entre toutes (ce hautbois pincé et nasillard, ces cors éclatants qui rappellent les trompes de chasse, ces cordes fruitées, souples et légères)

Mais la légende est double : ce son inimitable est aussi celui que les ingénieurs de Decca ont capté et restitué pendant plus de trente ans !

Après Deutsche Grammophon – qui n’a jamais vraiment réussi à rendre aussi parfaitement cette image sonore des Viennois – qui avait publié une édition symphonique un peu disparate (même si elle nous permettait d’accéder de nouveau à l’intégrale des symphonies de Mozart réalisée par James Levine)

91LXJlCZw3L._SL1500_c’est DECCA qui propose un coffret noir et or de 65 CD, qui raconte avec beaucoup de pertinence (et pas mal d’inédits ou de raretés en CD) la légende glorieuse d’un orchestre à son apogée et de chefs mythiques, Monteux, Münchinger, Krauss, Krips, Karajan, Knappertsbusch, Böhm, Mehta, Maazel, Abbado, Reiner, Kertesz, Schmidt-Isserstedt, Boskovsky, Kleiber (le père), Walter, Solti, etc…

41V3WWhbeDL

Des enregistrements réalisés sur une trentaine d’années (1950-1980), classés par périodes – de Haydn (avec Monteux et Münchinger) à Khatchaturian -, un luxueux livre richement illustré en quatre langues (dont le japonais). Des minutages très généreux et des couplages intelligents. Un beau cadeau de fin d’année !