Anti-déprime

L’automne, c’est chaque année ce spectacle dans mon jardin et alentour.

J’y suis rarement sujet, mais je peux concevoir que cette période soit synonyme de déprime saisonnière pour beaucoup. Le soleil manque, la nuit tombe tôt, surtout depuis le passage à l’heure d’hiver.

Je me suis donc abstenu de revoir le film de Visconti, Mort à Venise (1971), dont on a reparlé ces derniers jours à l’occasion de la disparition de Björn Andrésen, l’inoubliable Tadzio qui fascinait le vieux Gustav von Aschenbach incarné par Dirk Bogarde. Je n’avais pas compris grand chose lorsque j’avais vu le film à sa sortie dans un cinéma de Poitiers, mais la révélation pour l’adolescent que j’étais comme pour beaucoup d’autres, avait été la musique de Mahler et ce disque opportunément publié par Deutsche Grammophon.

Je découvrais aussi par la même occasion le chef d’orchestre Rafael Kubelik, que j’aurais la chance de voir en concert quelques années plus tard diriger la Neuvième symphonie de Mahler à la tête de l’Orchestre de Paris dans l’horrible salle du Palais des Congrès porte Maillot.

Diva anti-diva

On sait l’affection, l’admiration que j’ai pour Véronique Gens, qui fut la formidable Maréchale d’un Chevalier à la rose que j’avais particulièrement aimé au théâtre des Champs-Elysées et chroniqué pour Bachtrack. Son nouveau disque ne pouvait manquer de titiller ma curiosité.

Comme on peut s’en douter avec une publication initiée par le Palazzetto Bru Zane, il y a plus de raretés, voire d’inédits, que de « tubes », et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce disque.

Un pianiste trop discret

Le moins qu’on puisse dire est que le pianiste d’origine russe, aujourd’hui installé à Londres, Evgueni Sudbin, n’encombre pas les salles de concert. On n’a pas même le souvenir de l’avoir déjà entendu en France. J’en suis donc réduit à collectionner ses disques. J’ai récemment profité d’un déstockage sur jpc.de pour acheter ces deux-là :

J’avais déjà dans ma discothèque ses Haydn et Scarlatti, liste non exhaustive !

Hommage à Jodie

En ce jour des morts, souvenons-nous des vivants trop tôt arrachés à la vie, comme notre si belle Jodie Devos (lire Jodie dans les étoiles). Alpha a la bonne idée d’un coffret hommage qui est une belle récapitulation des enthousiasmes et des audaces de la chanteuse disparue le 16 juin 2024.

Elle aussi avait gravé quelques raretés d’Offenbach, et avec quel panache !

Le juif Strauss*

Sur le bicentenaire de la naissance de Johann Strauss (1825-1899) je renvoie au bouquet d’articles que je lui ai consacrés le 25 octobre. J’ai souvent déploré le peu d’ouvrages sérieux en français sur la famille Strauss, m’en tenant à un ouvrage en anglais trouvé il y a quelques lustres chez Foyles à Londres – The Strauss Family – de Peter Kemp.

Et puis, en passant à la FNAC l’autre jour, je suis tombé sur le livre d’Hélène de Lauzun, que j’ai commencé à feuilleter avec un intérêt croissant. L’auteure, qui a déjà commis un ouvrage sur l’histoire de l’Autriche, évite les clichés, ne se hasarde à aucune analyse musicale, mais dresse un portrait passionnant d’un personnage infiniment plus complexe que l’apparence futile et légère que son nom évoque le plus souvent. : la vie de Johann Strauss est loin d’être un fleuve tranquille.

Quant au tropisme hongrois qui marque l »oeuvre de Johann et ses frères Josef et Eduard (cf. Le baron tzigane), il trouve peut-être ses racines dans les origines paternelles. L’arrière-grand-père des trois frères Strauss (donc le grand-père de Johann Strauss père) est un Juif hongrois, qui se convertit au catholicisme en s’installant à Vienne.

Et puis il y a ce film allemand dont j’ignorais l’existence – Johann Strauss, le roi sans couronne – qui n’est peut-être pas un chef-d’oeuvre mais qui peut se regarder, avec des acteurs inattendus, Mathieu Carrière dans le rôle d’Eduard Strauss, Philippe Nicaud en Offenbach, Mike Marshall en Eduard Hanslick jusqu’à Zsa-Zsa Gabor en baronne Amélie ! C’est aussi kitsch que la série des Sissi avec Romy Schneider, avec, dans le rôle de Johann Strauss, un bellâtre bien sûr irrésistible qui aurait tout de même dû être mieux coaché pour incarner un violoniste chef d’orchestre, Oliver Tobias.

*Pour ceux que ce titre choquerait, je fais, à dessein, référence au roman de Lion Feuchtwanger Le Juif Süss.

Et toujours humeurs et réactions dans mes brèves de blog

Nostalgie

Claudia Cardinale (1938-2025)

Depuis la mort d’Alain Delon (lire Ce que ne m’a jamais dit Alain Delon), je me demande quels qualificatifs on pourra trouver pour saluer les stars de cette génération, encore vivantes comme Brigitte Bardot, Sophia Loren, ou fraîchement disparues comme Robert Redford et Claudia Cardinale

En dehors de la coquetterie d’une chevelure toujours d’un noir de jais, l’actrice disparue hier n’a jamais usé d’artifices pour masquer les flétrissures de son âge. Et pourtant et peut-être pour cela, nous l’avons toujours aimée, dès ses premiers rôles jusqu’à ses rares apparitions des dernières années. Dans le regard, dans le sourire, il y a toujours eu chez Claudia Cardinale, cette séduction bienfaisante, qui n’était jamais vulgaire ni racoleuse. Un peu comme d’Audrey Hepburn, il émanait de C.C. un charme irrésistible, une gentillesse innée. Elle n’est pas morte pour ceux qui aiment le cinéma et je vais, comme des milliers d’autres, m’empresser de revoir d’abord les films que j’ai chez moi, et ceux que des amis sûrs, comme Jean-Marc Luisada, ne manqueront pas de me conseiller :

Et puis cette musique d’une insondable tristesse – fabuleux Fellini et Nino Rota –

Otto Gerdes l’inconnu

C’est un nom que j’avais souvent vu à l’arrière des pochettes de disques Deutsche Grammophon, Otto Gerdes (1920-1989). Une fois ou deux je l’avais vu comme chef d’orchestre. Je redécouvre son legs discographique grâce à un récent coffret de la collection Eloquence.

Je conseille la lecture de l’article de Christophe Huss dans Le Devoir, l’excellent journal canadien : Otto Gerdes, directeur artistique et chef..

Peut-être pas indispensable, mais avec quelques pépites qui ne sont pas négligeables, comme une très belle version de Tannhäuser et une « Nouveau Monde » de haute volée avec Berlin.

Robert Soëtens : un appel à l’aide

Parce que j’ai évoqué ici, au moins une fois, la figure de Robert Soëtens, créateur entre autres du 2e concerto pour violon de Prokofiev, mort centenaire en 1997, je suis régulièrement sollicité, encore tout récemment, par des lecteurs, journalistes, musicologues et autres qui s’intéressent à un personnage exceptionnel qui a traversé le XXe siècle, et connu de près l’élite musicale de la première moitié (Ravel, Milhaud, Prokofiev, etc.). Parce que Robert Soëtens m’avait confié un exemplaire du manuscrit de ses Mémoires (j’y fais référence dans cet article : Années 20).

Mais je n’arrive plus à remettre la main sur ce dossier (dans un carton vert, pourtant bien visible). Impossible que je l’aie jeté par mégarde.. J’ai dû le prêter (à quelqu’un de France Musique? de Radio France?). C »est pourquoi je fais appel ici à mes lecteurs, qui peuvent m’aider à retrouver ces précieux documents, en en parlant autour d’eux. Je vous en suis par avance infiniment reconnaissant.

Humeurs du jour à suivre sur mes brèves de blog

Les anniversaires 2024 (IV) : Spontini

Avant-dernier épisode de cette mini-série de début d’année, même si je n’ai pas épuisé le réservoir des naissances de compositeurs. Quant aux morts, je trouve toujours absurdes ces commémorations de la disparition de Fauré, Puccini, Milhaud, pour ne citer que ceux qui cochent la case 2024 !

Aujourd’hui un compositeur qu’on aurait peut-être oublié si Maria Callas d’abord, Riccardo Muti ensuite ne l’avaient servi avec autant de talent : Gaspare Spontini, né il y a 250 ans le 14 novembre 1774 à Ancone, mort le 24 janvier 1851 dans la même ville.

Wilhelm Titel : Portrait de Spontini et sa femme (Pommersches Landesmuseum)

Le fait qu’il y ait une très chic rue Spontini, dans le 16e arrondissement de Paris, atteste que notre Italien non seulement vécut dans la capitale française – de 1803 à 1820 -, mais qu’il y trouva amour (il épouse en 1811 Marie-Catherine Erard, la fille du célèbre facteur de pianos) et honneurs (il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1818 après avoir composé une cantate à la gloire de Napoléon et servi comme « compositeur particulier de la chambre » de l’impératrice Joséphine).

Son oeuvre la plus célèbre, la seule qui soit encore jouée régulièrement – elle est à l’affiche de l’Opéra de Paris en juin prochain – est son opéra La Vestale, créé le 15 décembre 1807 sur un livret d’Etienne de Jouy.

Et puisqu’on est dans les anniversaires, c’est le 7 décembre 1954, il y a 70 ans donc, que La Vestale ouvrit la saison de la Scala de Milan avec Maria Callas dans le rôle-titre et dans la mise en scène de Luchino

Il faut préciser ici que l’opéra créé en français a bénéficié de la part de Spontini de deux autres versions, en allemand d’abord pour sa création à Vienne en 1810, puis en italien pour la première à Naples en 1811. C’est cette dernière version que Maria Callas chante en 1954.

En cherchant des documents sur cette Vestale scaligère, je suis tombé sur cet entretien croisé avec Maria Callas et Visconti, que je ne résiste pas au plaisir de placer ici.

La version moderne est évidemment celle de Riccardo Muti, captée à La Scala, mais en français !

On doit à Riccardo Muti une autre merveille, l’ouvrage plus tardif en allemand de Spontini, Agnes von Hohenstaufen. En 1970 avec un. casting de rêve :

Mention ici d’un de mes disques de chevet : l’inoubliable Anita Cerquetti y chante un air, traduit en italien de cette Agnes.

Inconnus à connaître

Un bel inconnu qui a vieilli

S’il y a bien un lieu à Paris où l’on n’est jamais déçu, un gracieux écrin dans le quartier de l’Opéra, c’est bien le théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. Jusqu’à ce dimanche 16 avril, on y donne la comédie musicale Ô mon bel inconnu de Sacha Guitry pour le livret et Reynaldo Hahn pour la musique, une production du Palazzetto Bru Zane qui avait déjà publié le disque il y a deux ans.

Je suis d’ordinaire très bon public pour ces « vieilleries » d’un répertoire si longtemps oublié ou négligé. Nombre de mes articles ici en témoignent (lire par exemple Le mois de l’opérette). Mercredi soir j’ai été plutôt déçu non pas par la mise en scène (bravo Emeline Bayart !) ou les interprètes, mais par la faiblesse du texte comme de la musique, comme je l’ai écrit dans Bachtrack : Le bel inconnu a pris un coup de vieux

Quand Luisada fait son cinéma

Comme tous ceux qui connaissent un peu le pianiste français, je savais de longue date la passion de Jean-Marc Luisada pour le cinéma, sa connaissance encyclopédique du 7ème art. On n’est donc pas surpris qu’enfin il ose en faire l’aveu par un disque magnifique (enregistré, de surcroît, dans un lieu qui m’est cher, la Salle philharmonique de Liège !).

J’imagine, même s’il ne m’en a rien dit, la difficulté pour Jean-Marc Luisada, de choisir ce programme, qui ressemble à tout sauf à un « best of ». Dans le beau livret qui nourrit ce disque, le pianiste cinéphile donne quelques clés. On appréciera le clin d’oeil de l’interprète au label qui le publie (Dolce Volta) puisqu’il ouvre son programme avec le thème de La dolce Vita !

Un bon conseil : précipitez-vous sur cet album, et si vous êtes à Paris mercredi prochain, allez écouter Luisada à la Salle Gaveau.

Méconnues mélodies

Ce n’est pas la première fois que je parle ici des bonnes affaires que propose le site allemand jpc.de (cf. mon dernier billet Inspirations).

Ne pas se fier à la photo de couverture de ce double album, mais constater la qualité de cette compilation : pour moi quelques découvertes (Bloch, Wellesz) et non des moindres.

Magnifique Sophie Koch dans les Poèmes d’automne d’Ernest Bloch :

Somptueux cycle des Symphonische Gesänge de Zemlinsky :

Les chefs de l’été (IV) : Muti et Rota

Riccardo Muti a fêté ses 80 ans le 28 juillet dernier… par une chute spectaculaire, heureusement sans conséquence pour le chef napolitain.

On a déjà évoqué ici l’imposant coffret que Warner lui a consacré : Riccardo Muti l’intégrale symphonique. On veut revenir aujourd’hui sur un autre coffret, plus modeste (et moins coûteux) qui contient nombre de raretés de musique italienne enregistrées avec la formation symphonique de la Scala de Milan.

En particulier, les deux disques dédiés à Nino Rota (1911-1979) constituent des références que de plus récentes versions, comme celle du meilleur ennemi de Muti, Riccardo Chailly, avec le même orchestre de la Scala, sont loin d’égaler. Toute l’insondable nostalgie de ces musiques de film, en même temps que la classe, le chic, qui sont la marque de Riccardo Muti, s’y retrouvent.

Ici « live » à Chicago

Très beau disque aussi – curieusement oublié dans le coffret Warner ! – avec les deux concertos pour piano de Nino Rota sous les doigts de l’excellente pianiste italienne Giorgia Tomassi, trop peu connue de ce côté-ci des Alpes

Le tralala de Suzy

Suzy Delair qui avait fêté ses 100 ans le 31 décembre 2017 s’est éteinte doucement ce dimanche à 102 ans.

Je reprends ici l’hommage autorisé et ému que lui rend l’ami Benoît Duteurtre dans Le Point :

Voici quelques années, un de ses admirateurs avait cru bon de la saluer dans un article intitulé La Doyenne. Oubliant l’hommage, Suzy Delair s’était fâchée, elle qui, à 90 ans passés, demeurait une femme extraordinairement vive. En 2017, après la disparition de Danielle Darrieux, elle est pourtant devenue, bel et bien, la doyenne du cinéma et du music-hall français. Elle vient de s’éteindre dimanche 15 mars à l’âge de 102 ans, mais son nom figure déjà dans l’Histoire, notamment pour le rôle de Jenny Lamour dans Quai des Orfèvres(1947), souvent classé parmi les chefs-d’œuvre du cinéma ; ou pour sa merveilleuse interprétation de La Vie parisienne d’Offenbach dans la célèbre version de la compagnie Renaud-Barrault. Et on éprouve un léger vertige en songeant que cette femme qui vient de nous quitter avait joué le premier rôle féminin… du dernier Laurel et Hardy ! Quant à tous ceux qui la connaissaient, ils ne sont pas près d’oublier le tempérament de cette Parisienne à l’esprit rapide, aux mots bien trouvés, à l’amitié exigeante et fidèle, et à la mémoire extraordinaire qui résumait un siècle d’histoire du spectacle.

Peut-être était-elle, d’ailleurs, la dernière représentante d’un type de Parisienne populaire, piquante, insolente, vivant pour la scène mais aussi pour l’amour, comme l’avaient été Mistinguett ou Yvonne Printemps. Fille d’un artisan et d’une couturière, Suzette Delaire (de son nom d’état civil) avait grandi dans cette ville où elle avait commencé dès les années trente, encore adolescente. « Petite femme » d’opérette, aux Bouffes Parisiens et au Châtelet, elle avait cultivé son double talent d’actrice et de chanteuse. Elle partageait alors une chambre avec la jeune Darrieux, sa presque jumelle ; mais celle-ci était devenue vedette à quatorze ans, tandis que Delair enchaînait les petits rôles. Sa rencontre avant-guerre avec Henri-Georges Clouzot allait tout changer. Devenue sa compagne, elle passe en haut de l’affiche dans Le Dernier des six en 1941, puis L’Assassin habite au 21 en 1942. Cette même année, elle figure parmi les invités du très contesté voyage officiel des artistes en Allemagne où elle accompagne Darrieux, Albert Préjean ou Viviane Romance.

La fin des années quarante et le début des années cinquante voient culminer sa carrière cinématographique avec des films comme Quai des Orfèvres (et sa fameuse chanson du « tralala »), Pattes blanches de Jean Grémillon (1949), Lady Paname d’Henri Jeanson (1950), Le Couturier de ces dames en duo avec Fernandel (1955), Gervaise de René Clément (1956), et même Rocco et ses frères de Visconti (1960) où son apparition est aussi brève que remarquée. Elle se sépare de Clouzot, mais poursuit activement sa carrière musicale (celle qu’elle préfère peut-être), enchaînant tours de chant, disques et opérettes. C’est ainsi qu’à Nice, en 1948, elle interprète devant Louis Amstrong C’est si bon – chanson qui n’a pas encore connu le succès et que le trompettiste reprend pour en faire un tube mondial. Elle est également tête d’affiche de revues à l’ABC, Bobino ou l’Européen. Et quand elle joue en 1958 le rôle de Métella dans La Vie parisienne, puis dix ans plus tard La Périchole au théâtre de Paris, tous s’accordent pour la désigner comme une offenbachienne hors pair.

20158503lpw-20158534-embed-libre-jpg_6980707Suzy Delair et Miou-Miou dans Les aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury (1973)

Suzy Delair était une artiste exigeante, traqueuse, perfectionniste, au caractère parfois difficile ; c’est pourquoi elle a préféré, progressivement, s’éloigner de la scène et des plateaux. Sa tonicité n’a rien perdu pour autant, comme on le voit dans Rabbi Jacob, son dernier rôle marquant d’épouse dentiste et survoltée. Elle n’a pas eu d’enfants mais elle demeurait pour ses proches une amie incomparable par sa personnalité, son intelligence et sa mémoire capable de restituer mille anecdotes précises sur le music-hall d’avant-guerre. En 2006, Renaud Donnedieu de Vabres l’avait promue Officier de la Légion d’honneur. En 2007, avec tous ses amis, elle fêtait ses 90 ans au Fouquets. Dommage que les César ne lui aient jamais rendu l’hommage que sa carrière méritait. Depuis quelques années, très fatiguée, elle s’était retirée dans une maison de retraite du 16e arrondissement où ses proches ont fêté ses 100 ans, le 31 janvier 2017, avant qu’elle s’éteigne peu à peu dans la discrétion, mais toujours lucide. » (Benoît Duteurtre, Le Point, 16 mars 2020)

https://www.youtube.com/watch?v=-6Y_l5HulLU

Benoît Duteurtre avait reçu Suzy Delair dans son émission sur France Musique, à réécouter ici : Etonnez-moi Benoît, Spéciale Suzy Delair.

https://www.youtube.com/watch?v=Mm049Pa4Lcg

Universal France avait publié il y a quelques années une jolie série de disques qui illustrent parfaitement l’art incomparable de diseuse et de chanteuse de Suzy Delair.

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En ces temps de confinement sanitaire, l’occasion nous est redonnée de revoir l’actrice, d’écouter la chanteuse, de revivre une sorte d’âge d’or dont Suzy Delair était la dernière représentante.

Rota : le match des Riccardo

Sort ces jours-ci un disque promis à un beau succès, d’un minutage très généreux (81 minutes), dont le titre est tout un programme: The Fellini Album

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Riccardo Chailly dirige la formation symphonique de la célèbre scène lyrique de Milan, la Filarmonica della Scala, les suites d’orchestre de quelques-unes des musiques de film que Nino Rota(1911-1979) a écrites pour le grand Federico FelliniLa Dolce Vita, Amarcord, 8 ½, Les ClownsCasanova.

Vingt ans plus tôt, avec le même orchestre, Riccardo Muti entreprenait un hommage plus large au compositeur fétiche de Fellini, disparu il y a 40 ans.

On retrouve dans ces deux albums, depuis réédités dans un indispensable coffret très bon marché (Sony)

81cfRe2-rjL._SL1500_des musiques de films de Fellini bien sûr (comme Chailly, La Dolce Vita, 81/2, Amarcord),  Prova d’orchestra, La Strada mais aussi Visconti (Rocco et ses frères, Le Guépard), Francis Ford Coppola (Le Parrain)

Inévitablement, la comparaison se fait entre Chailly et Muti. Surtout avec le même orchestre !

Il suffit d’écouter ce célèbre passage de Huit et demi, La passerelle des adieux, cette scène finale qui nous tire des larmes.

Quelque chose me gène chez Chailly, outre une prise de son moins détaillée, plus clinquante que celle de Muti, peut-être un côté un peu racoleur, premier degré (comme à la reprise du thème à 3’33 »)

Chez Muti, la poésie, l’inexorable nostalgie qui parcourt toute cette musique, me paraissent infiniment mieux restituées.

Et puisqu’on évoque les films de Visconti, pour qui Nino Rota a écrit certaines de ses plus belles pages, je voudrais parler d’un livre que j’ai sur ma table de chevet depuis un certain temps.

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« Enfant solitaire, il jouait dans une cour de prison, non loin de la cellule où Genet écrivait Le Condamné à mort. Quelque 87 films plus tard, dernière star française, son œuvre d’acteur, les figures, les passions, les époques qu’il porte en lui, son panthéon intérieur, lui confèrent une dimension proustienne. Venu de nulle part, doté du don de plaire et de déplaire, Alain Delon a triomphé, mais aussi payé cher son éclat, sa personnalité, ses convictions, certaines de ses amitiés, sa fidélité à lui-même. La beauté n’est rien sans la liberté qui l’anime.
Dans un récit vif-argent, une fresque à rebours des clichés et des fantasmes, Jean-Marc Parisis peint un caractère, une exception, un destin. Delon comme on ne l’avait jamais vu, écrit. »

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Tombe la neige

C’est l’hiver et il neige, quelle surprise ! IMG_4600Il est vrai qu’à Montpellier et dans l’Hérault la neige est rarissime, et que la journée du 28 février 2018 restera dans les annales météorologiques.. et un mauvais souvenir pour quantité d’automobilistes piégés par l’abondance des chutes.

IMG_4602Le Musée Fabre et l’Esplanade habillés de blanc

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Je ne pensais pas retrouver si vite la neige rencontrée sur les sommets alpins (voir Le lac enchanté)

Musicalement, la neige est puissamment évocatrice (Musiques climatiques)

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Le jeune Michael Tilson Thomas dirige l’une des plus belles versions de cette 1ère symphonie de Tchaikovski justement intitulée « Rêves d’hiver »

L’opéra féerique de Rimski-Korsakov, Snegourotchka (La fille des neiges) est admirable de bout en bout, comme on l’a vu à l’Opéra Bastille il y a quelques mois

https://www.youtube.com/watch?v=IOgRTIzYA4M

Un paysan et sa femme se désolent de ne pas avoir d’enfants. Un jour d’hiver, pour se distraire, ils décident de fabriquer un enfant de neige. Celui-ci prend vie : c’est une belle petite fille, qui grandira rapidement, tout en gardant un teint pâle comme la neige : on l’appelle Snégourotchka. Lorsque le printemps arrive, la jeune fille manifeste des signes de langueur. Les autres jeunes filles du village l’invitent à jouer avec elles, et sa mère adoptive la laisse partir à regret. Elles s’amusent et dansent, Snégourotchka restant toujours en arrière, puis l’entraînent à sauter par-dessus un feu de joie : à ce moment, elles entendent un cri, et en se retournant, elles découvrent que leur compagne a disparu. Elles la cherchent partout sans succès : Snégourotchka a fondu, et il n’en est resté qu’un flocon de brume flottant dans l’air.

Mais depuis que j’ai vu ce rare film d’Hans-Jürgen SyberbergLudwig, requiem pour un roi vierge (contemporain et très différent du Ludwig ou le Crépuscule des dieux de Visconticette scène de traversée de la forêt enneigée en traineau est à jamais associée à Wagner et au sublime duo de Tristan et Isolde « O sink hernieder » (ici dans la version mythique de Furtwängler avec Kirsten Flagstad et Ludwig Suthaus)

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Musiques climatiques

Alors que s’ouvre une conférence mondiale décisive pour l’avenir de la planète et donc de l’humanité, on peut (on doit ? ) écouter ou découvrir les musiques que la Nature, nos paysages, nos espaces ont inspirées aux compositeurs les plus divers. La puissance d’évocation de certaines d’entre elles est telle que nous voyons les images, nous ressentons les immensités, les sommets, les flots, tous les éléments de notre environnement.

Quelques propositions, qui ne prétendent aucunement à l’exhaustivité.

Puisque l’hiver est proche, j’ai toujours entendu la 1ere symphonie de Tchaikovski (sous-titrée Rêves d’hiver) comme l’expression la plus poétique de l’immensité russe sous son manteau de neige. Le tout début de la symphonie, puis le magique deuxième mouvement (écouter ici à partir de 12″)

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IMG_1262(Fin avril 2011, la Volga à Kostroma commence tout juste à dégeler)

Mais j’ai une autre vision très forte d’une forêt enneigée, associée pour toujours dans ma mémoire au sublime duo de Tristan et Isolde « O sink hernieder » de Wagner, une scène qu’on aurait pu trouver dans le célèbre Ludwig de Visconti, mais qui se trouve dans le beaucoup moins connu Ludwig, requiem pour un roi vierge (1972) du réalisateur allemand Hans-Jürgen Syberberg – qui produira en 1983 un très remarqué Parsifal, qui repose sur l’enregistrement d’Armin Jordan, qui joue lui-même Amfortas dans le film ! –

On reconnaît les voix de Kirsten Flagstad et Ludwig Suthaus dans la version légendaire de Furtwängler.

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Au Nord de l’Europe, toute la musique de Sibelius donne le sentiment d’exprimer l’infinité des lacs et forêts de Carélie. Je le pensais déjà avant de visiter la Finlande, et j’en ai eu l’abondante confirmation au cours de l’été 2006. D’autres compositeurs finnois ont le même pouvoir d’évocation de la rudesse et de la poésie des vastes horizons de leur pays natal, comme Leevi Madetoja (1887-1947) ou Uuno Klami (1900-1961)

Pour Madetoja comme pour Klami, je recommande les versions inspirées de mon ami Petri Sakari dirigeant l’orchestre symphonique d’Islande.

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Un siècle plus tôt, Mendelssohn parvenait à traduire assez justement les impressions qu’il avait retirées de son voyage en Ecosse à l’été 1829 et de sa visite de l’île de Staffa, où se trouve la grotte de Fingal, qui donnera le titre d’une ouverture écrite au cours de l’hiver 1830/31

Mais c’est sans doute en Amérique que les compositeurs du XXème siècle s’attachent, avec le plus de constance et de réussite, à traduire musicalement les paysages et les espaces qui les entourent. Aaron Copland (1900-1990) en est le prototype, même s’il ne peut être réduit au cliché de compositeur « atmosphérique », mais son ballet Appalachian spring   évoque immanquablement la diversité de la chaîne des Appalaches.

Mais le spécialiste du genre est incontestablement Rudolph von Grofé, plus connu comme Ferde Grofé (1892-1972), arrangeur, orchestrateur (notamment de Gershwin), qui écrit des musiques ostensiblement descriptives – le Mississippi, le Grand Canyon, les chutes du Niagara

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Et puisque la déforestation massive est souvent mise en cause dans la dégradation du climat, on écoutera avec émotion cette ode à la forêt amazonienne, l’une des toutes dernières oeuvres – Floresta do Amazones – du grand compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos (1887-1959)

Plus près de nous,  qui connaît encore les évocations musicales des paysages de France qui constituent une bonne part du répertoire symphonique de  Vincent d’Indy (1851-1931) ?

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Un drôle de paroissien ou les saisons de Jean-Pierre M.

Je suis un piètre cinéphile, Jean-Pierre Mocky je n’en connaissais que quelques titres (Le Miraculé, Les Saisons du plaisir, Un drôle de paroissien, L’Ibis rouge…) et la réputation de vieil anar qu’il a soigneusement cultivée.

Je me suis dit qu’un dimanche de Toussaint n’était pas le jour le plus mal choisi pour lui rendre l’hommage tardif que je lui dois après avoir lu d’une traite ce qui s’apparente à une autobiographie : Je vais encore me faire des amis

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À 82 ans, le père du directeur du Théâtre national de Strasbourg, Stanislas Nordey, ne manque pas une occasion de nous rassurer sur sa forme mentale et physique. Vieux con sans doute, mais un sacré parcours tout de même, comme le rappelle la 4ème de couverture du bouquin, sans excès de modestie :

Jean-Pierre Mocky n’est pas seulement une légende du cinéma français : inclassable et rebelle, il ressemble aux personnages de ses films. Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, il troque sa caméra contre une plume bien affûtée… et tout le monde y passe ! Famille, amours, réalisateurs, acteurs : la mémoire vive et le verbe haut, il nous livre une savoureuse galerie de portraits, riche en coups de cœur, coups de gueule et coups de sang. Amateurs de révélations, réjouissez-vous. Adeptes du politiquement correct, s’abstenir. Enfant, Mocky est figurant chez Marcel Carné, puis Jean Cocteau. À 20 ans, Michelangelo Antonioni fait de lui une vedette. Pourtant, l’emploi d’acteur sied mal à sa soif de liberté : passé derrière la caméra, ce disciple de Fritz Lang et de Luis Buñuel saura toujours attirer les plus grandes stars, leur réservant d’audacieux contre-emplois dans des films insolites et satiriques. « Langue de bois, connais pas ! », telle est la devise de Mocky l’indomptable, dont la longue filmographie illustre ses nombreuses révoltes et indignations : scandales politiques et religieux, crimes sexuels, abus de faiblesse… Ennemi juré de la bien-pensance, il a souvent payé cher son indépendance et son franc-parler. S’il a su nouer des amitiés durables dans le métier, sa route est semée de fâcheries d’un soir et de brouilles définitives. Bourvil, de Funès, Delon, Deneuve, Visconti, Chaplin, Serrault, Godard, Eastwood et bien d’autres jalonnent son parcours atypique, pour le meilleur et pour le pire. Qu’importe ! Son amour du cinéma prévaut sur le reste : après quelque soixante ans de carrière, il tourne plus que jamais et fourmille de projets. Mais au fond, qu’est-ce qui fait courir Mocky ? On le découvre au fil d’un récit truculent, sulfureux, drôle et nostalgique, où l’auteur, évoquant sans fard ses blessures de jeunesse, nous dévoile une part de sensibilité inattendue.

Comme souvent, Mocky vaut mieux que sa caricature, et le personnage qui se découvre dans ces pages est plus qu’attachant. En témoignent les portraits quasi amoureux qu’il dresse des cinéastes, des acteurs qui l’ont marqué, forgé, soutenu, et qu’il a aimés sans réserve, au prix parfois de longues brouilles, et lui l’iconoclaste, l’anticlérical, avouant une forme de foi en un au-delà qui nous échappe…

https://www.youtube.com/watch?v=9Bg1H5ZntuM

Du coup, j’ai acheté tout Mocky, pour me refaire une éducation cinéphilique. Bien sûr la critique n’est pas très tendre pour les films les plus récents, comme le dernier de ce gros coffret, Le Renard jaune (2013).

Je viens de le regarder quelques heures après Un drôle de paroissien (1963).

Cinquante ans séparent ces deux films, et pourtant j’y ai reconnu immédiatement la patte du cinéaste, un savoir filmer ses personnages, un sens de la mise en scène, même avec des bouts de ficelle, un amour de ses acteurs, et puis une attention rare portée à la musique de ses films. Des tics et des trucs évidemment, comme Woody Allen avec qui il partage cette régularité boulimique de la production de longs-métrages.

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