Jupiter

Les symphonies de Mozart ne sont quasiment plus au répertoire des orchestres symphoniques traditionnels. C’est dire si, comme je l’ai écrit pour Bachtrack, la présence de la 41e symphonie dite « Jupiter » de Mozart au programme de l’Orchestre national de France dirigé par Simone Young le 19 juin dernier faisait figure d’événement.

La conception de Simone Young, ici à Munich en 2018, n’a pas foncièrement changé. C’est l’illustration même de ce que je décris dans mon article : Soir de fête pour Simone Young et l’Orchestre national

Je crois me souvenir que la dernière fois que j’ai entendu la Jupiter en concert, c’était à Liège avec Louis Langrée en janvier 2006 ! Je me rappelle surtout une séance pédagogique où il avait réparti le public de la Salle Philharmonique en cinq groupes suivant chacun l’une des cinq « phrases » fuguées par Mozart dans le dernier mouvement. On peut voir quelques extraits du grand festival Mozart dans ce film à 26′

L’ultime chef-d’oeuvre symphonique de Mozart a évidemment bénéficié d’un grand nombre d’enregistrements. J’en ai distingué quelques-uns dans ma discothèque, parfois surprenants ou inattendus

Les grands classiques

Josef Krips, Amsterdam (1971)

Souvent réédité le bloc des symphonies 21 à 41 enregistrées par le chef viennois Josef Krips à Amsterdam au début des années 70, garde son statut de référence, même si les réussites y sont très inégales. Mais la 41e symphonie a fière allure

L’autre inévitable est Karl Böhm, auteur de la première intégrale des symphonies de Mozart, très inégale elle aussi, mais on retrouve bien dans la 41e symphonie ce mélange d’apparente rigueur et d’élan qui a souvent caractérisé l’art de ce chef

Karl Böhm, Berlin (1962)

Pour des raisons commerciales probablement, on a confié peu de Mozart à Eugen Jochum, qui pourtant dans Haydn, Mozart, Beethoven, était en terrain de connaissance et de liberté

Eugen Jochum à Boston (1973)

James Levine a gravé une autre intégrale des symphonies de Mozart à Vienne.

La 41e commence à 28′

Autre intégrale remarquable, globalement la plus réussie, celle de Charles Mackerras avec l’orchestre de chambre de Prague (il a réengistré les six dernières symphonies avec le Scottish chamber orchestra). C’est pour moi la plus recommandable globalement.

Les inattendus

On n’attend pas vraiment Zubin Mehta dans ce répertoire. Pourtant, formé à Vienne auprès des meilleurs, le chef indien se coule sans peine dans la peau du chef mozartien…

Zubin Mehta à Vienne

Autre chef inattendu dans ce répertoire, et surtout le seul à avoir officiellement enregistré la 41e symphonie, alors âgé de 28 ans, avec l’Orchestre national de l’époque. Et ça sonne vraiment bien…

Lorin Maazel avec l’ONF (1958)

Quelques mois avant sa mort, le chef américain se retrouve invité (à grands frais certainement) en Galice en 2012.

Lorin Maazel en Galice (2012)

Sur YouTube, on trouve dette étonnante captation d’un concert où le vieux chef soviétique Evgueny Svetlanov épouse la grandeur du compositeur, donnant une version fascinante.

Evgueni Svetlanov à Moscou (1992)

Yehudi Menuhin, Sinfonia Varsovia

Pour rappel, Yehudi Menuhin était aussi un excellent chef d’orchestre (lire Le chef oublié) et Hugues Mousseau dans Diapason avait justement distingué sa version de la Jupiter de Mozart

La nouvelle génération

Maxim Emelyanychev, Il Pomo d’Oro

J’écrivais, il y a trois ans, après les deux concerts finaux du Festival Radio France : « Maxim Emelyanychev réinvente tout ce qu’il dirige, sans céder aux excès de certains de ses contemporains plus médiatisés« . Je me réjouis infiniment de retrouver le jeune chef russe, actuel chef principal du Scottish Chamber Orchestra, à la tête de l’Orchestre national de France ce jeudi au Théâtre des Champs-Elysées.

Il a commencé un projet Mozart enthousiasmant :

Julien Chauvin et le Concert de la Loge

J’ai le même enthousiasme pour le parcours de Julien Chauvin et son Concert de la Loge. Je me rappelle la jubilation éprouvée avec le Don Giovanni « implacable et génial » donné à l’Athénée en novembre 2024, qui vient d’être distingué par le Prix 2025 du syndicat de la critique Théâtre, Musique et Danse.

Plus radicales certes, mais passionnantes, les démarches de Mathieu Herzog et Riccardo Minasi

Mathieu Herzog, Appassionato

Riccardo Minasi, Resonanz

PS Je précise, une fois de plus, à l’intention de certains lecteurs – qui ne manquent jamais une occasion de me reprocher mes choix, mes oublis, voire mon ignorance – que, dans ce type d’articles, je n’ai, d’abord, aucune prétention ni volonté d’exhaustivité, et que je fais un choix tout à fait subjectif. En plus de celles déjà citées, je n’ignore pas les versions d’Abbado, Barbirolli, Barenboim, Beecham, Bernstein, Blech, Blomstedt, Boult, Brüggen, Davis, Dorati, Adam Fischer, Fricsay, Gardiner, Giulini, Glover, Harnoncourt, Hogwood, Jacobs, Jordan, Karajan, Keilberth, Klemperer, Koopman, Krivine, Kubelik, Leibowitz, Leinsdorf, Manacorda, Marriner, Monteux, Munch, Muti, Oistrakh, Pinnock, Reiner, Rhorer, Sawallisch, Schmidt-Isserstedt, Schuricht, Solti, Suitner, Tate,Tennstedt, Vegh, Walter… pour ne citer que celles que j’ai dans ma discothèque !!

Et toujours mes brèves de blog !

Beethoven 250 (IX) : quatuor princier

Pour mémoire, confinement jour 5. Où l’on est content de ne pas avoir numérisé sa discothèque, et de pouvoir rouvrir certains  coffrets…

Après le trio l’Archiduc, sujet de mon dernier billet (Beethoven 250 (VIII) : l’Archiducles quatuors de Beethoven, et tout particulièrement le premier des trois quatuors de l’opus 59 dédiés au prince André Razoumovski

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Une oeuvre qui date de 1806, comme les deux autres quatuors de l’opus 59, une année particulièrement féconde pour Beethoven : le Quatrième concerto pour piano, le Concerto pour violon, la Quatrième symphonie

Quatre mouvements ordonnés comme le trio op.97 : un allegro initial en fa Majeur, puis, au lieu du mouvement lent, un allegro vivace e sempre scherzando, en troisième position seulement un adagio molto e mesto en fa mineur, et un allegro final en fa Majeur.

Une structure a priori classique mais des dimensions exceptionnelles : près de 40 minutes de musique, plus de quatre cents mesures pour le seul deuxième mouvement ! Beethoven met à rude épreuve les instruments du quatuor: une écriture serrée, dense, parfois acrobatique. La partie de premier violon hésite entre la sonate et le concerto, le second violon et l’alto n’ont  rien à lui envier. Mais le coup de maître c’est que le quatrième instrument, le violoncelle, jusque là cantonné au rôle de basse harmonique, se fait soudain soliste : les thèmes des quatre mouvements sont confiés au violoncelle !

Le thème du premier mouvement, confié précisément au violoncelle coûte des mois d’effort au compositeur. On en a retrouvé plus de cent esquisses. L’effet de ce thème ascendant, énoncé à la dominante (fa majeur n’arrive qu’à la vingtième mesure !), repris au premier violon est électrisant. Il est suivi par l’énoncé du deuxième thème chantant et rêveur aux deux violons d’abord puis aux deux autres instruments. L’exposition se poursuit sans heurts ; et soudain l’explosion : un vigoureux arpège du violoncelle donne le signal d’un développement foudroyant à l’écriture virtuose et éblouissante.

Après avoir exploré les tonalités les plus extravagantes, Beethoven ramène le thème initial. Au lieu de conclure rapidement, il développe la coda et en retarde l’aboutissement 

Le deuxième mouvement a tout d’un scherzo sauf la taille! De même que Beethoven a usé de multiples tonalités dans le premier mouvement, il explore ici les rythmes les plus débridés.

Rupture de ton dans le troisième mouvement, l’un des plus poignants de Beethoven. La lente mélodie du premier violon s’élève avant d’être reprise dans l’aigu au violoncelle. Un second thème, pathétique, serein lui succède. Dans le développement, sous la plainte mélancolique des trois autres instruments, les pizzicati du violoncelle colorent d’une façon obsédante cette marche funèbre. qui s’interrompt par une série de  trille enjoué qui annonce le quatrième mouvement. Un thème russe* bon enfant, confié au violoncelle, repris au premier violon va déclencher une cataracte de de variations mélodiques et de rythmes contrastés qui se brisent soudain en un adagio pensif et timide, avant les quelques mesures d’un presto final sur l’accord de Fa majeur.

* La seule demande du prince André Razoumovski était que Beethoven emploie des mélodies russes « authentiques ou imitées » dans ses trois quatuors.

J’ai du mal à faire une hiérarchie dans mes versions favorites.

C’est avec le Quartetto Italiano que j’ai découvert l’oeuvre au disque, c’est vers le Quartetto Italiano que je reviens régulièrement, comme on vient retrouver des amis.

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Tout à l’opposé, le brillant et la fougue, parfois fatigants, des Américains du quatuor Emerson

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Leçon de style, d’idéal viennois, chez le quatuor Alban Berg.

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Bien sûr, il faudrait citer les Amadeus, Juilliard, Takacs, Prazak, ou plus près de nous les Ebène et Artemis.

Et puis on craque à l’écoute de cette merveille, datant de 1952, qui fait partie de la première intégrale gravée par le Quatuor Vegh.

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