Je l’écrivais au début de mon périple en Asie centrale (Au pays du premier maître) : ce sont les Mémoires de Michel Ciment qui m’ont donné envie de visiter les mythiques studios d’Uzbek Film à Tachkent. En vue de son centenaire en 2025, ceux-ci ont bénéficié d’un soutien important de l’Etat et ont pu bénéficier d’une extension importante qui n’a pas défiguré les bâtiments d’origine.
Extraits de Une vie de cinéma : « La Kirghizie produit cinq films par an, Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan, un studio qui emploie vingt metteurs en scène et douze cents personnes…. La production y est plus diversifiée à l’image du pays. Mosaïque composite de plusieurs civilisations, l’Ouzbékistan connaît un essor prodigieux, ses mines d’or à ciel ouvert, ses champs de coton en font une sorte de Californie soviétique….Tachkent, tous les deux ans, organise un festival des cinémas du tiers-monde où l’on voit la marque de ces préoccupations. Sans peur d’Ali Khamraiev montre avec une grande pureté de style le combat d’une jeune Ouzbeke contre le port du voile dans les années 20. Problème toujours actuel si j’en juge par les femmes croisées dans les rues de Samarcande : leurs visages sont encore aujourd’hui masqués par un foulard…. Quant à Biruni – grand prix du Festival de Téhéran – c’est un long film historique sur un enfant du pays qui au Xe siècle dut un maitre de l’astronomie comme le sera, quatre cents ans plus tard, Ulugh Beg, le petit-fils de Tamerlan… »
Il me faudrait encore citer des pages et des pages de Michel Ciment sur ce cinéma ouzbek qui le fascinait dans les années 70. Le seul film de Khamraiev que j’ai trouvé sur YouTube est assez exemplaire de ce type de cinéma
Hollywood ouzbek
J’ai donc eu droit à une visite privée du complexe d’UzbekFilm.
C’est étrange comme on se croirait à Hollywood devant l’entrée des studios Paramount…
Décors pour le tournage d’un film historique de Zafar Xajiboyev, le tout jeune et déjà célèbre cinéaste « maison ».
Le rêve de Gérard Depardieu
On a retrouvé la trace de Gérard Depardieu.. à Tachkent, et de la plus amusante des manières. Notre guide (qu’on voit à droite de la photo ci-dessus), qui parle un excellent français, nous racontait avoir servi d’interprète à l’acteur français en 2016, et avoir joué auprès de lui dans ce qui devait être un film, devenu un documentaire, à la suite d’un conflit entre l’acteur et le réalisateur uzbek.
Nous avons évidemment demandé à Y. notre guide quel avait été le comportement de l’acteur français, si elle avait subi quelque agression que ce soit. Elle nous a décrit un personnage charmant, charmeur, délicat, très gourmand, très loin des accusations et de l’opprobre qui se sont abattus sur lui en France.
J’ignore si le documentaire – une belle promotion, conçue comme telle, pour l’Ouzbékistan – est toujours visible, mais la bande-annonce me donne envie de revoir ces paysages tant admirés ces dernières semaines.
J’ai laissé ce blog sur les hauteurs du lac Son au Kirghizistan (Les chevaux de Kirghizie). En une semaine, que de chemin parcouru et d’impressions emmagasinées !
Mardi 13 août : la nuit a été fraîche, la petite porte de la yourte était mal ajustée et la température au réveil ne devait pas excéder 6°. On refait à pied une partie du parcours qu’on a fait à cheval la veille, histoire de se dégourdir les jambes avant de reprendre la voiture pour un long trajet vers la région de Talss et la vallée de Suusamyr. Quelques haltes pour photographier des montagnes de toutes les couleurs, puis déjeuner au bord de la rivière pour enfin goûter à la truite qui est annoncée le long des routes.
La truite fraîchement pêchée et grillée.
Dernière nuit au Kirghizistan dans un petit hôtel au bord d’un torrent (boules Quies requises), à Chychkan.
Mercredi 14 : on refait la route dans l’autre sens cette fois pour rejoindre Bichkek et son aéroport. Ici ils appellent cela autoroute parce que c’est l’unique liaison entre le sud (Och) et le nord (Bichkek). On y verra beaucoup de camions, des vélos et mêmes des troupeaux.
Au contrôle des passeports, le policier me salue d’un « Bonjour » et me demande si j’ai aimé le Kirghizistan, me faisant comprendre avec un grand sourire qu’il ne me laissera passer qu’en cas de réponse positive ! J’y reviendrai plus tard, mais c’est tellement plus sympathique pour le visiteur arrivant au Kirghizistan (comme en Ouzbékistan) de ne pas devoir subir des files et des contrôles interminables à l’arrivée, ni visa ni multiples tampons.
Vol d’une heure vers Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan. Le contraste entre les deux capitales est saisissant dès l’arrivée à l’aéroport : l’opulence s’affiche sans complexe. On s’offre un dîner italien à l’hôtel. La cuisine kirghize est délicieuse, goûteuse parce que faite de produits locaux et de traditions séculaires, mais elle est un peu répétitive… Noter pour y revenir que le plat national dans les deux pays est le « plov », traduit en français par le riz « pilaf » !
Jeudi 15 :
Une jeune guide, dont la famille a des origines iraniennes, et dont le visage nous fait plus d’une fois penser à… Simone Veil, nous entraîne pour une visite de Tachkent sous un soleil de plomb. La ville est immense, larges avenues bordées de parcs et jardins, rangées de magasins de marques, parfois à la limite du clinquant. Peu de monuments anciens, même si les plus importants d’entre eux ont été reconstruits à l’identique après le terrible tremblement de terre du 26 avril 1966 (lire Le Monde : la terre tremble à Tachkent). On visite le grand marché central, puis quelques stations de métro – prototype du métro soviétique, autorisé en 1972 par Brejnev, six ans après le séisme, et ouvert en 1977 -.
Déjeuner obligé dans un immense restaurant « typique » au milieu d’une escouade de jeunes serveurs et serveuses. L’après-midi visite privée des mythiques studios d’Ouzbek Film. Ce sera un article à lui seul.
Le soir on choisira un établissement prisé des locaux au milieu d’un parc : la température extérieure est encore de 37°.
Vendredi 16 : réveil aux aurores, départ de l’hôtel à 5h pour rejoindre le petit aéroport intérieur de Tachkent, emprunter un vol d’Uzbekistan Airways (un Airbus A320 flambant neuf) pour rejoindre la ville d’Ourgench à l’ouest du pays. A l’arrivée on pensait tomber sur un guide masculin – ne pas se fier aux prénoms locaux – c’est une plantureuse mère de deux jumeaux qui, d’une voix très sonore et bien peu agréable – va nous faire le coup, deux jours durant, de l’Ouzbékistan pour les nuls. D’abord le désert non loin de la mer d’Aral, et les vestiges de plusieurs forteresses érigées au début de notre ère – on entendra bien dix fois qu’il y avait autrefois plus d’une cinquantaine de constructions de ce type : Ayaz Qala. L’érosion, l’absence d’entretien et surtout d’intérêt de la part des autorités soviétiques, ont fait leur oeuvre. Mais à voir ce qui reste, on peut encore imaginer ce que devaient être ces places fortes surgies du désert.
Les souvenirs d’enfance, d’école, reviennent : j’ai toujours su que l’Amou Daria et le Syr Daria étaient les plus grands fleuves de la région, qui se jetaient dans ce qui fut la mer d’Aral. On reparlera de la catastrophe écologique que représente l’assèchement de ce qui était la quatrième plus grande étendue lacustre au monde…
Depuis 2017, la surface en eau de la mer d’Aral a encore été réduite de moitié…
Je doute que Bernard-Marie Koltès ait jamais visité cette partie d’Asie centrale, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’il eût été inspiré par notre parcours du jour, pour deux de ses pièces emblématiques : Le retour au désert et Dans la solitude des champs de coton. De retour du site d’Ayaz Qala pour rejoindre la ville antique de Khiva, nous longeons d’immenses champs de coton, puisque l’Union soviétique avait décrété la culture intensive du coton (qui nécessite de grandes quantités d’eau, d’où le détournement des lits de l’Amou et du Syr Daria !).
Notre hôtel est une ancienne madrassa, construite en 1905 aux portes de la ville ancienne. Une chambre comme une cellule d’étudiant. Balade sous la chaleur dans une cité miraculeusement préservée et dîner sur une terrasse qui domine la place centrale. Emerveillement tous azimuts
Samedi 17 : à 9 heures tapantes, notre guide nous attend à l’hôtel pour une visite des principaux monuments de la vieille ville de Khiva. Parlant à la cantonade, y compris dans les lieux de prière, elle récite son « Khiva pour les nuls », en prenant soin de répéter chaque phrase. C’est un peu la honte. Les beautés de la cité antique se cachent à l’intérieur des palais, où, en dehors d’un groupe d’Italiens grégaires et bavards, le touriste est plutôt rare. Déjeuner obligé sur une terrasse où le vent rafraîchit l’atmosphère. Puis un chauffeur nous prend en charge pour nous conduire à Boukhara, à près de 400 km de là. Le trajet annoncé comme devant durer 8h, se fera en à peine cinq heures. Sitôt sortie de la zone urbaine d’Ourgench, la voiture file d’abord vers le long pont métallique qui franchit le lit très large de l’Amou Daria, puis traverse, sur plus de 200 km, ce qu’on nomme ici le désert rouge. Magique, surtout au coucher du soleil. La nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons à Boukhara, dans un hôtel situé aux portes de la vieille ville. Demain s’annonce comme une découverte peut-être plus impressionnante encore que Khiva.
A l’heure où je boucle cet article, je sors d’un déjeuner avec le guide qui nous conduit dans Boukhara et qui nous a appris la mort d’Alain Delon. L’avantage de ne pas être connecté à internet, en dehors des hôtels où nous logeons, c’est d’échapper à la ribambelle des RIP et autres hommages obligés. Je n’ai rien à ajouter à tous les articles, tous les hommages qui sont et seront rendus à l’une des dernières stars mondiales du cinéma français. Je vais les lire bien sûr, revoir les films où éclatait la beauté solaire du jeune acteur.
French actor Alain Delon on the set of The Yellow Rolls-Royce directed by British Anthony Asquith. (Photo by Sunset Boulevard/Corbis via Getty Images)
Ah si peut-être un souvenir personnel, que je ne mentionnerais pas si la circonstance ne s’y prêtait. A la toute fin des années 70, comme je le rappelais à l’occasion de la disparition de Jean-Yves Bouvier, l’âme de l’Elysée-Matignon, la boîte la plus en vue de Paris de l’époque, je fréquentais beaucoup cet établissement, où je retrouvais souvent la même bande de copains. Lorsque j’y allais seul ou que j’arrivais en avance, Jean-Yves Bouvier me demandait souvent comme un service – aussi agréable qu’impressionnant pour le petit provincial que j’étais – de faire la conversation dans le carré VIP aux célébrités présentes. Le pot de fleurs en quelque sorte. C’est ainsi que je fus une fois assis à côté d’Alain Delon, avec qui j’ai dû échanger quelques impérissables banalités.