Dans les steppes de l’Asie centrale

Une commande d’Alexandre

L’une des oeuvres les plus connues de la musique classique russe est assurément le poème symphonique de Borodine Dans les steppes de l’Asie centrale. Commandé au compositeur pour le 25e anniversaire du règne d’Alexandre II, dédié à Liszt, et créé par Rimski-Korsakov le 20 avril 1880 à St Pétersbourg.

En réalité, la Kirghizie est plus un pays de montagnes que de steppe ou de plaine. Mais en longeant la rive nord du lac YsyK Kul, le plus grand lac de montagne du monde après le lac Titicaca, et en même temps la frontière avec le Kazakhstan, j’ai eu, plus d’une fois, l’impression de parcourir la steppe qui est l’essence même du paysage du pays voisin.

Une histoire de petits chevaux

Visitant en juin la ménagerie du Jardin des Plantes, montrant à mes hôtes l’une des espèces sauvegardées par et grâce à l’établissement parisien, les chevaux de Prjevalski,

j’étais loin de me douter que je visiterais deux mois plus tard la tombe et le musée dédié au « découvreur » de cette espèce, le général explorateur russe Nikolaï Mikhaïlovitch Prjevalski, à Karakol sur les bords du lac Ysyk Kul.

J’avoue que j’ignorais tout de ce personnage à la Jules Verne, qui toute sa vie rêva d’accéder au Tibet, à Lhassa, et qui mena cinq expéditions parmi les plus extraordinaires dans l’Empire russe, essentiellement en Asie centrale (elles sont parfaitement racontées dans l’excellente fiche Wikipedia qui lui est consacrée)

La mosquée chinoise

Une précision d’importance, que toutes les personnes rencontrées depuis le début de mon séjour au Kirghizistan évoquent : leur double appartenance. Ils se revendiquent et d’une nationalité et d’une citoyenneté, les deux ayant toujours été mentionnées sur les passeports jusqu’à une période récente. Quand ils se présentent à vous, ils se disent d’abord kirghiz, ouzbek, russe, etc.

Avant hier j’étais invité à dîner dans une famille ouïgour, installée ici depuis plusieurs générations. Grâce à des campagnes de mobilisation internationale, le sort tragique des Ouïghours de Chine est connu. SI on veut les respecter, commençons, n’est-ce-pas M. Glucksmann !, par les prononcer correctement : non ce ne sont pas des Ouiiii-gours, mais des Ouille-gours. Si les musulmans chinois de cette communauté sont toujours traqués dans leur pays, il y a longtemps que les Ouïghours et leurs frères en religion, les Dounganes, ont trouvé refuge en terre kirghize.

C’est ainsi qu’ils ont érigé à Karakol, entre 1907 et 1910, une mosquée tout à fait étonnante dans son apparennce.

La mosquée Dungan de Karakol a été construite entre 1907 et 1910 sans un seul clou, par les Douneganes, une communauté de musulmans chinois arrivés à Karakol pour fuir les violences des années 1870 et 1880.

La mosquée a été conçue par un architecte chinois, qui a incorporé des couleurs et des motifs traditionnels dans l’architecture. Le rouge, le vert et le jaune sont des couleurs prédominantes en raison de leur signification symbolique dans la culture dounegane (le rouge pour la protection contre les mauvais esprits, le jaune pour la prospérité et le vert pour le bonheur). On y trouve également des dragons et un phénix, ainsi qu’une roue de feu, qui sont des motifs typiques des Douneganes. À côté de la mosquée se trouve un minaret en bois en forme de pagode.

Aujourd’hui, la mosquée est utilisée par l’ensemble de la communauté musulmane de Karakol, et pas seulement par les fidèles douneganes.

La Russie éternelle

La ville de Karakol est surprenante. 90.000 habitants à peine, mais établis sur une immense superficie, de rues parallèles et perpendiculaires. Pas de véritable centre urbain, une ressemblance frappante avec la plupart des petites villes américaines, s’il n’y avait ici et là quelques vestiges de maisons typiques des villes de province russes. On nous dit que la position du gouvernement est de pousser les propriétaires et les acheteurs à préserver ce patrimoine historique, tout projet de transformation semble interdit.

Aujourd’hui musée cette petite maison est le siège du premier Soviet nommé dès 1920.

Rareté dans le paysage kirghize, l’église orthodoxe de la Sainte-Trinité date de la fin du XIXe siècle, elle a été construite sur le lieu d’une ancienne église détruite par un tremblement de terre. Elle avait été interdite au culte sous Staline, puis progressivement rétablie dans ses prérogatives religieuses. Elle a bénéficié d’une rénovation récente.

Une amitié particulière

Suite de mon billet d’hier (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/08/29/des-lueurs-dans-la-nuit/), Robert Soëtens évoque trois grandes sonates pour violon et piano nées pendant la Première Guerre mondiale, Fauré, Debussy… et Darius Milhaud !

Quant à la 2e sonate de Darius Milhaud, vous avez assisté à sa gestation puisque vous étiez condisciple du compositeur, alors comme vous élève du Conservatoire ?

– R.S. Milhaud conçut cette oeuvre « pour Monsieur André Gide« , avant la guerre de 14; elle ne fut terminée qu’au Brésil où Milhaud avait été désigné par le MInistère comme secrétaire auprès de Paul Claudel, « Ministre de France au Brésil ». La dédicace à Gide était justifiée par l’enthousiasme de Darius pour l’écrivain comme toute la jeunesse intellectuelle de l’époque, et plus particulièrement par « Les nourritures terrestres« 

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J’ai été en effet témoin de cet élan puisque nous étions, Milhaud et moi, entrés la même année – 1910 – au Conservatoire et réclamés, l’un et l’autre, par le même professeur de violon, Berthelier, dont la classe était la plus recherchée.

Je n’avais que 13 ans, et Berthelier avait dû demander au jury et à son président, Gabriel Fauré, directeur du Conservatoire, de m’accorder une dispense spéciale. Ayant été le 2eme du palmarès général, j’obtins aisément gain de cause. Pour Milhaud, déjà bachelier ès-lettres, il n’y avait eu aucun problème d’âge; encore lui avait-il fallu se montrer un remarquable violoniste, pour avoir été sélectionné parmi les 20 premiers de 300 concurrents d’un niveau très élevé. Jouer du violon n’était pour lui qu’un désir de découvrir la musique; deux ou trois ans plus tard, ses ambitions violonistiques cédèrent devant celles, plus impérieuses, du compositeur inscrit dans les classes d’écriture, mais son passage dans la classe de violon avait soulevé quelques remous ! Son originalité nous impressionnait ! Toujours élégant, portant chapeau melon, ce jeune homme provençal nourri de Cézanne et d’Eschyle contrastait avec nos allures de potaches. Son choix de travail n’était pas moins surprenant. Echappant à nos programmes scolastiques, il apportait à la classe des oeuvres étranges, inconnues pour nous. M’approchant un jour du pupitre, je lus « Poème«  d’un certain Chausson dont nous n’avions encore jamais entendu parler et qui fit son entrée ce jour-là au Conservatoire (très conservateur à l’époque), grâce à Milhaud. Je sursautai en lisant : « dédié à Eugène Ysaye ». Du coup je portai un vif intérêt à cette musique et à celui qui l’avait dénichée.

– Entre le petit Soëtens de 13 ans (déjà plus haut par la taille) et le grand aîné naquit une étrange complicité

– R.S. CInq années d’écart entre nous, c’était beaucoup à cet âge. Néanmoins, la musique nous rapprocha. À ce moment, Milhaud était franckiste, il aimait jouer la Sonate de Magnard et celle de Guilaume Lekeu, élève de Franck (elles aussi dédiées à Ysaye, cette dernière étant l’une des trois sonates, avec celles de Franck et Fauré (n°1) qu’adorait Marcel Proust, qu’il entendait dans les salons parisiens et qui constituèrent dans son oeuvre l’unique et fictive sonate de Vinteuil.

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J’avais été bercé dans mon enfance par ces mêmes oeuvres jouées par mes père et mère. Pour me grandir aux yeux de Darius, je me flattais, à juste titre, d’avoir été déjà l’élève d’Ysaye. Nous sortions ensemble de la classe vers midi et cheminions par les rues de Madrid et de Londres jusqu’à la Trinité, quand un jour il me dit : « Viens déjeuner chez moi, j’habite là sur le côté de l’église rue Gaillard ». En franchissant le seuil du n°5 il me parla de son 1er quatuor terminé, ajoutant qu’il en écrirait 18 « pour faire la pige à Beethoven« . Son 3 pièces était meublé avec goût. « Mettez un couvert pour mon ami, le petit Soëtens » dit-il à sa gouvernante ce jour-là et beaucoup d’autres fois par la suite. Après le déjeuner, nous passions de la salle à manger provençale au salon, où Milhaud ouvrait des placards de musique et de ses propres manuscrits de jeunesse. Il en tirait diverses partitions, il se mettait au piano – dont il jouait aussi bien que du violon – je prenais un violon et nous jouions des heures. Que ne m’a-t-il pas fait connaître, ouvrant mes oreilles et connaissances à la musique de notre temps !…

À suivre le récit de cette indéfectible amitié entre Robert Soëtens et Darius Milhaud (1892-1974)…

Ci-dessous deux photos prises alors que Robert Soëtens n’avait que… 94 ans, chez (et avec) François Hudry, que je remercie pour ces beaux souvenirs.

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