Ardeurs et pudeurs de la critique

Sujet récurrent sur ce blog : la critique (cf. Le difficile art de la critique, L’art de la critique, etc.).

J’en reparle à propos de deux articles récents : la chronique d’Alain Lompech (Le coup de gueule de Tonton Piano !) dans le Classica de juin, et un billet de Philippe Cassard dans L’Obs du 2 juin dernier.

L’aveu d’Alain

Alain Lompech relate La Tribune des critiques de disques de France Musique à laquelle il a participé, à propos de la 3ème sonate pour piano de Brahms (lire : Ils aiment Brahms) : « J’adore quand elle (La Tribune) m’inflige des leçons de modestie, comme lors de cette émission d’avril…où j’ai éliminé deux de mes versions préférées. Je n’ai même pas eu de mots assez durs en réserve pour parler de celle de Jonathan Fournel que j’avais pourtant placée très haut quand elle est sortie et n’ai pas été accroché par celle d’Alexandre Kantorow« . Lompech raconte s’être refait La Tribune chez lui et en déduit : « Fournel comme Kantorow dont les interprétations exigent des écoutes au long cours pour être comprises… Voici ce qui explique aussi pourquoi Claudio Arrau ou Alfred Brendel se sortent souvent assez mal des confrontations d’extraits ».

Ayant été, de sa fondation fin 1987 à 1993, l’un des trois « permanents » de l’équivalent suisse de La Tribune, la défunte émission « Disques en Lice » (lire Une naissance) alors animée par François Hudry, j’aurais bien des exemples à donner à l’appui des dires d’Alain Lompech. Il faut rappeler que ces émissions fonctionnent avec des écoutes « à l’aveugle » ! Ainsi dans Disques en Lice, Clara Haskil, lorsqu’elle était.. en lice, ne franchissait, elle non plus, jamais le cap de la première écoute. Et des versions multi-référencées de parfois s’incliner devant des inconnus (comme pour Rhapsody in Blue la victoire haut la main de Siegfried Stöckigt, Kurt Masur et le Gewandhaus de Leipzig !!)

La critique impossible ?

Philippe Cassard a eu le courage, selon certains, le malheur selon d’autres, de publier ce billet dans L’Obs de la semaine dernière :

Que n’a-t-on lu, depuis, sur Facebook essentiellement, de « commentaires » sur cette prise de position émanant d’un pianiste et producteur de radio (éternel débat : peut-on être juge et partie ?).

Moi-même j’avais écrit à propos de ce coffret consacré à la pianiste française Cécile Ousset, retirée depuis bien des années : « Je suis pour le moins perplexe, après avoir écouté les enregistrements que je ne connaissais pas (Debussy, Chopin, Rachmaninov). Du piano solide, au fond du clavier, mais qui me semble bien court d’inspiration et de feu« .

Le plus cocasse, dans l’histoire, c’est que ceux qui ont reproché à Cassard la virulence de son propos ne semblent pas non plus toujours convaincus par le jeu et les interprétations de la pianiste. Diapason (Laurent Muraro) et Classica (Jean-Charles Hoffelé) mettent chacun 5 diapasons ou 5 étoiles à ce coffret – la note la plus haute avant le Diapason d’Or ou le Choc de Classica ». Et pourtant :

J.C.H : Dans Ravel « Son piano ample et un brin distant n’y charge rien mais éclaire le texte avec cette pudeur qui signe l’essence et aussi la limite de son art. Cécile Ousset ne se déboutonne jamais/…./ Des Chopin « impeccables » / « Debussy d’une évidence qui se passe de mystère mais aussi, hélas, de magie »

J’aime bien Jean-Charles Hoffelé (il faut lire son site Artamag), je suis souvent d’accord avec ce qu’il écrit, dans son style inimitable, mais ici je ne comprends pas les prudences qu’il a à l’égard de disques – on ne parle pas de la personne de Cécile Ousset, mais de ce qu’on entend ! – qui sont bien ennuyeux.

Laurent Muraro : « Côté concerto, on pourra rester sur sa faim devant quelques lectures sans folie et un peu empesées du 1er de Tchaikovski ou du Schumann (avec Masur) ainsi que par des Rachmaninov également un peu sages (2ème et Rhapsodie avec Rattle, 3ème avec Herbig)/…./ Pâles Tableaux d’une exposition/…./Pas d’esbroufe et quand Cécile Ousset prend son temps c’est pour mieux nuancer sa palette ».

De nouveau, l’enthousiasme du critique de Diapason est plutôt parcimonieux !

Puisque l’un et l’autre trouvent de l’intérêt à une version du concerto de Poulenc – que je ne connaissais pas – écoutons-la. La concurrence discographique est moins forte, il est vrai, et Poulenc s’accommode plutôt bien de cette vision charnue. Même si ma (p)référence reste un CD qui m’est cher, pour beaucoup de raisons (Eric Le Sage / Orchestre philharmonique de Liège / Stéphane Denève /Sony RCA)

La découverte de la musique (VIII) : l’orgue

J’ai failli devenir organiste. Ayant grandi à Poitiers, j’avais pour copain de classe un des enfants de Jean-Albert Villard, l’organiste titulaire des grandes orgues Clicquot de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers

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Mais je n’ai jamais franchi le pas, j’avais déjà assez à faire avec mes leçons de piano, de solfège, et même de violon (trois ans non concluants !) au Conservatoire, j’ai résisté aux amicales pressions de Jean-Albert Villard, qui était par ailleurs un formidable conteur, un pédagogue historien passionné, peut-être pas le plus grand des organistes ! Mais il invitait chaque saison les meilleurs de ses collègues à la tribune de la Cathédrale. Je me rappelle très bien un récital de Xavier Darasse et ma découverte de l’orgue de Liszt, et tout autant une soirée mortelle, soporifique avec… Marie-Claire Alain, qui était alors présentée comme l’Organiste incontournable…

IMG_4102(Un magnifique CD jadis réédité par Erato, aujourd’hui introuvable !)

Un souvenir plus confus de Pierre CochereauJe ne sais plus si c’est après ou avant de l’avoir entendu que j’ai acheté un disque de « tubes », ou parce que j’avais repéré dans une cérémonie ou une autre la fameuse Toccata de la 5ème symphonie pour orgue de Widor.

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(Ici la magnifique version d’Olivier Latry, successeur de Pierre Cochereau aux grandes orgues de Notre-Dame de Paris).

De là sans doute mon intérêt, ma passion même pour ce que l’on a coutume d’appeler l’orgue symphonique.

J’aurai en tout et pour tout deux occasions de jouer de l’orgue et de jouir de ce sentiment incroyable de puissance qui s’empare de celui qui, d’une simple pression sur quelques touches du clavier peut déclencher un ouragan sonore.

Pendant un été où j’étais moniteur d’une colonie de vacances musicale à Aire sur l’Adour, je profitais de mes rares moments de liberté pour monter à la tribune de l’orgue de l’église locale et improviser ce qui me passait par la tête, et qui ne devait pas être d’un grand intérêt. Mais je m’amusais bien, jusqu’au jour où j’entendis des applaudissements. Une bonne dizaine de touristes avait suivi mes élucubrations et en redemandait. Rouge de honte, je me tapis dans un recoin de la tribune, attendant que l’église soit de nouveau déserte, et sortis en jurant qu’on ne m’y prendrait plus.

Pourtant il y eut une autre prestation, la seconde et dernière. Dans l’abbatiale de Saint-Michel-de-Frigolet cette fois, lors d’une « université » politique d’été, en août 1976. Je ne me rappelle plus qui eut l’idée saugrenue de me faire jouer de l’orgue devant un parterre de ministres et sommités politiques nationales. Je tentai d’ânonner la toccata et fugue en ré mineur de Bach, puis, n’écoutant que mon inconscience, la toccata de la 5ème symphonie de Widor. J’avais beau avoir prévenu de mon  amateurisme, il se trouva quelques jeunes gens bien mis, chefs ou membres de cabinets ministériels, pour me féliciter chaleureusement et bruyamment (devant leurs ministres évidemment) pour ma performance exceptionnelle. Ce jour-là je compris définitivement que le ridicule n’avait jamais tué aucun courtisan. Et que je n’embrasserais jamais le métier d’organiste…

Salut respectueux à l’un des grands organistes français, André Isoir, récemment disparu.

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