Notre Dame : orgues et organistes

Je l’ai promis hier : puisque France Télévisions a soigneusement évité de citer les oeuvres jouées durant les cérémonies et messes de réouverture de Notre Dame, et surtout d’ignorer les organistes qui ont « réveillé » le grand orgue, je vais tenter de combler ces lacunes (lire Demandez le programme !)

Pour ce faire, je vais emprunter sans vergogne à Renaud Machart la suite de « twitts » qu’il a publiés sur le réseau X.com, non sans avoir rappelé l’ouvrage de base qu’il a signé il y a quelques années avec l’organiste Vincent Warnier

« J’ai lu des propos assez peu informés sur les interventions des quatre organistes de #NotreDameDeParis, regrettant et moquant le style de leurs improvisations.

1. L’improvisation est la partie la plus essentielle de la liturgie. Ce n’est pas pour rien que nous sont parvenues des messes d’orgue et des hymnes qui alternaient avec le chant. Si Rameau n’avait pas tant improvisé à l’église, on aurait un livre d’orgue de lui probablement… Fantasme suprême.

2. Le style harmonique « moderne » pratiqué samedi soir, qu’on peut ne pas aimer, est absolument le même que celui de Pierre Cochereau (1924-1984) dans les mêmes lieux voici plus d’un demi-siècle.

3. De toute évidence le langage dissonant/consonant utilisé reflète la situation de la cathédrale #NotreDameDeParis, passée du chaos à la lumière. On fait cela depuis la nuit des temps

Les organistes n’ont bien sûr pas été nommés. On a de la chance : les commentateurs de France TV n’ont pas osé parler pendant la musique, d’ordinaire leur grande spécialité. Par ordre d’apparition :

1. Olivier Latry, nommé en 1985 au poste d’organiste titulaire du grand-orgue : Réveil sur accord final solaire de Sol M.

2. Vincent Dubois, nommé organiste titulaire du grand-orgue en 2016, a improvisé une Tierce en taille (qui rappelle la partie ancienne de l’orgue) à la manière de Grigny ou de Marchand.

3. Thierry Escaich, ancien organiste. titulaire de Saint-Étienne-du-Mont à Paris de 1996 à 2024 au côté de Vincent Warnier. Nommé le 24 avril Organiste titulaire du grand-orgue de #NotreDameDeParis. Reconnu comme un des plus grands improvisateurs du temps.

4. Thibault Fajoles, Organiste titulaire adjoint du grand-orgue et de l’orgue de chœur, nommé le 24 avril. Il n’a que 21 ans, est encore étudiant (élève de Latry et Eschaich). Mais très pro: il a improvisé un fond d’orgue dans le style ancien Grigny/Marchand des XVIIe et XVIIIe. siècles et il a eu le privilège d’improviser la sortie dans un style de Toccata festive très traditionnel, lui aussi. Yves Castagnet, en poste depuis 1988, demeure titulaire de l’orgue de chœur de la Cathédrale. » (Renaud Machart sur X.com)

Ceci étant dit et clairement dit, on peut comprendre la frustration, l’incompréhension de nombreux téléspectateurs qui ont été privés de pièces connues, comme celles que grava l’illustre Pierre Cochereau – ce fut mon tout premier disque d’orgue.

Pour ce qui est de mes amis Thierry Escaich et Olivier Latry, compagnons d’aventures musicales depuis de longues années, je renvoie aux articles que je leur ai déjà consacrés.

Je suis très attaché à ce disque, le premier consacré à des oeuvres symphoniques de Thierry Escaich (Diapason d’Or 2003) : l’orgue de la Salle Philharmonique de Liège n’était pas encore restauré, et la partie d’orgue du concerto a été ensuite enregistrée… à Notre Dame de Paris.

En 2005, nous avions consacré toute une semaine de fête au « réveil » de l’orgue Schyven de Liège et c’était bien entendu avec Thierry Escaich, qui quelques années plus tard tiendrait la partie d’orgue de la 3e symphonie de Saint-Saëns magnifiquement captée sous la direction de Jean-Jacques Kantorow

Quant à Olivier Latry, c’était l’un des invités de choix de « mon » dernier festival Radio France en juillet 2022. Personne ne se rappelait avoir vu une telle foule pour un récital d’orgue à Montpellier…

Pour en revenir à Notre Dame, il faut réécouter cette formidable improvisation d’Olivier Latry qui se mêle aux cloches de la cathédrale à l’issue de la première messe célébrée dimanche.

Inutile de comparer les talents d’improvisateur des titulaires de Notre Dame : mais Thierry Escaich est toujours surprenant quand il s’empare d’un thème connu et qu’il nous emmène en terre inconnue.

Marché de printemps

J’ai quelques amis fous… de musique et surtout de disques, vinyles et CD. J’en ai d’autres qui ont numérisé toute leur discothèque. J’ai adopté, pour ma part, une position… centriste ! Tout est affaire de place et d’utilité.

J’ai donné l’essentiel de mes 33 tours, n’en conservant que ceux qui avaient une valeur affective ou un caractère de rareté et qui n’ont pas été reportés en CD. Quant aux CD, j’adopte la même attitude. Comme la mode est, depuis quelques années, chez les majors à la réédition en coffrets exhaustifs, en général bien documentés, je n’hésite pas à libérer les rayons de ma discothèque.

Passage culturel

Durant le « pont » de l’Ascension, je suis passé par Cholet, aimable chef-lieu d’arrondissement dont je ne connaissais que les… mouchoirs, où j’ai découvert, en plein centre ville, au rez-de-chaussée de l’ancien théâtre, une belle et grande surface culturelle, le Passage culturel

Et un rayon disques classiques qui en remontrerait à plus d’une FNAC…où j’ai trouvé, à prix cassé, quelques galettes qui m’avaient échappé.

Le disque d’Olivier Latry a un intérêt désormais historique, puisque c’est le dernier à avoir été enregistré sur les grandes orgues de Notre-Dame de Paris, avant l’incendie de la cathédrale le 15 avril 2019 !

Melomania

Les Parisiens, privés de leurs grandes « surfaces culturelles » pour cause de confinement, devraient être plus nombreux à fréquenter le seul disquaire spécialisé dans le classique dans la capitale, l’incontournable Melomania, situé au 38 boulevard Saint Germain, Paris 5ème.

On a toujours des chances d’y trouver le CD introuvable, des centaines de belles occasions, des imports japonais, des DVD jamais vus ailleurs.

Où l’on s’aperçoit que les chefs français ne sont pas les plus manchots pour diriger le répertoire classique viennois (mais Jean-Jacques Kantorow et Emmanuel Krivine ont en commun d’avoir été (EK) et d’être encore (JJK) des violonistes de premier rang… et d’avoir souvent enregistré ensemble !)

Martinon et Mackerrras

Les mêmes amis que je citais au début de ce billet lancent volontiers des discussions, parfois interminables, sur les mérites comparés de tel chef, telle version d’un chef-d’oeuvre, tel incunable. Je rentre rarement dans la mêlée, et je m’amuse le plus souvent de ces échanges parfois vifs, tranchés, définitifs, surtout lorsqu’ils proviennent de gens beaucoup trop jeunes pour avoir jamais entendu « en vrai » les chefs qu’ils révèrent ou détestent. Mais c’est la grande vertu du disque, et aujourd’hui de tous les documents disponibles en numérique, que d’abolir le temps et de nous rendre familiers, voire intimes, des interprètes que nous n’avons jamais connus.

Et c’est la grande vertu de ces débats – en général sur Facebook – que d’attirer l’attention – la mienne en tout cas – sur des versions qu’on a sinon oubliées, du moins un peu négligées.

Tom Deacon nous lançait récemment sur les grandes versions des symphonies d’Elgar, et chacun de citer les évidents Boult et Barbirolli. Jusqu’à ce que T.D. nous signale les introuvables versions de Charles Mackerras gravées pour Argo.

Des disques que je me rappelle très bien avoir eus dans ma discothèque… et qui en ont disparu, conséquence probable d’un déménagement.

Autre débat récent, à propos d’un Boléro de Ravel dirigé par Riccardo Chailly, diffusé ce dimanche sur Arte. Soporifique, sans élan, j’en passe et de meilleures ! Et plusieurs de citer comme une référence, l’exact contraire de Chailly, la version que Jean Martinon a gravée à Chicago en 1966, republiée dans un coffret RCA/Sony où tout est passionnant (détails à voir ici)

Parmi les pépites que contient ce coffret, j’ai envie de distinguer une flamboyante 2ème suite de Bacchus et Ariane de Roussel et une véritablement « inextinguible » 4ème symphonie de Nielsen. Orchestre phénoménal, et prises de son exceptionnelles.

Ma Notre-Dame

Sitôt reçu l’alerte sur mon smartphone, j’ai assisté, impuissant, envahi d’une insondable tristesse, à l’inimaginable, Notre-Dame de Paris en proie aux flammes…

Comme le 11 septembre 2001, impossible de se détacher de ce spectacle morbide, jusqu’aux premières heures de la nuit, et l’assurance que le bâtiment et les tours resteraient debout.

Chacun de nous a une histoire, son histoire avec Notre-Dame

Le piéton de Paris que je suis a ses parcours familiers, obligés (Paris autour de Notre-Dame). Je suis si souvent passé tout près d’elle, évitant le plus souvent le parvis et ses milliers de touristes, préférant le pont de l’Archevêché à l’arrière du square Jean XXIII, avec une vue imprenable sur le chevet, la flèche, la toiture… qui ne sont plus que cendres ce matin.

IMG_6936(Vue du pont de la Tournelle sur Notre-Dame et le quai d’Orléans)

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Le 30 janvier 2018, Notre-Dame semblait surnager au milieu de la crue de la Seine

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IMG_4300Et en novembre dernier, « ma » Notre-Dame resplendissait dans la nuit de l’hiver…

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J’ai un autre souvenir très particulier. Le 30 mai 1980, première visite à Paris du nouveau pape Jean-Paul II, messe solennelle à Notre-Dame. Les parlementaires y avaient été invités; le député avec qui je travaillais n’était pas à Paris ce jour-là et j’avais pu profiter de son carton d’invitation pour assister à l’événement sur le parvis de la cathédrale. À mes côtés celle qui allait donner naissance six mois plus tard à notre premier fils… Lorsqu’à la fin de l’homélie du pape, le ciel de Paris s’entrouvrit, illuminant la façade de Notre-Dame du soleil couchant, l’émotion nous étreignit.

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Mais Notre-Dame, pour moi, ce sont tant et tant de souvenirs liés à ses grandes orgues, à ses organistes. Personne n’en a parlé depuis hier, mais on peut imaginer, craindre, que l’instrument n’ait pas survécu à l’incendie…

Pensées pour l’ami Olivier Latry qui venait d’enregistrer ce disque Bach sur ces grandes orgues Cavaillé-Coll rénovées.

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Et comment oublier que mon tout premier disque d’orgue (La découverte de la musique : l’orgue fut un disque de « toccatas célèbres » enregistré par le mythique Pierre Cochereau (1924-1984)..

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Notre-Dame doit maintenant se relever, renaître de ses cendres. Le monde entier l’attend et l’espère.

La découverte de la musique (VIII) : l’orgue

J’ai failli devenir organiste. Ayant grandi à Poitiers, j’avais pour copain de classe un des enfants de Jean-Albert Villard, l’organiste titulaire des grandes orgues Clicquot de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers

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Mais je n’ai jamais franchi le pas, j’avais déjà assez à faire avec mes leçons de piano, de solfège, et même de violon (trois ans non concluants !) au Conservatoire, j’ai résisté aux amicales pressions de Jean-Albert Villard, qui était par ailleurs un formidable conteur, un pédagogue historien passionné, peut-être pas le plus grand des organistes ! Mais il invitait chaque saison les meilleurs de ses collègues à la tribune de la Cathédrale. Je me rappelle très bien un récital de Xavier Darasse et ma découverte de l’orgue de Liszt, et tout autant une soirée mortelle, soporifique avec… Marie-Claire Alain, qui était alors présentée comme l’Organiste incontournable…

IMG_4102(Un magnifique CD jadis réédité par Erato, aujourd’hui introuvable !)

Un souvenir plus confus de Pierre CochereauJe ne sais plus si c’est après ou avant de l’avoir entendu que j’ai acheté un disque de « tubes », ou parce que j’avais repéré dans une cérémonie ou une autre la fameuse Toccata de la 5ème symphonie pour orgue de Widor.

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(Ici la magnifique version d’Olivier Latry, successeur de Pierre Cochereau aux grandes orgues de Notre-Dame de Paris).

De là sans doute mon intérêt, ma passion même pour ce que l’on a coutume d’appeler l’orgue symphonique.

J’aurai en tout et pour tout deux occasions de jouer de l’orgue et de jouir de ce sentiment incroyable de puissance qui s’empare de celui qui, d’une simple pression sur quelques touches du clavier peut déclencher un ouragan sonore.

Pendant un été où j’étais moniteur d’une colonie de vacances musicale à Aire sur l’Adour, je profitais de mes rares moments de liberté pour monter à la tribune de l’orgue de l’église locale et improviser ce qui me passait par la tête, et qui ne devait pas être d’un grand intérêt. Mais je m’amusais bien, jusqu’au jour où j’entendis des applaudissements. Une bonne dizaine de touristes avait suivi mes élucubrations et en redemandait. Rouge de honte, je me tapis dans un recoin de la tribune, attendant que l’église soit de nouveau déserte, et sortis en jurant qu’on ne m’y prendrait plus.

Pourtant il y eut une autre prestation, la seconde et dernière. Dans l’abbatiale de Saint-Michel-de-Frigolet cette fois, lors d’une « université » politique d’été, en août 1976. Je ne me rappelle plus qui eut l’idée saugrenue de me faire jouer de l’orgue devant un parterre de ministres et sommités politiques nationales. Je tentai d’ânonner la toccata et fugue en ré mineur de Bach, puis, n’écoutant que mon inconscience, la toccata de la 5ème symphonie de Widor. J’avais beau avoir prévenu de mon  amateurisme, il se trouva quelques jeunes gens bien mis, chefs ou membres de cabinets ministériels, pour me féliciter chaleureusement et bruyamment (devant leurs ministres évidemment) pour ma performance exceptionnelle. Ce jour-là je compris définitivement que le ridicule n’avait jamais tué aucun courtisan. Et que je n’embrasserais jamais le métier d’organiste…

Salut respectueux à l’un des grands organistes français, André Isoir, récemment disparu.

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