On se dit a priori qu’on est chanceux d’avoir été missionné pour faire la critique de deux concerts-phare de la rentrée musicale parisienne : la Scala et les Wiener Philharmoniker au théâtre des Champs-Elysées à deux soirs d’intervalle. Et puis, critique ou pas, l’auditeur que je suis d’abord et toujours, sort aux trois quarts déçu de ces deux concerts.
J’espère avoir réussi à expliciter cette déception dans mes deux papiers pour Bachtrack.
Verdi sans le théâtre
Mardi soir, la Scala de Milan se présentait en grand apparat hors ses murs avec son orchestre et son choeur au grand complet, sous la baguette de l’actuel patron, Riccardo Chailly, septuagénaire depuis six mois. L’affiche avait de quoi attirer : les extraits les plus connus des opéras de Verdi, ceux qu’on trouve par exemple sur ce disque paru au printemps :

Comme je l’écris sur Bachtrack, on a certes entendu deux formations en très grande forme. De ce point de vue la démonstration a atteint son but. Lire : Le Verdi embourgeoisé de Riccardo Chailly.
Mais où était le théâtre, le drame, la vie ? tout cela semblait si plan-plan, le chef s’attardant sur des détails sans importance, retardant les fins de phrases. Il y avait peut-être aussi de la fatigue, par exemple dans la Sinfonia de Nabucco qui ouvrait le concert. Pesante et sans ressort.
Je me suis amusé à comparer quatre enregistrements : Chailly en 2012, Karajan en 1974, Muti en 1978 et 2013 (live). On est toujours dans les mêmes minutages, mais l’important c’est ce qui se passe dans cette « sinfonia », le drame qu’on pressent, le relief que prennent les thèmes et les personnages. Chailly calme plat…
Riccardo Muti, à l’Opéra de Rome en 2013, a 72 ans…

Igor Levit, Jakub Hrůša et Vienne
La vie d’un mélomane réserve parfois d’amusantes surprises. Voici un chef – Jakub Hrůša – que je n’avais longtemps connu que par le disque, et que je viens d’entendre et d’applaudir trois fois en moins de six mois, dont deux fois à la tête du même orchestre – le Philharmonique de Vienne – et dans la même salle – le théâtre des Champs-Elysées. Bachtrack m’a permis de suivre les trois concerts et j’en suis reconnaissant à « mon » rédacteur en chef.
En mai un programme Janacek/Chostakovitch, lire : Une Cinquième très politique

Début juin, Janacek et Lutoslawski à la maison de la radio, lire : Jakub Hrůša et le Philhar’ jubilatoires à Radio France.
Hier soir, programme tout confort, deux monuments de la littérature romantique : le 2e concerto pour piano de Brahms et la 8e symphonie de Dvořák. Avec, pour moi, une première, la découverte en concert d’un pianiste déjà auréolé, à 35 ans, d’une légende construite par l’intéressé lui-même et quelques critiques toujours en quête d’artistes hors norme, Igor Levit.
Le moins qu’on puisse dire est que le jeune pianiste ne m’a pas convaincu dans ce Brahms, comme je l’écris sur Bachtrack
« Ici, on doit tendre l’oreille pour capter l’entrée d’Igor Levit, qui semble défier la tradition de monumentalité qui s’attache à l’interprétation de cette partition. Le déséquilibre avec l’orchestre brahmsien ira grandissant, surtout dans un premier mouvement où la timidité, voire la préciosité d’un clavier bien pauvre en couleurs est vite submergée malgré l’attention du chef pour son soliste. Le deuxième mouvement est de la même eau : Igor Levit a-t-il si peu de son qu’il ne parvienne jamais à dépasser la nuance mezzo piano ?
L’élégiaque troisième mouvement convient mieux au parti pris d’Igor Levit, encore qu’il souffre d’un séquençage, d’un morcellement du discours qui semblent bien artificiels. Il faut attendre l’Allegretto grazioso du finale et ses contretemps tziganes pour voir le soliste sortir de sa torpeur et faire sonner son clavier, non sans quelques menus accrocs techniques et de mémoire. » (Bachtrack, 15 septembre 2023)
A Lucerne, on a capté juste la fin du concerto.. qui confirme ce que j’ai entendu hier au théâtre des Champs-Elysées :
Je ne peux m’empêcher de repenser à notre cher Nicholas Angelich, qui lui jouait possédait comme nul autre cet art de jouer au fond du piano : je ne peux revoir sans une extrême émotion cet extrait de l’enregistrement qu’il avait fait avec Paavo Järvi des deux concertos de Brahms
Alain Lompech, dans une critique d’un récital d’Igor Levit (Les voyages immobiles et raffinés d’Igor Levit), écrivait : « La sonorité du pianiste est très belle, lumineuse, sans dureté, mais elle manque de densité, d’incrustation dans la profondeur du clavier, sauf en de rares moments.«

Heureusement, la seconde partie du concert m’a permis de titrer mon article sur Bachtrack : Jakub Hrůša fait rayonner les Wiener Philharmoniker.
Ici le chef tchèque dirige « son » orchestre de Bamberg, à qui ce n’est pas faire injure que de constater qu’ils n’égalent pas tout à fait l’or et la soie des Viennois, particulièrement inspirés hier soir dans une 8e symphonie de Dvořák d’anthologie.
On a pu capter quelques secondes de la « viennoiserie » que chef et orchestre, longuement applaudis, ont offerte au public.


























(De gauche à droite, 






