Deux concerts, une demi-réussite

On se dit a priori qu’on est chanceux d’avoir été missionné pour faire la critique de deux concerts-phare de la rentrée musicale parisienne : la Scala et les Wiener Philharmoniker au théâtre des Champs-Elysées à deux soirs d’intervalle. Et puis, critique ou pas, l’auditeur que je suis d’abord et toujours, sort aux trois quarts déçu de ces deux concerts.

J’espère avoir réussi à expliciter cette déception dans mes deux papiers pour Bachtrack.

Verdi sans le théâtre

Mardi soir, la Scala de Milan se présentait en grand apparat hors ses murs avec son orchestre et son choeur au grand complet, sous la baguette de l’actuel patron, Riccardo Chailly, septuagénaire depuis six mois. L’affiche avait de quoi attirer : les extraits les plus connus des opéras de Verdi, ceux qu’on trouve par exemple sur ce disque paru au printemps :

Comme je l’écris sur Bachtrack, on a certes entendu deux formations en très grande forme. De ce point de vue la démonstration a atteint son but. Lire : Le Verdi embourgeoisé de Riccardo Chailly.

Mais où était le théâtre, le drame, la vie ? tout cela semblait si plan-plan, le chef s’attardant sur des détails sans importance, retardant les fins de phrases. Il y avait peut-être aussi de la fatigue, par exemple dans la Sinfonia de Nabucco qui ouvrait le concert. Pesante et sans ressort.

Je me suis amusé à comparer quatre enregistrements : Chailly en 2012, Karajan en 1974, Muti en 1978 et 2013 (live). On est toujours dans les mêmes minutages, mais l’important c’est ce qui se passe dans cette « sinfonia », le drame qu’on pressent, le relief que prennent les thèmes et les personnages. Chailly calme plat…

Riccardo Muti, à l’Opéra de Rome en 2013, a 72 ans…

Igor Levit, Jakub Hrůša et Vienne

La vie d’un mélomane réserve parfois d’amusantes surprises. Voici un chef – Jakub Hrůša – que je n’avais longtemps connu que par le disque, et que je viens d’entendre et d’applaudir trois fois en moins de six mois, dont deux fois à la tête du même orchestre – le Philharmonique de Vienne – et dans la même salle – le théâtre des Champs-Elysées. Bachtrack m’a permis de suivre les trois concerts et j’en suis reconnaissant à « mon » rédacteur en chef.

En mai un programme Janacek/Chostakovitch, lire : Une Cinquième très politique

Début juin, Janacek et Lutoslawski à la maison de la radio, lire : Jakub Hrůša et le Philhar’ jubilatoires à Radio France.

Hier soir, programme tout confort, deux monuments de la littérature romantique : le 2e concerto pour piano de Brahms et la 8e symphonie de Dvořák. Avec, pour moi, une première, la découverte en concert d’un pianiste déjà auréolé, à 35 ans, d’une légende construite par l’intéressé lui-même et quelques critiques toujours en quête d’artistes hors norme, Igor Levit.

Le moins qu’on puisse dire est que le jeune pianiste ne m’a pas convaincu dans ce Brahms, comme je l’écris sur Bachtrack

« Ici, on doit tendre l’oreille pour capter l’entrée d’Igor Levit, qui semble défier la tradition de monumentalité qui s’attache à l’interprétation de cette partition. Le déséquilibre avec l’orchestre brahmsien ira grandissant, surtout dans un premier mouvement où la timidité, voire la préciosité d’un clavier bien pauvre en couleurs est vite submergée malgré l’attention du chef pour son soliste. Le deuxième mouvement est de la même eau : Igor Levit a-t-il si peu de son qu’il ne parvienne jamais à dépasser la nuance mezzo piano ?

L’élégiaque troisième mouvement convient mieux au parti pris d’Igor Levit, encore qu’il souffre d’un séquençage, d’un morcellement du discours qui semblent bien artificiels. Il faut attendre l’Allegretto grazioso du finale et ses contretemps tziganes pour voir le soliste sortir de sa torpeur et faire sonner son clavier, non sans quelques menus accrocs techniques et de mémoire. » (Bachtrack, 15 septembre 2023)

A Lucerne, on a capté juste la fin du concerto.. qui confirme ce que j’ai entendu hier au théâtre des Champs-Elysées :

Je ne peux m’empêcher de repenser à notre cher Nicholas Angelich, qui lui jouait possédait comme nul autre cet art de jouer au fond du piano : je ne peux revoir sans une extrême émotion cet extrait de l’enregistrement qu’il avait fait avec Paavo Järvi des deux concertos de Brahms

Alain Lompech, dans une critique d’un récital d’Igor Levit (Les voyages immobiles et raffinés d’Igor Levit), écrivait : « La sonorité du pianiste est très belle, lumineuse, sans dureté, mais elle manque de densité, d’incrustation dans la profondeur du clavier, sauf en de rares moments.« 

Heureusement, la seconde partie du concert m’a permis de titrer mon article sur Bachtrack : Jakub Hrůša fait rayonner les Wiener Philharmoniker.

Ici le chef tchèque dirige « son » orchestre de Bamberg, à qui ce n’est pas faire injure que de constater qu’ils n’égalent pas tout à fait l’or et la soie des Viennois, particulièrement inspirés hier soir dans une 8e symphonie de Dvořák d’anthologie.

On a pu capter quelques secondes de la « viennoiserie » que chef et orchestre, longuement applaudis, ont offerte au public.

Karel et Carlos

Ils ont en commun une date, le 3 juillet, la naissance pour l’un en 1930, la mort pour l’autre en 1973, un prénom, Karel et Carlos. L’un et l’autre sont des génies partis trop tôt, Karel Ančerl né à Tučapy le 11 avril 1908, mort à Toronto le 3 avril 1973 à 65 ans, Carlos Kleiber, né à Berlin le 3 juillet 1930, mort à Konjšica (Slovénie) le 13 juillet 2004.

Dans leur cas, les anniversaires n’ont pas grand sens. Ils étaient, sont, demeurent des figures éternelles de ce que la direction d’orchestre peut représenter de plus essentiel. Rien de ce qu’ils ont laissé, légué, n’est médiocre ni anodin. De Carlos Kleiber et Karel Ančerl, il faut tout avoir, tout connaître.

Sélection non exhaustive de références indispensables à toute discothèque

Carlos Kleiber

En plus des coffrets complets publiés par Deutsche Grammophon, il faut chérir tout ce qu’Orfeo a pu republier des bandes captées à Munich ou Vienne.

Tout est génial dans ce qu’on peut voir de Carlos Kleiber ! Aucun chef n’a jamais eu cette élégance suprême en concert, qui cachait tant d’heures d’inlassable travail.

Ce concert du 6 octobre 1991 à Vienne est à tomber…

Ceux qu’il a donnés au Concertgebouw d’Amsterdam vous tirent des larmes de bonheur !

Bien sûr il y a deux « Chevalier à la Rose » de Richard Strauss avec lui, et les deux sont sublimes.

Je peux plus entendre ni surtout voir une autre Chauve-Souris que la sienne, surtout qu’au lieu de l’horrible Ivan Rebroff au disque, il a ici un comte Orlofsky d’anthologie en la personne de Brigitte Fassbaender !

Karel Ančerl

Sans doute le plus grand chef tchèque du XXème siècle (même s’il est de bon ton d’encenser son prédécesseur à la tête de la Philharmonie tchèque, Václav Talich. Je ne comprends pas pourquoi Supraphon n’a encore jamais publié un coffret récapitulatif des années du chef à la tête d’un orchestre philharmonique tchèque des très grandes années.

Je me rappelle qu’à chaque fois qu’Ancerl était présent dans une écoute comparée (dans Disques en lice) il arrivait systématiquement en tête de nos choix. Comme par exemple dans le Concerto pour orchestre de Bartok :

On sait qu’Ancerl a fui la Tchécoslovaquie en 1968 après l’invasion de Prague par les chars russes. On sait moins qu’arrivé à Paris, en partance pour le Nouveau monde, personne ne songea à lui proposer le poste de l’Orchestre de Paris qui était vacant à la suite de la disparition de Charles Munch;…

Quelques concerts à Amsterdam, où on a toujours su reconnaître et accueillir les plus grands chefs, et Ancerl finira ses jours au Canada à Toronto

Il reste encore beaucoup de documents à redécouvrir de l’art de cet immense chef. Soyons reconnaissants à Eloquence d’annoncer pour bientôt la réédition de tous les enregistrements publiés par Deutsche Grammophon et Philips.

Les bonnes raisons

Mon père, qui aurait eu 95 ans hier, si la grande faucheuse ne l’avait brutalement emporté il y a cinquante ans, me disait toujours quand je critiquais un camarade d’école ou de collège : « Il y a toujours quelque chose de bon à trouver chez chacun, dans chaque situation ». Vision angélique ou naïve ? Je me demande ce que le professeur adoré de ses élèves qu’il était aurait pensé du monde d’aujourd’hui. Mais je n’ai jamais oublié son injonction, qui continue de me guider. Pourquoi perdre son temps et son énergie à détester, combattre, se fâcher? Les bonnes raisons d’espérer existent en ce début d’année 2023. À nous de les préférer à la résignation.

Inutile méchanceté

Mais puisque mon dernier billet – Même pas drôle – a suscité quelques commentaires, je confirme et signe ce que j’ai écrit à propos de Roselyne Bachelot et de son passage plus que controversé au ministère de la Culture. Le Monde (Michel Guerrin) n’est pas moins sévère que moi : « Si Roselyne Bachelot pose une bonne question – à quoi sert une politique culturelle aujourd’hui ? –, ses réponses sont un peu courtes ». Le Point relève : Roselyne Bachelot règle ses comptes avec la culture, ce qui est quand même un comble pour une ministre qui était censée défendre et aider le monde de la culture.

En fait, ce bouquin est la pire des publicités qu’on puisse faire à la Culture, Comme si nous avions besoin de tomber encore plus bas… Imaginons seulement la même chose de la part d’un ancien ministre de l’Intérieur ou de la Justice qui passerait « à la sulfateuse » – c’est l’expression employée par les médias pour Bachelot – les magistrats, policiers, gendarmes, hauts responsables dont il avait la charge. Ce serait un scandale ! Mais puisque c’est la Culture, allons-y gaiement. Non merci Roselyne !

Les jeunes Siècles

L’année musicale a bien commencé pour moi. Il y a une semaine c’était le concert-anniversaire des 20 ans des Siècles au Théâtre des Champs-Elysées. J’ai écrit pour Bachtrack un compte-rendu enthousiaste : Les Siècles ont vingt ans : une fête française.

Le même programme avait été capté le 5 janvier à Tourcoing. A déguster sans modération, surtout pour la première suite de Namouna de Lalo.

Les fabuleux Pražák

Depuis que je suis rentré de vacances, je prends un plaisir non dissimulé à découvrir le contenu d’un fabuleux coffret : celui que le label Praga consacre au plus célèbre quatuor tchèque du siècle dernier, les Pražák (prononcer Pra-jacques)

Une somme admirable, un enchantement sur chaque galette

Semaine 3 et fin

#FestivalRF22 #SoBritish

And the winner is…

J’évoquais dans mon dernier billet (Festival d’inconnus) la finale du concours Eurovision des jeunes musiciens qui a eu lieu samedi soir à Montpellier. Diffusée sur Culturebox et France Musique. On peut tout revoir ici : Eurovision Jeunes Musiciens 2022.

Beaucoup de moments heureux :

Fier d’avoir réuni ce jury : Tedi Papavrami, Nora Cismondi, Christian-Pierre La Marca, JPR, Muza Rubackyté

Le premier prix sans discussion pour un talent déjà avéré, le jeune violoniste tchèque Daniel Matejča.

La classe d’un maître

On attendait – c’était une première pour la presque totalité du public – le récit des aventures de la Belle Maguelone, telles que Brahms les a mises en musique. C’était hier soir à l’Opéra Comédie de Montpellier (diffusion le 8 août sur France Musique). Que dire que je n’aie déjà écrit sur Stéphane Degout ? Magistrale interprétation, à laquelle il faut associer ses comparses Marielou Jacquard, mezzo-soprano, Alain Planès, piano et Roger Germser, conteur et lumières

Stéphane Degout anime à partir d’aujourd’hui une Masterclass qu’on sera bien inspiré de suivre de bout en bout : détails sur lefestival.eu.

Marianne, Gabriel, Benjamin, Maxim…

Troisième et dernière semaine donc pour l’édition 2022 du Festival Radio France. Si on ne craignait le cliché, on parlerait de bouquet final ! Marianne Crebassa ce soir, Gabriel Prokofiev demain, Benjamin Grosvenor et Maxim Emelyanychev jeudi et vendredi.

Actualité

Michel Schneider est mort le 22 juillet. J’ai prévu de lui rendre hommage, comme Sylvain Fort l’a fait dans L’Express. J’ai commencé à relire son essai La Comédie de la Culture paru il y une trentaine d’années et qui lui avait valu une invitation de Bernard Pivot (à revoir ici) Un ouvrage d’une extrême qualité d’écriture qui n’a pas pris une ride !

Pour ceux qui se soucient de mon propre sort (patience… juillet n’est pas terminé !), cette interview sur Forumopera : « Jean-Pierre Rousseau : je n’ai aucun regret« 

Jeunes baguettes

Il y a deux mois, j’applaudissais le nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (Yuja, Klaus et Maurice), 26 ans !

Quand je lis le compte-rendu de Remy Louis d’un concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France, où le quasi-vétéran (36 ans tout de même !) Santtu-Matias Rouvali a dû être remplacé par Tarmo Peltokoski, un compatriote – finlandais – de 21 ans ! – lire Les débuts fracassants de Tarmo Peltokoski, j’ai l’impression d’une course à la jeunesse chez les organisateurs, les responsables d’orchestres ou d’institutions musicales.

Il y a encore une vingtaine d’années, recruter un chef de moins de 40 ans paraissait audacieux, voire risqué, surtout pour un poste de directeur musical. On n’aura pas la cruauté de citer les exemples de ces jeunes chefs qui n’auront fait qu’un petit tour à ce genre de poste.

Je me réjouis, par exemple, de recevoir à nouveau à Montpellier, le 19 juillet prochain, le chef anglais Duncan Ward (33 ans!), à la tête de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée (voir lefestival.eu). J’avais assisté en octobre dernier à sa prise de fonction comme chef de la Philharmonie Zuidnederland à Maastricht.

Jeudi dernier, c’était, à la Philharmonie de Paris, une autre jeune baguette, Thomas Guggeis, 29 ans, qui remplaçait Daniel Barenboim, souffrant, à la tête du West-Eastern Divan Orchestra.

Une Patrie universelle

Au programme de ce concert, le cycle « Ma Patrie » de Smetana, une suite de six poèmes symphoniques, dont la célèbre Moldau, que je n’avais plus eu l’occasion d’entendre en concert depuis que je l’avais programmé en janvier 2010 à Liège, avec François-Xavier Roth et l’Orchestre philharmonique royal de Liège (Festival Visa pour l’Europe).

Thomas Guggeis est indéniablement à son affaire dans un cycle où les décibels d’une orchestration wagnérienne peuvent souvent masquer les inspirations populaires du compositeur tchèque. On se demande si le résultat eût été le même avec Barenboim au pupitre. On a entendu un camarade regretter une certaine neutralité interprétative et l’absence de cette nostalgie slave qui devrait s’attacher à Smetana. On a aussi appris que le jeune chef qui avait fait plus d’un tour d’essai avec l’orchestre du Capitole de Toulouse, qui cherche depuis des mois un successeur à Tugan Sokhiev, n’a pas été retenu par les musiciens…

Revenons à Ma Patrie, et à ce qu’il faut bien appeler un cliché – la « nostalgie slave » -. Même si, d’évidence, comme des centaines d’autres oeuvres, ces poèmes symphoniques puisent aux sources de l’inspiration populaire, ils n’en ont pas moins détachables de leur contexte géographique ou historique et constituent des oeuvres « pures ». Personne ne conteste à des chefs et orchestres occidentaux le droit et la légitimité d’interpréter les symphonies de Tchaikovski, qui pourtant puisent abondamment – au moins autant que les Borodine, Moussorgski et autres compositeurs du Groupe des Cinq – dans le terreau traditionnel.

Ce n’est pas parce que le chef d’origine tchèque Rafael Kubelik (lire Les fresques de Rafael), a gravé à plusieurs reprises des versions de référence de ce cycle que celui-ci est chasse gardée des interprètes natifs de Bohème ! Ici on écoute un moment extrêmement émouvant : la captation du concert donné en 1990 par Kubelik à Prague, qu’il avait quittée en 1948, un an après la chute du mur de Berlin.

Mais je veux signaler une autre très grande version, beaucoup moins connue, celle de Paavo Berglund et de la somptueuse Staatskapelle de Dresde.

Tchèque, Français ou Américain ?

Si l’on vous demande, à brûle-pourpoint, de citer des compositeurs tchèques, les noms de Dvořák*, Smetana, Janáček vous viendront immédiatement. En insistant, vous rajouterez Bohuslav Martinů.(1890-1959).

Un compositeur que je ne me rappelle pas avoir déjà évoqué – ou alors par allusion (Wiener Waltersur ce blog, alors que j’aime et pratique son oeuvre depuis longtemps. Je me rattraperai bientôt sur bestofclassic à propos de son oeuvre symphonique.

Je saisis l’occasion d’un double CD écouté ce week-end pour évoquer une personnalité dont la vie et l’oeuvre sont profondément marquées par les cahots de l’Histoire.

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Né à Polička dans l’actuelle République tchèque, Martinů a été naturalisé Américain, mais a vécu le plus longtemps, avant et après la Seconde Guerre mondiale… en France !

Peut-on dès lors l’assimiler à un compositeur tchèque ? Le débat sur la nationalité ou l’appartenance à une esthétique « nationale » n’a, en réalité, pas beaucoup d’intérêt ni de pertinence. Surtout dans le cas de MartinůQui a subi, s’est nourri de plusieurs influences, évidemment pendant ses années de formation à Prague, puis à Paris. Mais qui a composé l’essentiel de ses symphonies aux Etats-Unis.

Et pourtant, à l’instar d’un Poulenc, Martinů est immédiatement reconnaissable, sa musique ne ressemble à aucune autre, même si elle peut emprunter des traits, des tournures, des figures à celle de ses contemporains. Comme ce Double concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales

Un petit air de Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók ? Oui, certes, et les circonstances de la commande et de la création des deux oeuvres ne sont pas étrangères à ces apparentes proximités. Les deux sont, en effet, des commandes de Paul Sacher, le mécène musicien de Bâle, Bartók est créé le 21 janvier 1937, Martinů le 9 février 1940, par le commanditaire et son orchestre de chambre de Bâle.

Pour en revenir au double CD qui vient de paraître – pensée émue pour celui a sans doute encore participé à l’élaboration de ce très copieux album et qui avait fondé le label Praga Digitals, Pierre-Emile Barbier – c’est, par son programme, et le choix des interprètes, sans doute la meilleure introduction qui soit à l’univers singulier de MartinůUn authentique indispensable de toute discothèque !

Il manque encore un ouvrage de référence en français. Le cher Harry Halbreich qui a établi le catalogue raisonné des oeuvres de Martinů n’aura pas eu le temps de faire pour lui ce qu’il avait fait pour Honegger ou Messiaen.

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Seul est disponible (?) dans la collection Actes Sud l’essai que lui avait consacré Guy Erismann.

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Dans un prochain billet, j’évoquerai le lien de Martinů avec… Montpellier ! 

*Pour la prononciation deDvořák, lire Comment prononcer les noms de musiciens ?

Festivals d’orchestre (II) : Paris cinquantenaire

Le 14 novembre 1967, il y a cinquante ans, l’Orchestre de Paris donnait son premier concert au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction de Charles Munchavec un programme somptueux, emblématique de la tradition d’une phalange qui a succédé à la vénérable Société des Concerts du Conservatoire et d’un chef qui s’est fait le héraut incontesté de la musique française,  en particulier à Boston de 1949 à 1962 : La Mer de Debussy, les Requiem Canticles de Stravinsky (en création française), et la Symphonie fantastique de Berlioz.

Munch n’aura guère eu le temps de laisser sa marque discographique avec son nouvel orchestre, la mort l’ayant fauché en pleine tournée aux Etats-Unis le 6 novembre 1968.

La succession de Munch ne ressemblera pas à un long fleuve tranquille, comme en témoigne ce passionnant documentaire, accessible désormais dans sa totalité :

Avec le recul, on continue de s’interroger sur les motivations des responsables de l’époque – Marcel Landowski était le tout-puissant directeur de la Musique nommé par Malraux – qui préfèrent inviter à grand prix comme « conseiller musical » le très occupé Herbert von Karajanalors que l’immense Karel Ančerl, légendaire chef de l’Orchestre philharmonique tchèque, est disponible après avoir fui Prague après l’invasion soviétique du printemps 1968.

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Karajan réalise à Paris ses seules gravures de la Symphonie de Franck ou de la Valse de Ravel.

https://www.youtube.com/watch?v=SpucL0XhIHw

Karajan parti après deux courtes saisons, on refait la même erreur en conviant le patron de l’orchestre de Chicago, Georg Solti. Bilan discographique étique : quelques poèmes symphoniques de Liszt.

Puis vient l’ère Barenboim, une nomination plutôt audacieuse, un pari sur la jeunesse – Daniel Barenboim n’a que 33 ans quand il est nommé en 1975, et il est plus connu comme pianiste que comme chef symphonique. Son mandat de près de quinze ans laissera des souvenirs contrastés tant aux musiciens de l’orchestre qu’au public et aux critiques. La discographie Barenboim/Orchestre de Paris est relativement abondante, répartie sur trois labels (Sony, Erato, DGG) et très inégale. Lire Barenboim 75 première salve

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L’Orchestre de Paris, après le règne mouvementé de Barenboim, lui choisit comme successeur un jeune chef russe, Semyon Bychkov, qu’une rumeur savamment… orchestrée (!) donne alors comme un potentiel postulant à l’orchestre philharmonique de Berlin. Suivront neuf ans d’un mandat en demi-teinte, et une discographie qui mérite d’être réévaluée.

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La phalange parisienne entrera-t-elle dans le XXIème siècle avec une baguette française, plus de trente ans après la disparition de son fondateur ? Reviendra-t-elle à certains de ses répertoires génériques ? Ce n’est pas le choix qui est fait lorsqu’on demande à un contemporain de Barenboim, un autre pianiste devenu chef, Christoph Eschenbachde présider aux destinées musicales de l’Orchestre de Paris (de 2000 à 2010). La prétendue « crise » du disque classique n’explique pas le bilan plutôt maigre d’une discographie marginale et chiche en références.

C’est l’époque – cette première décennie du siècle – où les phalanges parisiennes se livrent à une concurrence aussi absurde qu’incompréhensible dans un répertoire où elles n’ont rien à gagner. Combien d’intégrales des symphonies de Mahler ?

L’Estonien Paavo Järvi (2010-2016) recentre l’orchestre sur son coeur de répertoire, au risque d’être parfois taxé de froideur dans la musique française qu’il sert pourtant avec gourmandise.

Quant à Daniel Harding, on sait depuis longtemps qu’il n’aime pas l’eau tiède. Les programmes qu’il dirige depuis sa prise de fonctions en septembre 2016 attestent de l’audace d’une vision, de la pertinence d’une réflexion sur les missions d’un orchestre et de son chef au coeur de son époque.

Souvenir d’une étrange soirée, trois jours après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de Vincennes, Daniel Harding n’avait pas encore confirmé son choix de l’Orchestre de Paris

img_1696(De gauche à droite, Pascal Dusapin, Florence Darel, Daniel Harding, Barbara Hannigan, le 10 janvier 2015 chez Chaumette)

Obituaries

Je ne sais pourquoi, j’ai toujours préféré l’anglais Obituary au français Nécrologie  (qui m’évoque trop la nécrose ?) 

C’est l’une des rubriques que je consulte avec intérêt lorsque je reçois le mensuel britannique Gramophone

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Dans le numéro de juin reçu hier, ce n’est pourtant pas cette rubrique qui a attiré mon attention mais des photos récentes et la métamorphose d’un chef d’orchestre qui n’annonçaient rien de bon.

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Pressentiment confirmé aujourd’hui par le même magazine : Jiří Bělohlávek* est mort ce matin des suites d’un cancer qui l’avait conduit à renoncer à ses engagements ces derniers mois.

Jean-Charles Hoffelé s’enthousiasmait pour le tout dernier enregistrement du chef tchèque disparu à 71 ans, sa troisième version du Stabat Mater de Dvořák.

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Je dois à l’honnêteté de dire que je n’ai jamais été très emballé par les (rares) concerts auxquels j’ai assisté ni par les enregistrements les plus récents de ce chef. Tout est bien fait, bien dirigé, mais – encore une fois c’est un sentiment personnel – je trouve que Bělohlávek est en-deça de ses illustres aînés dans leur répertoire natal (Ancerl, Talich, Neumann mais aussi Šejna ou Košler), moins intéressant que la génération montante (Jakub Hrůša, Tomáš Netopil).

Ce coffret Dvořák n’est pas indispensable.

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et si l’on veut se rappeler l’indéniable talent de ce chef, on trouvera de bien meilleures versions (par exemple le Stabat Mater) dans ces belles anthologies Supraphon

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Autre disparition cette semaine, celle de la claveciniste Elisabeth Chojnacka*

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La musicienne avait un peu disparu des scènes et des écrans depuis une vingtaine d’années, mais elle les avait occupés avec un panache, une ardeur irrésistibles dès son installation en France (lire Une longue série de créations). Je me rappelle sa visite à mon bureau de France Musique il y a au moins vingt ans : rien dans son allure, sa tenue, sa coiffure ne pouvait laisser indifférent. Je l’avais sentie un peu triste de ne plus être la star de la musique contemporaine qu’elle avait été à juste titre. Je l’avais découverte, et du coup aimé sa manière de toucher un instrument qui ne m’a jamais beaucoup séduit, le clavecin, lors de concerts des Jeunesses Musicales de France dans ma bonne ville de Poitiers.

 

*Comment prononcer ces noms imprononçables ? Jiří Bělohlávek = Yirji Bé-lokh (comme Loch en allemand)-la-vièk  et Elisabeth Chojnacka = H (aspiré)-oï-na-ts-ka