Les raretés de l’été (VIII) : les dernières mélodies

En redécouvrant le coffret Zinman (voir Zinman chez les Suisses), j’ai aussi redécouvert l’une des… 33 versions que je compte dans ma discothèque de l’ultime chef-d’oeuvre de Richard Strauss (1864-1949), ses Vier letzte Lieder.

J’aime beaucoup Melanie Diener, une belle artiste que j’ai eu le bonheur d’accueillir à Liège.

Une fois de plus, le dernier article du blog de Joseph Zemp est une mine d’informations : Richard Strauss en Suisse, notamment sur les circonstances, les lieux et les dates de composition de ces quatre dernières mélodies, écrites en 1948 entre Montreux et l’Engadine. Avec bien entendu partition et poèmes de Hermann Hesse (1877-1962) et Josef von Eichendorff (1788-1857). Je ne peux jamais écouter ces quatre Lieder, surtout le dernier (Im Abendrot) sans être saisi d’un bouleversement intérieur, qui fait sans doute écho à des souvenirs, à ce que seul le mot allemand Erlebnis – qu’on traduit imparfaitement par « expérience personnelle » – exprime.

Une fois que j’ai redit ma faveur de toujours pour deux versions immortelles,

je propose quelques raretés de ma discothèque, sans aucun ordre de préférence(*)

Evelyn Lear (1926-2012)/ Karl Böhm

Tout ou presque sur ce disque et cette chanteuse ici : La reine Lear

Charlotte Margiono / Edo de Waart

Souvenir très particulier de l’une des chanteuses préférées de Nikolaus Harnoncourt, Charlotte Margiono, que j’avais invitée pour la Neuvième symphonie de Beethoven qui marquait la fin du mandat de Louis Langrée à Liège en juin 2006.

Nina Stemme / Antonio Pappano (2007)

Lisa della Casa / Karl Böhm (1953)

Teresa Stich-Randall / Laszlo Somogyi (1964)

L’inoubliable Sophie du légendaire Rosenkavalier de Karajan (1956) avec Schwarzkopf, Ludwig et Edelmann, Teresa Stich-Randall (1927-2007) a gravé ces Vier letzte Lieder en 1964.

Felicity Lott/Neeme Järvi (1987)

Ai-je besoin de rappeler l’admiration que j’ai pour elle, l’amitié qui nous lie depuis 1988. On cite rarement Felicity Lott comme interprète de ce cycle, alors qu’elle est chez elle dans Richard Strauss (une Maréchale d’anthologie !). Et j’aime la manière fluide, presque allégée, de Neeme Järvi qui ne surcharge pas le sublime écrin orchestral de ces Lieder.

Kanawa/Solti (1991)

C’était de notoriété publique la chanteuse préférée de Georg Solti. La voix de miel de Kiri Te Kanawa séduit toujours, même si on peut préférer des interprètes plus engagées.

Trois ans après ses débuts au Carnegie Hall de New York (lire Varady 80 ) Julia Varady donnait ces Vier letzte Lieder en 1992 à Leipzig. Incroyable que personne n’ait jamais songé à les lui faire enregistrer…

(*) Voici la liste des 33 versions que j’ai dans ma discothèque :

Arroyo/Wand, DellaCasa/Böhm, Diener/Zinman, Flagstad/Furtwängler, Fleming/Eschenbach, Harteros/Jansons, Isokoski/Janowski, Janowitz/Haitink, Janowitz/Karajan, Janowitz/Stamp, Jurinac/Sargent, Kanawa/A.Davis, Kanawa/Solti, Kaune/Oue, Kühmeier/Nott, Lear/Böhm, Lott/Järvi, Margiono/de Waart, Mattila/Abbado, Müller/Eschenbach, Norman/Masur, Pieczonka/Haider, Popp/Tilson-Thomas, Popp/Tennstedt, Rothenberger/Previn, Schwarzkopf/Ackermann, Schwarzkopf/Karajan, Schwarzkopf/Szell, Söderström/Haitink, Stemme/Pappano, Studer/Sinopoli, Tomowa-Sintow/Karajan, Voigt/Masur.

Et toujours les humeurs du jour dans mes brèves de blog

Variables d’ajustement

Censure

J’ai pris le parti de ne plus commenter ici les péripéties de la vie politique française. Mais je n’en pense pas moins et lorsque la raison s’exprime, par la voix d’un homme respecté et respectable, en l’occurrence l’ancien premier ministre Lionel Jospin, je ne peux que l’approuver. L’explication est lumineuse.

Pour une fois, je m’abstiens de commenter l’attitude de l’animatrice de cette émission, quoiqu’elle ait de nouveau osé cette bourde en parlant d’un reportage « en immersion » chez les pompiers d’Ille-et-Vilaine… submergée par les inondations !

Variables d’ajustement

Je trouve ce matin sur Linkedin un texte (Les discours, les symboles et les faits) de Nicolas Bucher, le patron du Centre de Musique Baroque de Versailles. Comme je le notais moi-même dans mon journal (brevesdeblog), je suis soulagé de ne plus être aux responsabilités, mais je compatis pleinement à ce qu’exprime Nicolas Bucher. Extraits :

Pfiou…
quelles deux dernières semaines de lessiveuse, où on a l’impression de passer de la théorie à la pratique !
…./

Entre les alertes répétées, ressassées, les pactes ceci, les plans cela, non aboutis, non signés, et le licenciements des artistes du chœur à l’Opéra de Toulon, ou tout simplement l’arrêt immédiat et sans préavis des services civiques ou l’apprentissage.

Entre le discours de la Ministre hier sur la énième réforme du Pass Culture et la panique d’hier sur la part collective, le seul truc qui ne marche pas trop mal dans ce système, et qui est désormais gelé, mettant les plus fragiles des structures culturelles et des collèges dans des difficultés catastrophiques.

J’en passe et des meilleures (coucou la Région Pays de Loire, les départements de la Charente-Maritime et de l’Hérault, l’été culturel des campings, etc.)

Pendant ce temps, la popote continue, comme si de rien n’était
 » (Nicolas Bucher)

Plus que l’indignation, c’est le découragement qui saisit lorsqu’on est confronté, comme responsable d’un festival, d’une entreprise culturelle, à ces changements de cap, ces décisions budgétaires annoncées au dernier moment, parce qu’ils révèlent in fine l’ignorance, quand ce n’est pas le mépris pour la culture.

Et comme en France on fait tout bien, sans jamais regarder comment ça marche chez les voisins, je voudrais juste rappeler deux faits, deux situations que j’ai vécus professionnellement.

En Suisse d’abord, parmi les missions qui ne figuraient pas sur ma fiche de poste à la Radio suisse romande (Souvenirs), à la fin des années 80, j’eus à négocier le retrait progressif de la Radio du financement de l’Orchestre de la Suisse romande et de l’Orchestre de chambre de Lausanne. Personne n’a été pris par surprise, les deux institutions ont eu le temps de se préparer à cette échéance, parce que les objectifs et les méthodes avaient été clairement formulés.

En Belgique ensuite, mes années à Liège que j’ai souvent racontées ici m’ont appris que, malgré tous ses défauts – on a bonne mine, nous en France, de se moquer de nos voisins qui ont mis près de 8 mois à former un gouvernement fédéral ! – l’organisation institutionnelle du pays met à l’abri notamment la Culture des soubresauts de la politique. Ainsi l’Orchestre philharmonique royal de Liège est « gouverné » par des contrats-programmes pluri-annuels. Durant mon mandat, j’en ai négocié quatre, dans des contextes budgétaires toujours serrés, et ai obtenu à chaque fois des paliers d’augmentation. Certes chaque contributeur (Région, Province, Ville) pouvait – annualité budgétaire oblige – décider de réduire son apport, mais le cadre d’un contrat-programme signé et public rendait la manoeuvre quasi-impossible.

En France, le monde de la Culture est toujours soumis aux aléas des politiques locales ou nationales, et quoiqu’en disent, la main sur le coeur, tous les responsables, de droite comme de gauche, la Culture reste une variable d’ajustement, un accessoire… (lire Ceinture pour la culture)

Là-haut sur la montagne

À peine rentré d’Asie centrale, j’ai repris le chemin des festivals pour le compte de Bachtrack. La semaine dernière c’était à Nîmes pour des « Rencontres musicales » de premier plan : Rencontres au sommet

De gauche à droite : Shuichi Okada, Théo Fouchenneret, Liya Petrova, Grégoire Vecchioni, Aurélien Pascal (Photo JPR)

Ce week-end, c’est l’ouverture de la 20e édition du Festival et de l’Académie de Zermatt, dans le cadre somptueux de la station du Haut-Valais au pied du Cervin. Comptes-rendus à suivre bien sûr sur Bachtrack.

Découvrir Zermatt

Lorsqu’on m’a proposé de « couvrir » ce festival, j’ai sauté sur l’occasion sans réfléchir.

La Suisse, je la connais bien (lire L’été 69), j’y ai mes racines maternelles. Les dernières vacances familiales à l’été 1972, quelques mois avant la mort prématurée de mon père, c’était à quelques encablures d’ici, à Crans Montana : l’été faisait du yoyo. Le 15 août mes soeurs et moi étions allés avec mon père au cinéma voir La folie des grandeurs, en sortant il neigeait ! Le Valais donc, ce canton prospère du sud de la Suisse, bilingue franco-alémanique, je l’avais parcouru en tous sens dès l’enfance, mais jamais – pour quelle raison ? – je n’étais venu jusqu’à Zermatt.

La déception de l’arrivée sous un ciel humide et bas a vite laissé la place à l’émerveillement du réveil ce vendredi : le Cervin fraîchement enneigé surgissant de la nuit devant ma fenêtre d’hôtel

Le nom allemand du sommet est Matterhorn, ce qui explique le nom de la cité, comme le relate excellemment la fiche Wikipedia : « Le toponyme en allemand, Matterhorn, dérive de Matt (« pré » en suisse allemand et en langue walser – cf. le titsch de Gressoney-Saint-Jean Wisso Matto, en allemand Weissmatten, en français « Prés blancs ») ; et de Horn, c’est-à-dire « corne », le nom de la plupart des sommets des Alpes valaisannes et des Alpes valdôtaines limitrophes, situés notamment entre la vallée du Lys et le val d’Ayas (traduits en français par « Tête »). Par conséquent, la vallée de Zermatt, en allemand « Mattertal » est la « vallée des prés », et Zermatt est « le pré » (zerétant l’article contracté défini féminin avec préposition de lieu en langue walser)« 

Je suis resté longtemps saisi par une émotion indescriptible. Les souvenirs d’enfance affluaient à ma mémoire, le souvenir aussi tout récent des quelques heures passées la semaine dernière auprès de ma mère à Nîmes, de plus en plus repliée sur des bribes d’enfance et de passé révolu, le check-in à l’hôtel en schwyzerdütsch et puis ces « madeleines » comme la confiture de cerises noires au petit déjeuner, ou ce cidre brut d’une marque qu’on ne trouve qu’en Suisse, dégusté au Gornergrat.

L’excursion au Gornergrat est une figure obligée pour tout visiteur. Le spectacle au sommet est unique au monde, d’une beauté à couper le souffle. Toutes les photos sur Facebook à voir ici.

Zermatt, outre sa qualité première de village sans voiture, s’est préservée de toute construction anarchique, et prend un soin méticuleux à conserver son patrimoine bâti.

Sergio Mendes forever

Sergio Mendes est mort, et j’avais oublié de le mentionner dans mon billet de l’été 2019 : La découverte de la musique, lorsque son ami Joao Gilberto avait pris congé…

Michel Barnier et puis ?

D’un ami, ancien conseiller présidentiel, j’avais aimé cette formule sans appel : « C’est difficile de choisir un premier ministre quand on n’en a jamais eu »

Je n’ai pas été mécontent – euphémisme ! – d’être loin de France pendant toute cette séquence surréaliste. J’aurais fini par avoir honte d’être Français.

Honte d’un président de la République qui a méthodiquement détruit tous les espoirs qu’il avait pu susciter et fait le vide autour de lui. Honte d’une gauche définitivement aliénée à ses pires démons. Honte d’un personnel politique à droite comme au centre qui ne comprend plus rien à la réalité du pays. Honte aussi d’une arrogance bien française, alimentée par la plupart des médias, qui consiste à ne jamais regarder ce qui se passe autour de nous – en Allemagne, en Belgique, en Italie – où la formation d’un gouvernement, d’une coalition politique, peut prendre des semaines et des mois.

Alors Michel Barnier ? Pourquoi pas… ça n’arrive pas à tout le monde de débuter comme plus jeune député et de finir comme plus vieux Premier ministre. Faute de mieux !

18 mai : Arming, François, Bâle

Le centenaire de Samson

Je l’avais anticipé le 17 mars dernier – Rédécouvrir Samson – c’est aujourd’hui le centenaire de la naissance du pianiste Samson François. On ne manquera pas le nouveau Portrait de famille que Philippe Cassard lui consacre aujourd’hui sur France Musique

Il y a dix ans (II) : halte à Bâle

Comme je le rappelais dans le premier épisode de la série Il y a dix ans, l’Orchestre philharmonique royal de Liège entreprenait au printemps 2014 une nouvelle tournée en Suisse et en Autriche, qui avait commencé à Bâle le 18 mai.

A propos de cette belle ville frontalière de la France et de l’Allemagne, je ne peux m’empêcher de raconter à nouveau une anecdote vécue sur l’antenne de France Musique, il y a heureusement bien longtemps. Un présentateur devait annoncer puis désannoncer un disque enregistré par Armin Jordan dirigeant l’orchestre symphonique de la ville suisse. En anglais comme en allemand, Bâle se dit Basel. Et la dénomination allemande de l’orchestre est : Basler Sinfonie-Orchester. Ce qui donna sur France Musique : « Armin Jordan(e) dirige l’orchestre Basler » ! Rien de grave franchement, juste amusant.

Donc, le 18 mai 2014, l’OPRL était à Bâle, et j’en avais profité pour dresser le portrait d’une personnalité exceptionnelle liée à l’industrie pharmaceutique qui a fait la fortune de la cité suisse, Paul Sacher. Lire Le mécène musicien.

On pourrait suggérer à Warner de rééditer le legs discographique passionnant de ce monument du XXe siècle :

La fidélité à un chef

Il y a cinq ans, j’avais assisté à Liège au dernier concert de Christian Arming en sa qualité de directeur musical de l’OPRL (lire Fidélité). C’est lui qui très logiquement dirigeait la tournée de l’orchestre au printemps 2014, j’en reparlerai dans quelques jours à propos de l’étape viennoise.

C’est encore Christian Arming que j’accueillerais plusieurs fois à Montpellier (voir Ils ont fait Montpellier : Top chefs), notamment en 2018 avec les Liégeois et en ouverture de programme le chef-d’oeuvre du compositeur Guillaume Lekeu (1870-1894)

La découverte de Bologne (IV) : l’éblouissement

Je vous avais promis hier une belle surprise pour le dernier jour de l’année. Nous y sommes. La surprise ce fut d’abord la mienne de découvrir, un peu par hasard, la fabuleuse collection d’instruments rassemblée par l’illustre claveciniste, organiste et pédagogue Luigi Fernando Tagliavini (1929-2017), né et mort à Bologne, où il a travaillé une partie de sa vie. Mais les musiciens, notamment mes amis suisses, le connaissent mieux comme professeur, puis directeur de l’institut de musicologie de Fribourg (de 1965 à 2000).

Tagliavini a collectionné, au cours des ans, de quoi constituer aujourd’hui l’un des plus beaux musées de la ville de Bologne, le complexe San Colombano. Des dizaines d’instruments, essentiellement à clavier, tous plus fascinants les uns que les autres, pour certains des pièces uniques, mis en valeur dans des lieux chargés d’histoire et richement décorés.

Clavecin Fabius de Bononia, 1685

Epinette rectangulaire de type napolitain / Anonyme 16e-17e s.

Piano Ignace Pleyel, 1843

Pianoforte Johann Schanz, Vienne 1820

En plus de ces clavecins, épinettes, pianos – dont je n’ai mis ici qu’une petite partie des photos – quelques instruments rares, parfois uniques, comme ce piano à cordes de verre. (Giuseppe Bisogno, Naples, 1860)

Cet autre, qui au centre de son buffet, comporte le fameux rouleau en papier cartonné, qui va recueillir le jeu de l’interprète – même principe qu’une boîte à musique -. C’est le fameux procédé Welte-Mignon, grâce auquel on peut aujourd’hui, plus d’un siècle après sa mort, apprécier le jeu de Camille Saint-Sans jouant sa Valse^Caprice :

(Camille Saint-Saëns jouant sa Valse Caprice en 1905 !)

Le jeu n’est pas d’une régularité parfaite, mais le procédé de « gravure » ne l’était pas non plus, loin de là !

Quant à cette boîte à musique, il s’agit d’une perroquette du XVIIIe siècle, un petit orgue à cylindre.

Je découvre, en écrivant cet article, qu’il existe un orgue à cylindre beaucoup plus imposant dans l’église d’Airvault (dans mon département natal des Deux-Sèvres) :

Autre instrument de la collection Tagliavini, un métallophone ou Glockenspiel Naumann à clavier.

Pour ceux qui comprennent l’italien, laissons le presque dernier mot au maître lui-même :

Les disques cachés de Riccardo Muti

Depuis que je suis à Bologne, j’ai cherché – en vain – un magasin de disques classiques. Ce n’était pas mon objectif premier certes, mais je m’étais résigné à repartir bredouille, quand, par le plus grand des hasards, sortant ce matin d’un bien décevant musée d’art moderne, je passai devant une librairie de type Gibert, du neuf et de l’occasion, qui disposait d’un petit bac de CD. Bien m’en a pris de m’y arrêter : j’y ai trouvé des enregistrements dont j’ignorais même l’existence, réalisés dans les années 90 pour une banque italienne et ensuite diffusés aux abonnés de La Reppublica. Riccardo Muti dirige les symphonies de Beethoven à la tête de l’orchestre de la Scala, rien de moins ! Il n’y avait que trois sur six des CD de l’intégrale. En cherchant celle-ci sur le Net, je l’ai dénichée sur un site de revente… à un prix dix fois supérieur à celui que j’ai payé pour mes trois CD…

L’été 23 (IX) : Abbado à Lucerne

Petite série estivale pendant que ce blog prend quelques distances avec l’actualité, quelques disques enregistrés en été, tirés de ma discothèque : épisode 9.

Lucerne et son festival au coeur de la Suisse ont sans doute compté pour beaucoup dans ma destinée professionnelle, sans que j’en aie rien deviné quand j’y ai travaillé à l’été 1974 (lire : La découverte de la musique)

Ce fut aussi le dernier refuge musical de Claudio Abbado (1933-2014), là où il livra ses dernières forces dans des interprétations épurées, comme déjà détachées des souffrances terrestres. Comme cette Première symphonie de Bruckner, captée le 17 août 2012, quelques mois avant la mort du chef italien.

Intéressant de noter que cette première symphonie, pas si fréquente ni au concert ni au disque, a été l’un des premiers enregistrements du tout jeune Abbado avec l’orchestre philharmonique de Vienne en 1970

L’été 23 (VII) : Dutoit à Montréal

Petite série estivale pendant que ce blog prend quelques distances avec l’actualité, quelques disques enregistrés en été, tirés de ma discothèque : épisode 7.

Il va vers ses 87 ans, et pour qui, comme moi, le suit sur les réseaux sociaux, le chef suisse Charles Dutoit semble ne jamais s’arrêter de voyager, de diriger, avec une fougue, une énergie indomptables !

C’est l’un des derniers de la génération des Abbado, Haitink, Blomstedt et Muti. J’ai eu la chance de le croiser quelquefois dans ma vie professionnelle, notamment lorsqu’il était le directeur musical de l’Orchestre national de France.

Dans un billet de l’été 2021 – Les chefs de l’été, Dutoit et Theodorakis – j’écrivais ceci :

« Étrangement, l’encore très actif chef suisse Charles Dutoit n’a jamais été considéré à sa juste mesure par une partie de la critique européenne.

Comme si le fait d’avoir fait du modeste Orchestre symphonique de Montréal une phalange de niveau international, comme si le fait d’avoir construit une impressionnante discographie (chez Decca) s’inscrivant dans la filiation de son illustre aîné Ernest Ansermet, étaient somme toute qualités négligeables ».

Il y a dans ce coffret – Charles Dutoit , the Montreal years – qui est pourtant loin de couvrir toute la discographie du chef suisse, nombre de très grandes réussites, notamment dans la musique française où Dutoit s’inscrit dans la filiation d’un Ansermet avec un fini orchestral souvent supérieur.

Comme dans cette superbe intégrale de Daphnis et Chloé de Ravel enregistrée du 25 juillet au 2 août 1985 dans l’église Saint-Eustache de Montréal. Prise de son superlative !

L’été 23 (III) : la mer à Lucerne

Petite série estivale pendant que ce blog prendra quelques distances avec l’actualité, quelques disques enregistrés en été, tirés de ma discothèque : épisode 3

J’ai déjà raconté ici mon été 1974 à Lucerne (La découverte de la musique). Etrangement, problème de droits sans doute, il y a assez peu de témoignages discographiques « live » d’un festival qui, depuis sa fondation par Toscanini et Ansermet en 1938, et singulièrement après la Seconde Guerre mondiale, a été et reste l’une des plus grandes manifestations estivales d’Europe avec Salzbourg.

Le label allemand AUDITE a entrepris, depuis quelques années, de publier les belles archives de ce festival, dont celle-ci, en 2021.

Le disque est le reflet de deux concerts donnés en 1988 et 1994, et donne une image de l’art du chef suisse beaucoup plus conforme au souvenir que j’ai de ce qu’il pouvait donner en concert.

Il y a de surcroît ici un inédit dans l’abondante discographie d’Armin Jordan (1932-2006), la deuxième suite de Bacchus et Ariane de Roussel.

Et il y a surtout une fabuleuse version d’une pièce qu’Armin Jordan connaissait par coeur, qu’il est le seul à avoir enregistrée avec trois cantatrices différentes – Jessye Norman, Françoise Pollet, Felicity Lott, excusez du peu ! – le Poème de l’amour et de la mer de Chausson.

L’été 23 (I): Karajan et Mozart

Petite série estivale pendant que ce blog prendra quelques distances avec l’actualité, quelques disques enregistrés en été, tirés de ma discothèque.

Herbert von Karajan (lire Les disparus de juillet) avait l’habitude, dans les années 60, de convoquer ses musiciens berlinois dans l’église de St. Moritz, la station chic et haut perchée des Alpes suisses (dans les Grisons précisément, où l’on pratique la quatrième des langues officielles de la Suisse, le romanche !) pour des enregistrements d’oeuvres qui ne nécessitaient pas le grand effectif d’orchestre. En particulier, les divertimenti de Mozart, d’ordinaire réservés à des formations de chambre, mais que le chef salzbourgeois affectionnait particulièrement au point de les jouer en concert, et pour certains de les enregistrer à deux reprises.

La virtuosité collective, le fini instrumental, la ligne de chant, sont simplement admirables. Pourquoi s’en priver ?

Sous les pavés la musique (X) : Corboz la suite, Trevor Pinnock en 100 CD

Le slogan « Sous les pavés la plage  » est l’un des plus célèbres qui nous soient restés de Mai 68. Ce printemps 2023 semble, lui, particulièrement productif en pavés de disques.

C’était, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, le pavé Gardiner chez Warner (lire Les Pâques de Gardiner), il y a quelques semaines le superbe hommage du Concertgebouw à son chef historique, Bernard Haitink (voir Bernard Haitink l’intégrale).

Voici qu’en peu de jours j’ai reçu deux coffrets commandés dès l’annonce de leur publication, la suite des enregistrements de Michel Corboz, et un fort coffret de 99 CD et 1 DVD consacré au claveciniste, chef et fondateur de l »English Concert, Trevor Pinnock.

Corboz la ferveur

J’avais salué, comme la critique à peu près unanime, l’oeuvre pionnière du chef de choeur suisse, et la parution chez Warner d’un premier coffret consacré à la période baroque. La suite avait été d’emblée annoncée, puisque Michel Corboz n’a jamais limité ses curiosités et a souvent révélé des répertoires romantiques ou modernes moins fréquents au disque.

C’est ce que nous restitue un second coffret très complet :

Comme dans le premier coffret, il y a quelques doublons, qu’il est passionnant de comparer : deux fois le requiem de Mozart, la Missa di gloria de Puccini, le requiem de Fauré ou le requiem allemand de Brahms. Noter que les derniers enregistrements réalisés pour Aria Music et/ou Virgin Classics ont été tous repris ici. Comme les étonnants requiems du Portugais João Domingos Bomtempo (1775-1842) ou du spécialiste de l’opérette viennoise Franz von Suppé (1819-1895)

Ce qui caractérise l’art de Michel Corboz, plus encore si c’est possible que dans le répertoire classique ou baroque, c’est la ferveur, l’ardeur, de sa direction. Ce sont souvent les troupes du Gulbenkian de Lisbonne qui sont sollicitées, dans des prises de son souvent très réverbérantes (comme les aimait Michel Garcin, le légendaire directeur artistique d’Erato). Un coffret tout aussi indispensable que le premier.

Trevor Pinnock ou la distinction

J’avoue n’avoir jamais prêté une grande attention à la carrière et aux disques du quasi-contemporain de John Eliot Gardiner, Trevor Pinnock, 77 ans. J’ai bien eu dans ma discothèque quelques Haendel, ses Haydn (quelques messes et les symphonies dites « Sturm und Drang ») sans jamais m’y attarder vraiment. Allez savoir pourquoi !

Je me suis finalement décidé à acheter, à un prix réduit, le coffret qui rassemble tout ce qu’il a enregistré pour Archiv Produktion entre 1977 et 2000.

Voici plusieurs jours que je redécouvre d’abord un magnifique ensemble, The English concert, fondé il y a cinquante ans, qui rayonne de couleurs plus méditerranéennes que britanniques, notamment dans Vivaldi. Mais aussi dans une intégrale des symphonies de Mozart, où l’élégance, la fluidité du trait n’excluent pas la profondeur. Les Haendel sont de premier ordre, moins raides que ceux de Gardiner.