Les raretés de l’été (X) : Chostakovitch 50 ans après

Dmitri Chostakovitch est mort le 9 août 1975, épuisé, usé par 69 années d’une vie qui se sera faufilée comme elle pouvait parmi toutes les horreurs de son pays natal, la Russie devenue Union Soviétique.

C’est sans doute l’un des compositeurs qui comptent le plus d’occurrences dans ce blog (cf. les deux articles les plus récents Encore Chostakovitch et La vérité Chostakovitch). Je ne vais donc pas répéter ce que j’ai écrit à de multiples reprises, sauf peut-être que « Chosta » est un compositeur qui, pour moi, supporte mal le studio, le disque même, et nécessite le concert, le « live ». C’est particulièrement vrai pour ses opéras, mais ça l’est plus encore dans ses grandes symphonies, où l’impact purement physique du son sur l’auditeur/spectateur est une donnée indispensable pour la bonne perception de l’oeuvre. 

J’ai tant de souvenirs de ces concerts qui m’ont laissé anéanti, interdit, sans voix. La fin de la 11e symphonie et le glas des cloches dans la magnifique salle de Saragosse (Espagne), dirigée par Louis Langrée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège, lorsque tout l’auditoire attend près d’une minute avant d’applaudir. La 13e symphonie dirigée par Neeme Järvi avec le choeur de la radio bulgare, l’Orchestre de la Suisse romande, lorsque de vieilles abonnées du Victoria Hall – qui craignaient cette oeuvre trop moderne.. chantée en russe – étaient en larmes à la fin. Plus récemment, le finale du 1er concerto pour violon à Montpellier, qui n’a pas été pour rien dans le choix du jury de décerner le Grand Prix de l’Eurovision jeunes musiciens au jeune Daniel Matejca;

Alors, puisque le sujet de cette série est de faire entendre quelques secrets de ma discothèque, je ne propose évidemment ici que des « live ».

Concertino pour 2 pianos

L’oeuvre est courte (8 minutes), date de 1953 et est dédiée au fils de Chostakovitch, Maxime, comme le sera le 2e concerto pour piano en 1957

Martha Argerich a eu, au moins deux fois, Lilia Zylberstein comme partenaire pour ce Concertino pour 2 pianos

Concerto pour piano n°1 et trompette

Martha Argerich, toujours elle, a laissé plusieurs aérions « live » du 1er concerto qui date de 1933, créé par le compositeur lui-même au piano. Son complice à la trompette est le toujours étonnant Sergei Nakariakov, jadis enfant prodige.

J’avais noté pour Bachtrack la prestation grand style de Cédric Tiberghien (le 19 juin dernier avec le National).

Pour les symphonies, il faut évidemment repérer les concerts d’ Evgueni Mravinski, dédicatoire et créateur de plusieurs des symphonies de Chostakovitch..

Symphonie n°5

Symphonie n°15

Kurt Sanderling, peut-être mieux que d’autres, a trouvé la clé de cette ultime 15e symphonie de Chostakovitch, qui peut dérouter autant les auditeurs que les chefs d’orchestre… Ici un précieux enregeistrement de concert avec l’orchestre de Cleveland

Symphonie n°10

La 10e symphonie qui suit de quelques mois la mort de Staline en 1953 est certainement l’oeuvre emblématique de Chostakovitch, et au concert celle qui produit l’effet le plus déterminant sur l’auditoire. Il peut y avoir des exceptions, comme en octobre 2024 (lire ma critique pour Bachtrack du concert de Daniele Gatti avec les Wiener Philharmoniker )

Karajan a enregistré deux fois la 10e symphonie. C’est peut-être à Moscou, lorsqu’il y est invité avec l’orchestre philharmonique de Berlin, en 1969, que le choc, l’étincelle, sont les plus forts

L’humour qui sauve

Chez Chostakovitch, il y a toute une production de musiques de film, de ballet (l’exemple le plus célèbre étant la valse tirée d’une pseudo « suite de jazz » n°2), de divertissement pur, qui permettait aussi bien au compositeur qu’aux interprètes et aux auditeurs d’échapper à la tragédie des temps.

J’éprouve toujours autant de plaisir à écouter « les aventures de Korzinkine« 

ou une suite comme « Le boulon » si exemplative d’une période où tout semblait permis : » Le Boulon » (en russe : Болт, Bolt) est un ballet en trois actes de Dmitri Chostakovitch, créé en 1931 à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Il s’agit d’une œuvre satirique qui dépeint la vie dans une usine soviétique, avec une intrigue centrée sur un sabotage et ses conséquences. Le ballet est connu pour son humour corrosif, sa musique entraînante et son exploration des relations complexes entre les ouvriers et le pouvoir soviétique. 

La vérité Chostakovitch

Disons-le d’emblée, on ne sort pas indemne de l’écoute de ce nouveau double album.

C’est une discussion récente sur Facebook à partir d’un papier de J.C.Hoffelé (Terreur) qui m’a alerté : – A.L. »Pas encore écouté la Sixième, mais bien les deux autres. Que j’ai trouvées si supérieurement réalisées que la musique parlait naturellement sans images forcées (Et quel rythmicien !) » – J.Y.O : « Sidérant oui. Et l’orchestre a gardé dans cette musique la tradition Jansons : c’est une rencontre extraordinaire ».

Je viens d’écouter ces trois symphonies, rarement associées au disque, sauf intégrale. Je croyais avoir fait le tour de ce qu’on peut faire, donner de ces trois emblèmes du génie de Chostakovitch : la terreur des purges staliniennes (la 4e en 1936), la fausse résipiscence d’un compositeur accusé de déviance (la 5e en 1937), l’ironie grinçante en miroir de la « Pathétique » de Tchaikovski (la 6e en 1939).

Souvenir d’une exceptionnelle 4e sous la baguette de Valery Gergiev il y a dix ans à Pleyel

Souvenirs plus nombreux évidemment de la 5e symphonie, mais souvenirs rarement complètement convaincants (lire mon papier sur Bachtrack à propos de Hrusa et des Wiener Philharmoniker dans cette oeuvre).

Quant à la 6e, j’ai déjà raconté comment j’avais convaincu jadis Armin Jordan de la programmer et de la diriger à l’Orchestre de la Suisse Romande.

Sur la discographie des symphonies de Chostakovitch, la tâche est considérable, voire impossible. Opus par opus, il y a quantité d’approches possibles. Lire par exemple : Une Cinquième très politique.

Eh bien pour la première fois depuis longtemps, je n’ai pas écouté Klaus Mäkelä en me référant, consciemment ou non, à des versions que je connais et que j’aime, à des « références » établies. Et comme cela m’est déjà arrivé avec lui au concert (une extraordinaire Symphonie fantastique avec l’Orchestre de Paris) j’ai eu le sentiment de redécouvrir chacune de ces symphonies, je me suis laissé entraîner dans un parcours phénoménal. Mäkelä fait la preuve que le texte, le respect absolu du texte, peut (doit?) se dégager du contexte de la composition.

Bien sûr, Kondrachine, Mravinski restent des références absolues, mais pourrait-on se passer des Bernstein, Jansons, Haitink ou Sanderling ?

Très peu de chefs savent quoi faire de ce début de la 5e symphonie. Mäkelä est juste intimidant, bouleversant :

Depuis Kondrachine, on avait rarement entendu presto final de la 6e symphonie plus grinçant :

Klaus Mäkelä et ses Norvégiens fixent une nouvelle référence dans la discographie des symphonies de Chostakovitch.

Il faut signaler la réédition à petit budget de l’intégrale multi-orchestres de Mariss Jansons :