Binationalité

Puisque le thème s’est invité in extremis dans une campagne électorale d’une rare indigence, on s’est demandé ce qu’auraient été la Musique, la Culture en France, et même l’Histoire de France ces derniers siècles, si l’on y avait interdit la présence de doubles nationaux, ou d’étrangers qui avaient fait de la France leur patrie de coeur… Faut-il insister ?

Merci à François Morel pour sa réplique sans appel : Vive la France !

Je limiterai mon propos à quelques figures musicales bien connues.

Frédéric Chopin (1810-1849) ou l’archétype du binational ! Père d’ascendance française, le natif de Żelazowa Wola, a passé la moitié de sa vie en France. Ici son 2e concerto joué par un autre natif de Pologne, naturalisé Américain, et Parisien presque toute sa vie, Artur Rubinstein, accompagné par un chef américain, né à Berlin, André Previn.

Arthur Honegger (1892-1955), né dans la ville dont Edouard Philippe est l’actuel maire, mort à Paris, mais de nationalité suisse. Compositeur français ou helvète ? La question n’a pas de sens. Les références à la Suisse sont bien peu nombreuses dans son oeuvre, sauf pour sa 4e symphonie qui porte le titre de Deliciae Basilienses.

Les Italiens à Paris : Donizetti fait chevalier de la Légion d’honneur par Louis-Philippe, Rossini, inhumé au Père-Lachaise, Cherubini nommé directeur du Conservatoire, Spontini compositeur particulier de la Chambre de l’impératrice Joséphine (dont l’opéra La Vestale est à l’affiche de l’Opéra Bastille)

On n’aurait garde d’oublier le plus célèbre des Italiens de Paris, Jean-Baptiste Lully, l’irremplaçable surintendant de la Musique de Louis XIV, naturalisé Français en 1661, Lully dont Armide était aussi dans l’actualité lyrique de ce mois de juin, à l’Opéra Comique.

Que dire du plus célèbre compositeur français du IIIe Empire, le juif Jakob né à Cologne en 1819, naturalisé Français le 14 janvier 1860 comme Jacques Offenbach, le maître de l’opérette française ?

Histoire personnelle

Comme je l’ai déjà raconté ici (L’été 69) j’ai une double nationalité : française et suisse. Mais ce n’est le cas que depuis 1986 et une loi redoutablement efficace votée par la Confédération helvétique. La Suisse – qui a aussi connu des vagues populistes – a toujours eu un déficit de cadres notamment dans les zones frontalières, Genève, Bâle, pour les grosses entreprises et les institutions implantées dans ces régions. Pour éviter de devoir systématiquement recourir aux travailleurs frontaliers, la Suisse propose, en 1986, de conférer la nationalité suisse aux personnes âgées de moins de 32 ans à l’époque, nées à l’étranger d’une mère suisse (ce qui était mon cas), et pour que la mesure soit encore plus attractive, la nationalité suisse est étendue aux conjoints et enfants sans restriction, et les hommes ainsi naturalisés échappent aux obligations notamment militaires des natifs ! Le résultat ne s’est pas fait attendre : 5000 nouvelles naturalisations dans les deux ans qui ont suivi la promulgation de la loi ! Au moment où j’ai intégré la Radio suisse romande, c’est donc comme citoyen suisse que j’ai été recruté ! Quand, en 1999, la Belgique m’a embarqué dans une aventure qui allait durer quinze ans (Liège à l’unanimité), ils n’avaient sans doute pas mesuré le risque d’engager un double national franco-suisse…

Les anniversaires 2024 (IV) : Spontini

Avant-dernier épisode de cette mini-série de début d’année, même si je n’ai pas épuisé le réservoir des naissances de compositeurs. Quant aux morts, je trouve toujours absurdes ces commémorations de la disparition de Fauré, Puccini, Milhaud, pour ne citer que ceux qui cochent la case 2024 !

Aujourd’hui un compositeur qu’on aurait peut-être oublié si Maria Callas d’abord, Riccardo Muti ensuite ne l’avaient servi avec autant de talent : Gaspare Spontini, né il y a 250 ans le 14 novembre 1774 à Ancone, mort le 24 janvier 1851 dans la même ville.

Wilhelm Titel : Portrait de Spontini et sa femme (Pommersches Landesmuseum)

Le fait qu’il y ait une très chic rue Spontini, dans le 16e arrondissement de Paris, atteste que notre Italien non seulement vécut dans la capitale française – de 1803 à 1820 -, mais qu’il y trouva amour (il épouse en 1811 Marie-Catherine Erard, la fille du célèbre facteur de pianos) et honneurs (il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1818 après avoir composé une cantate à la gloire de Napoléon et servi comme « compositeur particulier de la chambre » de l’impératrice Joséphine).

Son oeuvre la plus célèbre, la seule qui soit encore jouée régulièrement – elle est à l’affiche de l’Opéra de Paris en juin prochain – est son opéra La Vestale, créé le 15 décembre 1807 sur un livret d’Etienne de Jouy.

Et puisqu’on est dans les anniversaires, c’est le 7 décembre 1954, il y a 70 ans donc, que La Vestale ouvrit la saison de la Scala de Milan avec Maria Callas dans le rôle-titre et dans la mise en scène de Luchino

Il faut préciser ici que l’opéra créé en français a bénéficié de la part de Spontini de deux autres versions, en allemand d’abord pour sa création à Vienne en 1810, puis en italien pour la première à Naples en 1811. C’est cette dernière version que Maria Callas chante en 1954.

En cherchant des documents sur cette Vestale scaligère, je suis tombé sur cet entretien croisé avec Maria Callas et Visconti, que je ne résiste pas au plaisir de placer ici.

La version moderne est évidemment celle de Riccardo Muti, captée à La Scala, mais en français !

On doit à Riccardo Muti une autre merveille, l’ouvrage plus tardif en allemand de Spontini, Agnes von Hohenstaufen. En 1970 avec un. casting de rêve :

Mention ici d’un de mes disques de chevet : l’inoubliable Anita Cerquetti y chante un air, traduit en italien de cette Agnes.