Le chaos ou la beauté (suite)

Je ne m’engage à aucun pronostic pour le second tour des législatives, sauf à rappeler une évidence : au premier tour on choisit, au second on élimine… ou on s’abstient. Je ne suis malheureusement pas du tout certain que les appels, les manifestations, les condamnations visant à « faire barrage » à l’extrême-droite n’aient pas l’effet inverse.

Naufrage ou survie ?

J’aurais dû lire et faire lire plus tôt un excellent essai, au titre inutilement racoleur, dont l’une des conclusions a été complètement démentie dimanche dernier :

Je n’en rajoute pas par rapport à mon précédent billet : Ce que je pense, dis ou écris, ne changera rien au chaos des esprits ni au choix des électeurs (relire éventuellement Tristes constats).

Je veux encore citer in extenso ce texte publié par l’écrivain, éditeur et critique Jean-Yves Masson sur sa page Facebook :

« On peut chercher à la dissolution décidée par le président de la République, et dont il porte seul la responsabilité, toutes les explications politiques, stratégiques, psychologiques ou même psychiatriques que l’on veut, je n’en vois en fait qu’une seule qui résume tout : la bêtise.

Je rêve d’un livre sur la bêtise dans l’histoire. C’est un facteur auquel personne ne pense jamais. La bêtise explique pourtant un très grand nombre de décisions dont les conséquences nuisibles étaient parfaitement prévisibles à un observateur, non pas omniscient ni génial, mais tout simplement sensé.

A certains moments, la bêtise éclate, se déchaîne, emporte tout sur son passage. Il faut l’appeler par son nom. Le latin stultitia ne distinguait pas la bêtise et la folie, on devrait s’en souvenir. Notre époque qui se vautre dans la vulgarité avec délices adore le mot « connerie », mais elle a doté ce mot d’une forme de complaisance qui en masque le côté nuisible. La bêtise n’est pas attendrissante. Elle est sans yeux et sans oreilles. Elle n’observe rien et si par hasard elle remarque quelque chose, elle fait tout pour n’en tirer aucune leçon. La bêtise réagit vite et presque mécaniquement à tout ce qui lui déplaît. Elle est par essence étourdie, bornée. Et le plus important, c’est que la bêtise en tant que potentialité humaine n’exclut pas du tout l’intelligence. Des gens bardés de diplômes ronflants ont parfaitement accès à la bêtise, elle les menace même d’autant plus aisément qu’ils s’imaginent en être protégés par leurs études, leur curriculum brillant.

J’ai vu se déchaîner la bêtise autour de moi de façon continue depuis plus de quarante ans, depuis que j’ai une conscience politique. Plusieurs fois, des choses que l’on croyait impossibles se sont produites, à commencer par la destruction de l’université (et du système scolaire) que j’ai pu observer de près. La lecture de la correspondance de Flaubert (et de toute son œuvre) a affiné ma sensibilité à ces phénomènes. J’ai essayé de me garder de cette part de bêtise que nous portons tous en nous et qui demande de la vigilance. Je n’ai bien sûr pas toujours réussi, mais j’espère que mes moments de bêtise (car je n’en suis pas plus exempt que n’importe qui) m’ont surtout nui à moi-même, et pas trop à autrui. La bêtise du président nuit à des millions de Français et plus encore à la France, qui est plus grande que nous tous. J’ai appris en tout cas que la plus grave forme de la bêtise consiste à ne pas savoir reconnaître ses erreurs. La bêtise se croit infaillible et pour persuader les autres commence toujours par l’autopersuasion.

Je pense très sincèrement que le 9 juin 2024 mérite d’entrer dans les grandes dates d’une histoire de la bêtise en France.

Vive le Boléro libre !

Il y a quand même quelques nouvelles réjouissantes, comme cette récente décision du Tribunal judiciaire de Nanterre qui confirme que Maurice Ravel est bien l’unique auteur du Boléro : Dans une décision d’une quarantaine de pages, les juges ont débouté les ayants droits de Maurice Ravel et d’Alexandre Benois, décorateur russe que ses héritiers souhaitaient voir reconnaître comme coauteur de l’oeuvre par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem).L’enjeu était de taille: que la Sacem, qui gère et collecte les droits d’auteur en France, reconnaisse M. Benois, décédé en 1960, comme coauteur et l’oeuvre aurait été protégée jusqu’au 1er mai 2039 (AFP).

Relevé ce matin dans Le Canard Enchaîné :

Le scandale du Boléro

Dans l’histoire des Ballets russesaucun scandale à noter lors de la création, il y a quatre-vingt-dix ans, le 22 novembre 1928, du Boléro de Ravel. Rien de comparable avec  la première du Sacre du printemps de Stravinsky au Théâtre des Champs-Elysées le 29 mai 1913.

Et pourtant, il y a un scandale Boléro, qui revient sous les feux de l’actualité : les droits d’auteur faramineux que l’oeuvre a générés au profit de prédateurs issus de « l’entourage » du compositeur, décédé en 1937 sans héritier ni légataire. Le Boléro rapporterait chaque année environ 1,5 million d’euros de droits (46 millions d’euros entre 1970 et 2006 )

Au Canada, au Japon et dans les pays observant un délai de 50 ans post mortem, le Boléro, comme toutes les œuvres de Ravel, est entré dans le domaine public le 1er janvier 1988. Aux États-Unis, le Boléro de Ravel est protégé jusqu’en 2024. Dans les pays de l’Union européenne observant un délai de 70 ans post mortem, le Boléro, comme toutes les œuvres de Ravel, est entré dans le domaine public le 1er janvier 2008.

En France, jusqu’en 1993, le Boléro est resté à la première place du classement mondial des droits à la SACEM. En 2005, c’était encore la cinquième œuvre musicale française la plus exportée bien que n’étant pas à cette date dans le domaine public. Ravel étant mort sans enfants, la lignée d’héritage des ayants droit est extrêmement complexe. Depuis au moins 1970, les droits sont perçus au travers de sociétés légalement enregistrées à l’étranger (Monaco, Gibraltar, Amsterdam, Antilles néerlandaises, îles Vierges britanniques) : un consortium conçu et dirigé par Jean-Jacques Lemoine, aujourd’hui décédé, qui avait auparavant occupé les fonctions de directeur-adjoint des affaires juridiques de la SACEM. Sur ses conseils, en France, la SACEM a continué à percevoir des droits jusqu’au 1er mai 2016, invoquant les prorogations de guerre dues à la Seconde Guerre mondiale, qui auraient allongé la durée des droits d’auteur de 8 ans et 120 jours (soit 3042 jours écoulés entre le 03/09/1939 au 01/01/1948), la faisant passer du 01/01/2008 au 01/05/2016.

En 2016, les héritiers contestent à nouveau l’entrée du Boléro dans le domaine public en France, arguant de ce que le Boléro ayant initialement été créé comme un ballet, il s’agit d’une œuvre collaborative, dont la protection s’étend jusqu’à la fin des droits de tous ses co-auteurs, donc en y incluant la chorégraphe Bronislava Nijinska et le décorateur Alexandre Nikolaïevitch Benois décédé en 1960. L’échéance du domaine public serait alors repoussée de vingt nouvelles années. La SACEM avait cependant rejeté ces nouvelles prétentions, rendant publique l’œuvre le 2 mai 2016.

Mais voici que Le Figaro du 20 novembre révélait que la SACEM avait été assignée en juin 2018 devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Les actuels ayants droit de Ravel et les héritiers d’Alexandre Benois, décorateur du ballet Boléro commandé à Ravel par Ida Rubinstein, reviennent à la charge pour qu’Alexandre Benois soit déclaré coauteur du Boléro. puisque la prise en compte de la date du décès de Benois permettrait à l’œuvre de revenir et rester dans le domaine privé jusqu’en 2039. « Un bonus de 20 millions d’euros à se partager selon nos informations », selon Thierry Hillériteau et Léna Lutaud, les auteurs de l’article du Figaro

D’un côté, il y a donc les actuels ayants droit de Ravel, Evelyn Pen de Castel et Jean-Manuel de Scarano, qui n’ont pas de liens familiaux avec le compositeur et sont installés en Suisse. De l’autre, le journal fait mention de cinq héritiers Benois : Dimitri Vicheney, Alberto Romano Benois, François Tcherkessoff, Françoise Braslavsky et Maxime Braslavsky. Tous se seraient ainsi rapprochés.

Juste avant l’entrée du Boléro dans le domaine public, en mai 2016, la SACEM avait déjà rejeté une demande similaire de la part des héritiers Benois. Une première audience est attendue en 2019. Selon les informations des journalistes, les héritiers Benois réclament 250 000 euros à la SACEM au titre de préjudice économique, 10 000 pour préjudice moral et la nomination d’un expert (Source France Musique).

Sans doute la plus célèbre version dansée du Boléro, celle de Maurice Béjart avec son danseur fétiche Jorge Donn.

A propos de Jorge Donn, ce souvenir personnel : voyageant à la fin des années 80 à bord d’un TGV Paris-Genève, le hasard du placement m’avait installé en face du danseur. Comme souvent lorsqu’on voit quelqu’un sur scène, je l’imaginais grand, et j’avais devant moi un homme plutôt petit, recroquevillé sur son siège. Je n’ai pas osé lui dire mon admiration…

Quant aux innombrables versions discographiques de ce tube, on a l’embarras du choix, même si peu de chefs ont réussi ce savant et délicat mélange entre rigueur rythmique et sensualité. J’ai beaucoup de tendresse pour cette ultime concert de Nouvel an de Karajan en 1985, le Boléro lui allait bien.

Les versions Ozawa et Abbado me semblent l’une et l’autre lumineuses, et magnifiquement captées.

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La pire est celle de Maazel avec les Viennois, un ritardando final complètement hors de propos et un sommet de vulgarité.

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Les paradis du Boléro

On savait quelques célébrités, des stars du sport ou du showbiz, et même la reine d’Angleterre, mêlées au scandale des Paradise Papers. 

Voilà que Le Monde d’hier, repris par tous les médias (voir France Musique), poursuivant le feuilleton quotidien de ses révélations, nous apprend que Ravel, pourtant mort en 1937, y est à son tour mêlé : lire La mystérieuse société maltaise des héritiers du Boléro de Ravel

Ravel et en particulier son Boléro ont été jusqu’en 2016, et sont encore dans certains pays, générateurs de fortunes impressionnantes pour les héritiers du compositeur. Problème : Ravel était célibataire, et mort sans héritiers ni testament. Mais, comme le rappelle un autre article du Monde (Ravel et le droit d’auteur)  le pactole n’a pas été perdu pour tout le monde : « Savez-vous qui détenait, jusqu’au 30 avril, les droits patrimoniaux du Boléro, œuvre phare du musicien Maurice Ravel, mort en 1937 sans testament ? Attention, prenez votre élan : la fille d’un premier mariage de la deuxième épouse du coiffeur dont la première épouse avait été la masseuse de la femme du frère de Ravel. Rien de moins. Cette dernière a tenté de faire prolonger ses droits, en vain. »

Durant mes études de droit, je m’étais passionné pour une matière optionnelle, le droit de la PLA (= Propriété Littéraire et Artistique). Déjà à l’époque, je ne comprenais pas pourquoi le seul fait d’hériter d’un auteur, d’un créateur, ouvrait un droit à s’enrichir, à vivre grassement des revenus d’une oeuvre à laquelle on n’avait aucune part. Je sais bien que la morale n’a rien à faire avec le droit.

Je me rappelle il y a quelques années une soirée et une discussion sur ce sujet avec John Simenon, le fils de Georges Simenon, l’auteur français le plus lu, le plus adapté dans le monde, générateur de droits considérables. John Simenon, dont l’activité professionnelle consistait jusqu’alors à gérer ces droits, m’avait dit devoir y renoncer et confier l’affaire à un cabinet spécialisé.

Mais le cas extrême de la succession Ravel repose tout de même la question. Une question sans réponse !

Nathalie et ses guides

Ce vendredi l’actualité c’était Paris sous l’eau et ses photos spectaculaires.

C’était aussi cette délicieuse soirée dans ce lieu si improbable et si chaleureux qu’est le Théâtre des Bouffes du Nord, autour de Gilbert Bécaud et de ses auteurs.

IMG_3402C’est l’homme de tous les talents, pianiste, chef, compositeur, arrangeur, Bruno Fontaine, qui en a eu l’idée avec le concours de la SACEM.

IMG_3403C’est d’abord cette actrice magnifique, qu’on ne peut qu’aimer profondément, inconditionnellement, Sandrine Bonnaire, silhouette légère dans une légère robe rouge, qui dit sans fard ni artifice des textes de Bécaud ou de ses célèbres paroliers Pierre Delanoë, Louis Amade, Aznavour.., c’est Bruno Fontaine qui connaît tout son piano classique qui parsème ses interventions, ses arrangements, de discrètes allusions à Chopin, Bach, Debussy et tant d’autres, ce sont des chanteurs qu’on n’attendait pas forcément dans Bécaud.

J’avais complètement perdu de vue Jean Guidoni, la silhouette s’est appesantie, la voix s’est arrondie, on pense parfois à Nougaro, et on est heureux de le retrouver. Arthur H nous émeut plus qu’on ne l’aurait imaginé avec Nathalie

Je découvre un beau personnage, Ben Mazué, qui se coule à merveille dans Les marchés de Provence et Quand tu danses.

J’apprécie l’énergie de Clarika, mais moins ses poses et une voix souvent fâchée avec la justesse. Bruno Fontaine, Christophe Willemme à la basse et Daniel Ciampolini à la batterie nous offrent un plein de nostalgie avec un Dimanche à Orly instrumental.

Et puis, une fois encore sans aucune objectivité, on cède à la voix, à la lumineuse présence d’Isabelle Georges – qui a eu une permission de sortie d’un soir du Théâtre La Bruyère (Parlez moi d’amour) -. Elle chante Je t’attends, L’absent et conclut la ronde avec l’une des plus belles chansons de son propre spectacle (Amour Amor) C’est merveilleux l’amour.

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