Teresa et Narcisse

Berganza l’unique

La disparition, à l’âge respectable de 89 ans, de Teresa Berganza, a suscité un légitime flot de louanges. La presse spécialisée rappelle les grands rôles qui ont marqué sa carrière sur scène et au disque. Pour ma part, j’ai un seul souvenir d’elle au concert. C’était l’été, au début des années 90, un concert au Victoria Hall, avec l’Orchestre de la Suisse romande dirigé par le regretté Jesus Lopez-Cobos. J’ai le souvenir d’un programme original – y avais-je contribué ? ma mémoire est floue. En première partie la symphonie n°60 « Il Distratto » de Haydn, en seconde partie des airs de zarzuelas chantés par… Teresa Berganza.

Teresa Berganza n’avait plus chanté depuis longtemps à Genève. A la sortie du concert, les terrasses autour du Victoria Hall étaient pleines. Lorsque nous passâmes devant pour aller dîner avec le chef et la chanteuse, nombre de gens se levèrent et l’applaudirent. Elle en fut bouleversée, pensant que les gens l’avaient oubliée…

Narcisse en son miroir

Il y a exactement huit ans Mathieu Gallet, qui avait pris ses fonctions de PDG de Radio France le 12 mai 2014, me nommait directeur de la musique de Radio France avant de m’en écarter un an plus tard parmi une quinzaine de hauts cadres de la Maison ronde qui devaient, semble-t-il, payer la longue grève du printemps 2015.

C’est dire si j’étais impatient de lire ce qui était annoncé comme un recueil de souvenirs de l’ex-PDG limogé par le CSA en janvier 2018, un an avant le terme normal de son mandat.

Les années passées par Mathieu Gallet à la tête de Radio France, de 2014 à 2018, semblent avoir été écrites pour un scénario de série. Coups tordus, trahisons : tous les ingrédients d’une intrigue qui s’est jouée dans le monde impitoyable des médias et de la politique se trouvent ici réunis. À quoi s’est ajoutée, pour pimenter le tout, la rumeur tenace d’une liaison cachée entre le futur chef de l’État, Emmanuel Macron, et le président du premier groupe radiophonique de France. Après s’être imposé une longue période de silence, Mathieu Gallet évoque pour la première fois publiquement cette histoire retentissante dans laquelle divers protagonistes ont essayé de l’impliquer en l’instrumentalisant à ses dépens. 
Des ors de la République jusqu’aux bancs du palais de Justice en passant par la Maison de la radio, ce livre retrace le parcours d’un jeune provincial qui réussit son ascension dans la société parisienne en accédant à de hautes fonctions dans le domaine de l’audiovisuel, avant de payer le prix d’un succès qui a heurté les intérêts de certains et dérangé les calculs des autres. 
Mathieu Gallet rappelle son action à la tête de Radio France, marquée par un profond mouvement de transformation qui, après des débuts chahutés, a permis à l’entreprise de se mettre en ordre de marche pour se trouver aujourd’hui dans la situa tion enviable de leader. À l’heure où les médias publics sont mis en cause et fragilisés, il dessine des perspectives pour que ce bien commun soit préservé et renforcé. 
Cette période de sa vie a correspondu au temps d’une relation amoureuse, étrangère à celle que la rumeur lui prê tait. Elle aura beaucoup compté dans la prise de conscience de ce qu’il doit à ses origines sociales et à sa vie personnelle : la capacité de tout affronter dans un univers où règne trop souvent la violence des jeux de pouvoir.
(Présentation de l’éditeur)

En ce qui concerne le domaine dont j’étais chargé, l’ex-PDG de Radio France se met à son avantage et révèle à tout le moins une naïveté, d’autres diront candeur (Lire : Ma part de vérité).

« Forcément autocentrées, pleines de détails intimes dont l’auteur aurait pu se passer, ces Illusions perdues à la première personne décrivent avec un certain cran un petit monde politico-médiatique, dont le jeune provincial fut un temps un des rois éblouis pour en devenir, selon lui, une victime expiatoire » (Le Point, 12 mai 2022)

Dans un livre de 324 pages qui aurait pu aisément tenir en cent, si l’auteur avait évité de très longues et inutiles digressions sur sa famille, ses parents, ses grands-mères, et nous avait épargné les voyages et week-ends en amoureux qui rythment son récit, on en apprend finalement peu sur la réalité et le contenu des missions dont Mathieu Gallet avait été chargé à la tête de l’INA et bien sûr de Radio France. En revanche, l’auteur s’y entend en name dropping, et les people avec qui il dînait ou festoyait ne seront peut-être pas très heureux de retrouver tant de détails personnels.

Et bien sûr le livre tourne et retourne autour de la fameuse « rumeur » de sa liaison supposée avec le futur (et l’actuel) président de la République. Tout a été dit depuis 2017 sur le sujet, le seul reproche que MG puisse se faire c’est d’avoir alors traité le sujet avec la désinvolture qui fait une partie de son charme.

Le livre a un mérite : celui de prouver qu’un provincial, peu diplômé, qui n’est passé par aucune grande école ni la fonction publique, peut accéder à des postes importants – les quatre années qu’il a passées à la tête de Radio France peuvent vraiment être mises à son crédit -, de prouver aussi que, faute d’appartenir aux grands corps, aux réseaux puissants qui tiennent les lieux de pouvoir, on peut se retrouver du jour au lendemain déchu de tout.

Les classiques ont la cote

En moins de deux semaines, j’aurai vu deux grands classiques du roman français sur scène ou à l’écran : Le Rouge et le noir à l’Opéra Garnier, et Illusions perdues au cinéma Utopia de Pontoise.

Le Rouge et le Noir

Il paraît qu’on ne pouvait refuser au vieux chorégraphe Pierre Lacotte ce clou de sa carrière à l’Opéra de Paris, l’adaptation pour le ballet du célèbre roman de Stendhal, le Rouge et le noir. Un long, très long ballet, sur des musiques de Massenet.

Certes le public en a pour son argent : peu de spectacles de danse aujourd’hui peuvent rivaliser avec la distribution réunie par l’Opéra de Paris. Toute la troupe, des étoiles aux petits élèves de l’école de danse, ont été sollicités. Mais je peine à croire qu’on ait mis autant de forces, d’énergie, de talents… et d’argent dans une « création » qui rassemble absolument tous les poncifs que véhicule la danse « classique ». Comme un immense documentaire sur la tradition du ballet romantique à la française.

Je ne connais pas celui qui a fait la critique du spectacle pour ResMusica (Le Rouge et le Noir à l’opéra de Paris : contrasté), mais je partage son constat, et n’ai pas la même indulgence que lui pour le maître d’oeuvre. Réserves aussi sur une direction musicale bruyante et banale.

Il faudrait que je revoie le film de 1954 avec Gérard Philipe et Danielle Darrieux.

Le rouge et le noir, Affiche

Illusions perdues

Après Stendhal, Balzac ? Que pouvait-on attendre (ou craindre) d’un film en costumes, même signé Xavier Giannoli, portant le titre de l’un des plus célèbres romans de Balzac Illusions perdues ?

Autant j’ai peu apprécié – euphémisme – Le Rouge et le Noir vu et revu par M. Lacotte, autant j’ai aimé, beaucoup aimé, ce film somptueux de 2h40 qui, pour l’essentiel, s’appuie sur le volet central du triptyque de Balzac Un grand homme de province à Paris. Une vraie, grande réussite. Fidèle à l’esprit et même à la lettre de Balzac, même si d’aucuns ont décelé chez le réalisateur une volonté, selon eux trop appuyée, de dresser des parallèles avec l’époque actuelle (Macron un Rubempré du XXIème siècle ?).

Benjamin Voisin est formidable, comme toute la distribution d’ailleurs, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Depardieu… Mention spéciale pour Cécile de France, qui compose une Louis de Bargeton toute de pudeur et de retenue.

On va aussi se remettre à Balzac, un peu délaissé depuis les années étudiantes.