Sibelius m’était conté

« Le plus mauvais compositeur du monde » – dixit René Leibowitz* – est né le 8 décembre 1865. On célèbre donc aujourd’hui le sesquicentenaire de Jean Sibelius, souvent évoqué ici :(https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/11/20/le-bonheur-sibelius/).

On ne devient pas sibélien par hasard. À part peut-être la Valse triste, Sibelius n’est pas abonné aux tubes de la musique classique. En ce qui me concerne, c’est un coffret acheté par souscription, donc à un prix que mes très modestes moyens d’étudiant me permettaient, qui m’a mis sur la route du compositeur finlandais. C’était un coffret de quatre 33 tours Deutsche Grammophon, je m’en souviens comme si c’était hier, tous dirigés par Karajan : la 2e symphonie de Brahms, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski/Ravel, des intermezzi d’opéras… et le Concerto pour violon de Sibelius avec Christian Ferras en soliste ! Il y a pire comme initiateurs…

71f1Mt68TeL._SL1110_

Mais autant l’avouer, je n’accroche pas immédiatement à ce concerto, ce n’est ni Mendelssohn ni Tchaikovski. Il faudra que j’écoute passionnément La Tribune des critiques de disques de France Musique – le trio Panigel-Bourgeois-Goléa – pour que je découvre les mille beautés de l’oeuvre et ce qui allait définitivement m’arrimer à la musique de Sibelius : la rudesse et l’infinité des espaces imaginaires qu’elle ouvre. Et comme Goléa détestait ce concerto, je n’en ai été que plus convaincu de l’aimer.

Quelques années plus tard, mon premier achat dans une véritable caverne d’Ali Baba du disque classique au marché aux puces de Saint-Ouen sera l’intégrale des symphonies dans une version dont j’ignorais alors qu’elle serait louée par les meilleurs critiques et constamment rééditée : Lorin Maazel et les Wiener Philharmoniker.

81ccYnQacuL._SL1500_

On l’aura compris, ce n’est pas d’hier que date mon histoire d’amour pour Sibelius.

Il y a dix ans, exactement à la même période, j’avais eu la chance d’assister aux épreuves du Concours Sibelius à Helsinki (la lauréate d’alors, la merveilleuse Alina Pogostkina, nous a laissé quelques beaux concerts à Liège). Souvenirs lumineux d’une semaine pourtant plongée dans la nuit (le soleil se levait timidement vers 11h du matin, pour disparaître à nouveau vers 14 h), le froid, le gel. J’étais retourné, en juillet 2006, pour visiter bien sûr Ainola, la maison de Sibelius, et la Carélie de lacs et de forêts qui a nourri toute son oeuvre.

Un conseil en cette période qui n’incite pas à l’espoir : écoutez, gavez-vous de Sibelius, d’une musique généreuse, qui respire loin et large.

*http://www.resmusica.com/2013/01/06/rene-leibowitz-l’assassin-assassine/

Une certaine radicalité

Il y a des mots piégés, le monde culturel en est friand. Exemple : radical, une lecture, une oeuvre, une interprétation radicale. Çà ne veut pas, plus, dire grand chose, mais ça fait bien dans la conversation et ça évite, dans un article, de préciser  la teneur, le contenu de cette radicalité. Parlons de démarche originale, extrême, dérangeante, la langue française est riche !

Je viens de trouver, chez un éditeur anglais, regroupés en un coffret de 13 CD, tous les enregistrements réalisés entre 1959 et 1962, dans une superbe stéréo, par un personnage oublié, et vraiment radical, de la musique du XXème siècle, René Leibowitz. 

4623542920

René Leibowitz (https://fr.wikipedia.org/wiki/René_Leibowitz) a dit, écrit des horreurs (plus que Boulez à qui on en prête pourtant beaucoup) : « Sibelius, le plus mauvais compositeur du monde ». Lire à ce sujet l’excellent papier de Jean-Luc Caron (http://www.resmusica.com/2013/01/06/rene-leibowitz-l’assassin-assassine/).

J’ai assez vite abandonné, je l’avoue, la lecture des ouvrages théoriques de Leibowitz, mais je suis resté fasciné, depuis que je les ai découvertes, par les interprétations vraiment… radicales de Leibowitz chef d’orchestre.

41TRZASDV2L._SX306_BO1,204,203,200_ 312H8E88GBL._SX303_BO1,204,203,200_

Je dénonçais récemment (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/10/24/arnaques/) les rééditions erratiques des symphonies de Beethoven que René Leibowitz a gravées à Londres. Ce n’est évidemment pas le cas du coffret très soigné qu’on peut se procurer directement auprès de l’éditeur britannique (http://www.scribendumrecordings.com/our-shop/4583959841/sc510-13cd—the-art-of-leibowitz/10114478).

Je ne vais pas redire ici combien la vision de Leibowitz de l’univers symphonique de Beethoven était à l’époque, et est restée cinquante ans après, radicale, neuve, passionnante. 30 ans avant Norrington, Harnoncourt ou Gardiner, il dégraisse, dépoussière, adopte les tempi indiqués par Beethoven. Il n’est pas loin d’un Pierre Monteux qui à la même époque, grave à Londres et Vienne une intégrale inégale, mais d’une vigueur rythmique et d’une jubilation mélodique admirables (Monteux avait 85 ans !).

https://www.youtube.com/watch?v=HDlg1NI1Lrs

Mais, à la différence de son élève Pierre Boulez, Leibowitz n’a jamais été un grand chef d’orchestre, les oreilles attentives auront vite fait de le constater par exemple en écoutant le (Mas)Sacre du printemps, ou le finale de la IXème symphonie de Beethoven.

En revanche, on aura de quoi être surpris par l’association Leibowitz/ Offenbach ou Gounod ou Auber ou Puccini. Sans doute des commandes d’un éditeur de l’époque (le Reader’s Digest ?) avec les inévitables showpieces, ouvertures, suites etc. Tout ça ne cadre pas très bien avec le théoricien, le chantre du dodécaphonisme… Mais peut-être Leibowitz n’était-il pas aussi sérieux qu’on l’imagine ? C’est bien lui qui a écrit ceci :

Arnaques

On n’imagine pas comme ça, vu du dehors, mais le petit monde de la musique classique est plein de chausse-trapes. Comme le relève Gaëtan Naulleau dans le numéro de novembre de Diapasonla guerre fait rage entre Deutsche Grammophon-Decca / Universal et Sony : la première s’est fait piquer par le second deux de ses stars, Jonas Kaufmann et Lang Lang. Au moment où le pianiste chinois sort son dernier album (on y reviendra, pour la belle arnaque sur le titre : Lang Lang in Paris ) chez Sony, Deutsche Grammophon ressort – objet de l’ire diapasonesque – une compilation très hétéroclite du même sous le titre Lang Lang the Vienna Album !

71ugjL90vJL._SX425_ 81iwnYkjj6L._SX425_

Un mot sur le titre du CD Sony : le lien entre Paris et les Scherzos de Chopin ou les Saisons de Tchaikovski ? Aucun ! Tromperie sur la marchandise ? Pas tout à fait puisque ce disque a bien été enregistré… à Paris (à l’Opéra Bastille précise-t-on même !). La belle affaire… ou plutôt la bonne affaire pour l’image internationale de  LL.

La guerre Sony/Universal avait commencé il y a quelques semaines, dans le même genre :

81nmbLLU5pL._SX425_PJautoripRedesignedBadge,TopRight,0,-35_OU11__ 718G7BBuMCL._SX425_

Decca avait dégainé le premier avec un album/compilation au titre encore une fois trompeur (The Age of Puccini), sachant que Jonas Kaufmann allait sortir un CD tout Puccini chez Sony. Il a fallu que le chanteur lui-même dénonce le procédé…

Pas très reluisant évidemment, mais il n’y a pas mort d’homme…et puis on est loin, très loin des montants engagés pour des transferts de stars du ballon rond !

Plus désagréables pour les auditeurs/consommateurs de musique que nous sommes, les petites arnaques qui non seulement trompent l’acheteur mais desservent les artistes qui en sont aussi victimes. En cause, les enregistrements « libres de droits », en gros ceux qui ont plus de 50 ans (beaucoup d’exceptions évidemment). Sur les sites de téléchargement (comme Itunes) on est envahi de repiquages, de mauvaises copies de microsillons, absolument épouvantables, à petit prix évidemment, avec parfois de très bonnes surprises (Monteux, Richter, Heifetz…) mais à condition de bien écouter d’abord avant de télécharger.

On est effaré par exemple par la désinvolture – pour rester poli – avec laquelle un établissement aussi prestigieux que la Bibliothèque Nationale de France réédite numériquement quantité d’enregistrements relevant du dépôt légal. Aucun travail éditorial, ni technique, sérieux. Des erreurs en pagaille sur les oeuvres, les interprètes, les compositeurs. Incompréhensible, inadmissible.

Même saccage dans certaines rééditions de CD. Depuis longtemps fan des symphonies de Beethoven gravées par René Leibowitz à Londres en 1959/1960 dans une prise de son stéréo de référence, publiées séparément sous diverses étiquettes (comme Chesky Records) je me suis réjoui de les voir enfin proposées dans un coffret que j’ai aussitôt acheté. Quelle déconvenue en mettant sur ma platine quelques plages au hasard ! Une catastrophe, un report complètement raté. Une honte !

51vFTU+s5LL._SX425_ 71MUAjSJkmL._SX425_

La même horreur existe, en pire, sur Itunes, si on n’y prend pas garde.

Autre arnaque, heureusement pas encore trop répandue, les rééditions « avec pochettes d’origine » de grands artistes du passé. Quand les minutages des microsillons d’origine étaient brefs, ça peut donner des CD très chiches.

On atteint parfois les limites du ridicule. Déjà le coffret des enregistrements de Jean Martinon avec l’orchestre symphonique de Chicago – que tous les amateurs attendaient avec impatience – aurait pu tenir en 5 CD au lieu des 10 qu’il  contient.

71O4mIXdayL._SX425_

Mais le pompon est décroché par cette sortie toute récente : Earl Wild, the RCA complete collection.

81ymP-ReKrL._SX425_

On salivait à la perspective de redécouvrir des enregistrements forcément légendaires du grand virtuose américain qui n’était pas loin de fêter son centenaire sur scène (il est mort à 95 ans, en 2010, encore en activité). 5 CD (pour 40 € le coffret), qui tenaient sans problème sur…2 galettes ! Un Gershwin multi-réédité (ici coupé en deux !), certes deux ou trois raretés (le concerto de Paderewski, le 1er concerto de Scharwenka, et quelques babioles qui font très fond de tiroir). Il y a tellement de bons enregistrements, certes éparpillés entre plusieurs labels, à rééditer pour le centenaire du pianiste…qu’on se serait bien passé de ce triste boitier. Par exemple la plus éblouissante des intégrales concertantes de Rachmaninov, ou quand pianiste et chef sont à l’unisson de l’esprit et du style du compositeur.

61l2D1pvMsL