La grande porte de Kiev (XII) : la victoire de l’Ukrainien

Il y a dix ans (IV) : à propos du Concours Reine Elisabeth

Il y a dix ans, le 1er juin 2014, alors que venait de s’achever le Concours Reine Elisabeth de Belgique, dévolu cette année-là au chant, j’avais écrit ce billet De l’utilité des concours, qui n’a rien perdu de sa pertinence. Je m’interrogeais : « Les concours sont-ils utiles pour les musiciens, pour le public, pour la musique ? » Je renvoie mes lecteurs d’aujourd’hui à la réponse que je faisais hier

La victoire d’un Ukrainien

Cette année, le violon était à l’honneur et c’est un jeune artiste ukrainien de 25 ans, Dmytro Udovychenko, qui s’est vu décerner le premier prix, sous les yeux de sa mère, musicienne de l’Opéra de Kharkiv, réfugiée à Bratislava.

Je n’ai pas suivi les épreuves du concours, il y a longtemps que je ne le fais plus. Mais j’ai observé que l’un de mes articles avait été consulté à de très nombreuses reprises au moment de la proclamation du prix : La grande porte de Kiev, les artistes et la guerre, dans lequel je citais à mon tour un article remarquable de l’ami Michel Stockhem sur les rapports de la politique et du Concours Reine Elisabeth.

J’ai compris ce soudain regain d’intérêt pour cet article de blog, en voyant « la » photo qui a fait le tour des médias : le refus du jeune lauréat de serrer la main que lui tendait l’un des membres du jury, jadis l’un des plus brillants lauréats du Concours, le Russe Vadim Repin.

‘J’ai lu, depuis lors, des commentaires, voire des titres de presse, qui font concurrence de ridicule et de stupidité. C’est bien le droit de Dmytro Udovychenko de faire un geste dont il a mesuré toute la portée au moment où sa ville natale, Kharkiv, est directement et intensément menacée par l’armée de Poutine. Je ne sais rien des prises de position de Vadim Repin, et il est probable que le jeune Ukrainien n’a aucune animosité personnelle à son encontre. Mais il use ainsi du seul moyen pacifique de rappeler au monde la tragédie qui frappe son pays et ses compatriotes depuis plus de deux ans.

Autre remarque totalement idiote lue un peu partout : pourquoi avoir choisi une oeuvre d’un compositeur russe, en l’occurrence le 1er concerto de Chostakovitch ? On conseille aux décérébrés de s’informer un peu sur le compositeur, sa vie heureuse sous la férule radieuse de l’Union soviétique…

Je vois sur YouTube cette captation du même concerto par le même violoniste, dont j’apprends ainsi qu’il avait déjà remporté le concours de Montréal l’année passée.

Des chemins d’amour

Francis Poulenc disparaissait il y a soixante ans le 30 janvier 1963. Ce n’est ni le moment ni le lieu de récapituler sa vie ni son oeuvre. Juste de rappeler une mélodie à jamais gravée dans ma mémoire :

Les chemins de l’amour est une mélodie composée par Francis Poulenc sur des paroles de Jean Anouilh en 1940, d’après une valse chantée tirée de la musique de scène de la pièce Léocadia.
La mélodie est composée en octobre 1940, elle est dédiée à la comédienne et chanteuse Yvonne Printemps, qui la chante à la création de la pièce Léocadia le 1er décembre 1940. La chanson connaît un certain succès, et Yvonne Printemps l’enregistre.

Rien n’est moins évident que de réussir la fausse nonchalance, ce « je ne sais quoi » qui n’est pas donné à toutes les interprètes de cette mélodie.

C’est par Jessye Norman, dans un Grand échiquier je crois, que j’appris à connaître et aimer Les chemins de l’amour. Totalement excessif et pourtant si aimable !

Dans les interprétations récentes, Patricia Petibon donne dans la vénéneuse subtilité, aidée en cela par Susan Manoff et Christian-Pierre La Marca.

Fatma Said n’est pas mal du tout. Elle sait ce qu’elle chante !

Trois morts

Tandis que j’achève ce billet, j’apprends trois disparitions : l’une qui me touche parce que c’était un musicien que j’avais recruté tout jeune à l’orchestre philharmonique royal de Liège en 2009, devenu délégué syndical estimé de tous, le contrebassiste François Haag, mort à 40 ans « des suites d’une longue maladie ». Injuste !

Une autre, plus prévisible, a un lien direct avec Poulenc : le pianiste Gabriel Tacchino est mort à 88 ans. Il laisse un beau legs discographique.

Sans doute moins connu en France qu’en Belgique où, depuis une victoire au concours Reine Elisabeth, il comptait amis et fidèles, le pianiste ukrainien Evgueni Mogilevski, né à Odessa en 1945, est mort hier. J’ai précieusement acheté les quelques disques qu’on trouve de lui. Un immense musicien, révéré par ses pairs, admiré par ceux qui l’aimaient.