Retour d’Asie centrale : deux ou trois choses vues et apprises

Après trois semaines au Kirghizistan d’abord, en Ouzbékistan ensuite, on ne peut pas dire qu’on connaît les pays qu’on a traversés ni les gens qu’on a croisés.

Mais on a noté quelques petites choses, amusantes ou sérieuses, qui éclairent, parfois contredisent l’idée qu’on se fait de ces contrées fascinantes quand on les imagine de loin.

Les femmes sans voile

Elles paraissent bien dérisoires, stupides même, les polémiques que certains nourrissent à dessein en France sur la tenue des femmes musulmanes, le voile, l’abaya etc.

Dans les deux pays, l’islam est la religion dominante. Toutes les femmes, à commencer par nos guides au Kirghizistan comme à Tachkent ou Khiva, que nous avons rencontrées, sont musulmanes. Aucune ne porte un foulard ou un voile, sauf les plus âgées quand elles sortent en ville avec leurs plus belles robes. On a aperçu quelques jeunes filles voilées. C’est une mode « ridicule » nous ont dit nos guides, jeunes femmes – l’une d’elles se marie dans trois semaines – nous expliquant que le voile intégral n’était porté que par les femmes arabes dans le désert pour se protéger du soleil et du sable. Mais qu’ici en Asie centrale, dès les années 1920, partout elles se sont émancipées du port du foulard ou du voile.

N. notre adorable guide kirghize

Depuis mon retour, on a appris ces nouvelles décisions des talibans au pouvoir dans le pays voisin de l’Ouzbékistan, l’Afghanistan : Les talibans interdisent aux Afghanes de chanter, de lire en public et de se déplacer seules.

Les traditions de famille

En revanche, dans les deux pays, la jeune génération n’entend s’affranchir d’aucune tradition familiale, aussi surprenante ou pesante qu’elle nous semble. A ce sujet, une observation : quel que soit le pays que je visite, je fais toujours abstraction, j’essaie en tout cas, de mes références culturelles ou sociologiques, je regarde, j’observe, j’écoute, je dialogue si possible, et je ne porte pas de jugement de valeur.

Le mariage est la cérémonie la plus importante. La jeune fille, qui doit y arriver vierge, s’y prépare avec sa famille des mois durant. Il convient de préparer le trousseau (ou la dot !) avant de partir vivre dans la famille du mari et de servir ses beaux-parents. Le fils aîné a charge de veiller sur ses parents jusqu’à leur mort.

La célébration du mariage rassemble plusieurs centaines d’invités (et coûte une petite fortune!) mais il n’est pas question de la jouer petit bras.

Il en est de même pour la fête de la circoncision – qui se pratique en général à l’âge de 2-3 ans. Dans plusieurs villes ouzbeks nous avons assisté à d’impressionnants cortèges.

Habits de fête pour ce petit garçon, dont on ne sait pas s’il a déjà subi ou va subir l’opération…

La Russie, les Russes et le russe

Visitant deux anciennes républiques soviétiques, devenues indépendantes à la chute de l’URSS en 1991, on ne peut évidemment ignorer l’impact de plus de six décennies de pouvoir communiste. Il y a des similitudes entre Kirghizistan et Ouzbékistan, notamment quant à la période tsariste

L’église orthodoxe de Karakol (Kirghizistan) – 1895
Un petit air de palais tsariste à Samarcande, aujourd’hui siège d’une banque chinoise

mais il y a surtout beaucoup de contrastes qui frappent dès l’arrivée dans l’un et l’autre pays.

Au Kirghizistan, tous les panneaux sont écrits en cyrillique, dans les deux langues officielles du pays, le russe et le kirghiz. Voir mon album photos sur la capitale Bichkek, une ville soviétique en Asie centrale. Les statues de Lénine ne sont pas rares dans le pays. Le passé russe, voire soviétique, ne semble pas poser de problème à ceux que nous avons rencontrée, dès lors que les identités/nationalités sont toutes respectées et admises. Ici on se présente d’abord comme Kirghiz, Ouzbek, Ouïgour, Indien, Chinois, Russe…

Le contraste avec l’Ouzbékistan est total : il y a bien, sur d’anciennes enseignes, et sur des panneaux officiels ou touristiques, des mentions ou des textes en langue russe, mais langue ouzbèke prédomine, même si dans plusieurs villes comme Samarcande, c’est le tadjik – proche du turc – qui est parlé majoritairement. Dans toutes les villes, les musées, les lieux historiques, visités, on n’a pas manqué d’incriminer d’abord la Russie tsariste, mais surtout la période soviétique, qui, selon nos interlocuteurs, ont pillé les richesses du passé, fait table rase des héritages si divers des empires révolus, parfois au sens propre du terme en détruisant citadelles, places fortes et mosquées.

Sur la guerre en Ukraine, c’est partout un silence plutôt gêné : il ne faut pas se fâcher avec le grand voisin, qui en retour laisse ces ex-républiques soviétiques tranquilles.

Spécialités locales

On ne partait pas en Asie centrale pour faire de la gastronomie, mais comme au Ladakh l’an dernier, se nourrir de toutes les ressources de terres riches et abondantes. Les légumes et les fruits ont du goût, un goût qu’on a fini par oublier sur nos marchés européens. Des pommes, des abricots, des pêches, des framboises juteux et sucrés, des tomates pleines et goûteuses, des pastèques et des melons par centaines, des viandes tendres issues des troupeaux locaux de vaches, moutons… et chevaux ! Les préparations en revanche manquent singulièrement de variété, inévitables salades de tomates, concombres et oignon frais, soupes de riz ou de lentilles, aubergines frites, et l’incontournable « plov« , variante de notre riz Pilaf… Le dessert ne fait pas partie d’un menu habituel. Evidemment pas d’alcool à table, mais toujours du thé noir ou vert.

Notre hôtesse ouïgour fabrique elle-même ses pâtes à Karakol

Le chapitre serait incomplet si l’on ne mentionnait ce qu’on a probablement le plus souvent mangé, tant au Kirghizistan qu’en Ouzbékistan, où il faut toujours se méfier de la générosité des portions servies. Ainsi de cette « entrée » qui suffisait largement à faire mon repas, et qui est connue de tous, servis dans tous les établissements sous l’appellation de « A-li-vié. Nos premières guides furent surprises que nous ne connaissions pas la fameuse salade Olivier avec ce nom si français. Elles éclatèrent de rire lorsqu’on leur répondit que nous nommions ce plat « salade russe » ou « macédoine », Et que nous en ignorions l’inventeur, un chef franco-belge installé en Russie du nom de Lucien Olivier, mort à 45 ans… étouffé par sa propre salade !

En voiture

Dans les deux pays, on conduit à droite, sur des routes dont on va dire charitablement qu’elles ne sont pas toutes aux normes européennes. Mais on sent un effort pour améliorer la situation : plusieurs axes importants sont en travaux.

Au Kirghizistan, le parc automobile est assez varié, souvent ancien (beaucoup d’anciennes Lada soviétiques surtout dans les campagnes), voitures chinoises, japonaises (avec volant à droite !), coréennes, quelques très rares russes.

En Ouzbékistan en revanche, le marché est quasi complètement dominé par le constructeur local… Chevrolet, ex-Daewoo, au point que notre guide kirghize ignorait que c’était un des fleurons de l’industrie automobile américaine !

Culte

Le culte des héros est une constante des pays autocratiques. Même devenus démocratiques.

à Bichkek, Lénine et Kurmanjan Datka (1811 – 1907) : Album photos complet ici

Timur/Tamerlan à Samarcande et dans sa ville natale (albums photos ici)

Le dictateur-président de l’Ouzbékistan de 1991 à 2016, Islam Karimov.

Rappel pour mémoire des articles relatant ce voyage :

Au pays du premier maître

Dans les steppes de l’Asie centrale

Que la montagne kirghize est belle

Les chevaux de Kirghizie

Le voyage d’Ouzbékistan I

Les merveilles de Boukhara

Samarcande la magnifique

Sur la trace de Tamerlan

Le voyage d’Ouzbékistan (I) : la solitude des champs de coton et la mort d’Alain Delon

J’ai laissé ce blog sur les hauteurs du lac Son au Kirghizistan (Les chevaux de Kirghizie). En une semaine, que de chemin parcouru et d’impressions emmagasinées !

Mardi 13 août : la nuit a été fraîche, la petite porte de la yourte était mal ajustée et la température au réveil ne devait pas excéder 6°. On refait à pied une partie du parcours qu’on a fait à cheval la veille, histoire de se dégourdir les jambes avant de reprendre la voiture pour un long trajet vers la région de Talss et la vallée de Suusamyr. Quelques haltes pour photographier des montagnes de toutes les couleurs, puis déjeuner au bord de la rivière pour enfin goûter à la truite qui est annoncée le long des routes.

La truite fraîchement pêchée et grillée.

Dernière nuit au Kirghizistan dans un petit hôtel au bord d’un torrent (boules Quies requises), à Chychkan.

Mercredi 14 : on refait la route dans l’autre sens cette fois pour rejoindre Bichkek et son aéroport. Ici ils appellent cela autoroute parce que c’est l’unique liaison entre le sud (Och) et le nord (Bichkek). On y verra beaucoup de camions, des vélos et mêmes des troupeaux.

Au contrôle des passeports, le policier me salue d’un « Bonjour » et me demande si j’ai aimé le Kirghizistan, me faisant comprendre avec un grand sourire qu’il ne me laissera passer qu’en cas de réponse positive ! J’y reviendrai plus tard, mais c’est tellement plus sympathique pour le visiteur arrivant au Kirghizistan (comme en Ouzbékistan) de ne pas devoir subir des files et des contrôles interminables à l’arrivée, ni visa ni multiples tampons.

Vol d’une heure vers Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan. Le contraste entre les deux capitales est saisissant dès l’arrivée à l’aéroport : l’opulence s’affiche sans complexe. On s’offre un dîner italien à l’hôtel. La cuisine kirghize est délicieuse, goûteuse parce que faite de produits locaux et de traditions séculaires, mais elle est un peu répétitive… Noter pour y revenir que le plat national dans les deux pays est le « plov », traduit en français par le riz « pilaf » !

Jeudi 15 :

Une jeune guide, dont la famille a des origines iraniennes, et dont le visage nous fait plus d’une fois penser à… Simone Veil, nous entraîne pour une visite de Tachkent sous un soleil de plomb. La ville est immense, larges avenues bordées de parcs et jardins, rangées de magasins de marques, parfois à la limite du clinquant. Peu de monuments anciens, même si les plus importants d’entre eux ont été reconstruits à l’identique après le terrible tremblement de terre du 26 avril 1966 (lire Le Monde : la terre tremble à Tachkent). On visite le grand marché central, puis quelques stations de métro – prototype du métro soviétique, autorisé en 1972 par Brejnev, six ans après le séisme, et ouvert en 1977 -.

Déjeuner obligé dans un immense restaurant « typique » au milieu d’une escouade de jeunes serveurs et serveuses. L’après-midi visite privée des mythiques studios d’Ouzbek Film. Ce sera un article à lui seul.

Le soir on choisira un établissement prisé des locaux au milieu d’un parc : la température extérieure est encore de 37°.

Album photos complet de Tachkent à voir sur Facebook.

Vendredi 16 : réveil aux aurores, départ de l’hôtel à 5h pour rejoindre le petit aéroport intérieur de Tachkent, emprunter un vol d’Uzbekistan Airways (un Airbus A320 flambant neuf) pour rejoindre la ville d’Ourgench à l’ouest du pays. A l’arrivée on pensait tomber sur un guide masculin – ne pas se fier aux prénoms locaux – c’est une plantureuse mère de deux jumeaux qui, d’une voix très sonore et bien peu agréable – va nous faire le coup, deux jours durant, de l’Ouzbékistan pour les nuls. D’abord le désert non loin de la mer d’Aral, et les vestiges de plusieurs forteresses érigées au début de notre ère – on entendra bien dix fois qu’il y avait autrefois plus d’une cinquantaine de constructions de ce type : Ayaz Qala. L’érosion, l’absence d’entretien et surtout d’intérêt de la part des autorités soviétiques, ont fait leur oeuvre. Mais à voir ce qui reste, on peut encore imaginer ce que devaient être ces places fortes surgies du désert.

Les souvenirs d’enfance, d’école, reviennent : j’ai toujours su que l’Amou Daria et le Syr Daria étaient les plus grands fleuves de la région, qui se jetaient dans ce qui fut la mer d’Aral. On reparlera de la catastrophe écologique que représente l’assèchement de ce qui était la quatrième plus grande étendue lacustre au monde…

Depuis 2017, la surface en eau de la mer d’Aral a encore été réduite de moitié…

Je doute que Bernard-Marie Koltès ait jamais visité cette partie d’Asie centrale, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’il eût été inspiré par notre parcours du jour, pour deux de ses pièces emblématiques : Le retour au désert et Dans la solitude des champs de coton. De retour du site d’Ayaz Qala pour rejoindre la ville antique de Khiva, nous longeons d’immenses champs de coton, puisque l’Union soviétique avait décrété la culture intensive du coton (qui nécessite de grandes quantités d’eau, d’où le détournement des lits de l’Amou et du Syr Daria !).

Notre hôtel est une ancienne madrassa, construite en 1905 aux portes de la ville ancienne. Une chambre comme une cellule d’étudiant. Balade sous la chaleur dans une cité miraculeusement préservée et dîner sur une terrasse qui domine la place centrale. Emerveillement tous azimuts

Samedi 17 : à 9 heures tapantes, notre guide nous attend à l’hôtel pour une visite des principaux monuments de la vieille ville de Khiva. Parlant à la cantonade, y compris dans les lieux de prière, elle récite son « Khiva pour les nuls », en prenant soin de répéter chaque phrase. C’est un peu la honte. Les beautés de la cité antique se cachent à l’intérieur des palais, où, en dehors d’un groupe d’Italiens grégaires et bavards, le touriste est plutôt rare. Déjeuner obligé sur une terrasse où le vent rafraîchit l’atmosphère. Puis un chauffeur nous prend en charge pour nous conduire à Boukhara, à près de 400 km de là. Le trajet annoncé comme devant durer 8h, se fera en à peine cinq heures. Sitôt sortie de la zone urbaine d’Ourgench, la voiture file d’abord vers le long pont métallique qui franchit le lit très large de l’Amou Daria, puis traverse, sur plus de 200 km, ce qu’on nomme ici le désert rouge. Magique, surtout au coucher du soleil. La nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons à Boukhara, dans un hôtel situé aux portes de la vieille ville. Demain s’annonce comme une découverte peut-être plus impressionnante encore que Khiva.

Album photos complet de Khiva à voir sur Facebook

Ce que ne m’a jamais dit Alain Delon

A l’heure où je boucle cet article, je sors d’un déjeuner avec le guide qui nous conduit dans Boukhara et qui nous a appris la mort d’Alain Delon. L’avantage de ne pas être connecté à internet, en dehors des hôtels où nous logeons, c’est d’échapper à la ribambelle des RIP et autres hommages obligés. Je n’ai rien à ajouter à tous les articles, tous les hommages qui sont et seront rendus à l’une des dernières stars mondiales du cinéma français. Je vais les lire bien sûr, revoir les films où éclatait la beauté solaire du jeune acteur.

French actor Alain Delon on the set of The Yellow Rolls-Royce directed by British Anthony Asquith. (Photo by Sunset Boulevard/Corbis via Getty Images)

Ah si peut-être un souvenir personnel, que je ne mentionnerais pas si la circonstance ne s’y prêtait. A la toute fin des années 70, comme je le rappelais à l’occasion de la disparition de Jean-Yves Bouvier, l’âme de l’Elysée-Matignon, la boîte la plus en vue de Paris de l’époque, je fréquentais beaucoup cet établissement, où je retrouvais souvent la même bande de copains. Lorsque j’y allais seul ou que j’arrivais en avance, Jean-Yves Bouvier me demandait souvent comme un service – aussi agréable qu’impressionnant pour le petit provincial que j’étais – de faire la conversation dans le carré VIP aux célébrités présentes. Le pot de fleurs en quelque sorte. C’est ainsi que je fus une fois assis à côté d’Alain Delon, avec qui j’ai dû échanger quelques impérissables banalités.