Centième

J’ai signé aujourd’hui ma centième critique sur le site de Bachtrack : Du Tombeau au Technicolor. A propos des concerts de l’Orchestre de Paris et de Klaus Mäkelä, associant Ravel et Stravinsky

L’occasion de faire le point sur la discographie – plus exactement mes choix – des trois oeuvres que j’ai entendues

Le Tombeau de Couperin

Je rappelle dans l’article les circonstances de l’écriture de cette oeuvre, d’abord pour le piano ensuite pour l’orchestre. Ce Tombeau de Couperin fait partie des oeuvres de Ravel que j’écoute le moins. Je l’admire certes, mais ne l’aime pas.

Ici les mêmes que mardi, dans une captation de 2020 :

Karajan n’a enregistré l’oeuvre qu’une fois, et c’était dans la brève période où il fut « conseiller musical » de l’Orchestre de Paris après la mort de Charles Munch.

Pierre Boulez manque un peu de poésie et de souplesse, même en concert avec Berlin

On ne m’en voudra pas de revenir à Armin Jordan, qui avait une manière assez incroyable de laisser venir cette musique, d’un geste, d’un regard, que les orchestres comprenaient immédiatement

Ma Mère l’Oye

On peut difficilement louper la suite de Ma Mère l’Oye, les bonnes versions sont légion.

Giulini y est la poésie même. Son « jardin féerique » ! inégalé

Dans le gros coffret TIlson Thomas Sony, il y a ce bel exemple de l’art de MTT

Petrouchka

L’Orchestre de Paris et son chef donnaient en septembre dernier leur version de Petrouchka aux Prom’s de Londres

Ni la conception ni le jeu d’ensemble n’ont foncièrement changé depuis cette soirée londonienne.

Comme je l’écris, c’est une version plus symphonique que chorégraphique.

On a la chance d’avoir d’excellentes versions du créateur de l’oeuvre, Pierre Monteux, et du compagnon de route des Ballets russes, longtemps ami de Stravinsky, Ernest Ansermet. Les comparaisons sont édifiantes.

On notera à quel point les orchestres ont techniquement progressé en un demi-siècle !

Je garde une préférence pour la version sensationnelle d’Antal Dorati

Lire mes brevesdeblog

Découvertes Est-Ouest

Un bref passage par Melomania, la seule adresse, l’unique, pour les amateurs de CD classiques, m’a fait découvrir des compositeurs, des oeuvres, de labels que j’ignorais complètement.

Zubin Mehta avec Paine

Je pensais avoir à peu près tous les disques enregistrés par Zubin Mehta du temps de son mandat à la tête du New York Philharmonic (lire Zubin à New York ) lorsque je suis tombé sur ce CD

Compositeur ? label ? inconnus au bataillon.

Pourtant je croyais plutôt bien connaître les compositeurs américains – les noms de George ChadwickEdward MacDowell et Amy Beach par exemple ne me sont pas inconnus – mais John Knowles Paine (1839-1906) qui a constitué avec les pré-cités ce qu’on a appelé l’Ecole de Boston est resté terra incognita jusqu’à ma découverte de ce disque

Comme un bonheur n’arrive jamais seul, je trouve sur YouTube la 2e symphonie de Paine… toujours avec Zubin Mehta et le New York Philharmonic.

Temirkanov rime avec Petrov

Autre découverte pour moi qui suis à la recherche de raretés ou d’inédits du grand chef russe récemment disparu, Youri Temirkanov, ce CD manifestement d’origine russe sous un label « Manchester » qui ne l’est pas du tout.


En l’espèce ce sont des enregistrements de studio faits entre 1971 et 1977 à St Petersbourg, alors Leningrad, avec l’orchestre philharmonique dont le chef prendra la direction musicale en 1988. Un Petrouchka de Stravinsky scintillant, une 2e suite de Daphnis et Chloé de Ravel qui ne manque pas de séduction, et un troisième homme, parfaitement inconnu : Andrei Petrov (1930-2008).

Compositeur de musiques de films qui n’ont pas marqué l’histoire du cinéma mondial, de ballets et de pas mal d’autres partitions, c’est l’apparatchik-type – président de l’Union des compositeurs soviétiques de Saint-Pétersbourg de 1964 à sa mort !

Je laisse apprécier cette oeuvre ici mentionnée comme « Genesis », ou présentée comme « La création du monde ». L’avenir radieux de l’humanité est en route …

Le Russe oublié

C’est un nom que j’ai dû voir une ou deux fois, sans qu’il attire mon attention. Jusqu’à ce que le dernier numéro de Diapason le cite dans un passionnant dossier consacré aux Préludes de Chopin : Rudolf Kehrer (1923-2013).

Disques introuvables, notoriété nulle : comment est-ce possible avec un artiste de cette classe ? Comme on peut heureusement en juger par quelques vidéos audibles sur YouTube, comme ces fameux Préludes de Chopin

J’ai trouvé sur jpc.de un coffret de 5CD reprenant des enregistrements Melodia. Passionnants, même si les reports sont de qualité très variable :

La dernière valse à Liège

C’est l’histoire d’un disque qui est complètement passé sous mes radars. Et pourtant j’aurais dû le repérer dès sa sortie en 2020. Parce que Véronique Gens, si souvent accueillie à Montpellier (lire 2890 jours : ils ont fait Montpellier), parce que disque enregistré à la Salle Philharmonique de Liège, dont j’avais, dès sa réouverture en septembre 2000, fait un studio extrêmement apprécié par beaucoup d’artistes et de labels.

Copieuses ouvertures

Si je devais décrire d’un mot ma semaine musicale, je dirais « plantureuse ». Ou comme si les menus s’étaient révélés trop copieux. Mais on ne va pas se plaindre que les mariées aient été trop belles, tant à Paris qu’à Strasbourg, pour l’ouverture de saison des deux phalanges éponymes.

La marque Mäkelä

Je l’écrivais déjà il y a un an (Ouverture de saison) exactement – nous venions d’apprendre le décès d’Elizabeth II – Klaus Mäkelä ne s’était privé d’aucune audace dans la confection de son programme de rentrée avec l’Orchestre de Paris. Ce 6 septembre (concert redonné le 7), notre chef finlandais préféré a récidivé avec un programme construit autour des années 1910. Il fallait y penser, mais on n’a pas le souvenir d’avoir jamais entendu dans la même soirée trois Russes, dans des oeuvres toutes contemporaines : Petrouchka de Stravinsky (1911), le 1er concerto pour piano de Prokofiev (1911/12) et Les Cloches de Rachmaninov (1912/13). On n’imagine pas esthétiques plus contrastées, et le seul fait d’unir ces trois oeuvres dans un même programme est à mettre au crédit de l’Orchestre de Paris et de son chef.

Je me demande si j’ai les mêmes oreilles que certains critiques. Pour tout dire autant le titre que le contenu du papier de DiapasonLa Russie tonitruante de Klaus Mäkelä – me paraissent hors de propos, sauf à se méprendre sur le sens du mot « tonitruant » ni sur les oeuvres elles-mêmes (en effet, Petrouchka c’est un « univers résolument percutant d’où jaillissent quelques touches colorées » (sic)).

Certains auraient pu trouver la lecture du ballet de Stravinsky très classique, alors que Mäkelä ne fait que respecter une partition dont il est facile d’exagérer les aspects anecdotiques. Et on aime ce « classicisme » là. L’Orchestre de Paris a un pianiste de marque au milieu de lui : Bertrand Chamayou, qui va donner ensuite un époustouflant 1er concerto de Prokofiev. Je ne me rappelle pas avoir entendu pareille aisance souveraine dans ce condensé de virtuosité fanatique et d’audaces techniques – le pianiste toulousain m’avouera à l’issue du concert qu’il n’avait plus joué l’oeuvre depuis 25 ans et un concert à Kharkiv ! Bluffant… comme ses bis (un arrangement de Balakirev de l’Alouette de Glinka, et « A la manière de Borodine » de Ravel). Je cherche en vain la « tonitruance » de cette première partie…

Quant aux Cloches de Rachmaninov, le programme de salle rappelait que l’oeuvre était entrée au répertoire de l’Orchestre de Paris… en 2018 ! On y était – Le tonnerre et les cloches – et c’était alors Gianandrea Noseda qui dirigeait et Lionel Sow qui avait préparé le choeur. C’est une oeuvre que j’aime – lire Les cloches de Pâques -, dont Klaus Mäkelä a donné une vision peut-être trop univoque, en en gommant les aspects les plus sombres. Mais on saura toujours gré au jeune chef de nous avoir offert un programme aussi copieux et original. Preuve – on y reviendra bientôt – qu’il faut toujours privilégier l’audace pour plaire au grand public !

Wagner sans paroles à Strasbourg

Jeudi soir j’étais à Strasbourg pour un autre concert d’ouverture, celui de l’orchestre philharmonique de Strasbourg et de son chef ouzbek Aziz Shokhakimov. Lire ma critique sur Bachtrack: L’audacieux pari d’Aziz Shokhakimov..Un programme là encore très copieux (trop ?) avec en plat de résistance la compilation symphonique du Ring de Wagner réalisée par Lorin Maazel en 1987 et enregistrée avec l’Orchestre philharmonique de Berlin.

Ministère

Météo capricieuse en cette veille de second tour de l’élection présidentielle. Les colonnes de Buren qui peuplent la cour carrée du Palais Royal à Paris avaient été copieusement arrosées.

L’honneur pour le chef

Nous n’étions qu’une poignée à nous retrouver samedi après-midi dans le salon Joseph Bonaparte du ministère de la Culture à Paris. L’invitation n’était arrivée que la veille : celle qui est encore ministre pour quelques jours, Roselyne Bachelot, nous avait conviés in extremis à la cérémonie de remise de la Légion d’Honneur à Philippe Jordan, directeur musical de l’Opéra de Paris de 2009 à 2021 (lire Ce n’est qu’un au revoir).

Joie de retrouver, dans ce cadre intime et propice aux échanges, l’ami Philippe qui, dans son petit discours de remerciement, invoquait l’ombre tutélaire et affectueuse de son père Armin Jordan.

Plaisir d’échanger aussi avec la ministre sortante de la Culture qui, en politique aguerrie, se montrait plutôt optimiste quant à l’issue du second tour, mais plus circonspecte sur les législatives à venir, en raison de la décomposition des forces politiques traditionnelles.

Le vrai ministre

Présent à cette cérémonie, un récent retraité, avec qui, pendant des années, je n’avais souvent échangé que des propos rapides et convenus, un personnage avec qui j’avais construit, en 1995, une belle journée radiophonique (lire Boulez vintage), Laurent Bayle, qui a porté, contre vents et marées, puis dirigé la Philharmonie de Paris (inaugurée le 14 janvier 2015, lire Philharmonie)

La constance de son engagement pour ce projet, sa ténacité et son habileté à déjouer les pressions, les changements de cap des politiques, avaient fait de Laurent Bayle celui que tout le milieu musical et culturel désignait comme le vrai ministre de la Culture.

C’est ce que je lui rappelai samedi, en faisant une gaffe : je l’incitais à écrire ses souvenirs, à raconter par le menu les coulisses de l’exploit, ce à quoi il me répondit qu’il n’avait pu tout dire… dans le livre de souvenirs qu’il avait publié en janvier dernier ! J’avoue que j’avais raté cette parution, et que je n’en avais pas lu de critique ou de présentation dans la presse.

« Des années 1980 à nos jours, le paysage culturel et musical français a connu des métamorphoses puissantes, entre audace artistique et volonté politique. C’est de cette période passionnante et passionnée que Laurent Bayle témoigne dans ce livre éclairant.
Son parcours singulier, qui l’a mené à créer et à diriger la Philharmonie de Paris, est celui d’un engagement de plus de quarante ans au service de la musique. Il raconte ici un foisonnement artistique où sont à l’œuvre des personnages exceptionnels, dont il livre des portraits sensibles : de Pierre Boulez à Patti Smith, de Daniel Barenboim à Jean Nouvel, c’est le récit personnel d’un homme qui a bâti, avec d’autres, une certaine vision de la culture.
 » (Présentation de l’éditeur).

Ce témoignage est d’autant plus passionnant, qu’il restitue une période, que j’ai aussi connue, qui nous paraît rétrospectivement constituer une sorte d’âge d’or pour la création, le foisonnement culturel, le début des années 80. Les jeunes années de Laurent Bayle l’illustrent à merveille.

Un samedi à la Philharmonie

C’est justement dans la grande salle de la Philharmonie que j’ai passé la soirée de samedi, retrouvant avec bonheur l’Orchestre national de France, son chef Cristian Macelaru, et un magnifique violoniste que je n’avais plus entendu en concert depuis mes années liégeoises, Sergey Khatchatryan.

Programme original que Pascal Dusapin et Florence Darel assis à côté de moi n’étaient pas les derniers à apprécier : Amériques de Varèse, le premier concerto pour violon de Max Bruch, et Petrouchka de Stravinsky. De concert en concert, chef et orchestre manifestent une cohésion, une dynamique collective, qui ne cessent de m’impressionner.

J’en suis d’autant plus heureux que l’Orchestre national de France, Cristian Macelaru, ainsi que le Choeur de Radio France, seront les héros de l’une des soirées les plus emblématiques du prochain Festival Radio France Occitanie Montpellier (FROM pour les intimes), le 21 juillet, avec les Sea Pictures d’Elgar (avec Marianne Crebassa) et la grandiose Sea Symphony de Vaughan Williams (réservation vivement recommandée : www.lefestival.eu)

Mariss Jansons les années Oslo

Préambule d’actualité

Le triple assassinat de Nice, le reconfinement, l’incohérence des décisions gouvernementales (les librairies fermées, mais les magasins de moquette ouverts !), la mort d’Alexander Vedernikov, l’actualité nous bouleverse, nous révolte. Y revenir par temps plus calme !

Mariss Jansons : les jeunes années

Il y a un exactement – le 31 octobre 2019 – Mariss Jansons donnait son dernier concert parisien à la Philharmonie à la tête de « son » orchestre de la Radio bavaroise.

Un mois plus tard, le 30 novembre, il mourait chez lui à Saint-Pétersbourg à 76 ans, épuisé par une maladie cardiaque qui l’avait contraint, à plusieurs reprises, à faire des pauses dans sa carrière.

A l’occasion de ce triste anniversaire, Warner publie un coffret bienvenu, du connu et de l’inédit, reprenant en 21 CD et 5 DVD, les enregistrements réalisés pour EMI par le chef letton avec l’Orchestre philharmonique d’Oslo dont il fut le tant aimé directeur musical de 1979 à 2002.

Il m’est arrivé d’écrire, ici ou dans tel magazine, que les remake ultérieurs de ce qui constituait le coeur de répertoire de Jansons, à Amsterdam (avec le Concertgebouw) ou à Munich (avec la Radio bavaroise) gommaient, amoindrissaient, alentissaient l’énergie vitale, l’élan irrésistible, qui caractérisaient la direction du chef dans ses jeunes années (c’est particulièrement net par exemple pour la Deuxième symphonie` de Sibelius : Oslo 1992, Amsterdam 2005, Munich 2016 – entre Oslo et Munich, le 3ème mouvement vivacissimo passe de 3’57 » à 5’56 » !!)

On est donc très heureux de retrouver ce qui nous avait tant séduit chez ce chef découvert dans les années 80 – lire Mariss Jansons : la grande tradition.

En premier lieu, Sibelius – les symphonies 1,2,3,5 – dont on regrettera longtemps que Jansons n’ait pas enregistré une intégrale, des Dvorak (5,7,8,9) de grande allure, Stravinsky bien sûr, des Respighi plus latins que nature, mais aussi des raretés qui sont des coups de maître – Saint-Saëns, Honegger, Svendsen

La belle surprise de ce coffret ce sont 5 DVD inédits, de captations réalisés en concert à Oslo entre 1985 et 1999. Notamment une symphonie de Franck, qui semble être une prestation unique dans la carrière du chef. Et des Sibelius absolument prodigieux !

DVD 1 : Tchaikovski Manfred (1987) voir ci-dessus, Capriccio italien (1985)

DVD 2 : Franck Symphonie (1986), Richard Strauss Also sprach Zarathustra (1995)

DVD 3 : Stravinsky L’oiseau de feu (1986), Mahler Symphonie n°1 (1999)

DVD 4 Sibelius Symphonie n°1 (1989), Symphonie n°2 (2002)

DVD 5 Beethoven Symphonie n°3 (1997), Symphonie n°7 (2000).

La découverte des Ballets russes (I)

#Confinement Jour 37

En décembre, puis en mars dernier, j’évoquais ici un ouvrage, dans lequel le confinement me donne tout loisir de me replonger (lire Mouvement contraire)

91cka4bso1LOn a déjà dit ici le fantastique travail réalisé par les courageux éditeurs de La Coopérative pour rééditer, compléter (iconographie, discographie) ces Mémoires du grand chef Désiré-Émile Inghelbrechtpubliés en 1947 aux éditions Domat.

Inghelbrecht a été un témoin et un acteur considérable de la vie musicale de la première moitié du XXème siècle. Comme sa plume est aussi cultivée que sa baguette, chaque chapitre de ses souvenirs est un régal et une mine d’informations pour le lecteur.

Le 8 mars dernier, j’évoquais son récit de la naissance du Théâtre des Champs-Elysées (lire Naissance d’un théâtre).

Aujourd’hui, partant du chapitre XVI de ce Mouvement contrairej’aimerais vous inviter à suivre, en quelques épisodes, Inghelbrecht dans sa découverte émerveillée et affûtée de l’aventure des Ballets russes à Paris et de son personnage central Serge Diaghilev (1872-1929).

« C’est en 1906 que Diaghilev entreprit sa conquête de Paris, par une exposition de peinture russe contemporaine. L’année suivante il donnait à l’Opéra une série de concerts historiques russes, dirigés par Nikisch et Rimski-KorsakovEn 1908, toujours à l’Opéra, il révèle Boris Godounovavec Chaliapineque l’on retrouve en 1909 au Châtelet incarnant Ivan le Terrible de la Pskovitaine (un opéra en trois actes de Rimski-Korsakov)

 

Au cours de cette saison, les opéras alternent avec les ballets, dont la révélation soulève un enthousiasme unanime, et qui constitueront généralement seuls les spectacles des saisons suivantes. »

 

« De haute stature et de corpulence robuste, Serge de* Diaghilev avait l’aisance et la distinction natives du grand seigneur/…./ Son regard perçant semblait dépasser souvent sa vision immédiate et il jouait de son monocle, comme pour dérouter ceux qu’il observait/…./ Encore que son accueil fût cordial, il restait distant et son sourire était réticent. On sentait qu’il ne s’écartait jamais du but qu’il poursuivait, ne s’intéressant aux hommes qu’en fonction de leur utilité éventuelle, qu’il s’agisse d’artistes, de financiers, du public ou des snobs, desquels il sut se servir en maître » (* Diaghilev avait rajouté une particule à son patronyme sans doute pour en remontrer aux… snobs, particule qui n’existe pas en russe !)

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L’innovation la plus frappante apportée par les Russes était d’ordre décoratif/…./ Nos hôtes printaniers allaient nous émerveiller soudain par la coordination de leurs mises en scène, grâce à une unité de conception picturale/…./ Au point de vue musical, il avait fallu, au début, s’en tenir à des adaptations de Chopin, pour les Sylphides, de Schumann, pour le Carnaval, et de quelques compositeurs russes pour Cléopâtre.

(Fabuleuse interprétation d’Ernest Ansermet (l’un des premiers chefs à travailler pour et avec les Ballets russes) du Carnaval de Schumann orchestré pour le ballet par Glazounov et Rimski-Korsakov.)

« Un drame chorégraphique, audacieusement imaginé sur la symphonie Shéhérazade de Rimski-Korsakov, avait même soulevé la réprobation des héritiers du maître. Mais, dès la seconde année, Diaghilev allait demander à des musiciens d’avant-garde d’écrire spécialement des musiques de ballets. Et c’est ainsi que nous eûmes coup sur coup la révélation du génie de Stravinsky avec l’Oiseau de feu et Pétrouchka… »

Suite au prochain épisode !

Conseil discographique : l’un des interprètes les plus éclairés de ces fascinantes musiques créées pour les Ballets russes est le grand Ernest Ansermet.

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La reine Beatrice

Alain Lompech (sur Facebook) : Beatrice Rana vient de publier un disque fabuleux… Perlemuterorichtérogilelsien… Elle sait tout de l’art du piano et de la musique… On s’incline… et on applaudit à tout rompre…

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Jean-Charles Hoffelé (sur FB aussi, bientôt dans Classica) : Fabuleux et renversant.

Alain Lompech, encore : Elle est incroyable : la science de l’alchimie sonore et la perfection de l’analyse  plus la domination totale du clavier – alla Richter ou dans un genre différent Lipatti -, plus le son rond, ample, profond qui fait entrer tout le piano en transe sonore…
Ses Goldberg m’avaient bien sûr beaucoup plu, mais beaucoup moins que celles récentes de Gabriel Stern, je l’avais entendue en concert – malheureusement bridée par Krivine dans le 3ème de Prokofiev, entendue en récital… mais là d’un coup, elle ouvre grand ses ailes et, sans jamais faire l’intéressante, se hisse aux premiers rangs des pianistes de son temps…

J’ai téléchargé ce nouveau disque dès vendredi. Je serais bien incapable d’user de tous les qualificatifs que lui attribue Alain Lompech, je les partage complètement. Il faut aussi, et peut-être d’abord, ajouter que le programme de ce CD est d’une intelligence rare, et que c’est, à ma connaissance, la première fois que se côtoient Ravel et Stravinsky dans un disque de piano solo. Oui, tout ici est miraculeux. Finalement conforme à ce que j’ai aimé chez cette pianiste (tout juste 26 ans!) dès que je l’ai entendue en concert.

Le dimanche 26 janvier 2014, Beatrice Rana était la soliste d’un de ces concerts dominicaux qui font la joie d’un public familial à Paris. Fayçal Karoui dirigeait les Concerts Lamoureux et la jeune pianiste italienne jouait le 2ème concerto de Saint-Saëns. Subjugué, je fus immédiatement subjugué : la simplicité, l’absence de posture de la pianiste devant son clavier, une virtuosité et une maîtrise confondantes, sans esbroufe, le chic, l’allure qu’il faut dans cette oeuvre (qui commence comme Bach et finit comme Offenbach selon le bon mot de George Bernard Shaw).

Quelques mois plus tard, je retrouvais Beatrice Rana, complice du Quatuor Modigliani, au Festival d’Auvers-sur-Oise (Une fête de la musique) :

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« En seconde partie… le quintette pour piano et cordes de Schumann – on manque de superlatifs pour le qualifier ! et l’entrée en lice de Beatrice Rana, une musicienne de 22 ans dont j’ai déjà dit et écrit qu’elle a déjà tout ce qui fait d’elle une grande, une très grande artiste. Qui n’a besoin ni d’esbroufe ni de look savamment étudié pour imposer une présence. Au début du Schumann, on la trouvait presque effacée, trop discrète, face à ses compères du Modigliani, et puis on a vite compris que, mine de rien, c’est elle qui menait le train de ces quatre mouvements sublimes et suspendus de musique pure »

Il fallait absolument que j’invite Beatrice Rana au Festival Radio France à Montpellier. Elle y était déjà venue dans la série des jeunes solistes en 2012, mais cette fois je voulais qu’elle ouvre le festival dans la grande salle Berlioz du Corum. Le 11 juillet 2016. Et avec une première pour elle ! Rien moins que les Variations Goldberg de BachC’est à Montpellier qu’elle les donnerait pour la première fois en public, avant une tournée de récitals qui allait déboucher sur le premier disque de l’artiste italienne chez Warner.

Dans Le Monde du 12 juillet 2016, Marie-Aude Roux écrit : « Beatrice Rana n’a certes rien à prouver sur le plan technique. Mais sa maturité sereine et son sens architectonique impressionnent, qui font de cette œuvre monumentale – plus d’une heure et quart de musique – une véritable pierre de Rosette. Le thème initial de l’« Aria » semble en effet se poser comme une énigme. Elégance du phrasé, fluidité du jeu, sonorité d’une rondeur charnelle, Rana prendra le temps de dévoiler une à une les solutions proposées par chacune des variations ».

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Le 16 juillet 2018, Beatrice Rana revenait à Montpellier, encore pour une première pour elle : le 4ème concerto de Beethoven (« Lorsque je joue Beethoven, je ressens une grande responsabilité. C’était le cas pour ce concert ici à Montpellier, je jouais ce concerto pour la première fois, c’était beaucoup d’adrénaline ».

Entre-temps, elle avait publié son premier disque concertant, couplage à nouveau inédit, et toutes les qualités qu’on reconnaît à Beatrice Rana.

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Merci, chère Beatrice, de démontrer que virtuosité, maîtrise époustouflante du clavier peuvent se marier à la musicalité la plus pure, et que vous n’avez besoin d’aucun artifice, de ne cultiver aucun look provocateur ou aguicheur, pour avoir le public à vos pieds. Restez ce que vous êtes, une très belle personne, une très grande artiste !

 

Berlioz versus Stravinsky

Les Troyens c’est probablement l’ouvrage – un opéra en 5 actes ! – qui conforte ceux qui aiment autant que ceux qui détestent Berlioz. Les premiers y voient et y entendent les trouvailles géniales, l’absence de limites à une inventivité phosphorescente, les seconds y trouvent des longueurs loin d’être toujours « divines », les élucubrations d’un personnage mégalomane.

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Le spectacle qu’on a vu à l’opéra Bastille mercredi – devant un impressionnant parterre de directeurs d’opéras ! – n’aura sûrement pas fait changer d’avis les détracteurs du compositeur natif de La Côte Saint-André… mais pas non plus convaincu – c’est un euphémisme – ses admirateurs. On a connu metteur en scène plus inspiré (Dmitri Tcherniakov), fosse et plateau plus enthousiasmants. Occasion manquée. J’en reste au souvenir ébloui du spectacle vu à Amsterdam en 2010.

Consolons-nous si besoin avec quelques perles du coffret Berlioz (Berlioz Complete workscomme ce magnifique Nocturne à deux voix (jadis paru sous étiquette DGG)

Coffret Berlioz qui comprend la fantastique intégrale des Troyens captée à Strasbourg en novembre 2017 !

Signalons aux fans du ténor Michael Spyres – j’en suis ! – qu’il chantera le rôle-titre de Fervaal de Vincent d’Indy – en version de concert – le 24 juillet prochain à Montpellier dans le cadre du Festival Radio France !

Hier soir, à Radio France, célébration du talent et de la jeunesse : un violoncelliste de 20 ans devenu star mondiale par la grâce d’un mariage princier, un chef qui le toise du haut de ses…32 ans (!!) qu’on découvre à chaque concert, depuis 2014, plus pertinent, insolemment doué, charismatique – si le mot n’est pas trop galvaudé .

51600587_10156314440032602_7981583776243253248_nSheku Kanneh-Mason jouait le concerto d’Elgar et Santtu-Matias Rouvali dirigeait l’orchestre philharmonique de Radio France, en état de grâce, dans Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune, avec la flûte enchantée de Magali Mosnier) et Stravinsky (phénoménal Petrouchka). Rouvali avait déjà offert au public de Montpellier, en juillet 2018, un Sacre du printemps idiomatique, narratif, légendaire. Il renouvelle l’exploit avec Petrouchka, et quelle maîtrise exceptionnelle d’une partition qui reste, cent huit ans après sa création, d’une complexité intimidante pour les interprètes !

Un concert à écouter absolument sur francemusique.fr

Mon métier comporte son lot de contraintes, de déceptions, de désagréments, mais je les oublie vite quand j’ai la chance de rencontrer des artistes comme ces deux-là. Si simples, modestes, très conscients des risques d’une notoriété trop vite acquise, si profondément musiciens. Longue et belle vie à Sheku ! Quant à Santtu-Matias Rouvali, le prochain rendez-vous est déjà pris : il vient avec « son » orchestre philharmonique de Tampere à Montpellier pour deux concerts en juillet 2019 (#FestivalRF19) !

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Un Sacre centenaire

Comme promis hier (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/08/24/le-violon-davant-guerre/), suite des Mémoires de Robert Soëtens. Et un épisode essentiel de l’histoire de la musique, que le violoniste a vu, entendu et vécu en direct :

– « Le Pelléas de Debussy vous fit sans doute percevoir le frissonnement impressionniste tout comme, aux Ballets russes, le Prélude à l’après-midi d’un faune, interprété par Nijinski ?

R.S.:  » Sensations inoubliables, j’ai vu aussi Petrouchka dansé par lui et j’assistai à la première du Sacre au Théâtre des Champs-Elysées, le 29 mai 1913 – de même qu’à la première en concert, en 1914, dirigée par Monteux dans une salle de cinéma de la rue de Clichy –  devant un public si houleux que l’audition tourna au scandale, les cris enthousiastes des uns (les musiciens, artistes, intellectuels) provoquant les protestations des belles écouteuse révoltées… et suscitant la réaction de Florent Schmitt qui, se levant du parterre vers le premier balcon où péroraient ces dames, cria à tue-tête ces mots devenus historiques : Silence, les grues du 16ème ! Propos bien vivants de cette époque combative, créatrice, où les Demoiselles d’Avignon et le cubisme s’imposaient non sans révoltes, gestation de l’éclatement artistique que la paix de fin 1918 allait provoquer à Paris, comme partout ailleurs en Europe de 1919 à 1939. »

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(Les demoiselles d’Avignon, Pablo Picasso, Paris 1907)

Autre souvenir, inoubliable, ce Sacre du printemps donné trois fois dans une Caserne Fonck comble à Liège en févier 2007 avec la compagnie Heddy Maalem et l’Orchestre Philharmonique de Liège survolté sous la baguette de Pascal Rophé.

Au disque, il y a tant de fabuleuses versions du Sacre, que finalement la solution proposée par Decca… d’une quasi-intégrale de ces enregistrements (!) est la moins compromettante…61uDqFiobgL

Sans oublier l’incomparable Ernest Ansermet somptueusement réédité (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/05/06/ansermet-et-les-russes-8181542.html et https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/05/06/un-suisse-chez-les-russes/)

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