Démiurge

Je déteste les adjectifs excessifs, passe-partout, qui ne veulent plus rien dire tant ils sont galvaudés.

Mais, pour une fois, je vais qualifier le concert auquel j’ai assisté hier soir de fabuleux, fantastique, historique même !

IMG_3515

Un programme d’une belle intelligence d’abord : sur le papier, rien ne semble rapprocher Brahms et sa Troisième symphonie d’Harold en Italie de Berlioz.

Hier soir, l’enchaînement entre ces chefs-d’oeuvre paraissait évident, comme allant de soi !

Grâce, il faut le dire ici haut et fort, à celui qui préside aux destinées musicales de l’Orchestre National de France depuis bientôt deux ans, Emmanuel Krivine. Plutôt que chef d’orchestre, il faudrait le nommer démiurge ou alchimiste. Parce que c’est lui l’artisan de ce lustre retrouvé, de cette cohésion de chaque instant des pupitres, de ce bonheur collectif de jeu d’une phalange que j’ai personnellement toujours aimée pour sa singularité, ses couleurs, ses qualités individuelles…. et ses défauts !

Je ne crois pas avoir jamais entendu au concert la difficile Troisième symphonie de Brahms, avec cette allure, cette souplesse, l’écoute miraculeuse entre les pupitres, et, passé un premier mouvement encore corseté, cette liberté qui est le propre des grands attelages chef-orchestre. Sublime deuxième mouvement, avec son balancement idéal, ni pesant ni trop rapide, et les interventions magiques de la clarinette de Patrick Messina, du cor d’Hervé Joulain – pardon de ne pas citer les autres ! –

Et en seconde partie, une autre oeuvre finalement rare au concert, Harold en Italie de Berlioz, dont je parlais déjà dans mon billet du 8 mars dernier : Harold en Russie.

Berlioz l’évoque ainsi dans ses Mémoires

« Paganini vint me voir. “J’ai un alto merveilleux me dit-il, un instrument admirable de Stradivarius, et je voudrais en jouer en public. Mais je n’ai pas de musique ad hoc. Voulez-vous écrire un solo d’alto ? Je n’ai confiance qu’en vous pour ce travail.” “Certes, lui répondis-je, elle me flatte plus que je ne saurais dire, mais pour répondre à votre attente, pour faire dans une semblable composition briller comme il convient un virtuose tel que vous, il faut jouer de l’alto ; et je n’en joue pas. Vous seul, ce me semble, pourriez résoudre le problème.” “Non, non, j’insiste, dit Paganini, vous réussirez ; quant à moi, je suis trop souffrant en ce moment pour composer, je n’y puis songer ». J’essayai donc pour plaire à l’illustre virtuose d’écrire un solo d’alto, mais un solo combiné avec l’orchestre de manière à ne rien enlever de son action à la masse instrumentale, bien certain que Paganini, par son incomparable puissance d’exécution, saurait toujours conserver à l’alto le rôle principal. La proposition me paraissait neuve, et bientôt un plan assez heureux se développa dans ma tête et je me passionnai pour sa réalisation. Le premier morceau était à peine écrit que Paganini voulut le voir. À l’aspect des pauses que compte l’alto dans l’allegro : “Ce n’est pas cela ! s’écria-t-il, je me tais trop longtemps là-dedans ; il faut que je joue toujours.” “Je l’avais bien dit, répondis-je. C’est un concerto d’alto que vous voulez, et vous seul, en ce cas, pourrez bien écrire pour vous”. Paganini ne répliqua point, il parut désappointé et me quitta sans me parler davantage de mon esquisse symphonique. […] Reconnaissant alors que mon plan de composition ne pouvait lui convenir, je m’appliquai à l’exécuter dans une autre intention et sans plus m’inquiéter de faire briller l’alto principal. J’imaginai d’écrire pour l’orchestre une suite de scènes, auxquelles l’alto solo se trouverait mêlé comme un personnage plus ou moins actif conservant toujours son caractère propre ; je voulus faire de l’alto, en le plaçant au milieu des poétiques souvenirs que m’avaient laissés mes pérégrinations dans les Abruzzes, une sorte de rêveur mélancolique dans le genre du Childe-Harold de Byron. De là le titre de la symphonie : Harold en Italie. Ainsi que dans la Symphonie fantastique, un thème principal (le premier chant de l’alto) se reproduit dans l’œuvre entière ; mais avec cette différence que le thème de la Symphonie fantastique, l’idée fixe s’interpose obstinément comme une idée passionnée, épisodique, au milieu des scènes qui lui sont étrangères et leur fait diversion, tandis que le chant d’Harold se superpose aux autres chants de l’orchestre, avec lesquels il contraste par son mouvement et son caractère, sans en interrompre le développement. »

L’alto solo de l’ONF, Nicolas Bône, incarne à la perfection le « rêveur mélancolique » dont parle Berlioz, au milieu d’un orchestre brillant de mille feux, galvanisé par un chef qui lâche la bride à ses troupes en conservant une maîtrise confondante sur les incessants changements de rythmes et d’humeurs dont regorge la partition.

Salle en délire, longue ovation au soliste, à des musiciens visiblement heureux et à Emmanuel Krivine qui nous avouait que peu de chefs ont envie de diriger cette oeuvre, si complexe, exigeante dans la mise en place. Il aurait bien eu tort de s’en priver.. et de nous en priver.

Un concert exceptionnel à réécouter et revoir sur France Musique !

L’occasion de réécouter aussi l’une des grandes versions au disque de la 3ème symphonie de Brahms, l’enregistrement de 1963 d’Herbert von Karajan

et cette version – qui m’a fait découvrir Harold au disque ! – de Rudolf Barchai… dirigée par David Oistrakh !

https://www.youtube.com/watch?v=QLIIHxeqlQw

51PjmnOcmmL

J’en profite pour rappeler que l’Orchestre National de France et Emmanuel Krivine sont à Montpellier le 19 juillet prochain, dans le cadre du Festival Radio France, pour un programme choisi sur mesure : le Double concerto de Brahms et ma Seejungfrau bien-aimée de Zemlinsky !

Réservations très vivement conseillées : lefestival.eu

20H_19-LaPetiteSirene

Harold en Russie

Sesquicentenaire de sa mort oblige Berlioz fait l’actualité : c’est le 8 mars 1869 que le French revolutionary meurt à Paris…

71zISXVZZ8L._SL1024_

2635616

dans-les-kiosques-berlioz-fait-une-diapason_width1024

Une longue interview de « Monsieur Berlioz » alias Bruno Messina dans Le Monde de ce jour, au titre intrigant : Berlioz a cessé d’être ringard. Singulier, original, révolutionnaire oui, mais ringard vraiment ?

On ne se plaindra pas de l’abondance de nouveautés et de rééditions discographiques (voir Berlioz Complete works).

Par exemple de cette oeuvre si singulière qu’est Harold en Italie, « Symphonie en quatre parties avec alto principal »

61XQFOYh6gL

Berlioz l’évoque ainsi dans ses Mémoires

« Paganini vint me voir. “J’ai un alto merveilleux me dit-il, un instrument admirable de Stradivarius, et je voudrais en jouer en public. Mais je n’ai pas de musique ad hoc. Voulez-vous écrire un solo d’alto ? Je n’ai confiance qu’en vous pour ce travail.” “Certes, lui répondis-je, elle me flatte plus que je ne saurais dire, mais pour répondre à votre attente, pour faire dans une semblable composition briller comme il convient un virtuose tel que vous, il faut jouer de l’alto ; et je n’en joue pas. Vous seul, ce me semble, pourriez résoudre le problème.” “Non, non, j’insiste, dit Paganini, vous réussirez ; quant à moi, je suis trop souffrant en ce moment pour composer, je n’y puis songer ». J’essayai donc pour plaire à l’illustre virtuose d’écrire un solo d’alto, mais un solo combiné avec l’orchestre de manière à ne rien enlever de son action à la masse instrumentale, bien certain que Paganini, par son incomparable puissance d’exécution, saurait toujours conserver à l’alto le rôle principal. La proposition me paraissait neuve, et bientôt un plan assez heureux se développa dans ma tête et je me passionnai pour sa réalisation. Le premier morceau était à peine écrit que Paganini voulut le voir. À l’aspect des pauses que compte l’alto dans l’allegro : “Ce n’est pas cela ! s’écria-t-il, je me tais trop longtemps là-dedans ; il faut que je joue toujours.” “Je l’avais bien dit, répondis-je. C’est un concerto d’alto que vous voulez, et vous seul, en ce cas, pourrez bien écrire pour vous”. Paganini ne répliqua point, il parut désappointé et me quitta sans me parler davantage de mon esquisse symphonique. […] Reconnaissant alors que mon plan de composition ne pouvait lui convenir, je m’appliquai à l’exécuter dans une autre intention et sans plus m’inquiéter de faire briller l’alto principal. J’imaginai d’écrire pour l’orchestre une suite de scènes, auxquelles l’alto solo se trouverait mêlé comme un personnage plus ou moins actif conservant toujours son caractère propre ; je voulus faire de l’alto, en le plaçant au milieu des poétiques souvenirs que m’avaient laissés mes pérégrinations dans les Abruzzes, une sorte de rêveur mélancolique dans le genre du Childe-Harold de Byron. De là le titre de la symphonie : Harold en Italie. Ainsi que dans la Symphonie fantastique, un thème principal (le premier chant de l’alto) se reproduit dans l’œuvre entière ; mais avec cette différence que le thème de la Symphonie fantastique, l’idée fixe s’interpose obstinément comme une idée passionnée, épisodique, au milieu des scènes qui lui sont étrangères et leur fait diversion, tandis que le chant d’Harold se superpose aux autres chants de l’orchestre, avec lesquels il contraste par son mouvement et son caractère, sans en interrompre le développement. »

71K0uCc7g9L._SL1200_Dernière nouveauté, Tabea Zimmermann, qui avait déjà gravé Harold deux fois avec Colin Davis

On avait croisé Antoine Tamestit à la Côte Saint-André la veille de son concert avec John Eliot Gardiner. L’altiste français explique, de façon lumineuse, son rapport à l’oeuvre (Bachtrack, 11 février 2019)

« Harold en Italie est parfois mal compris, comme peut l’être la musique de Berlioz. Mais c’est un chef-d’œuvre où le génie inventif et créatif du compositeur se donne libre cours. À mes débuts, cette œuvre n’emportait pas totalement ma conviction. Je la trouvais un peu lourde et longue… le comble pour un altiste soliste français ! Mais les rencontres avec les chefs que sont Marc Minkowski, Valery Gergiev et surtout Sir John Eliot Gardiner ont fait évoluer mon approche : j’ai commencé à l’aborder comme un opéra, où je devrais apprendre à incarner un rôle, celui d’un voyageur inspiré, sensible et profond, à l’image de Berlioz peut-être….

Quand j’ai été conduit à l’interpréter, plusieurs facteurs m’ont fait évoluer : l’entendre jouée sur des instruments d’époque – ce qui provoque un changement profond de toute la couleur et donc de l’expression – a d’abord modifié ma perception. L’effet est réellement différent chez les cuivres mais aussi pour le son des cordes les plus aiguës. Les cuivres naturels et les cordes en boyau pur apportent plus de douceur, ce qui aide l’équilibre général, et donne une sonorité gagnant en couleur ce qu’elle perd en lourdeur. Berlioz maîtrise l’orchestration et provoque des mariages d’instruments inattendus, créant une atmosphère à ce point nouvelle qu’il me semble presque y voir l’apparition de l’impressionnisme…

Ma compréhension du rôle de l’alto solo a, elle aussi, beaucoup évolué. Bien sûr nous n’avons pas là un concerto romantique traditionnel, mais ce que Paganini n’a peut-être pas su comprendre, c’est que l’altiste est Harold (qui est Hector lui-même ?) et doit jouer un rôle prépondérant dans cette fresque dramatique qui retrace le séjour artistique si décisif de Berlioz en Italie. Il m’a fallu du temps pour ressentir les expressions cachées derrière chaque intervention de l’alto, et même ses sentiments pendant les tutti durant lesquels il se tait ! Il évolue de la mélancolie au bonheur, à la joie et même la fierté, en passant par la spiritualité et la foi, l’enthousiasme, l’amour et même l’angoisse et la peur, avant de finir bienheureux au sein d’un… quatuor ! »

Adolescent, j’ai découvert l’oeuvre avec une version vinyle que j’ai toujours trouvée exceptionnelle, idiomatique, alors qu’elle était a priori très éloignée des canons établis par les chefs estampillés « berlioziens »…J’ai longtemps déploré que ce disque soit devenu introuvable. Il n’a été édité qu’assez récemment et un peu en catimini en CD :

51PjmnOcmmL

L’alto de Rudolf Barchai (1924-2010) y est incroyablement poétique, il « est » littéralement le personnage de Harold, et la direction de David Oïstrakh continue de m’éblouir à chaque écoute. Dommage que cette version admirable ne soit jamais et nulle part citée comme référence, ni même citée tout court…

 

https://www.youtube.com/watch?v=ZPvGySdtnQc

https://www.youtube.com/watch?v=QLIIHxeqlQw

https://www.youtube.com/watch?v=oRbL9JgJCqQ

 

 

K. père et fils

Ce qu’il y a de sympathique dans des soirées comme Les Victoires de la Musique classique, c’est qu’on peut y croiser évidemment beaucoup de professionnels… et de musiciens qui se trouvent être parfois aussi des amis !

Ainsi les hasards du placement dans la grande salle de La Seine Musicale m’ont amené tout près d’un musicien que j’admire depuis longtemps, avec qui j’ai eu le bonheur de lancer plusieurs projets discographiques, et qui, mercredi soir, était présent comme supporter d’un  autre magnifique musicien, son fils. Je veux parler de Jean-Jacques Kantorow, grand violoniste et chef d’orchestre, et d’Alexandre Kantorow, magnifique pianiste que le public du Festival Radio France avait pu applaudir en 2016 (à 19 ans!).

Alexandre concourait dans la catégorie « Révélation Soliste instrumental » aux côtés d’un autre pianiste très talentueux, Théo Fouchenneret (qui lui inaugurera la série Découvertes du Festival Radio France 2019 le 11 juillet !) et du guitariste Thibaut Garcia (lui aussi invité des dernières éditions du festival occitan). Le pronostic du père – soutien d’un grand label, campagne médiatique bien organisée – penchait en faveur du guitariste. Pronostic confirmé, sans surprise.

Je ne vois, quant à moi, pas l’intérêt de voter pour départager de jeunes talents en devenir : les téléspectateurs ont pu entendre les trois « nommés », ils étaient tous les trois exceptionnels. Alexandre Kantorow n’avait pas choisi la facilité avec l’ébouriffant finale du 2ème concerto de Tchaikovski, à écouter ici à 1h3 !

L’un des premiers disques du pianiste  est un duo avec son père, dans des répertoires peu courus :

71hXlk3PiBL._SL1448_

71XxUi4TCaL._SL1208_

51ViswKWnpL

On n’a pas de peine à imaginer que le jeune homme poursuivra une trajectoire victorieuse… avec ou sans trophée ! Il n’a rien d’un météore..

Le père, Jean-Jacques, je l’ai découvert comme violoniste. D’une virtuosité flamboyante.

 

C’est avec lui que j’ai découvert le Chevalier de Saint-Georges

51D3DXW71CL

51aq9Trd0BL

Mais c’est comme chef d’orchestre que je vais mieux connaître Jean-Jacques Kantorow, lorsque l’Orchestre philharmonique royal de Liège est sollicité à l’été 2010 par Naïve pour un disque de concertos avec Laurent Korcia. Le violoniste français a demandé à être « en confiance » avec un chef de son choix : son aîné se révélera précieux au fil de sessions parfois compliquées par les humeurs changeantes du soliste. Résultat : un disque magnifique, multi-récompensé !

51rztH21aLL

Pour les musiciens de l’OPRL, Jean-Jacques Kantorow est une révélation : déployant des trésors de patience il est d’une exigence constante et souriante qui en impose à tous. Forts de cette première expérience réussie, nous allons programmer plusieurs autres projets, comme cette intégrale concertante d’un compositeur Lalo mal-aimé du disque

81Ip80XjDtL._SL1500_

Juste avant que je ne quitte la direction de l’OPRL, nous lancerons une nouvelle aventure chez  Musique en Wallonie, la musique concertante et symphonique d’Ysaye.

81PCUA30NbL._SL1200_

51IbiwU2V3L

Il y a quelques mois sortait ce couplage inédit de deux concertos finnois :

912OH85m7oL._SL1200_

Mais le bonheur de revoir Jean-Jacques Kantorow mercredi soir a été ravivé, s’il en était besoin, par l’annonce qu’il m’a faite de la réalisation prochaine chez BIS d’un projet que j’avais nourri depuis plus de dix ans, dans la ligne éditoriale qui est la marque de la phalange liégeoise : l’intégrale des symphonies de Saint-Saëns, avec Thierry Escaich sur les grandes orgues Schyven de la Salle philharmonique pour la 3ème symphonie. Dejà impatient !

L’île berlinoise

C’est devenu une tradition. Entre mon anniversaire, le 26, et la Saint-Sylvestre, je m’échappe vers une ville où je peux faire le plein de musique et de musées, l’an dernier Leipzig et Dresde, que je ne connaissais pas, cette année Berlin où je suis venu si souvent en coup de vent pour un concert ou un congrès professionnel.

Première visite à la Alte Nationalgallerie, où j’ai enfin vu le tableau qui manquait à ma galerie de l’Île des morts de Böcklin. Il y a longtemps, à Bâle, en 2012 à New York, en 2013 à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg – avec cette énigme L’île mystérieuse,et l’an dernier à Leipzig en majesté dans ce fabuleux Museum der bildenden Künste

IMG_0517

Tableau toujours aussi fascinant…

Pour rappel, deux compositions également fascinantes, le poème symphonique éponyme de Rachmaninov, et la tétralogie symphonique de Reger, dans d’immenses versions :

815o92UdZLL._SL1500_Version/vision légendaire de Fritz Reiner captée en 1957 à Chicago, reprise dans la sélection de Diapason

41I--npuRRL

https://www.youtube.com/watch?v=V5-PeW66-W8

 

 

81XbbBGvTgL._SL1410_

Lecture éminemment inspirée de la fresque symboliste de Reger due au grand Schmidt-Isserstedt, à qui j’ai promis de consacrer bientôt un portrait…

En attendant de trier les photos prises à la Alte Nationalgallerie (toute une salle dédiée à Caspar David Friedrich !) ces quelques toiles ou sculptures liées à la musique :

IMG_0523

L’un des célèbres portraits de Wagner par Franz von Lenbach (1832-1904)

Buste de Wagner par Lorenz Gedon.

Quant à ce portrait de groupe, il vaut plus pour la qualité de ceux qui sont représentés que pour son intérêt artistique :

IMG_0465

De Joseph Danhauser (1805-1845), l’un des représentants de la période Biedermeierce tableau de 1840 montrant Liszt au clavier. Face au buste de Beethoven, sa compagne d’alors, la comtesse Marie d’Agoult à ses pieds, le virtuose est bien entouré : assis à gauche, Alexandre Dumas et George Sand. Au second plan, debout, de gauche à droite, le jeune Victor Hugo, Paganini et Rossini !

Mais puisqu’on est venu à Berlin pour la musique, première étape hier soir à la Komische Operpour un spectacle qui tenait tout à la fois du cabaret Chez Michou, de l’opérette viennoise, des Folies Bergère, Les Perles de Cléopâtre d’Oscar Straus (qui décida lui-même d’ôter un S à son nom, pour ne pas être confondu avec le reste de la dynastie Strauss, avec laquelle il n’avait pas lien de parenté).

On a bien ri, on s’est bien amusé, une partition bien troussée, même si elle n’approche ni Strauss (Johann) ni Lehar.

IMG_0555

 

Quand Rachmaninov rime avec Trifonov

La dernière fois que je l’ai entendu en concert, c’était en décembre 2013 à la Salle Pleyel, dans le cadre du cycle Chostakovitch que donnaient Valery Gergiev et son orchestre du Marinski de Saint-Pétersbourg. Il avait tout juste 22 ans, auréolé de ses prix aux concours Chopin  et Tchaikovski. Daniil Trifonov m’avait proprement soufflé par son interprétation du premier concerto de Chostakovitch pour piano et trompette.

Parce que, dans cette oeuvre en particulier, le jeune virtuose conjuguait à peu près toutes les qualités que j’attends d’un interprète :  la technique transcendante, le grain de folie, la variété des humeurs, l’élan poétique. Et finalement ce quelque chose d’indéfinissable, qui le rend unique.

Un premier disque Rachmaninov m’avait mis en joie, une belle alliance entre Daniil Trifonov et le jeune patron de l’orchestre de Philadelphie, un autre surdoué, Yannick Nézet-Séguin (lire Eveil d’impressions joyeuses et Yannick à Rotterdam)

 

5123MGs1BvL

Un deuxième disque vient de paraître ce 12 octobre et, après déjà trois écoutes en continu, je ne peux qu’approuver en tous points l’analyse qu’en fait François Hudry pour QOBUZ :

… Les noces entre Rachmaninov et Daniil Trifonov avec Yannick Nézet-Seguin et le Philadelphia Orchestra s’avèrent somptueuses. Leur version du 2e Concerto renouvelle le miracle de versions mythiques comme celles de Rachmaninov lui-même ou de Earl Wild.

Destination Rachmaninov dit l’album en guise de titre. Le problème c’est que l’on n’a pas envie de descendre du train dans lequel le jeune pianiste russe est bien installé en regardant le paysage défiler… Et quels paysages…car Trifonov et Nézet-Seguin ont une vue aussi large que les grands espaces russes ; le piano volubile, liquide, électrique, aérien, mais aussi puissant de Trifonov répond à l’opulence de l’orchestre. Une pâte sonore jamais pesante mais, au contraire, toujours en mouvement avec une souplesse épousant tous les mélismes et les humeurs d’une partition qui fêtait le retour à la vie d’un compositeur atteint d’une grave dépression.

La grande surprise de ce disque provient pourtant du 4e Concerto, le mal-aimé de la série, qui prend ici les teintes de la mélancolie et s’inscrit dans la suite logique des trois autres avec la même puissance expressive grâce à ces interprètes d’exception. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, saluons une prise de son superlative « à l’ancienne » rendant parfaitement justice à la largeur des phrasés, à l’épaisseur des cordes et aux séduisantes couleurs des cuivres et de la petite harmonie du célèbre orchestre américain.
En prime et sous la forme de formidables bis discographiques, quelques extraits de la Troisième Partita pour violon de Bach dans une transcription virtuose de Rachmaninov. A écouter d’urgence !

© François Hudry/QOBUZ

71x11r-cWeL._SL1200_

 

Si je devais apporter un bémol à mon enthousiasme, ce serait sur le 3ème mouvement du  Deuxième concerto. Je le préfère, je l’entends plus électrique, plus nerveux comme dans l’inoubliable version Katchen/Solti (voir Rachmaninov et MarilynMais le tandem Trifonov/Nézet-Séguin est d’une telle qualité d’écoute réciproque, de liberté poétique, qu’on accepte sans réticence leurs tempi buissonniers. Et pour le Quatrième concerto l’on tient certainement la meilleure version de la discographie rachmaninovienne (malgré les beautés du piano d’Arturo Benedetti Michelangeli, si pâlement secondé par Ettore Gracis dans la légendaire version EMI de 1957).

On imagine que le Troisième concerto suivra bientôt. On peut déjà présumer qu’on ne sera pas déçu, à l’écoute de ce « live » capté en 2014 à Verbier.

D’autres « preuves » de la personnalité si unique de Daniil Trifonov ? Depuis un miraculeux « live » de Geza Anda, je n’ai jamais entendu plus libres et poétiques Etudes op.25 de Chopin que celles-ci lors du Concours Artur Rubinstein de Tel Aviv (2011)

https://www.youtube.com/watch?v=gLZ4WJiDldU

Mêmes impressions avec les Etudes d’exécution transcendante de Liszt.

Une chose est sûre : Rachmaninov rime désormais avec Trifonov !