Authentiques

Je m’apprêtais à évoquer la figure singulière du chef Christoph von Dohnányi et un nouveau coffret (voir ci-après) lorsque j’ai appris le décès, ce 9 octobre, d’un autre chef très singulier, le Finlandais Leif Segerstam

Leif Segerstam (1944-2024)

Le chef et compositeur finlandais Leif Segerstam est mort le 9 octobre, sans susciter de réaction notable en France où il a été plutôt rare. Mais nul discophile n’ignore son nom.

J’ai un souvenir personnel de ce chef à Genève. Je ne me rappelle plus pourquoi (ni par qui) il avait été engagé pour diriger l’Orchestre de la Suisse Romande dans le studio Ansermet de la maison de la Radio suisse romande, bd Carl Vogt. Mais c’est moi qui avais « négocié » une partie du programme, l’autre étant imposée (un concert UER ?). En première partie, une symphonie (la 21e ou 25e ?) parmi les 371 (oui 371 !) qu’a laissées le chef-compositeur, la création d’un concerto pour trompette d’un compositeur ayant remporté, je crois, le concours de composition Reine Marie-José* – le soliste étant Jouko Harjanne – et en deuxième partie les quatre Légendes de Sibelius.

Segerstam à l’époque – vers la fin des années 80 – portait déjà barbe nourrie et embonpoint certain. En le voyant se mouvoir et diriger, j’avais toujours l’image de Brahms à la fin de sa vie.

On ne peut pas dire que la comparaison soit forcée !

Les deux ou trois fois où j’ai entendu et vu diriger Leif Segerstam comme les disques que j’ai de lui, laissent l’empreinte d’une personnalité profondément originale, d’un musicien qui n’a cure d’aucun dogme, d’aucune convenance dans sa manière d’approcher une oeuvre. Et cela donne toujours, toujours, un résultat étonnant. Surtout ne pas limiter Segerstam à la sphère scandinave, où il est bien entendu chez lui, mais pas seul. Il n’est que d’essayer de consulter sa discographie pour constater qu’il a embrassé un répertoire incroyablement vaste.

J’ai ainsi découvert l’oeuvre symphonique du Français Louis Aubert (1877-1968) grâce à lui

J’aime beaucoup, même si ce n’est pas mon premier choix, sa version de l’opéra de Korngold, Die tote Stadt

Et puisque mon premier souvenir au concert des quatre Légendes de Sibelius, c’est à lui que je le dois, je découvre avec bonheur cette récente captation de concert à Turku, dont il était le chef depuis 2012.

On ne peut d’un seul article faire le tour d’une personnalité aussi protéiforme, mais encore un mot de son oeuvre de compositeur. Le nombre de ses symphonies fait sourire : 371 achevées. Voici au hasard l’une d’elles… sans chef !

Impossible d’établir une discographie. Quelques indispensables néanmoins pris dans ma discothèque :

Christoph von Dohnányi #95

Je l’annonçais à l’occasion d’un billet sur Bruckner. Il a fallu attendre qu’il fête ses 95 ans le 8 septembre dernier pour que son éditeur de toujours – Decca – songe à honorer Christoph von Dohnányi ! Pourquoi n’a-t-on retenu que les enregistrements réalisés à Cleveland, alors qu’en y adjoignant ceux de Vienne (avec les Wiener Philharmoniker) on n’aurait pas vraiment alourdi le coffret ?

Contenu du coffret :

CDs 1–5 MOZART
Symphonies 35, 36, 38, 39, 40, 41
Bassoon Concerto K.191
Clarinet Concerto K.622
Flute & Harp Concerto K.299
Oboe Concerto K.314 
Serenade No.13 “Eine kleine Nachtmusik”
Sinfonia concertante K.364

CD 6
BERLIOZ Symphonie fantastique
WEBER/BERLIOZ L’Invitation a la valse

CDs 7 & 8 SCHUMANN
Symphonies 1–4

CD 9
BRAHMS Violin Concerto
SCHUMANN Violin Concerto

CDs 10–16 BRUCKNER
Symphonies Nos. 3–9

CDs 17–22 WAGNER
Das Rheingold
Die Walküre

CD 23 R. STRAUSS
Ein Heldenleben
Till Eulenspiegels lustige Streiche

CDs 24–28 MAHLER
Symphonies Nos. 1, 4, 5, 6 & 9

CD 29 SMETANA
Dvě vdovy (The Two Widows): Overture & Polka
Hubička (The Kiss): Overture
Libuše: Overture
Prodana nevěsta (The Bartered Bride):
Overture & 3 Dances
Vltava (The Moldau)

CDs 30–36
BARTÓK Concerto for Orchestra
Music for strings, percussion & celesta
DVOŘAK Symphonies 6, 7, 8 & 9 ・ Scherzo capriccioso
Slavonic Dances Opp. 46 & 72
JANAČEK Rhapsody for Orchestra “Taras Bulba”
Capriccio
LUTOSŁAWSKI Concerto for Orchestra ・ Musique funebre
MARTINŮ Concerto for string quartet & orchestra
SHOSTAKOVICH Symphony No.10

CD 37 WEBERN
Fuga (Ricercata) aus dem Musikalischen Opfer
Im Sommerwind ・ Passacaglia ・ 5 Pieces Op.10 ・ 6 Pieces Op.6a
Symphony Op.21 ・ Variations Op.30

CDs 38 & 39
CRAWFORD SEEGER Andante for Strings
IVES Orchestral Set No.2
Symphony No.4
Three Places in New England (Orchestral Set No.1)
The Unanswered Question
RUGGLES Men and Mountains ・ Sun-treader
VARESE Ameriques

CD 40
BIRTWISTLE Earth Dances
HARTMANN Adagio (Symphony No.2)
SCHOENBERG 5 Orchesterstücke Op.16

Tous ces disques ont été à un moment ou un autre disponibles, mais plus dans les pays anglo-saxons qu’en France, où pourtant le chef allemand a officié plusieurs années à la tête de l’Orchestre de Paris. On m’a rapporté naguère que son mauvais caractère ne lui avait pas toujours attiré les sympathies des musiciens…

Je vois sur le site de la Philharmonie de Paris la captation d’un concert de 2019 – que j’ai manqué ! – où l’on remarque avec émotion la présence à la première chaise du regretté Philippe Aïche, disparu il y a deux ans déjà (lire Les morts et les jours)

https://philharmoniedeparis.fr/fr/live/concert/1104230-orchestre-de-paris-christoph-von-dohnanyi

Ecouter Dohnanyi c’est comme respirer une tradition venue en ligne directe d’Europe centrale, un style, une rigueur, une puissance, qui conviennent autant à Haydn ou Mozart qu’à Brahms, Schumann, Bruckner, Mahler ou à Schoenberg. On a de tout cela dans ce coffret, et bien sûr le son inimitable de Cleveland.

Cette captation de la 2e symphonie de Schumann au Carnegie Hall de New York en 2000 est d’autant plus émouvante qu’elle est introduite par celui qui fut l’inamovible président de la mythique salle, le violoniste Isaac Stern, déjà très fatigué par la maladie qui allait l’emporter quelques mois plus tard.

* Marie-José de Belgique (1906-2001), dernière reine d’Italie par son mariage avec Umberto II qui a régné 35 jours de mai à juin 1946, vit à partir de 1947, séparée de son mari, au château de Thônex dans la banlieue de Genève, et participe activement à la vie musicale et culturelle de la région. C’est ainsi qu’elle fonde en 1959 un Prix international de composition musicale.Elle est la grand-tante de Philippe, l’actuel roi des Belges,

Des nouvelles de près, de loin

De Suisse

J’écris pour Bachtrack, je l’ai fait un temps pour Forumopera, mais je lis les autres sites surtout lorsque j’y découvre des pépites: il y a peu je suis allé sur ResMusica pour lire une critique d’un concert que j’avais moi-même chroniqué, et je suis tombé sur un puis des articles évoquant la vie musicale suisse, les compositeurs helvètes, signés Joseph Zemp. Comme j’ai un cousin – dans ma très nombreuse famille maternelle – qui porte le même patronyme que notre illustre ancêtre commun (Joseph Zemp) – j’ai interrogé la rédactrice en chef du site pour voir si ce rédacteur très cultivé pouvait être… ce cousin dont j’avais un peu perdu le contact, et j’ai reçu un long courriel de la part de ce cher cousin qui m’a confié être un collaborateur régulier de ResMusica depuis 2021 ! Joseph m’avait naguère orienté vers les livres de son ami Étienne Barilier (lire Musiques de l’exil), un écrivain que je connaissais de nom depuis mes années à la Radio Suisse romande, mais que je n’avais pas lu à ma grande honte. Je me suis rattrapé depuis… Je vais désormais suivre régulièrement la plume de Joseph Zemp sur ResMusica. Sa dernière chronique est consacrée à un compositeur bien oublié et pourtant bien singulier : Vladimir Vogel (1896-1984)

D’Italie

J’avais brièvement évoqué ici un artiste italien, dont on ne comprend pas pourquoi il est aussi peu connu en France – comme le relevait Jean-Charles Hoffelé sur son blog : Hors Chopin -, le pianiste Pietro de Maria (lire Frontières), qui a complété, il y a peu, une intégrale de l’oeuvre pour piano de Chopin, que je ne cesse d’admirer au fur et à mesure que je la réécoute, par les deux concertos.

De Finlande

J’ai très souvent évoqué ici la Finlande, ses compositeurs, ses interprètes, encore récemment à l’occasion de la parution du coffret Paavo Berglund (Fleurs de Paavo). Comme je le fais périodiquement, je me replonge dans tel ou tel « quartier » de ma discothèque. Sur Facebook une discussion s’engageait sur les qualités d’interprète de Sibelius d’un grand chef britannique – Alexander Gibson (1926-1995) – que j’eus le bonheur de connaître en 1992 lorsque je fis partie du jury du Concours de jeunes chefs d’orchestre de Besançon qu’il présidait.

Et sur un disque catalogue acheté jadis à Helsinki, je trouve une oeuvre que j’avais dû écouter distraitement et qui n’est pas de Sibelius, mais de Robert Kajanus (1856-1933) qui fut l’un des tout premiers chefs à diriger et promouvoir Sibelius. C’est un poème symphonique intitulé Aino composé en 1885, dont Sibelius s’est inspiré pour sa musique tirée du Kalevala, comme son vaste Kullervo qui date de 1892.

Pourquoi Lars ?

La mort, annoncée il y a quelques instants, du pianiste et chef d’orchestre allemand Lars Vogt me, nous révolte. Comme le baryton russe Dmitri Hvorostovsky, le musicien n’avait rien caché du cancer qui le rongeait et qu’il semblait avoir surmonté. Et puis le cancer l’a vaincu, à 51 ans. Et la tristesse submerge ceux qui aimaient l’homme autant que le musicien.

J’ai connu Lars Vogt d’abord par le disque, puis je l’ai entendu « en vrai » dans un contexte tragique – l’attentat contre Charlie Hebdo – : lire Le silence des larmes. Quand il a été nommé en 2019 chef de l’Orchestre de chambre de Paris, je m’en suis réjoui pour l’orchestre d’abord, pour la vie musicale parisienne aussi, et j’en avais félicité la présidente – Brigitte Lefèvre – et le directeur général – Nicolas Droin. Mais la réjouissance a été de courte durée, Lars Vogt n’ayant rien caché du combat auquel il était confronté : lire dans Diapason Son combat contre le cancer.

Je reviendrai sur la discographie de ce magnifique musicien, qui n’a pas eu en France la notoriété qu’il avait acquise dans son pays natal et au Royaume-Uni. Sur sa « carrière » aussi qui était tout sauf d’une star, mais d’un homme immensément cultivé et curieux.

Ecoutons-le dans Schumann

Lars Vogt et l’Orchestre de chambre de Paris ont juste eu le temps d’enregistrer les concertos de Mendelssohn. Un disque indispensable. Il faut écouter ce que Lars Vogt en dit.

So long Lars…

Grand piano

Jeudi au Théâtre des Champs Elysées Michel Dalberto remplaçait le cher Menahem Pressler, retenu aux Etats-Unis pour raisons de santé.

fantastique_fantastique_dalbertoMichel avait repris la plus grande partie du programme prévu par son aîné, et pour qui, comme moi, avait encore dans l’oreille les derniers récitals de Menahem Pressler, la confrontation était passionnante.

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Une première partie viennoise, le rondo K.511 de Mozart et la sonate D 894 de Schubert. Autant le vieux maître, fondateur du mythique Beaux Arts Trio, n’est que douceur, tendresse, confidence – prudence parfois pour ne pas risquer une perte de contrôle digitale – autant le pianiste français joue de toute la palette d’un piano somptueux et de toutes les ressources stylistiques de ces chefs-d’oeuvre. Ce n’est pas une surprise, on sait que Michel Dalberto est dans son élément naturel, depuis son grand Prix du Concours Clara Haskil en 1975, et les disques exceptionnels qu’il a consacrés à Schubert (dont une intégrale parue chez Denon republiée par Brilliant Classics).

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Deuxième partie, du piano plus impérial encore si c’est possible, Debussy et Chopin, si proches finalement, le Prélude op.45, cinq mazurkas, la 4e Ballade, trois extrais du 2e cahier d’Images. Et deux bis qui n’avaient rien de fortuit : d’abord pour rendre hommage à  Pressler La soirée dans Grenade de Debussy puis à son maître Vlado Perlemuter, une phénoménale Ondine (le premier volet de Gaspard de la nuit) de Ravel.