Les mots de nos maux

Les mots qui ne veulent rien dire

La tragique actualité de ces derniers jours -les pompiers ensevelis à Laon, la surveillante de collège poignardée à Chaumont, subit malheureusement toujours le même traitement de la part des médias et des politiques. On sait à l’avance les mots qui seront prononcés et qui ne veulent plus rien dire : que veut dire « exprimer sa solidarité » à des victimes, à des personnes endeuillées?. De la compassion oui (mais connait-on encore ce mot ?), des condoléances aussi, une communion de pensées. Et ces micro-trottoirs indécents, où l’on s’empresse de mettre un micro sous le nez de témoins, d’habitants d’une cité meurtrie pour obtenir là aussi des mots qu’on ne sait pas, plus, manier. On ne parle pas des ministres, condamnés depuis des lustres, à faire les mêmes promesses de réponses énergiques et déterminées à des actes insupportables… Les minutes de silence se succèdent au Parlement, et parfois dans les classes d’écoles (où elles ne sont même pas toujours respectées). Pendant ce temps, les extrêmes prospèrent, les populismes triomphent (cf. mes brèves de blog d’hier)

Le choix des mots pour dire les choses, pour dire les maux, est essentiel : Les mots justes. Au lieu de cela, on jargonne, on répète ad nauseam des expressions toutes faites (lire mon Petit dictionnaire incorrect de mots actuels)

Heureusement, il y a des journalistes qui sauvent l’honneur de leur profession, comme Nathalie Duelz, dont je reproduis le texte qu’elle a publié ce matin sur Linkedin :

Impact

« Je présente mes plus sincères condoléances à la famille des verbes « influencer », « affecter », « toucher », « influer », et bien d’autres, mais aussi à celles des mots « conséquence», « effet », « incidence »,« répercussions », malheureusement morts ou en passe de l’être. Tous victimes d’un seul et même verbe qui n’existe même pas : « impacter » !

Combien de fois n’entend-on pas ou ne lit-on pas au cours d’une journée, « il a impacté », c’est « impactant, « il a eu un impact sur ». Une utilisation familière (et erronée) importée du verbe anglais « to impact ».

« Ce nouveau contrat aura une incidence sur les profits de l’entreprise » est tout de même plus beau (et correct) que « ce nouveau contrat impactera les profits de l’entreprise », non ?

N’est-on pas suffisamment entourés de violence et de guerres pour, en plus, dans notre quotidien, user et abuser d’un mot qui à l’origine se rapporte à un projectile qui frappe un autre corps ou endroit ? »

(Nathalie Duelz / Le Vif)

Les mots de la musique

Il y a aussi des lecteurs qui ne savent pas lire. J’ai donné à lire sur un groupe Facebook consacré aux chefs d’orchestre l’article que je consacrais dimanche à la nouvelle version de la Symphonie fantastique dirigée par Klaus Mäkelä.

En précisant bien que je limitais mes comparaisons aux seules versions de l’Orchestre de Paris et de ses chefs successifs, en signalant in fine l’excellence de la version Markevitch/Lamoureux.

Que de commentaires ridicules sur ce jeune chef – qui n’est évidemment pas à la hauteur des grands anciens – sur ce disque – et de dévider l »habituelle liste des « références » incontournables ! Sans qu’évidemment aucun de ces « commentateurs » n’ait lu la moindre ligne de mon article.

On est sur du lourd

Cela faisait un moment que ça me démangeait (Les mots/maux du samedi), que je note aussi souvent que possible les mots, les expressions à la mode. Et voici que mon hebdomadaire préféré du mercredi me tend une perche :

Quel régal ! On pourrait bien y rajouter : « Bonne dégustation » (« bon appétit » ça fait trop cheap !).

Enjeux et accompagnement

La langue qu’affectionnent tout ensemble les politiques, l’administration, les services dits publics – liste absolument non exhaustive ! – évolue elle aussi. Il suffit de lire par exemple les annonces de nominations du Ministère de la Culture : ce sont toujours les mêmes mots, les mêmes expressions passe-partout, qui ne veulent finalement rien dire, qui n’expriment aucun point de vue.

Exemple récent (on a masqué les noms et les lieux) :

« Elle propose un projet artistique et culturel pluridisciplinaire intitulé « Imaginons ensemble », qui prône l’éclectisme, prend en compte les enjeux contemporains liés à l’environnement, aux mutations technologiques, au rapport au vivant ou encore à l’inclusion./…./ D’autres artistes, d’esthétiques différentes, seront associés, choisis pour leur capacité d’ouverture, leur engagement et leur générosité en direction des publics les plus divers… pour raconter le monde.

X. accompagnera la jeune création dans le cadre du dispositif Emergences, et les compagnies régionales bénéficieront de soutiens en résidence. Une attention particulière sera apportée à la jeunesse, par des formes dédiées pour les adolescents, et un festival dédié aux pratiques amateurs.« 

Cette phraséologie, ce vocabulaire, sont le lot commun de tous les rapports, documents administratifs.

Deux termes m’irritent particulièrement : l’enjeu a remplacé, en fréquence d’usage, le mot sujet – plus neutre sans doute que « problème » ou « question ». Pas un ministre, un responsable public qui n’évoque les « enjeux » du moment… Pire sans doute, le détournement du mot « accompagner » : on vous annonce une mauvaise nouvelle (la perte d’un emploi, une maladie, une situation conflictuelle, etc.), ne vous inquiétez pas, on va vous « accompagner« ….

Ce petit bouquin de Jean-Loup Chiflet est toujours d’actualité

Chiflet aime faire la chasse aux mots flous et vagues, creux et inutiles, qui polluent, qui irritent, bref, qui agacent notre langue au quotidien !

« Il s’inscrit donc en faux contre ce n’importe quoi qui le gave gravesi vous voyez ce qu’il veut dire, mais il juge personnellement qu’il existe au jour d’aujourd’hui un consensus franco-français au niveau de cette dangerosité. Voilà. C’est clair ? Y a pas de soucis ? Alors, bon courage ! A plus ! Et bonne fin de journée !« 

Les mots interdits

Parmi les causes sinon du dépérissement du moins de l’appauvrissement du débat public (La politique du radio-crochet) au profit d’un politiquement correct insipide et insignifiant, il y a cette incapacité des gens de pouvoir, de parole ou de plume, à mettre les mots sur les êtres et les choses.

Je veux dire l’incapacité à parler comme tout le monde avec des mots que tout le monde comprend.

Quand l’équipe de France de foot a gagné le Mondial en 1998, je ne sais plus qui avait éloquemment décrit cette équipe victorieuse : black, blanc, beur. Et tout le monde avait compris, non ? Aujourd’hui on eût écrit : une équipe qui se distingue par la mixité de ses membres pour beaucoup issus de la diversité ! En voilà un beau concept : la diversité ! Vous êtes né en Martinique ou à la Réunion ? Votre père est camerounais et votre mère norvégienne ? Vous en avez de la chance, vous êtes « issu de la diversité »…. Mais ça ne marche pas pour tout le monde : tenez moi par exemple, mon père était vendéen (enfin presque, sa mère était originaire de la région parisienne), ma mère est née et a grandi au beau milieu de la Suisse alémanique (celle qui parle le Schwyzerdütsch!), ils se sont rencontrés à Londres, mais je ne suis pas « issu de la diversité »…

Certes  l’usage de périphrases n’est pas d’hier. Longue maladie pour cancer, technicien de surface pour homme ou femme de ménage, hôte(sse) de caisse pour caissier(e), etc. Mais, à l’occasion des Jeux paralympiques de Rio, on ne parle plus de handicapés, mais, selon les cas, de personnes en situation de handicap ou de personnes à mobilité réduite (avec l’acronyme qui va avec, les PMR !). Tout comme on ne dit plus aveugle ou sourd, mais malvoyant ou déficient auditif !

Le monde de l’éducation, à commencer par la ministre, n’est pas le dernier à imposer une novlangue hermétique. Les réseaux sociaux s’emparent régulièrement des textes et circulaires que pond la haute administration du ministère de la rue de Grenelle. Pour cette rentrée, on ne parle plus de ZEP (zone d’éducation prioritaire), mais de quartiers sensibles ou, mieux, de populations fragiles.

Le comble de l’hypocrisie lexicale a été atteint avec le terme de migrants ! Nettement moins engageant que réfugiés, déplacés, émigrés, et malheureusement rien de neuf depuis la la chanson de Pierre Perret :

On la trouvait plutôt jolie, Lily
Elle arrivait des Somalies Lily
Dans un bateau plein d´émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris….

Nettement moins grave, mais tout aussi agaçant, cette manière qu’ont tous les politiques – toutes tendances confondues -, tous les décideurs, de mettre le mot sujet à la place de question ou problème. « Les migrants, c’est vraiment un sujet » !