Les affaires reprennent… Même si j’ai toujours un peu la tête dans les hautes vallées de l’Himalaya (Les peupliers du Ladakh).
J’avais déjà poussé un coup de gueule au début de l’année à propos d’un coffret de CD rassemblant les enregistrements réalisés par Antal_Doráti à Detroit. Cette fois c’est à propos d’une réédition des enregistrements mono et stéréo du même chef à Minneapolis :
Le premier scandale est le prix de ces coffrets, certes « remastérisés » (alors que l’essentiel était déjà paru dans les trois coffrets Mercury), et plus encore les minutages ridicules… d’origine de ces galettes présentées dans leurs couvertures elles aussi d’origine.
Totalement incompréhensible, même si on a souvent ici dit notre admiration pour Cyrus Meher-Homji qui procède à ce travail d’exploration des riches fonds de catalogue de Deutsche Grammophon, Mercury, Philips et Decca.
Jean-Charles Hoffelé évoque, admiratif, le sorcier de Minneapolis sur son blog (artalinna.com). François Laurent, dans le Diapason de septembre, est beaucoup plus réservé. S’en est comme d’habitude suivie une discussion passionnée sur Facebook. Les uns et les autres ont fini par admettre que les réussites du chef américain d’origine hongroise se limitaient au répertoire d’Europe centrale – et encore doit-on faire abstraction de la sécheresse de l’acoustique de Minneapolis et de la pauvreté de timbres de cet orchestre !, et que tout le répertoire germanique et viennois manquait singulièrement de charme.
Comme cet arrangement de valses et polkas de Johann Strauss réalisé par Doráti lui-même, le ballet Graduation Ball, qui sonne sec comme un coup de trique :
Le nouveau coffret comprend quelques valses de Strauss qui n’avaient pas été rééditées. On aurait finalement pu s’en passer… comment peut-on rater à ce point l’un des chefs-d’oeuvre du roi de la valse, Roses du Sud ? Phrasés d’une banalité à pleurer, et l’impression que le chef n’aime pas du tout ce répertoire. Alors pourquoi l’enregistrer ?
La comparaison avec Karl Böhm (et Vienne certes!) est éloquente :
Ecoutons donc Doráti pour ce qu’il nous a donné de meilleur, essentiellement à Londres. Et bien sûr plus tard avec ses intégrales irremplacées des symphonies et des opéras de Haydn !
Et je ne saurais oublier tout ce que j’ai découvert grâce à Antal Doráti, comme cette rareté de Respighi
Le coup de gueule est à la hauteur de l’attente… déçue. On était très heureux de voir que Decca avait rassemblé dans un coffret tout ce que le chef américain d’origine hongroise, Antal Doráti(1906-1988), avait enregistré du temps où il était le directeur musical de l’orchestre symphonique de Detroit, de 1977 à 1981. (*)
L’objet en impose, un gros boîtier pour seulement 18 CD – vendu au prix très fort de 75 à 98 € selon les fournisseurs !. La mauvaise surprise, c’est qu’à peu près tout avait déjà été réédité souvent dans des collections économiques, et qu’on nous ressert les pochettes d’origine (qui cela intéresse-t-il encore ?) et surtout les minutages d’origine ! Autrement dit 1 CD pour Le Sacre du printemps (36 minutes !), idem pour les autres ballets de Stravinsky… En bon français, ça s’appelle du foutage de gueule.
S’il s’agissait de republier les enregistrements de la dernière époque de Doráti, pourquoi ne pas y avoir inclus la petite dizaine de disques réalisés à Washington, quand il était à la tête du National Symphony Orchestra, voire ceux qu’il a faits avec le Royal Philharmonic de Londres pour Decca ?
On eût aimé retrouver les Nocturnes de Debussy (l’un des très rares disques de Dorati consacrés à ce compositeur) captés à Washington
En l’état ce coffret n’a aucun sens.
Une discographie pléthorique
Cela dit, Antal Doráti est un cas. C’est probablement le détenteur du record de disques enregistrés. Personne, à ma connaissance, ne s’est risqué à dresser une discographie exhaustive du chef hongrois, à l’exception du site Discogs qui a relevé 745 occurrences (ce qui ne veut pas dire autant de disques !).
Notons d’abord, qu’à la différence de nombre de ses contemporains – pour ne prendre que des Hongrois d’origine comme lui, Ormandy, Solti – Doráti n’a jamais occupé longtemps de fonctions de directeur musical. Après guerre, 4 ans à Dallas, 11 ans à Minneapolis, 4 ans à la BBC, 8 ans à Stockholm, 6 ans à Washington, 3 ans au Royal Philharmonic, 4 ans à Detroit, puis une dizaine d’années sans poste fixe. Cette relative « instabilité » peut signifier que chef et musiciens se lassaient vite les uns des autres, ou que le tempérament de Dorati, sa boulimie d’enregistrements, ne favorisaient pas l’établissement de relations de longue durée.
Ce n’est d’ailleurs avec aucun de « ses » orchestres qu’il a réalisé ses enregistrements les plus fameux, on pense bien sûr à ce qui, sans même tout le reste, aurait assuré sa postérité : les Symphonies de Haydn (avec le Philharmonia Hungarica) et les opéras de Haydn (avec l’Orchestre de chambre de Lausanne).
Bien sûr, il y a l’immense collection réalisée pour Mercury Living Presence, là encore quelques-uns, les premiers, avec Minneapolis, mais l’essentiel avec le London Symphony, ou le Concertgebouw d’Amsterdam (peut-être le plus beau Casse Noisette de toute la discographie)
Quant au répertoire, seul un Neeme Järvi dépasse Dorati en curiosité tous azimuts. Tous les grands symphonistes, à l’exception notable de Rachmaninov (sauf pour accompagner – et comment ! – le légendaire Byron Janis dans les concertos n° 2 et 3)
Difficile pour moi de faire un choix dans ma propre discothèque, où je pense avoir à peu près tous les enregistrements Mercury et Decca d’Antal Dorati.
Si l’on cherche un modèle de prise de son « réaliste », les rhapsodies hongroises captées à Londres sont spectaculaires :
J’ai longtemps eu une seule version du ballet La boutique fantasque de Respighi :
Une image me hante depuis le 25 mai, cette vidéo terrible, terrifiante, monstrueuse : l’assassinat de George Floydà Minneapolis par un policier regardant droit dans les yeux la caméra qui le filme devant trois collègues complices…
Comme toujours, c’est la musique qui console de l’horreur. Cette chanson si belle de Nina Simone :
Black is the color of my true love’s hair His face so soft and wondrous fair The purest eyes And the strongest hands I love the ground on where he stands I love the ground on where he stands
Black is the color of my true love’s hair Of my true love’s hair Of my true love’s hair
Oh I love my lover And where he goes Yes, I love the ground on where he goes And still I hope That the time will come When he and I will be as one When he and I will be as one
So black is the color of my true love’s hair Black is the color of my true love’s hair Black is the color of my true love’s hair
Black Notes
C’est précisément après l’assassinat de Martin Luther King que prend corps, dans l’Amérique de Nixon, un projet initié par le chef d’orchestre américain Paul Freeman(1936-2015) de mise en valeur des compositeurs noirs, CBS réalise entre 1974 et 1978 une série d’enregistrements, qui a été opportunément, mais trop discrètement, éditée en CD il y a quelques mois.
Lire ce que j’en écrivais ici en janvier 2019 : Black Notes.
Le 15 juillet prochain, le Festival Radio France Occitanie Montpellier avait prévu de faire jouer par Chouchane Siranossian et Les Siècles, dirigés par François-Xavier Roth, l’un des concertos pour violon de celui qu’on désigna comme le « Mozart parisien« , Joseph Bologne, chevalier de Saint-George,né près de Basse-Terre en Guadeloupe en 1745, mort à Paris couvert de gloire en 1799.
Obituaire
Après Gabriel Bacquier, le monde lyrique est de nouveau en deuil : Mady Mesplé et Janine Reiss.
La chanteuse toulousaine nous émeut encore avec ce concert d’adieu au Théâtre des Champs-Elysées il y a trente ans. Elle est pour toujours… la Dame de Monte-Carlo.