C’était le Sud : Orange, Avignon, Vaison, Grignan etc.

Rien n’est plus étrange et excitant à la fois que de jouer les touristes en des lieux qu’on a longtemps fréquentés pour des raisons professionnelles.

J’ai déjà parlé de Montpellier (Festivals et surprises) – mais j’y reviendrai une fois la fête terminée, parce qu’on ne peut pas laisser dire n’importe quoi -, j’ai poursuivi mon parcours du côté de la Provence, en dehors de toute activité festivalière, à une exception près.

Orange sans Chorégies

J’avais été très heureux de retrouver les Chorégies d’Orange – si bien menées par mon ami Jean-Louis Grinda, malgré les restrictions qu’il doit subir – en juillet 2021, pour un Samson et Dalila d’anthologie. Cette fois le théâtre antique était vide et muet, mais j’ai vu Orange comme je ne l’avais fait auparavant. Notamment des hauteurs de la colline Saint-Eutrope qui domine la cité et le mur romain.

(Orange a aussi sa « bonne mère », la statue de la Vierge qui protège la ville du haut de la colline Saint-Eutrope)

Vaison-la-Romaine

Je n’étais pourtant jamais très loin mais je n’avais jamais poussé jusqu’à Vaison-la-Romaine, un lieu mythique où j’avais toujours rêvé de participer aux Choralies animées par un personnage hors norme, César Geoffray, fondateur du mouvement A coeur joie, qui faisait chanter des dizaines de milliers d’amateurs dans toute la France.

On a peine à imaginer que la crue de l’Ouvèze, le 22 septembre 1992, avait submergé le pont romain… sans le détruire.

Avignon

Avignon, sans être un festivalier régulier, j’y suis venu souvent au tournant des années 80/90 par intérêt personnel, mais aussi comme élu à la culture de Thonon (de 1989 à 1995) pour voir des spectacles, des troupes, qui pouvaient éventuellement être repris dans la programmation de la MAL (l’une des premières Maisons de la Culture Malraux).

La dernière fois c’était en 2014 ! Mais je n’avais ni eu ni pris le temps de me promener comme un touriste dans cette ville qui vit complètement au rythme du théâtre .

J’ai tout de même assisté à un spectacle, et pas n’importe lequel, le formidable « seul en scène » de Christine Murillo, évoquant le personnage haut en couleurs de Pauline Carton.

C’est à la Scala Provence et c’est à voir absolument, si vous passez du côté d’Avignon, jusqu’au 29 juillet

Honte à moi, il m’a fallu un passage par la collégiale Saint-Didier pour découvrir qu’Olivier Messiaen (1908-1992) est né à Avignon…

Après Avignon, on a fait un détour sur l’autre rive du Rhône, à Villeneuve-lès-Avignon, où je me rappelle jadis des réunions et colloques à la Chartreuse. Le Fort Saint-André et les jardins réaménagés valent la visite, narguant la Cité des Papes juste en face.

Châteauneuf-du-Pape

Après Avignon, une visite de la résidence secondaire des papes s’imposait. De la forteresse construite par le pape Jean XXII, il ne reste que des ruines certes imposantes, mais le vignoble alentour continue de produire les meilleurs flacons de la région !

Chez la marquise

Une soirée à Grignan s’imposait tout autant, même si on a raté l’occasion de voir Jérôme Deschamps jouer l’Avare (c’est jusqu’au 19 août !).

Le nom de Marie de Rabutin-Chantal, plus connue comme marquise de Sévigné (1626-1696) est à jamais lié à ce village de la Drôme, puisqu’elle est morte au château chez sa fille Françoise de Grignan.

La marquise de Sévigné est inhumée dans la collégiale Saint-Sauveur.

Au Mont-Ventoux

On a fait l’ascension du Mont-Ventoux, pour prendre de la hauteur (1912 m) et de la fraîcheur (18°), mais pas à vélo avouons-le…

Arrivant au sommet dénudé, désertique, je pensais irrésistiblement à la célèbre pièce de Moussorgski, Une Nuit sur le mont chauve

Longtemps après que les poètes ont disparu

C’est l’éternelle chanson de Charles Trenet qui nous vient aussitôt lorsqu’on apprend la disparition d’Yves Bonnefoy.

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J’ai un souvenir qui ne m’a jamais quitté de la présence, de la voix, du regard d’Yves Bonnefoy. C’était à Thonon-les-Bains, il doit y avoir 25 ans, Michel Chaboud, l’excellent directeur de la Maison des Arts, avait prévu, pendant l’été, dans la cour carrée de la Visitation, des récitals de poésie qui eurent beaucoup de succès. Celui d’Yves Bonnefoy fut une révélation.

Extraits d’un discours prononcé par Bonnefoy le 22 septembre 2014 au Mexique, comme un précieux résumé de la vie et des amours du poète et un plaidoyer pour « la fondamentale nécessité de la poésie » :

…sur cette forme particulière de questionnement du monde et de l’existence que l’on appelle la poésie? Penser à celle-ci n’est plus aujourd’hui quelque chose de naturel et de simple. Je ne doute pas que la poésie soit encore très largement reconnue, aimée, pratiquée, dans votre pays et les autres de l’Amérique latine. Il y a encore dans votre société de langue espagnole ancrée dans un riche passé préhispanique cette belle continuité entre la culture populaire et les préoccupations de l’intellect qui est le lieu dans l’esprit où la poésie prend le plus vigoureusement sa source.

Je vois de grandes œuvres se succéder parmi vous et retenir une assez large attention. Mais ailleurs dans le monde le regard que la technologie et ses emplois commerciaux incitent à jeter sur la réalité naturelle et sociale n’est pas sans porter préjudice à la sensibilité poétique et à son intelligence de la vie. En France, par exemple, nos universités ont tendance à placer les sciences  humaines et le débat des idées au premier plan de leurs intérêts, et c’est aux dépens de la poésie, dont on ne ressent plus assez la fondamentale nécessité. Il est donc bien que le prix que l’on m’accorde aujourd’hui mette l’accent sur cette nécessité…

Mais pourquoi est-il si nécessaire de penser à la poésie ? Est-ce parce qu’il y aurait en elle des aperçus sur la condition humaine plus nombreux ou plus importants  que ceux que, par exemple,  savent reconnaître les philosophies de l’existence ? Ou qui seraient formulés avec plus d’imagination ou d’éloquence que dans les écrits que l’on appellera de la prose  ? Oui, certes, il est bien vrai que les grandes œuvres de la poésie –  lesquelles ne sont pas seulement des poèmes, je place au premier plan parmi elles un Shakespeare ou un Cervantès – se risquent très avant dans les labyrinthes de la conscience de soi. C’est dans les hésitations angoissées  d’Hamlet ou les rêveries généreuses de Don Quichotte que la modernité de l’esprit a trouvé son sol le plus fertile. Et il y a en chacun de nous un rapport à soi qui ne se défait jamais autant des illusions de l’existence ordinaire que quand nous entendons un rythme s’emparer des syllabes longues et brèves des mots de notre langue natale.

Et ce n’est pas, pour autant, qu’il ne faille pas se garder des enivrements faciles de la musique verbale. Le rythme dans les mots peut se mettre au service de simplement l’éloquence. Le mensonge peut s’en servir. Mais il n’en est pas moins un appel qui nous saisit très en profondeur, s’adressant à nos émotions, bousculant nos convictions paresseuses. Par ce renflammement de la parole nous recommençons d’exister, par sa voie peuvent reparaître, parmi assurément bien des leurres, des besoins et des intuitions qui sont notre vérité la plus essentielle. Car l’existence, cette vie humaine qui naît et qui doit mourir, qui est finitude, qui se heurte sans cesse aux imprévus du hasard, c’est, avant tout, un rapport au temps ; et comment accéder à l’intelligence du temps sinon en écoutant les rythmes, cette mémoire du temps, travailler sur les mots fondamentaux de la langue ?

Il y a ce rapport tout à fait spécifique et fondamental au temps dans la poésie, c’est ce qui fait d’elle l’approche la plus directe de la vérité de la vie. En français, par exemple, nous devons à Villon, à Racine, à Baudelaire, de percevoir des aspects de la condition humaine que nul davantage qu’eux n’a su reconnaître. Le rôle décisif du rapport à autrui dans l’éveil du moi, dans son intellection de ce qui est ou n’est pas, n’a jamais été plus intensément  éprouvé que dans quelques poèmes des Fleurs du mal. Mais l’essentiel de la poésie n’est tout de même pas à ce niveau où la vérité de l’humain se dégage et se manifeste. Il est par en dessous, dans la vie même des mots, et c’est à cette profondeur dans la parole qu’il faut savoir rencontrer l’action de la poésie et, de ce fait, comprendre son importance. Comprendre qu’elle est le fondement de la vie en société. Comprendre que la société périra si la poésie s’éteint, peu à peu, dans notre rapport au monde.

L’essentiel de la poésie, ce rapport aux mots ? Oui, et maintenant je m’explique. Que sont les mots ? Est-ce ce qui permet de penser aux choses, d’en analyser la nature, d’en dégager des lois, d’énoncer celles-ci, en bref d’élaborer la connaissance du monde et d’organiser nos actions dans celui-ci ? Oui, les mots sont cela, nous les savons porteurs des concepts qui bâtissent pour nous ce que nous nommons la réalité, et qui nous l’expliquent,. Mais cette réalité que nous devons à la pensée conceptuelle est-elle vraiment, est-elle pleinement, ce qui existe hors de nous et aussi en nous, dans l’intimité de nos vies, n’en est-elle pas qu’une image aussi schématique que partielle, et peut-être même affectée d’un manque fondamental ? La pensée conceptuelle, c’est de la généralité, en effet, c’est de l’intemporel, elle ne peut donc pas percevoir en nous cette expérience du temps qui, je le disais, est notre être même. Les mots nous trahissent-ils ?

Mais écoutons certains d’entre eux, écoutons-les en eux-mêmes, sans faire effort de pensée. Prononçons le mot « arbre » ou le mot « fleuve », ou, avec Mallarmé, le mot « fleur », ou ces autres mots qui évoquent des êtres et non des choses, et que nous appelons les  noms propres. Que vois-je quand je dis « arbre » ou « fleuve » ? Nullement la figure précisément définie que propose le dictionnaire. Je pense à  l’arbre comme il existe, avec toutes ses branches, toutes ses feuilles, mais aussi son implantation au bord d’un chemin, sa place possible dans ma vie. Et cette idée que j’en ai est évidemment imprécise, mais ce que je sais, en tout cas, ce que je ressens au plus profond de moi-même, c’est que cet arbre, quelque il puisse être, est dans un lieu où je puis moi-même marcher, il est comme moi, comme chacun de nous,  la proie du temps qui fait naître et qui fait mourir…

J’ai longtemps fréquenté, lu et relu, quelques poètes découverts, pour la plupart, grâce à d’intelligents professeurs de français au lycée. Avec une préférence pour les Parnassiens, Baudelaire, Prévert, Éluard…

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J’ai compris plus tard pourquoi j’aimais tant les oeuvres vocales, les cycles de mélodies, de Lieder, des compositeurs français certes (Debussy, Poulenc, Fauré sans oublier Britten et ses Illuminations rimbaldiennes) mais évidemment tout ce qui est écrit en allemand ou en russe, mes langues de prédilection. On a l’embarras du choix…