Les disparus de mai

J’essaie, autant que possible, d’éviter que ce blog se transforme en obituaire, Il y a des disparitions qui me touchent, d’autres qui m’indiffèrent, ou plus exactement qui ne m’inspirent aucun commentaire.

Menahem ou l’art du chant

Mon cher Menahem Pressler est mort le jour où Charles III se faisait couronner, à quelques mois de son centième anniversaire. Je l’ai souvent évoqué sur ce blog. Souvenirs toujours vivaces de merveilleuses soirées à Liège, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Berlin et à Montpellier. Je réécoute sans m’en lasser le précieux legs qu’il nous a laissé avec le Beaux-Arts Trio. Et je redécouvre des enregistrements plus récents, qui sont autant de témoignages d’un art du chant si éloquent.

Je découvre aussi ce documentaire si émouvant.

Me revient un souvenir très particulier, parmi tant d’autres. J’étais à Saint-Pétersbourg à la fin décembre 2013, pensant y célébrer le passage de l’an neuf sous la neige et dans le froid – il n’y eut ni neige ni froid ! –

mais j’avais pris des places pour trois opéras et un concert au Marinski, tous dirigés par Valery Gergiev (j’y vis Anna Netrebko y faire ses débuts dans Le Trouvère). Le concert, donné un après-midi, était entièrement voué à Mozart, avec notamment le 17ème concerto joué par…Menahem Pressler. Le jour dit, on nous prévint que le concert commencerait avec une heure de retard, les répétitions n’étant pas terminées. Mozart vu par Gergiev, c’était a priori exotique, ce fut plus que réussi (une Jupiter de haut vol !). Quelques mois plus tard, Menahem Pressler me rappela les circonstances de ce concert qui faillit avoir lieu sans lui. Les répétitions du concerto étaient laissées à l’initiative du premier violon et de l’orchestre qui, selon le pianiste, n’avaient aucune idée du phrasé, du style mozartien. Pressler fit savoir qu’il renonçait à jouer avec des partenaires aussi obtus et rentra à son hôtel. Coup de fil de Gergiev, qui s’excusa platement et lui promit une nouvelle répétition (avec lui bien sûr). C’est à cette répétition in extremis que nous dûmes le début différé du concert… et une exécution peut-être pas mémorable mais au moins convaincante du concerto de Mozart !

Ingrid Haebler ou l’ennui distingué

La pianiste autrichienne Ingrid Haebler, née le 20 juin 1929, est morte le 14 mai dernier. Je m’aperçois que je ne lui ai encore jamais consacré un billet. Alors que j’avais acquis il y a quelques années un coffret édité par la branche coréenne d’Universal, comportant toutes ses gravures de Schubert et Mozart, coffret republié il y a peu par Decca avec quelques ajouts.

Je me rappelle Armin Jordan qui aimait bien jouer avec elle, parce que, me disait-il, elle était toujours « juste » stylistiquement.

Mais Dieu que tout cela est propre et ennuyeux ! Désolé, je n’y arrive pas, j’ai écouté ses sonates de Schubert et de Mozart, ses concertos aussi. Il n’est que de comparer Pressler et Haebler dans le même 27ème concerto de Mozart,.. L’un chante (avec les moyens techniques de son âge), l’autre tricote aimablement.

Je peux comprendre que certains aiment ce jeu aussi ordonné que la coiffure de l’interprète. Tant dans Mozart que dans Schubert j’ai besoin de plus de vie, de sang, de rires et de larmes.

Grace pour l’éternité

Je n’ai jamais eu la chance d’entendre Grace Bumbry ni en concert ni sur scène. Née le 4 janvier 1937 à St Louis aux Etats-Unis, elle est morte le 7 mai dernier à Vienne où elle s’était retirée. Il y a heureusement nombre d’enregistrements audio et vidéo qui attestent de la flamboyance de son chant, de sa rigueur stylistique aussi.

Je n’évoquerai pas ici les disparitions de Philippe Sollers, qui porte son maoïsme militant comme une tache indélébile, quelles qu’aient été ses qualités littéraires ou mondaines. Je n’ai jamais lu Martin Amis – c’est sans doute un grand tort – et de celui qu’on a décrit comme le rival en beauté d’Alain Delon, Helmut Berger, je ne peux que répéter ce qui a été partout écrit – les rôles sur mesure que lui avait servis Visconti -. Je l’avais trouvé émouvant en Saint-Laurent décrépit dans le film de Bertrand Bonello, aussi parce que c’était le très regretté Gaspard Ulliel qui incarnait le couturier jeune.

Révolutions (2)

J’ai le mois de décembre révolutionnaire !

Amusant de relire cet article du 17 décembre 2016 : RévolutionsIl y est question de Macron, Mélenchon, Fillon et de quelques Russes.

En décembre 2017, j’avais fait un tour à Chemnitzcette cité industrielle de l’ex-RDA, appelée Karl Marx Stadt de 1953 à 1990, où ont eu lieu, l’été dernier, de violentes manifestations de néo-nazis

img_3835(La fameuse sculpture monumentale de Lev Kerbel décidée en 1953… finalement érigée en 1971 !)

Et il y a quelques jours, à Berlin retrouvailles inattendues avec Karl Marx et son camarade Friedrich Engels

img_0831Une petite place tout près de l’Alexanderplatzla plupart des touristes s’arrêtant à peine, et parmi ceux qui prenaient des photos, deux noms qui ne disaient rien à personne !

Peu avant de partir à Berlin, j’avais repéré et acheté chez mon libraire favori un petit bouquin au titre intrigant :

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Alain Badiou n’est pas ma tasse de thé, et ce qu’on appelle « la présentation de l’éditeur » ferait plutôt office de repoussoir :

Un voyage en Transsibérien ? Non, une méditation personnelle sur les deux révolutions du XXe siècle, les deux grandes victoires qui démontrèrent que l’impossible peut parfois survenir. Des « Thèses d’avril » de Lénine (1917) à la « Décision en 16 points » du Parti communiste chinois (1966), Badiou montre combien était intelligente et généreuse la pensée qui sous-tendait l’action révolutionnaire. Si pour finir ces deux révolutions ont échoué, victimes de la coalition disparate des cadres du parti, de l’armée comme toujours conservatrice et de l’esprit petit-bourgeois, leur histoire est pleine d’enseignements pour tous ceux qui croient en l’avenir du communisme.

La « générosité » de la pensée léniniste ou maoïste ? L’avenir – forcément radieux – du communisme ? On se pince… et puis on lit ! Et on redécouvre, en effet, des faits, des situations, des prises de position, qui ont été décisifs dans la « bascule » révolutionnaire des événements de 1917 en Russie et de la « révolution culturelle » chinoise de 1966.

J’ai toujours pensé que pour combattre une idéologie, un sectarisme, il fallait en connaître les ressorts et les origines. Et donc lire les penseurs, philosophes, sociologues qui les promeuvent et les défendent. En l’occurrence, la stature intellectuelle et le talent de plume d’Alain Badiou confortent son propos, s’ils n’excusent en rien ses errements, ses complicités avec les pires régimes qui soient.