Il y a dix ans la Philharmonie

Deux mois après celle de l’Auditorium et du studio 104 de Radio France (lire L’inauguration), c’était, le 14 janvier 2015, l’inauguration de la Philharmonie de Paris. J’y étais et je l’ai raconté : Philharmonie

(Photo JPR)

« On nous a demandé d’arriver bien à l’avance. L’inauguration de la Philharmonie de Paris doit être faite par le Président de la République et la Maire de Paris. Les alentours du grand vaisseau conçu par Jean Nouvel sur le vaste site du Parc de la Villette sont noirs de forces de l’ordre, mais personne ne songerait à s’en plaindre.

L’entrée est accessible par des escaliers mécaniques… déjà en panne ! Une joyeuse cohue est bloquée, dans le vent et la pluie qui commence à tomber, par une malheureuse employée qui tente de réguler le flot d’invités. Résistance de courte durée, un ancien ministre donne le signal de l’engouffrement, on a disposé six portiques de sécurité, pas sûr de leur efficacité.. Mais il y a peu de risques que le tout Paris qui se presse ait des intentions nuisibles.

On est d’abord guidé vers la salle de répétition au niveau inférieur, où il était prévu que, faisant d’une pierre deux coups, François Hollande présente ses voeux au monde de la Culture. La cérémonie a été maintenue, mais prend évidemment un autre caractère. Beaucoup de têtes connues, de collègues, d’amis (comme ceux que Le Figaro a épinglés dans son supplément Figaroscope du jour : http://www.lefigaro.fr/sortir-paris/2015/01/14/30004-20150114ARTFIG00039-les-13-figures-du-classique-a-paris.php). On nous prévient que le Président, revenant de Toulon où il a présenté ses voeux aux Armées, aura un peu de retard.

L’émotion est palpable lorsque, tour à tour, Laurent Bayle qui a porté à bout de bras et de forces cet incroyable projet, Anne Hidalgo la Maire de Paris, puis François Hollande s’expriment.

Tous disent que la Culture, et ce soir la Musique, sont la seule réponse à l’obscurantisme, au terrorisme, au fanatisme. Le Président décoche quelques traits en direction des « esprits chagrins », les mêmes qui critiquent, dénoncent, regrettent, avant de s’approprier le succès. On regrette que Jean Nouvel ait boudé cette inauguration. Eternelle question : fallait-il attendre que tout soit prêt, terminé, réglé, pour ouvrir cette salle ? C’était la même qui s’était posée pour l’inauguration de l’Auditorium de la Maison de la radio. Dans un cas comme dans l’autre, il y a encore beaucoup à faire, plusieurs mois de travaux, mais les lieux existent, enfin, et c’est heureux pour les artistes et pour le public.

Première impression visuelle, une fois qu’on est parvenu à trouver la bonne entrée, le bon étage, le bon siège (les derniers ont été installés le jour même !), c’est chaleureux, enveloppant.

Le concert commence avec une bonne demi heure de retard, et d’une manière inattendue : une longue ovation salue l’arrivée au premier rang du balcon de François Hollande et de Manuel Valls. 

L’Orchestre de Paris prend place, Paavo Järvi dirige un programme un peu hétéroclite, mais destiné à mettre en valeur les qualités acoustiques et artistiques du lieu et des interprètes. Une courte pièce de Varèse qui parodie l’accord d’un orchestre, Sur le même accord de Dutilleux – avec Renaud Capuçon -, des extraits du Requiem de Fauré qui prennent une résonance particulière une semaine après la tuerie de Charlie Hebdo (avec Mathias Goerne et Sabine Devieilhe), le concerto en sol de Ravel par Hélène Grimaud, tout de blanc vêtue. L’entracte arrive vers 22 h 30. On en profitera pour parcourir les étages supérieurs, de vastes coursives désertes, inachevées, avec vue imprenable sur le périphérique

Le concert reprend à 23 h bien sonnées, on imagine qu’une bonne partie de la salle, le Président, le Premier ministre, se sont esquivés. On a tort, ils sont tous là jusqu’au bout, à l’exception d’un ancien ministre de la Culture… La seconde partie s’ouvre par la création du Concerto pour orchestre de Thierry Escaich, qui m’a confié s’être beaucoup investi dans cette oeuvre d’une trentaine de minutes. Le public apprécie, applaudit chaleureusement compositeur et musiciens. Et, comme à Radio France le 14 novembre, la soirée s’achève avec l’incontournable 2e suite de Daphnis et Chloé de Ravel. 

On retrouve les artistes, les équipes de la Philharmonie, Laurent Bayle enfin soulagé, quelques collègues… et le Premier Ministre et son épouse pour partager un dernier verre. Les pronostics vont bon train : la nouvelle salle va attirer le public, de nouveaux publics sans doute. On le lui souhaite. D’ailleurs l’Orchestre Philharmonique de Radio France y sera le 26 janvier, pour la création du Concerto pour violon de Pascal Dusapin » (15 janvier 2015)

La Philharmonie aujourd’hui

Le public – c’était une soirée réservée aux moins de 28 ans ! – se presse vers la Philharmonie (jeudi 9 janvier 2025)

Je ne compte plus mes visites à la Philharmonie depuis dix ans. J’y serai ce mardi soir pour le concert de l’Orchestre national d’Ile-de-France (l’ONDIF comme on dit !) et son jeune chef américain, Case Scaglione, que je n’ai pas encore eu l’occasion d’entendre « live ». J’y étais jeudi dernier pour un formidable – un de plus – concert de l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä. Lire mon compte-rendu cinq étoiles sur Bachtrack: Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris exaltent l’esprit français à la Philharmonie.

C’est peu dire qu’en dix ans la Philharmonie, enfantée dans la douleur, est devenue un pilier essentiel de la vie musicale nationale, complétant ô combien la Cité de la Musique inaugurée elle, il y a trente ans (pensée pour Brigitte Marger, disparue en décembre dernier, qui en fut la première directrice). Les beaux esprits pensaient impossible d’attirer le public parisien, de le renouveler, en des lieux aussi excentrés que la Philharmonie au nord-est et la Maison de la Radio au sud-ouest de Paris. Défi relevé, pari réussi !

Les inattendus (III) : Maazel l’Espagnol

Je ne peux avoir oublié la date de sa mort, le 13 juillet 2014, la veille du « concert de Paris » le 14 juillet 2014 avec l’Orchestre National de France, le choeur et la Maîtrise de Radio France et toute une pléiade de stars du chant sous la Tour Eiffel.

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(Seule « survivante » de cette photo prise ce 14 juillet 2014, la maire de Paris Anne Hidalgo,  à sa gauche, Bruno Juilliard son ex-premier adjoint, François Hollande, JPR ex-directeur de la musique de Radio France, Manuel Valls. Figuraient aussi sur la photo Mathieu Gallet, ex-PDG de Radio France et Rémy Pflimlin, ex-PDG de France-Télévisions prématurément disparu en 2016)

Nous avions décidé de dédier ce concert à Lorin Maazel, cet Américain de Paris, né à Neuilly le 6 mars 1930, mort dans sa maison de Virgine le 13 juillet 2014. Pour une double raison, d’abord parce qu’il avait été le directeur musical de fait de l’Orchestre National de France de 1977 à 1991 – même si Maazel avait pris soin de gommer cette période de sa biographie officielle, en raison des conditions calamiteuses de la fin de son contrat à Radio France – mais aussi parce que son premier enregistrement symphonique avait été réalisé en 1957 avec l’Orchestre National !

Les jeunes années

Dans un article d’août 2015 – Les jeunes années – à l’occasion de la réédition des premiers enregistrements réalisés par Lorin Maazel pour Deutsche Grammophon, j’écrivais ceci :

« Les références sont par exemple L’Enfant et les sortilèges de Ravel, un petit miracle jamais détrôné depuis 50 ans, la poésie des timbres de l’Orchestre National, une distribution parfaite, une sorte d’état de grâce permanent. Mais, bien moins cités, une 3eme symphonie de Brahms emportée, vive, presque violente, la plus rapide de toute la discographie, comme une Ouverture tragique de la même eau. Toutes les « espagnolades » d’une puissance, d’une acuité rythmique, en même temps d’un raffinement, d’une transparence, inouïs : Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, Tricorne et Amour sorcier de Falla, époustouflants. »

Rimski-Korsakov, Falla

Je viens de réécouter ces « espagnolades »

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en commençant par le Capriccio espagnol de Rimski-Korsakovle type même d’ouvrage « exotique » qu’on écoute distraitement en complément en général de la Shéhérazade du même Rimski.

Ecoutez ce qu’en fait un Lorin Maazel de 28 ans, écoutez ce qu’il tire d’un orchestre philharmonique de Berlin qui, entre Furtwängler et Karajan, était loin de sonner avec cette vivacité, cette transparence, cette alacrité. Plus jamais Maazel ne retrouvera ce « jus » – lorsqu’il récidive vingt ans plus tard à Cleveland, c’est empois et boursouflure !  –

L’Amour sorcier capté avec l’autre orchestre de Berlin-Ouest, celui du RIAS (Rundfunk im Amerikanischen Sektor) devenu ensuite Radio-Symphonie-Orchester Berlin, puis après la chute du Mur, Deutsches Symphonie-Orchestre Berlinà la même époque, et avec la toute jeune Grace Bumbryest de la même veine.

Les danses du Tricorne sont moins exceptionnelles, mais elles ne déparent pas cette collection.

Les jours d’après

C’est l’avalanche, mais rien n’assure que ce soit des bestsellers. 

Qu’ont-ils tous à vouloir raconter leur vie au pouvoir ou dans les coulisses, mystérieuses, forcément mystérieuses, du pouvoir ?

En l’occurrence, l’ex-président, François Hollandeavait déjà tué le genre, en faisant lui-même, en long, en large.. et en travers (ce fut bien d’ailleurs son problème !), le récit de sa présidence.

61LrAunBP1L(Rançon du succès, le bouquin est sorti en collection de poche !)

Mais je reste friand de témoignages de première main, non par goût de secrets, qui n’en restent jamais longtemps, mais dans le souvenir de ce qui a fait une partie de ma vie, et qui la constitue encore, l’engagement politique, public, citoyen, peu importe l’adjectif.

Quand on a été aux responsabilités, quand on a une responsabilité, on sait que la réalité de leur exercice n’est jamais exactement ce que les autres – les médias, les citoyens, les collaborateurs – en perçoivent.

D’où l’intérêt de ces récits, des mémoires, de ceux qui ont assumé ou partagé ces responsabilités.

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Il y a ceux, comme Pierre-Louis Basse, qui essaient laborieusement de justifier un emploi qu’on n’oserait dire fictif au cabinet du président de la République, qui ne cachent certes pas leur peu d’influence – euphémisme ! – sur le cours de la vie élyséenne, et qui du coup en profitent pour parler de tout autre chose, comme de quelques figures marquantes du communisme français (beau portrait de Pierre Daix)

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Quand on a été pompier en chef du quinquennat écoulé, le témoignage n’est pas anodin. La carrière récente de Bernard Cazeneuve a bien, en effet, été placée sous le signe des missions impossibles, et pourtant réussies. Depuis dix mois ministre des affaires européennes, il est appelé, en mars 2013, au ministère du Budget, en plein scandale CahuzacUn an plus tard, nouveau changement de portefeuille, Manuel Valls devenant Premier ministre, Cazeneuve hérite de l’Intérieur, où il devra faire face à la pire vague d’attentats que la France ait connue – Charlie, Bataclan, Nice, etc.. Et lorsqu’à la fin 2016, Manuel Valls se met « en congé » de Matignon pour pouvoir se lancer dans la primaire de gauche, c’est à nouveau à Bernard Cazeneuve que Hollande fait appel pour parcourir les six derniers mois d’un quinquennat qui a politiquement pris fin le 1er décembre 2016 lorsque le président sortant a renoncé à se représenter.

L’intérêt du bouquin de B.Cazeneuve est moins dans le récit de ces derniers mois que dans la manifestation d’un caractère, d’une exigence de droiture, d’une morale de l’exercice de la chose publique, et dans une savoureuse galerie de portraits.

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« “L’entourage du président”, “un proche du chef de l’État”, “l’Élysée”… Pendant trois ans, c’était moi. Le lecteur des pages politiques des gazettes l’ignorait, mais je me cachais souvent derrière ces formules sibyllines que seuls les journalistes et les politiques savent décoder. »
En avril 2014, Gaspard Gantzer est nommé conseiller en communication de François Hollande. Dans l’ombre, il tente tout pour améliorer son image auprès des médias et des Français. Mais vite, les crises s’enchaînent. Le Mali, la Syrie et, surtout, les attentats les plus sanglants de notre histoire…
En parallèle, les menaces contre le président se  multiplient. La montée du Front national, le retour de Nicolas Sarkozy, les frondeurs, un Premier ministre trop ambitieux, cette nouvelle génération qui pousse, brille. Avec, parmi eux, un ancien camarade de l’ENA, Emmanuel Macron, qui prend de plus en plus de place.
De tout cela, Gaspard Gantzer a pris des notes quotidiennes. Jour après jour, jusqu’au dernier, il raconte, de l’intérieur et au plus près du président, les trahisons, les coups bas et les épreuves. Les chroniques édifiantes d’un quinquennat hors du commun. (Présentation de l’éditeur).

De cette présentation, je retiens l’adjectif édifiant. C’est exactement cela. Les toutes premières phrases pourtant laissaient craindre le pire, la manifestation d’un ego surdimensionné (genre le Président c’est moi). Et puis, on se passionne vite pour cette chronique haletante, sèche, précise, clinique, et pourtant terriblement humaine, des trois ans que Gaspard Gantzer a passés au plus près du président Hollande. Edifiant, oui, parce que, dans le coeur du réacteur, on mesure les forces et les faiblesses, l’humanité tout simplement, du pouvoir.

Au passage, on apprend que le destin de Hollande et de son successeur s’est joué le 11 février 2016 – si Emmanuel Macron avait été nommé Premier ministre ce jour-là ? – et plein d’autres choses sur les personnages-clés de l’époque. Une certitude : l’ex-conseiller de Hollande ne porte pas Manuel Valls dans son coeur !

Michèle Cotta qui a chroniqué quasiment toute l’histoire de la Vème République, et qui avait parfaitement brossé L’histoire d’un chaos politique – le quinquennat Hollande – livre son carnet de notes d’une année étonnante. Elle a eu l’honnêteté de n’en rien retirer. Elle n’a pas cru – et elle n’était pas la seule ! – aux débuts de l’aventure Macron, elle le dit, elle l’écrit. C’est ce qui rend ce témoignage d’autant plus pertinent qu’il évite non seulement la complaisance, mais aussi la tentation de réécrire l’histoire.

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Enfin, le duo Patrice DuhamelJacques Santamaria nous livre un quatrième opus, après le succès de Jamais sans ellesL’Elysée, coulisses et secrets d’un palais et Les Flingueurs

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« Toute vie consacrée à l’action publique se trouve bouleversée par un moment douloureux : celui où tout s’arrête.
Nous avons choisi de raconter les jours d’après de vingt-trois personnalités françaises, de De Gaulle à Manuel Valls, de Giscard à Jacques Delors, de Simone Veil à Jospin, présentant chacune un cas singulier dans son rapport au pouvoir. On découvrira ainsi ceux qui le quittent définitivement, par choix ou nécessité, ceux qui sont contraints de s’en éloigner après quelque revers mais qui s’emploient à le reconquérir, ceux qui ne comprennent pas que le pouvoir les délaisse pour un temps ou pour toujours…
Le défaut des hommes et des femmes politiques, y compris chez les grands fauves, est peut-être de ne pas savoir, et souvent de ne pas vouloir se préparer à ce jour où le pouvoir les quittera. Mais, au fond, n’en est-il pas ainsi de toute histoire d’amour ? »

Un bouquin, comme toujours avec ces auteurs, très documenté, puisant aux meilleures sources, qui en dit long – on y revient – sur la part d’humanité, forces et faiblesses, grandeur et mesquineries, de ces hommes et femmes de pouvoir. A lire évidemment !

La politique du radio crochet

Le ministre démissionnaire de l’Economie, Emmanuel Macron, a eu une curieuse formule hier : « La présidence de la République ce n’est pas un radio crochet ». Pas sûr que ceux qui le regardaient sur TF1, sauf les plus âgés des téléspectateurs, aient compris l’allusion à une compétition radiophonique – le radio-crochet – qui date d’avant l’apparition du poste de radio à transistors, c’est dire…Mais s’il voulait faire mouche avec sa formule, c’est réussi, il faut d’ailleurs lui reconnaître une vraie habileté lexicale (Emmanuel Macron sur TF1)

J’ai appris la démission du proche collaborateur puis ministre de François Hollande en même temps que j’achevais la lecture d’un essai à tendance pamphlétaire d’un garçon que j’ai connu – et apprécié – durant les quelques mois où lui était au secrétariat général de la présidence de Radio France et moi à la direction de la musique de la Maison ronde, Pierre Jacquemain. Il sera sans doute très surpris, s’il me lit, que je trouve plus d’un point commun entre son analyse – pertinente, parfois excessive, mais jamais banale – de la politique telle qu’elle va ou ne va plus, ses propositions d’un changement radical…. et les propos d’Emmanuel Macron (alors que Pierre J. dit exécrer à peu près tout ce que représente Macron !).

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Présentation : « Ils ont renoncé à faire ce pour quoi ils ont été élus : mener une politique de gauche. Peut-être parce qu’ils sont devenus de droite. Version naïve. Peut-être l’ont-ils toujours été. Version éclairée. Nos gouvernants ont cessé de faire de la politique. Ils gèrent le bien public, l’État, comme on dirige une entreprise. Il ne s’agit plus de rêver ou d’améliorer la vie des Français. L’heure est au pragmatisme, au « laisser faire, laisser passer », au libéralisme.
Fort de son expérience de conseiller stratégie de la ministre du Travail de septembre 2015 à février 2016, Pierre Jacquemain raconte comment la technocratie a pris le pouvoir sur le et la politique. En dévoilant les coulisses de la loi El Khomri, il nous montre une ministre dépossédée de ses prérogatives, récitant les éléments de langage de Matignon, reléguée au rôle de figurante et condamnée – parce qu’elle le veut bien – à porter une loi qu’elle n’a ni pensée, ni rédigée. Pas même négociée. Une loi faite par et pour des technocrates hors-sol dans une France paupérisée. 
Ils ont tué la politique. Ils ont tué la pensée. Ils ont tué la gauche. »

La charge est d’autant plus lourde que la déception est profonde, jusqu’à un sentiment, largement partagé bien au-delà de ceux qui se revendiquent comme P. Jacquemain d’une gauche radicale, de trahison non seulement des idéaux traditionnels de la gauche, mais du sens de l’engagement politique.

Avec d’autres mots que l’ex-conseiller de Myriam El KhomriEmmanuel Macron décrit de la même manière l’état de désenchantement, voire de désespérance, d’une grande majorité de citoyens. Pas seulement parce que les promesses faites en période électorale ne sont jamais tenues – ce n’est pas nouveau ! – mais parce que le politique ne fait plus de politique, parce que ceux qui nous gouvernent ou prétendent nous gouverner n’expriment plus ni vision ni perspective. Et qu’aucun enseignement n’est jamais tiré des consultations électorales. Si l’on en croit certains, on est bien parti pour rééditer 2012 en 2017…À moins que…

 

Humeurs

Je n’avais pas bien compris pourquoi Nikolaus Harnoncourt avait accepté de faire un disque Mozart avec Lang Lang. Quelques réponses m’ont été données dans ce documentaire diffusé très tardivement dimanche sur Arte (http://www.arte.tv/guide/fr/053918-000-A/mission-mozart-lang-lang-nikolaus-harnoncourt). Extrait :

Je ne suis toujours pas convaincu par le pianiste dans ce répertoire, mais mon admiration pour le vieux chef disparu récemment n’en est que plus vive. Quelle bienveillance, quelle attention à son jeune partenaire, et quel art exceptionnel de raconter, d’expliciter la musique !

Et puis cette remarque pleine d’humour : « Please don’t call me Maestro ! We should keep this term for hairdressers » . Encore un mot – Maestro – qui désignait jadis légitimement le chef d’orchestre à l’opéra, et en Italie (je me rappelle il y a une vingtaine d’années une ouverture de saison à La Scala, avec Nabucco dirigé par Riccardo Muti, et ce cri surgi de la foule « Viva il Maestro » déclenchant une ovation pour le chef), et qui aujourd’hui est utilisé à toute occasion pour désigner un musicien célèbre, chef d’orchestre ou non d’ailleurs. Harnoncourt avait raison..

Humour, humeur…j’ai envie de cultiver la bonne humeur, malgré l’actualité.

La France est-elle définitivement irréformable ? C’est ce qu’un observateur extérieur doit penser, considérant les aléas du projet gouvernemental sur le travail. Ce n’est même pas un texte déposé et discuté à l’Assemblée Nationale, ni même encore adopté en Conseil des ministres, que tout le monde – à commencer par les moins concernés, les fonctionnaires ou les salariés d’entreprises publiques – le dézingue. Valls et ses ministres avancent leurs propositions, ils sont taxés de rigidité et d’autisme, et quand après avoir réuni les partenaires sociaux, réécrit leur texte, la presse quasi unanime les prend en flagrant délit de reculade ! Belle avancée en effet…Les manifestants de la semaine dernière savaient-ils au moins pourquoi ils manifestaient ? (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/01/25/le-travail-cest-la-sante/).

Autre actualité, venant d’un pays auquel je suis très attaché, la Roumanie (un premier voyage en 1973 !) : (http://www.levif.be/actualite/international/la-villa-de-ceausescu-ouverte-pour-la-premiere-fois-au-public/article-normal-478143.html)Ba

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Gageons que le palais du dictateur et de sa famille va vite devenir une attraction touristique… et puis c’est si loin maintenant…Je suis sûr que cet ensemble décoré avec un extrême bon goût plairait beaucoup à M. Trump ou à son admirateur l’ineffable JCVD

https://www.youtube.com/watch?v=xodHQ0Swq9k

 

Allez, pour éclairer votre journée, un nouveau disque d’un jeune pianiste flamboyant (qui sera à Montpellier l’été prochain), Florian Noack51nP-b5COzL

 

Un héritage

Ce jeudi, un an jour pour jour après l’inauguration de la Philharmonie de Paris, à laquelle il n’avait pas pu assister, Pierre Boulez a été honoré par la France, ses amis, ses disciples, lors d’une cérémonie sobre et recueillie à l’église Saint-Sulpice de Paris.

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http://abonnes.lemonde.fr/musiques/article/2016/01/15/pierre-boulez-inhume-a-baden-baden-celebre-a-saint-sulpice_4847798_1654986.html

On n’aura pas manqué de noter le contraste avec l’enterrement d’Henri Dutilleux, auquel pas un représentant de la République n’avait cru bon d’assister…

Que restera-t-il de Boulez compositeur ? Le temps le dira, mais,  comme dans le cas de Dutilleux, l’oeuvre n’est pas si considérable qu’elle puisse se laisser oublier ou subir un purgatoire auquel n’ont pas échappé Honegger, Milhaud, Messiaen, pour ne prendre que quelques figures du XXème siècle français.

Dans l’important legs discographique de Pierre Boulez, chef d’orchestre, j’ai fait ma propre sélection. Dans une interview, on demandait à l’intéressé pourquoi il avait refait chez Deutsche Grammophon dans les années 80/90 la plupart des disques qu’il avait déjà réalisés (Debussy, Ravel, Stravinsky, Bartok) pour CBS entre 1966 et 1980. Boulez avait répondu modestement qu’il avait approfondi sa connaissance des partitions et son expérience de la direction d’orchestre. De fait, je préfère souvent le remake au premier jet. Sauf pour Le Sacre du printemps où, de mon point de vue, la toute première version réalisée avec l’Orchestre National (à l’époque de l’ORTF) est demeurée inégalée par Boulez lui-même dans ses deux versions ultérieures (à Cleveland).

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Immédiatement après, le Ravel le plus subtil et sensuel qui soit avec un orchestre qui n’est pas le plus attendu dans ce répertoire.

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J’ai découvert les quatre Pièces op.12 de Bartok grâce à Boulez et à son premier enregistrement. Un chef-d’oeuvre trop peu connu, qui paie un tribut évident à Debussy et à l’impressionnisme :

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https://www.youtube.com/watch?v=h803AJkvDFU

Autres beaux disques Bartok – les concertos –  parmi  les derniers du vieux chef.

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De Stravinsky, l’une des plus belles versions, par le chatoiement des timbres, l’extrême précision de l’éxécution, du ballet intégral de L’Oiseau de feu.

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Dans l’intégrale des symphonies de Mahler, réalisée sur une quinzaine d’années avec plusieurs formations, je retiens la Sixième, l’une des grandes versions à l’égale de celle de Karajan.

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À cette sélection subjective, et forcément très incomplète, j’ajoute deux 2 DVD exceptionnels : une Huitième symphonie de Bruckner – qui l’eût cru ? – et le dernier spectacle d’opéra, en tous points miraculeux, que j’ai vu Boulez diriger : De la maison des morts de Janacek. Mise en scène de Patrice Chéreau. Un DVD pour l’éternité.

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Philharmonie

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On nous a demandé d’arriver bien à l’avance. L’inauguration de la Philharmonie de Paris doit être faite par le Président de la République et la Maire de Paris. Les alentours du grand vaisseau conçu par Jean Nouvel sur le vaste site du Parc de la Villette sont noirs de forces de l’ordre, mais personne ne songerait à s’en plaindre.

L’entrée est accessible par des escaliers mécaniques… déjà en panne ! Une joyeuse cohue est bloquée, dans le vent et la pluie qui commence à tomber, par une malheureuse employée qui tente de réguler le flot d’invités. Résistance de courte durée, un ancien ministre donne le signal de l’engouffrement, on a disposé six portiques de sécurité, pas sûr de leur efficacité.. Mais il y a peu de risques que le tout Paris qui se presse ait des intentions nuisibles.

On est d’abord guidé vers la salle de répétition au niveau inférieur, où il était prévu que, faisant d’une pierre deux coups, François Hollande présente ses voeux au monde de la Culture. La cérémonie a été maintenue, mais prend évidemment un autre caractère. Beaucoup de têtes connues, de collègues, d’amis (comme ceux que Le Figaro a épinglés dans son supplément Figaroscope du jour : http://www.lefigaro.fr/sortir-paris/2015/01/14/30004-20150114ARTFIG00039-les-13-figures-du-classique-a-paris.php). On nous prévient que le Président, revenant de Toulon où il a présenté ses voeux aux Armées, aura un peu de retard.

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L’émotion est palpable lorsque, tour à tour, Laurent Bayle qui a porté à bout de bras et de forces cet incroyable projet, Anne Hidalgo la Maire de Paris, puis François Hollande s’expriment. Tous disent que la Culture, et ce soir la Musique, sont la seule réponse à l’obscurantisme, au terrorisme, au fanatisme. Le Président décoche quelques traits en direction des « esprits chagrins », les mêmes qui critiquent, dénoncent, regrettent, avant de s’approprier le succès. On regrette que Jean Nouvel ait boudé cette inauguration. Eternelle question : fallait-il attendre que tout soit prêt, terminé, réglé, pour ouvrir cette salle ? C’était la même qui s’était posée pour l’inauguration de l’Auditorium de la Maison de la radio. Dans un cas comme dans l’autre, il y a encore beaucoup à faire, plusieurs mois de travaux, mais les lieux existent, enfin, et c’est heureux pour les artistes et pour le public.

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Première impression visuelle, une fois qu’on est parvenu à trouver la bonne entrée, le bon étage, le bon siège (les derniers ont été installés le jour même !), c’est chaleureux, enveloppant.

Le concert commence avec une bonne demie heure de retard, et d’une manière inattendue : une longue ovation salue l’arrivée au premier rang du balcon de François Hollande et de Manuel Valls. 

L’Orchestre de Paris prend place, Paavo Järvi dirige un programme un peu hétéroclite, mais destiné à mettre en valeur les qualités acoustiques et artistiques du lieu et des interprètes. Une courte pièce de Varèse qui parodie l’accord d’un orchestre, Sur le même accord de Dutilleux – avec Renaud Capuçon -, des extraits du Requiem de Fauré qui prennent une résonance particulière une semaine après la tuerie de Charlie Hebdo (avec Mathias Goerne et Sabine Devieilhe), le concerto en sol de Ravel par Hélène Grimaud, tout de blanc vêtue. L’entracte arrive vers 22 h 30. On en profitera pour parcourir les étages supérieurs, de vastes coursives désertes, inachevées, avec vue imprenable sur le périphérique. IMG_1720  IMG_1717

Le concert reprend à 23 h bien sonnées, on imagine qu’une bonne partie de la salle, le Président, le Premier ministre, se sont esquivés. On a tort, ils sont tous là jusqu’au bout, à l’exception d’un ancien ministre de la Culture… La seconde partie s’ouvre par la création du Concerto pour orchestre de Thierry Escaich, qui m’a confié s’être beaucoup investi dans cette oeuvre d’une trentaine de minutes. Le public apprécie, applaudit chaleureusement compositeur et musiciens. Et, comme à Radio France le 14 novembre, la soirée s’achève avec l’incontournable 2e suite de Daphnis et Chloé de Ravel. 

On retrouve les artistes, les équipes de la Philharmonie, Laurent Bayle enfin soulagé, quelques collègues… et le Premier Ministre et son épouse pour partager un dernier verre. Les pronostics vont bon train : la nouvelle salle va attirer le public, de nouveaux publics sans doute. On le lui souhaite. D’ailleurs l’Orchestre Philharmonique de Radio France y sera le 26 janvier, pour la création du Concerto pour violon de Pascal Dusapin