Grandeurs et petitesses

L’actualité nous régale de quantité de petitesses et, heureusement, de quelques grandeurs.

Pas d’amalgame

J’ai suivi la belle et sobre cérémonie d’entrée au Panthéon de Robert Badinter. Plusieurs amis ont souligné l’intérêt que l’ancien ministre de la Justice portait à la musique classique. Il paraît même que c’était un client régulier de feu Melomania. Je ne l’y ai jamais vu. En revanche, du temps de la grandeur passée du festival d’Evian – alors piloté par Antoine Riboud et Rostropovitch – il n’était pas rare de le voir, lui et son épouse Elisabeth, parmi les invités « connus ».

La cérémonie elle-même a été rythmée par de belles séquences musicales. On passera sur la pénible prestation de Julien Clerc, mais cette chanson illustrait une prise de position importante un an avant l’abolition de la peine de mort. Juste un peu agaçant de lire en bandeau « The Goldberg Variations » lorsqu’on entend Glenn Gould jouer la célèbre aria initiale.

Parenthèse, les Variations Goldberg étaient au programme de La Tribune des critiques de disques de France Musique dimanche dernier. Si j’y avais participé, je pense que j’aurais souscrit au résultat des débats de mes camarades. En 2016, au Festival Radio France à Montpellier, j’avais invité Beatrice Rana à donner pour la première fois en public ces Variations qu’elle devait enregistrer quelques semaines plus tard, et en 2021 j’avais convié Gabriel Stern, dans des conditions climatiques et acoustiques difficiles pour lui. Je suis heureux que cet artiste trop discret soit mis en lumière par ce beau disque

A propos de Robert Badinter, j’avais rappelé un épisode (lire La voix des justes), plusieurs fois cité au cours de la cérémonie, et notamment par le président de la République, un épisode auquel j’ai été associé, par une tribune que j’avais adressée au Monde, en septembre 1983, et que mon fils avocat a retrouvée dans les archives du journal.

Le Monde titrait, le 6 septembre 1983 : Le Juge et la victime

«  »Le projet de loi relatif à l’exécution des peines présenté début août par le garde des sceaux au conseil des ministres, puis l’article de Robert Badinter (le Monde du 18 août 1983), après la tuerie d’Avignon, ont suscité de nombreuses réactions.Daniel Lecrubier met en lumière les avantages de la future législation, mais aussi ses limites. Bernard Prévost, de son côté, accumule les réserves.On trouvera aussi, dans cette page, un témoignage de Roger Knobelspiess et une importante prise de position de Jean-Pierre Rousseau, membre du conseil politique du C.D.S« 

Il faut rappeler qu’à l’époque le CDS était dans l’opposition. C’est sans doute pourquoi Le Monde avait publié mon texte.

Extraits :

Je n’ai évidemment pas une ligne à retrancher ou réécrire dans ce texte d’il y a plus de trente ans. Sauf que j’ai cessé d’adhérer au CDS, comme à toute autre formation politique, depuis 1995 !

La paix enfin ?

Peut-on voir un signe du destin dans le fait qu’au moment où la France faisait entrer au Panthéon l’un de ses grands hommes qui, plus et mieux que tous les médiocres commentateurs au petit pied qui sévissent sur les réseaux sociaux et certains plateaux de télévision, a su ce qu’il en coûtait d’être juif dans la France de 1940, Israel et le Hamas signaient, en Egypte, un accord de paix, où pour une fois la manière forte et décomplexée de Trump a fait effet. L’espoir est enfin de retour !

Lecornu bis

Au moment précis où je sortais hier soir du théâtre des Champs-Elysées, une alerte du Monde s’affichait sur mon portable : Lecornu reconduit. Le Canard enchaîné de mercredi était prémonitoire (voir Pendant ce temps).

Programme intéressant, en particulier les mélodies d’Alma Mahler chantées par Joyce DiDonato. Compte-rendu à lire sur Bachtrack.: Joyce DiDonato rehausse le concert du National.

Et comme toujours la possibilité de (ré)écouter le concert sur France Musique.

Pour les brèves de blog, je pense qu’on attendra prudemment la fin du week-end !

Pendant ce temps…

La vie politique française est, ce mercredi, assez justement résumée dans cette une du Canard enchaîné :

Je ne pensais pas tirer sur une ambulance en écrivant ma brève de blog dimanche soir (Rien compris).

Attendons la suite, les suites même..

Pendant ce temps, la (vraie) vie continue..

Antigone et Dusapin

Je l’avais noté de longue date sur mon agenda : c’était ce mardi soir la création du dernier opus de Pascal Dusapin, Antigone, que le compositeur lui-même définit comme un « oratoriopéra ».

J’avais couvert pour Bachtrack la reprise en mars dernier à l’Opéra de Paris de Il Viaggio, Dante, créé au festival d’Aix-en-Provence (L’épure de Dusapin face aux visions de Claus Guth) et, en novembre 2023, à l’Opéra Comique, un spectacle qui m’avait enthousiasmé, Macbeth Underworld, mis en scène par Thomas Jolly (Un opéra pour notre temps).

Une heure et quarante minutes d’une partition puissante, comme toujours d’une richesse orchestrale sidérante, un plateau vocal exceptionnel, et en maître d’oeuvre Klaus Mäkelä à la tête d’un Orchestre de Paris superlatif. J’attends avec impatience les comptes-rendus qu’en feront mes camarades de la presse, de Bachtrack en particulier !

Laurence B. la radio-active

Bien trouvé ce titre pour des mémoires qui ne disent pas leur nom.

Laurence Bloch n’est pas ce que j’appellerais une amie – le mot est tellement galvaudé dans le microcosme médiatique ! – mais ce fut une collègue que j’ai côtoyée à deux reprises, et pour qui j’ai de l’admiration et une réelle affection. Lorsque j’arrive, en 1993, à la direction de France Musique, Laurence est directrice-adjointe de France Culture depuis 1989. Elle restera à ce poste auprès des directeurs successifs de la chaîne, Jean-Marie Borzeix, Patrice Gélinet et Laure Adler. Je la retrouverai au printemps 2014, lorsque je reviendrai à Radio France, appelé par Mathieu Gallet à la Direction de la Musique. Dans la vague de nominations à laquelle procède le nouveau PDG, Laurence Bloch devient directrice de France Inter. Elle le restera jusqu’en 2022, mais ne quitte pas pour autant Radio France, puisque, durant deux ans, elle supervise les antennes auprès de la présidente Sibyle Veil. Et comme elle l’écrit dans les premières pages de ce bouquin attachant – parce que la langue de bois n’est pas vraiment sa spécialité ! – elle a repris du service à la demande de la ministre de la Culture, Rachida Dati, pour travailler au projet de fusion des entités radio et télévision du service public. Pas sûr qu’elle ait fait le bon choix pour cette dernière mission… impossible !

Le crépuscule

On peut difficilement contredire Alain Duhamel dans son jugement sur Emmanuel Macron. En juin 2024, j’écrivais un billet tristement prémonitoire : Le choc de juin.

A l’heure où j’écris ces lignes, on n’en sait toujours pas plus sur ce qui peut, ce qui va se passer dans les prochaines semaines.

Je conseille ce bouquin d’un jeune journaliste, dont les analyses et la plume me paraissent particulièrement affûtées :

« Les fins de règne des présidents ont toujours été douloureuses. Celle d’Emmanuel Macron l’est plus encore, car c’est lui qui a précipité son crépuscule par la dissolution de 2024. Avec cet acte incompréhensible, le chef de l’État a tué sa majorité, interrompu ses réformes, saccagé son propre camp. Et sa politique de la terre brûlée ne semble pas connaître de limites, alors que s’ouvre une guerre de succession entre des prétendants qu’il n’aime pas. Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Bruno Retailleau, François Bayrou, Michel Barnier, Bruno Le Maire… tous se sont confiés sur leurs rapports ambigus avec le président et leurs ambitions pour la suite. À travers des scènes inédites et une cinquantaine de témoignages, ce livre dévoile les coulisses d’un pouvoir à l’agonie et dessine les contours de l’après. Il révèle qu’en miroir de cette comédie politique se joue aussi une tragédie : celle d’un président qui, jusqu’au bout, veut rester seul en scène. » (Présentation de l’éditeur)

Je vais attendre quelques heures avant de publier de nouvelles brèves de blog !

Bonnes et moins bonnes affaires

Je voulais consacrer ce billet aux bonnes affaires que j’ai faites ces derniers temps.

Mais je ne peux ni ne veux échapper à l’actualité

Information/désinformation

Je ne reviens pas sur les affaires Bayou ou Bétharram (cf. brevesdeblog), mais sur deux éléments d’actualité, sans commune mesure mais où la désinformation continue de primer sur l’information.

Trump/Zelensky

Zelensky est attendu ce vendredi à Washington, pour, nous dit-on, signer un accord avec les Etats-Unis concernant l’exploitation future des « terres rares » du sous-sol ukrainien. Entendu ce matin d’abord sur France Inter puis dans Télématin sur France 2, l’explication lumineuse de Guillaume Pitron :

On voit bien les diplomates et nombre de responsables politiques se boucher le nez : ainsi la paix en Ukraine se résumerait à un deal – « tu me donnes accès à ton sous-sol, je te garantis le soutien des Etats-Unis ». Comme si l’issue de tous les grands conflits dans le passé ne s’était pas soldée par des marchandages territoriaux et économiques…

Les malheurs de Cyril H.

En France, on a l’impression que le monde télévisuel est en passe de s’écrouler, parce que C8 et NRJ12 cessent d’émettre sur la TNT ce vendredi. Ah ces salauds de l’ARCOM et du Conseil d’Etat qui briment la liberté d’expression ! Ah oui ? Qui a seulement fait remarquer que la décision de l’ARCOM de supprimer à ces deux chaînes l’accès à la TNT gratuite, n’entraînait nullement leur disparition. La décision d’arrêter a été prise par les actionnaires et eux seuls. Ne pas refaire l’histoire !

J’en parle d’autant plus librement que je ne regarde jamais C8 !

Je ne résiste pas au plaisir de reproduire ici le texte posté sur Linkedin par un avocat qui sait de quoi il parle en matière de droit du travail :

Pierre-Francois ROUSSEAU • Avocat associé PHI AVOCATS

🔥 Grosse Darka en vue : Et si, au final, C8 et Cyril Hanouna devaient sortir le chéquier pour indemniser les centaines de salariés laissés sur le carreau ? 💸 ?

🚨 Rappel des faits : Le 11 décembre 2024, l’Arcom a mis fin au règne de C8 sur le TNT et fermé le doss’ en refusant de renouveler sa fréquence TNT. Décision confirmée définitivement par le Conseil d’Etat.

Résultat ? Fermeture de la chaîne, licenciements en cascade.

Pourquoi cette sentence sévère ?

👉 le non respect récurrent de la convention autorisant C8 à exploiter la fréquence

👉 35 sanctions en 12 ans, dont 7 rien qu’en 2024 (non respect des droits des personnes, défaut de protection des mineurs, atteinte à la dignité,… tout y passe).

👉 Un défaut chronique de maîtrise de l’antenne depuis plusieurs années

Or qui sont les responsables de ces manquements ? C8 et H2O (la prod de Cyril Hanouna).

Mais voilà où ça devient croustillant 👀

La jurisprudence est formelle :

⚖️ Quand l’employeur est responsable des difficultés économiques de son entreprise, le licenciement qui en découle est sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 29 mai 2024, n°22-10654).

⚖️ Les salariés peuvent même attaquer un tiers (ici, la prod de « TPMP ») s’il a contribué à la chute de l’entreprise (Cass. Soc. 28 sept. 2010, n° 09-41.243).

Baba a toujours dit : « La télé, c’est une grande famille »… Mais là, certains vont peut-être vouloir récupérer l’héritage ! 📺

Affaire à suivre, mes p’tites beautés ! 🥰

Et pour les férus de droit du travail, petit paradoxe en cas d’action judiciaire : au prudhommes C8 bénéficiera des plafonds du barème Macron alors que H2O devant le tribunal judiciaire pourrait être condamnée sans limite. Mais une chose est certaine les deux ne pourront pas être condamnées en même temps car la Cour de Cassation rejette la double indemnisation (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 janvier 2021, 18-23.535) ». (Linkedin, 27.02.2025)

Bonnes affaires

Pour revenir à la musique, quelques-unes de mes bonnes affaires récentes.

Ormandy à l’italienne

Pré-commandé il y a plusieurs semaines à la FNAC, le second coffret des enregistrements stéréo d’Eugene Ormandy (1964-1983) sort ces jours-ci. Je me suis aperçu, comme pour le précédent coffret, qu’il est 30 € moins cher sur Amazon.it. Avis aux amateurs !

Tout Albeniz

Je n’avais pas spécialement repéré ce coffret paru chez Bis. Mais au prix proposé actuellement sur jpc.de, on achète et on écoute

La grande porte de Kiev (XIII): trois ans plus tard

J’ai écrit le premier article de cette série – La grande porte de Kiev – il y a presque trois ans, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Poutine. J’écris aujourd’hui le douzième, qui ne sera sûrement pas le dernier, en raison d’une double actualité, de très inégale importance.

La fin de la guerre ?

Donald Trump a raison sur une seule chose : l’Ukraine comme la Russie sont épuisées par trois années de guerre qui n’a fait que des centaines de milliers de morts et de blessés. Comme le dit l’excellent ministre français des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot : « Si Trump peut attirer Poutine à une table de négociation, on ne pourrait que s’en réjouir ». Mais tout cela assorti de toutes les réserves et principes d’usage, rappelés d’abondance sur tous les plateaux télé par nos stratèges en chambre.

Une remarque puisée de l’histoire : les médias qui ne réfléchissent pas (une majorité ?) soulignent ou dénoncent un changement de cap des Etats-Unis (America first !). Mais, comme le font remarquer des observateurs qui ont, eux, bonne mémoire, cette doctrine n’est pas née avec Trump. Première guerre mondiale, les Etats-Unis ne s’engagent qu’en 1917, Seconde guerre, seulement en 1942 après le désastre de Pearl Harbour. Beaucoup plus récemment, quand les Européens et la France sous présidence Hollande avaient une opportunité – en 2013 – de chasser Assad de Syrie, Barack Obama a opposé une fin de non-recevoir (il est vrai peut-être échaudé par la guerre d’Irak déclenchée par Bush jr. en 2003).

Qui se rappelle la conférence de Yalta en 1945 ? où Staline, Churchill et Roosevelt se partagèrent l’Europe en excluant la France et De Gaulle…

Je viens de finir un excellent bouquin – qui vient de sortir en édition de poche :

« Comment comprendre la tragique guerre menée actuellement en Ukraine ? Quel est cet empire russe après lequel court Vladimir Poutine ? Pour saisir ces enjeux brûlants, François Reynaert s’est plongé dans un millénaire de passions russes. D’Ivan le Terrible au maître actuel du Kremlin, en passant par Pierre Ier le Grand, Catherine II ou Staline, les tsars n’ont cessé d’étendre leur territoire au nom de Dieu, des soviets ou de la grande nation slave. Cette histoire faite de bruit et de fureur, de conquêtes et de chefs-d’œuvre, de splendeurs et de misères, s’étend bien au-delà des frontières actuelles de la Russie. Elle embrasse les alliés et les vassaux de cette puissance, tous ceux qui ont contribué à la renforcer ou, au contraire, l’ont fait vaciller : Suède, Pologne, Lituanie, mais aussi Ukraine, pays des Balkans ou d’Asie centrale. » (Présentation de l’éditeur).

François Reynaert dit lui-même que l’idée de ce livre lui est venue le 24 février 2022. Je n’ai rien découvert que je n’aie pas déjà appris durant mes études, mais je recommande vivement à ceux qui essaient de comprendre, au-delà des apparences et des postures, ce qui joue en Ukraine.

Les tableaux d’une exposition

La Grande Porte de Kiev c’est le dernier épisode de la pièce de Moussorgski – Les Tableaux d’une exposition*. On va beaucoup entendre ces Tableaux dans l’orchestration de Ravel (1922) puisque comme nul ne peut l’ignorer, on célèbre les 150 ans de la naissance de l’auteur du Boléro.

J’ai bien regretté de ne pouvoir assister aux concerts que vient de donner l’ami Lionel Bringuier à la tête de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, dont il prend la direction musicale en septembre (lire Le choix d’un chef)

Manifestement la presse a apprécié sa vision des Tableaux :

« La situation se corse avec Les Tableaux d’une exposition où Bringuier met habile­ment en évidence les atouts complémentaires de Moussorgski et Ravel. Du premier, il investit pleinement la carrure peu farouche, du second il cisèle l’incroyable inventi­vité orchestrale. Avec pour effet que cet étincelant concerto pour orchestre magnifie le dramatisme expressionniste de Moussorgski. Pesanteur du char de Bydlo, pépiements amusés du ballet des poussins dans leur co­ quille ou ironiques du Marché de Limoges, sauva­gerie cinglante de la cabane de Baba Yaga et grandeur hymnique de la Grande porte de Kiev : ces Tableaux intègrent les trouvailles d’orchestration de Ravel dans le flux narratif de l’écriture de Moussorgski. Le tout a un sacré panache, incontesta­blement prometteur. On en redemande. » (Serge Martin, Le Soir, 16 février 2025)

Mais comme on le sait, si l’orchestration est restée, à juste titre, la plus célèbre et la plus jouée, l’oeuvre a bénéficié de plusieurs orchestrations :

1891 : Mikhail Touchmalov (1861-1896)

1915 : Henry Wood (1869-1944), le célèbre compositeur et chef fondateur des Prom’s

1922 : Leo Funtek (1885-1965)

Le grand Leopold Stokowski dirige la version de Ravel pour le public de Philadelphie en novembre 1929 ; il réalise dix ans après sa version très personnelle de l’œuvre (réécrivant plusieurs passages). Stokowski fera plusieurs révisions et enregistrera trois fois son orchestration (1939, 1941 et 1965). La partition ne fut publiée qu’en 1971.

En 1982, c’est le pianiste et chef Vladimir Ashkenazy qui s’y essaie à son tour :

* Je suis toujours irrité de lire dans les programmes de concert « Tableaux d’une exposition » sans le déterminant « les ». La langue russe ne comporte pas d’article (ou de déterminant) et donc une traduction littérale conduit à omettre celui-ici. Le cas le plus célèbre est le roman de Tolstoi Война и мир, qui doit s’écrire en français LA guerre et LA paix et non Guerre et Paix.

Notre-Dame : cherchez le programme !

Le 15 avril 2019 je racontais ici Ma Notre-Dame, l’épreuve, l’horreur, les souvenirs d’une cathédrale en flammes.

Ce week-end je ne pouvais pas, je ne voulais pas manquer sa réouverture. Au terme de ces festivités, le bilan est mitigé pour user d’un euphémisme.

Félicitations

Commençons par les félicitations. Je suis un lève-tôt et un fidèle de Télématin sur France 2 depuis des années. Des présentateurs, des chroniqueurs, compétents, sympathiques, parfaitement intégrés à une formule qui a fait ses preuves, et surtout, surtout, grâce sans doute à la brièveté des journaux qui rythment l’émission toutes les demi-heures, quasiment pas de ces micro-trottoirs ridicules qui ont envahi les JT de 13h ou 20 h (je n’ai pas compté le nombre de fois où le mot « émotion » a été prononcé ce week-end !).

Samedi et dimanche les équipes de Télématin étaient devant Notre-Dame, avec des invités, des reportages, des « sujets » tous remarquables sans exception. Factuels, informatifs (qui savait ce qu’était un taillandier ? l’origine du nom du personnage de Victor Hugo Quasimodo ? même moi qui fus enfant un pratiquant assidu, je ne me rappelais plus qu’il s’agissait du dimanche qui suit Pâques). Bref un modèle de « matinale » informative et divertissante.

Ratage international

On ne doute pas que la diffusion des différentes cérémonies et messes du week-end a représenté pour France Télévisions un effort sans précédent. C’était une occasion exceptionnelle de montrer au monde le savoir-faire du service public.

Occasion ratée malheureusement. Tout le monde se souvient des grandes cérémonies qui rythment la monarchie britannique, pour ne prendre que les plus récentes les obsèques de la reine Elisabeth ou le couronnement de Charles III : la musique y tient une place considérable (voir La Playlist de Charles III). A tout moment, pour qui suit la cérémonie à la télévision, la BBC donne de l’information sur ce qui se passe, met les titres des morceaux joués, donne le nom des interprètes. Là RIEN, pas la moindre indication, tant pendant la cérémonie de réouverture que pendant les messes de dimanche, RIEN. Même quand retentit l’Alleluia du Messie de Haendel par le choeur et la maîtrise de Notre Dame, RIEN !

J’exagère ? Il n’est que de regarder la cérémonie inaugurale sur une chaîne comme NBC…

Ce n’est pas comme si ces cérémonies avaient été décidées au dernier moment, comme si leur déroulé avait été ignoré des équipes de télévision.

Certes il ne manquait pas de commentateurs pour citer les personnalités politiques, ou ressasser à l’envi l’histoire de cette résurrection. Il y avait naguère un excellent journaliste, très versé dans la chose liturgique, Philippe Harrouard, personne pour le remplacer ?

L’orgue de Notre-Dame était heureusement à la fête ! Oui mais qui a parlé des quatre organistes qui se sont succédé à la tribune ? on n’a aperçu que leur crâne. Jamais un mot sur ce qu’ils faisaient, jouaient, créaient. Les téléspectateurs ont pu être désarçonnés de n’entendre aucune pièce d’orgue connue, et on a vu nombre de commentaires désobligeants.. et compréhensibles puisque personne n’a eu droit à la moindre explication…

Franchement lamentable !

Le concert inutile

Je préfère ne pas savoir qui a fait le programme du « grand concert », ni qui en a choisi les interprètes… mais je n’ai malheureusement pas été surpris.

Je connais les équipes de production et de réalisation de ce genre d’événements – ce sont les mêmes qui font le concert du 14 juillet sous la Tour Eiffel

Le 14 juillet 2014 : seule la Maire de Paris Anne Hidalgo est encore en fonctions ! De gauche à droite : Anne Hidalgo, Bruno Julliard, François Hollande, JPR, Manuel Valls (Photo Présidence de la République)

Il se trouve que Radio France est très engagée dans ce type de concerts : moyens techniques, forces musicales. Mais tout récemment nommé directeur de la Musique j’avais découvert, il y a dix ans, que nous n’avions pas eu notre mot à dire sur le programme, le choix des interprètes, accessoirement le montant des cachets versés aux artistes… Sans parler de certaines pratiques dénoncées un an plus tôt par le Canard enchaîné.

Pour la préparation du concert du 14 juillet 2015 je comptais bien remettre les choses en ordre, et reprendre la main sur la conception, la programmation et l’organisation d’une soirée qui serait dirigée par Daniele Gatti, avec l’Orchestre national de France, le choeur et la maîtrise de Radio France. C’est ce qui fut fait : je me rappelle une réunion que j’avais provoquée, avec son plein accord, dans le bureau même du chef d’orchestre à Radio France, en présence de toutes les parties prenantes, notamment de France Télévisions. On évita le défilé de stars lyriques, on chercha et on trouva des oeuvres en rapport avec la circonstance : je crois – mais je n’en suis plus sûr – que Gatti retint l’idée de diriger l’ouverture 1812 de Tchaikovski avec choeur. Autour de la table, sans vouloir vexer personne, je pense qu’à part le chef et moi, personne ne savait que Tchaikovski cite la Marseillaise et pourquoi il le fait.

Mais je n’étais plus en fonction pour assister à ce concert ni aux suivants.

L’obsession des organisateurs de ce type de concerts, comme celui de Notre-Dame, est de ne surtout pas dépasser les 5 minutes (8 étant le très grand maximum) par séquence. Il paraît qu’on peut perdre ou lasser le spectateur… Ce qui est tout de même extraordinaire c’est que jamais on ne se permettrait de telles exigences avec des chanteurs de variétés (même si le format habituel d’une chanson est de l’ordre des 3 minutes), mais pour le classique tout est bon, y compris caviarder ou « arranger » un morceau pour que ça tienne… (l’autre soir, il ne suffisait pas que Lang Lang massacre le 2e concerto de Saint-Saëns, mais on avait coupé dans le finale !).

Réaction d’un vieux ronchon que la mienne ? Assurément non, parce que je revendique d’avoir fait ce beau métier d’organisateur et de programmateur durant près de quarante ans, sans jamais me moquer ni des artistes ni du public, au contraire. Relire en tant que de besoin tous les articles que j’y ai consacrés sur ce blog (comme Le grand public).

Le dernier événement que j’ai contribué à organiser était la finale du Concours Eurovision des jeunes musiciens en 2022 à Montpellier. De nouveau débat avec la production – la même que celle qui assume les Victoires de la Musique et autres rares émissions classiques à la télévision – sur la longueur des extraits et le choix de ceux-ci. Je ne dirai rien sur le résultat final, la « mise en scène » d’un spectacle calqué une soirée de variétés, mais je peux dire que les jeunes finalistes ont tous été respectés et que nous avons choisi avec eux les oeuvres qu’ils allaient jouer, sans coupure ni caviardage. Quasiment pas de supposés « tubes » grand public, mais des musiciens et des compositeurs que beaucoup ont dû découvrir ce soir-là. Je me rappelle la réaction des équipes présentes quand, déjà en répétition puis au concert, ils entendirent le vainqueur de ce concours – Daniel Matejca – jouer la cadence et le finale du 1er concerto de Chostakovitch

Comme l’orgue et les organistes ont été les grands oubliés de ce week-end, même si on les a heureusement beaucoup entendus, je leur consacrerai tout un billet demain.

Paris 2024 : hymnes à l’amour

Il y a trois jours j’écrivais : Réjouissons-nous pour une fois d’avoir été capables d’organiser un tel événement, réjouissons-nous de découvrir une cérémonie d’ouverture qui sera la plus belle fête du monde.

Ce fut la plus belle fête du monde.

Tant pis pour les grincheux et les coincés. Je n’ai pas tout aimé, j’ai trouvé certaines séquences trop longues ou peu inspirées, et alors ? Que valent ces réserves face à une soirée immense, grandiose, unique ? à la force des images ?

Beaucoup auront découvert Thomas Jolly, le créateur et grand ordonnateur de la cérémonie. Je n’ai pas été surpris par la fabuleuse invention qu’il a déployée (lire La magie de l’opéra)

Lumineuse Axelle Saint-Cirel

Je ne devrais pas l’écrire ? J’ai écouté Céline Dion les yeux baignés de larmes… et je n’étais manifestement pas le seul.

L’été 24 (IV) : Yes we Kam and other News

Pardon pour ce titre en anglais, mais les nouvelles, les bonnes surtout viennent d’Outre-Atlantique

Yes She can

La presse, les commentateurs, les « spécialistes » des plateaux télé ont souvent en commun de partager les mêmes analyses – si tant est que le terme convienne ! – et de répéter les mêmes éléments de langage jusqu’à ce que les faits, la réalité démentent leurs propos.

Qui a pu croire une seconde que le retrait de Joe Biden de la course présidentielle n’a pas été très soigneusement préparé, derrière le rideau de fumée propagé par l’intéressé lui-même, sa femme et son entourage ? Et que le surgissement sur le devant de la scène de Kamala Harris a été improvisé au dernier moment ? Il faut vraiment mal connaître le système politique américain.

Ce qui s’est passé aux Etats-Unis depuis le 21 juillet est un coup de maître, peut-être même un coup de génie. Laisser Trump être investi après un attentat manqué, quelques personnalités démocrates monter au filet (et pas des moindres comme Barack Obama) pour préparer le terrain de la « renonciation », après avoir laissé dans l’ombre la vice-présidente, pour pouvoir en moins de 24 heures retourner complètement la situation, c’est exceptionnel.

Et les mêmes qui, aux Etats-Unis et chez nous, trouvaient tout un tas de défauts à Kamala Harris, lui tressent depuis deux jours, des lauriers qui vont finir par paraître suspects. J’attends avec une immense impatience les prochains face-‘à-face entre Trump et elle.

Cela donne encore moins envie de s’attarder sur la situation politique française. Je suis surpris que Ségolène Royal ne se soit pas proposée pour Matignon. Que la gauche mélenchonisée en soit rendue à jeter en pâture à la presse des femmes dont on sait par avance qu’elles seront incapables de constituer un gouvernement, révèle un mépris abyssal d’abord pour les électeurs, ensuite pour le Parlement, sans parler du président de la République.

L’un sort, l’autre reste

Quelques jours après que le festival de Montpellier lui a offert une sorte de réhabilitation, après de longs mois de retrait de la vie musicale – John Eliot Gardiner dirigeait l’Orchestre philharmonique de Radio France le 16 juillet – on apprend que le chef anglais est banni définitivement du choeur et de l’orchestre Monteverdi qu’il a fondé (John Eliot Gardiner’s exit statement).

Dans le cas de François-Xavier Roth, déjà évoqué ici, comme dans l’éditorial très mesuré d’Emmanuel Dupuy dans le numéro de juillet de Diapason, la situation est très contrastée. Le chef français s’étant de lui-même mis en retrait – il n’avait pas d’autre moyen face à l’avalanche d’annulations de ses engagements -, il a été remplacé (comme à Montpellier) partout où il devait diriger ces prochains mois. L’ensemble qu’il a fondé – Les Siècles – a fait disparaître toute référence à son fondateur, y compris dans la « bio » de la formation; Le Gürzenich et l’opéra de Cologne ont mis fin avant terme au contrat qui les liaient à FXR.

Mais l’orchestre allemand de la SWR, où Roth est nommé à partir de 2025, vient de faire savoir qu’il n’avait trouvé aucune raison de renoncer à cette nomination : L’orchestre de la SWR maintient François-Xavier Roth à son poste.

Vive les Jeux

Enfin, un mot de l’événement planétaire qui commence cette fin de semaine. Je n’ai pas été le dernier à râler, à discuter de l’opportunité d’avoir les Jeux Olympiques à Paris et en France. Mais je ne supporte plus ces reportages qui passent en boucle sur les malheureux cafetiers et commerçants de l’extrême centre de Paris qui sont « confinés » jusqu’à samedi à cause de la cérémonie d’ouverture sur la Seine. Cet art si français de ronchonner à propos de tout, de se dévaloriser en permanence.

Alors que finalement ces Jeux à Paris auront permis des investissements considérables… et durables, propulsé quantité de projets, d’abord les transports publics, qui sans cette perspective, auraient mis des années à aboutir… ou pas. Sans parler de toutes les autres retombées. Je n’ai jamais vu les trains de banlieue ni les rames de métro aussi propres que ces jours-ci, jamais traversé les aéroports parisiens de manière aussi fluide, jamais vu autant d’agents d’information et de conseil dans les gares, les rues, etc.

Réjouissons-nous pour une fois d’avoir été capables d’organiser un tel événement, réjouissons-nous de découvrir une cérémonie d’ouverture qui sera la plus belle fête du monde.

J’étais ce midi dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés… les photos sont éloquentes !

Vents d’Est

J’étais de nouveau à Colmar ce week-end pour l’ouverture du Festival International de Colmar et de sa deuxième édition placée sous la direction artistique d’Alain Altinoglu (lire Retour à Colmar). Ce que j’ai pensé des trois concerts auxquels j’ai assisté sera à lire très bientôt sur Bachtrack.

Le petit extrait du bis donné hier soir dit assez l’ambiance festive qui régnait sous la vaste nef de l’église Saint-Mathieu.

Extrait de la 1e marche de Pomp and Circumstance d’Elgar / Orchestre symphonique de la Monnaie / Dir. Alain Altinoglu (6/07/2024)

Mais ces voyages en Alsace sont aussi pour moi l’occasion de m’arrêter en chemin dans des villes, dans les lieux, devant lesquels j’étais souvent passé trop vite.

Bar-le-Duc

Le chef-lieu du département de la Meuse n’évoquait vraiment rien de particulier pour moi, et c’est précisément cet inconnu qui m’a attiré pour une brève étape sur le trajet vers Colmar. La ville haute abrite tout un quartier Renaissance remarquablement préservé, où manque simplement, un vendredi matin, un peu de vie. Quasiment aucun commerce, aucun café…

La cathédrale Saint-Pierre

Le Palais de Justice

Hohlandsbourg

Quelques kilomètres avant d’arriver à Colmar, en passant par le col de la Schlucht, on se hisse sur les hauteurs de Hohlandsbourg, l’une de ces nombreuses forteresses qui dominent la plaine d’Alsace.

La vue sur Colmar est admirable.

Au bord du Rhin

Le samedi matin, entre deux averses orageuses, on pousse jusqu’aux deux communes jumelles de Neuf-Brisach (en France), et Vieux-Brisach ou Breisach-am-Rhein (en Allemagne). Neuf-Brisach est célèbre pour sa citadelle édifiée par Vauban, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco.

On pourrait penser que la flamme olympique est passée par ici. En fait, sans doute dépitée de ne pas avoir été sélectionnée, la commune a fait édifier sa propre flamme, comme le relate L’Alsace.

L’hôtel de ville de Neuf Brisach et la statue d’hommage à Vauban

Les bateaux de croisière sur le Rhin accostent à Breisach-am-Rhein

La ville haute de Vieux-Brisach / Breisach am Rhein.

Le lion de Belfort

Sur la route du retour ce matin, une halte s’imposait: Belfort et sa belle cité enserrée au milieu d’une imposante citadelle, dominée par la fabuleuse sculpture de Bartholdi, le fameux Lion.

Le Corbusier à Ronchamp

Je ne connaissais La Chapelle Notre Dame du Haut de Ronchamp – comme elle s’appelle complètement – que par mes lectures… et les timbres que je collectionnais enfant.

J’avoue que la petite heure que j’ai passée sur les hauteurs de Ronchamp à voir enfin de près l’oeuvre du Corbusier m’a profondément ému. Arrêt sur images…

La sagesse de Diderot

Une brève halte à Langres – trop brève pour visiter cette superbe cité – m’a rappelé que c’est la ville natale de Diderot, et je voulais m’imaginer que la sagesse de l’encyclopédiste inspirerait les électeurs.

la sompteuse cathédrale Saint-Mammès de Langres

Un dimanche extraordinaire

Bien entendu, je suis revenu à temps pour voter au 2e tour de ces élections législatives sans précédent.

La soirée électorale qui se déroule au moment où je conclus ce billet me réjouit à un point que je ne pouvais imaginer dimanche dernier. J’ai envie d’imaginer des lendemains qui chantent…On en reparlera très vite !

Le chaos ou la beauté (suite)

Je ne m’engage à aucun pronostic pour le second tour des législatives, sauf à rappeler une évidence : au premier tour on choisit, au second on élimine… ou on s’abstient. Je ne suis malheureusement pas du tout certain que les appels, les manifestations, les condamnations visant à « faire barrage » à l’extrême-droite n’aient pas l’effet inverse.

Naufrage ou survie ?

J’aurais dû lire et faire lire plus tôt un excellent essai, au titre inutilement racoleur, dont l’une des conclusions a été complètement démentie dimanche dernier :

Je n’en rajoute pas par rapport à mon précédent billet : Ce que je pense, dis ou écris, ne changera rien au chaos des esprits ni au choix des électeurs (relire éventuellement Tristes constats).

Je veux encore citer in extenso ce texte publié par l’écrivain, éditeur et critique Jean-Yves Masson sur sa page Facebook :

« On peut chercher à la dissolution décidée par le président de la République, et dont il porte seul la responsabilité, toutes les explications politiques, stratégiques, psychologiques ou même psychiatriques que l’on veut, je n’en vois en fait qu’une seule qui résume tout : la bêtise.

Je rêve d’un livre sur la bêtise dans l’histoire. C’est un facteur auquel personne ne pense jamais. La bêtise explique pourtant un très grand nombre de décisions dont les conséquences nuisibles étaient parfaitement prévisibles à un observateur, non pas omniscient ni génial, mais tout simplement sensé.

A certains moments, la bêtise éclate, se déchaîne, emporte tout sur son passage. Il faut l’appeler par son nom. Le latin stultitia ne distinguait pas la bêtise et la folie, on devrait s’en souvenir. Notre époque qui se vautre dans la vulgarité avec délices adore le mot « connerie », mais elle a doté ce mot d’une forme de complaisance qui en masque le côté nuisible. La bêtise n’est pas attendrissante. Elle est sans yeux et sans oreilles. Elle n’observe rien et si par hasard elle remarque quelque chose, elle fait tout pour n’en tirer aucune leçon. La bêtise réagit vite et presque mécaniquement à tout ce qui lui déplaît. Elle est par essence étourdie, bornée. Et le plus important, c’est que la bêtise en tant que potentialité humaine n’exclut pas du tout l’intelligence. Des gens bardés de diplômes ronflants ont parfaitement accès à la bêtise, elle les menace même d’autant plus aisément qu’ils s’imaginent en être protégés par leurs études, leur curriculum brillant.

J’ai vu se déchaîner la bêtise autour de moi de façon continue depuis plus de quarante ans, depuis que j’ai une conscience politique. Plusieurs fois, des choses que l’on croyait impossibles se sont produites, à commencer par la destruction de l’université (et du système scolaire) que j’ai pu observer de près. La lecture de la correspondance de Flaubert (et de toute son œuvre) a affiné ma sensibilité à ces phénomènes. J’ai essayé de me garder de cette part de bêtise que nous portons tous en nous et qui demande de la vigilance. Je n’ai bien sûr pas toujours réussi, mais j’espère que mes moments de bêtise (car je n’en suis pas plus exempt que n’importe qui) m’ont surtout nui à moi-même, et pas trop à autrui. La bêtise du président nuit à des millions de Français et plus encore à la France, qui est plus grande que nous tous. J’ai appris en tout cas que la plus grave forme de la bêtise consiste à ne pas savoir reconnaître ses erreurs. La bêtise se croit infaillible et pour persuader les autres commence toujours par l’autopersuasion.

Je pense très sincèrement que le 9 juin 2024 mérite d’entrer dans les grandes dates d’une histoire de la bêtise en France.

Vive le Boléro libre !

Il y a quand même quelques nouvelles réjouissantes, comme cette récente décision du Tribunal judiciaire de Nanterre qui confirme que Maurice Ravel est bien l’unique auteur du Boléro : Dans une décision d’une quarantaine de pages, les juges ont débouté les ayants droits de Maurice Ravel et d’Alexandre Benois, décorateur russe que ses héritiers souhaitaient voir reconnaître comme coauteur de l’oeuvre par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem).L’enjeu était de taille: que la Sacem, qui gère et collecte les droits d’auteur en France, reconnaisse M. Benois, décédé en 1960, comme coauteur et l’oeuvre aurait été protégée jusqu’au 1er mai 2039 (AFP).

Relevé ce matin dans Le Canard Enchaîné :

Le chaos ou la beauté

Je n’y arrive pas, je n’y arrive plus. L’envie me taraude de fermer les écoutilles jusqu’à dimanche matin. Ce que je pense, dis ou écris, ne changera rien au chaos des esprits ni au choix des électeurs (relire éventuellement Tristes constats).

Comme si j’avais besoin de me conforter dans un pessimisme qui m’est d’ordinaire étranger, j’ai relu Les ingénieurs du chaos de Giuliano da Empoli, un essai qui date de 2019, tragiquement prémonitoire. Il faudrait le conseiller à tous les électeurs tentés d' »essayer » l’extrême droite :

« Un peu partout, en Europe et ailleurs, la montée des populismes se présente sous la forme d’une danse effrénée qui renverse toutes les règles établies et les transforme en leur contraire.
Aux yeux de leurs électeurs, les défauts des leaders populistes se muent en qualités. Leur inexpérience est la preuve qu’ils n’appartiennent pas au cercle corrompu des élites et leur incompétence, le gage de leur authenticité. Les tensions qu’ils produisent au niveau international sont l’illustration de leur indépendance et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur liberté de penser.
Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Matteo Salvini, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d’éclat. Pourtant, derrière les apparences débridées du carnaval populiste, se cache le travail acharné de dizaines de spin-doctors, d’idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts du Big Data, sans lesquels ces leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir.
Ce sont ces ingénieurs du chaos, dont Giuliano da Empoli brosse le portrait. Du récit incroyable de la petite entreprise de web-marketing devenue le premier parti italien, en passant par les physiciens qui ont assuré la victoire du Brexit et par les communicants qui ont changé le visage de l’Europe de l’Est, jusqu’aux théoriciens de la droite américaine qui ont propulsé Donald Trump à la Maison Blanche, cette enquête passionnante et inédite dévoile les coulisses du mouvement populiste global. Il en résulte une galerie de personnages hauts en couleur, presque tous inconnus du grand public, et qui sont pourtant en train de changer les règles du jeu politique et le visage de nos sociétés.
 » (Présentation de l’éditeur)

Privatisation ?

Juste un mot sur un sujet qui ne semble pas alarmer grand monde : la privatisation de France Télévisions et de Radio France annoncée par le Rassemblement national. Oh bien sûr il y a les protestations d’usage, les appels des syndicats, mais les journalistes, y compris du service public, n’y accordent qu’un intérêt très relatif. Je n’ai encore vu aucun reportage, aucune enquête, qui décrive les conséquences d’une telle opération, si tant est qu’elle soit tout simplement réalisable. Un des acolytes de l’auto-proclamé futur Premier ministre essayait bien de rassurer son interrogateur en rappelant que les lois de la concurrence (l’Europe n’a pas que du mauvais semble-t-il) empêcheraient M. Bolloré d’accroître son empire médiatique. Mouais…

En revanche, personne ne semble se soucier du devenir des deux orchestres, du Choeur et de la Maîtrise de Radio France. Entre nous, le projet du gouvernement de fusion des entités actuelles en un seul pôle de service public avait aussi de quoi nourrir les inquiétudes.

En espérant que ces lendemains n’adviendront pas, réécoutons ce que les formations du service public peuvent produire de meilleur.Ici l’Orchestre national de France et Cristian Macelaru à Bucarest en septembre dernier

Oublier le chaos

J’ai trouvé refuge dans ma discothèque pour échapper au chaos ambiant et à venir.

Alexandre Tharaud qui a raison de manifester son inquiétude nous offre ces jours-ci le meilleur remède à la morosité, avec cette formidable compilation :

Dans le coffret Warner des enregistrements de Wolfgang Sawallisch (lire Les retards d’un centenaire), il y a deux pépites que les mélomanes chérissent depuis longtemps, les deux seuls enregistrements officiels de concertos que Youri Egorov a réalisés (lire La nostalgie des météores) : le 5e concerto de Beethoven et les 17 et 20 de Mozart.

J’ai eu envie de me replonger dans ce fabuleux coffret édité aux Pays-Bas et composé de prises de concert. Tout y est admirable.

Dans un récent article que je consacrais, entre autres, aux Etudes de Chopin, j’avais oublié de mentionner l’enregistrement exceptionnel de Yuri Egorov :

J’avais tout autant oublié Lukas Geniušas que j’avais pourtant entendu donner les deux cahiers à la fondation Vuitton en 2016, et invité à trois reprises à Montpellier.

Je trouve sur YouTube cette magnifique captation réalisée au conservatoire de Bruxelles, apparemment sans public (Covid ?)

Salut à la France

Je ne peux pas clore ce billet sans cet air de circonstance :

Croyons avec notre chère Jodie Devos que c’est cette France que nous aimons qui sortira victorieuse.

Post scriptum : Une ode à la joie

Depuis que j’ai bouclé ce papier hier soir, j’ai écouté une nouveauté qui m’a remis en joie, et qui est vraiment ce dont nous avons besoin aujourd’hui :

Encore une version de ce triple concerto de Beethoven, qui, en dehors de son ‘aspect inhabituel, l’insertion d’un trio avec piano dans une pièce d’orchestre, n’est pas le plus grand chef-d’oeuvre de son auteur ? Oui mais joué comme ça par cette équipe, on oublie toutes les réserves, on se laisse porter par l’inépuisable tendresse et la formidable énergie que dégagent ces musiciens qu’on adore : Benjamin Grosvenor au piano (comment pourrais-je oublier les 3e et 4e concertos de Beethoven joués à ma demande à Montpellier en juillet 2022 ?), Sheku Kanneh-Mason au violoncelle, qui force mon admiration chaque fois que je l’entends en concert (lire sur Bachtrack : La jeunesse triomphante de Sheku Kanneh-Mason), Nicola Benedetti que je ne connais que par le disque, et un chef, Santtu-Matias Rouvali, à qui je dois bien avoir consacré une dizaine de billets sur ce blog !

Mais il n’y a pas que le triple concerto sur ce disque. Les « compléments » sont tout sauf secondaires, ils font partie de la partie la moins connue de ‘l’œuvre de Beethoven, toutes ces mélodies, ces Songs qu’il a collectés sur les îles britanniques, arrangés pour quelques-uns pour trio autour du magnifique Gerald Finley.