Rachmaninov soviétique

J’avais vu passer cette Rachmaninoff Collection éditée par la firme Melodia – producteur exclusif de disques du temps de l’Union soviétique – pour le 145ème (sic) anniversaire de la naissance de Serge Rachmaninov, en 2018 donc. Je ne m’y étais pas attardé en raison d’un prix prohibitif – entre 300 et 400 € selon les fournisseurs – et du peu d’informations qu’on avait du contenu du coffret.

Il y a quelques jours, parcourant la colonne des « bonnes affaires » ou « offres spéciales » du site allemand jpc.de– où j’ai fait nombre de belles trouvailles – je suis tombé sur une offre, cette fois irrésistible, 130 € pour une véritable malle aux trésors (33 CD et un vinyle) : Sergej Rachmaninoff – Die Melodiya-Edition. Les frais de port sont très peu élevés, et pour les non-germanophones, le site peut aussi être consulté en anglais.

Comme pour les coffrets précédents consacrés à Sviatoslav Richter, Emile Guilels ou Evgueni Svetlanov, la présentation est très soignée, avec un livret quadrilingue, et sur chaque pochette cartonnée en trois volets toutes les précisions nécessaires (toujours en quatre langues) sur les interprètes, les dates et lieux d’enregistrement.

Inutile de dire qu’on va de surprise en émerveillement, parce qu’aux références déjà connues et éditées en Occident s’ajoutent nombre d’enregistrements d’interprètes moins connus, mais tout aussi passionnants, qui témoignent de l’art de plusieurs générations de musiciens de l’ère soviétique abordant un compositeur d’abord honni, puisque ayant fui la mère patrie sans jamais y être revenu.

Tous les détails de ce coffret à voir ici : Rachmaninoff Collection tracklist

De précieux documents connus (Rachmaninov lui-même au piano, Horowitz) et d’autres que je découvre comme ce prélude op.23/5 joué en 1924 par…Prokofiev (YouTube cite une autre date, 1919, pour un enregistrement sur rouleau, miraculeusement restitué)

Celui qui fut, dans sa jeunesse, un virtuose célèbre en URSS, Victor Eresco, 80 ans, vit, semble-t-il, une retraite paisible en Bourgogne, où il est installé depuis plusieurs années !

Nombre de représentants de la grande école de piano russe – si tant est que le terme ait un sens – moins connus que les figures de proue, figurent dans ce coffret. On y retrouve aussi des interprètes devenus mondialement célèbres, comme Nikolai Luganski :

Et bien sûr des versions maintes fois célébrées – Svetlanov dans la 2ème symphonie ou L’île des morts – Kondrachine dans les Danses symphoniques, la version qui trône au sommet de la discographie, la plus désespérée, la plus tragique.

Les deux Serge

Le numéro de février de CLASSICA consacre sa une et une grande partie de son contenu à deux compositeurs, qu’on n’a pas forcément l’idée d’associer… et pourtant ! Excellente initiative d’évoquer les deux Russes les plus connus du tournant du XXème siècle, les deux Serge, l’aîné Rachmaninov – ou Rachmaninoff comme on l’orthographiait jusqu’à ce que la transcription internationale du russe prenne le dessus – (1873-1943) et le cadet Prokofiev/Prokofieff (1891-1953).

Sans doute parce qu’il y a quelques anniversaires à célébrer : le sesquicentenaire de la naissance et les 80 ans de la mort de Rachmaninov, pour Prokofiev les 70 ans de sa mort (le même jour que Staline !). Qu’à cela ne tienne, tout prétexte est bon pour parler de musique.

Quasi contemporains, ils ont quitté leur Russie natale pour les mêmes raisons – la Grande Guerre, la prise de pouvoir par les bolcheviks – Rachmaninov en 1917, Prokofiev en 1918. Le premier ne reverra jamais le pays, le second y reviendra, dans la pire période stalinienne, s’installant définitivement à Moscou en 1936.

L’un et l’autre étaient de formidables pianistes (s’il en était besoin, Alain Lompech et les pianistes russes Nikolai Luganski et Alexandre Melnikov nous le rappelleraient).

Les dossiers et interviews sont passionnants, en particulier ceux de Laetitia Le Guay – jadis connue comme jeune productrice à France Musique – auteur d’un excellent Serge Prokofiev chez Actes Sud.

Il faut lire ce numéro, même et surtout si on croit bien connaître l’un et l’autre compositeurs. Il y a toujours à apprendre. Notamment dans les interviews de Nikolai Lugansky et Melnikov. Qui vont à l’encontre de pas mal d’idées reçues. On y reviendra !

Classica fait des recommandations discographiques. On ne les évoquera pas toutes ici, puisqu’on « feuilletonnera » au fil de l’année une sorte de discothèque idéale pour l’un et l’autre compositeurs.

Pour ce qui de l’intégrale des symphonies de Prokofiev, j’aimerais vraiment mettre en valeur une version ignorée d’à peu près tous les guides, et jamais citée en « référence », alors qu’elle est, à mes oreilles, l’une des plus idiomatiques, celle de Jean Martinon réalisée en 1970 avec l’Orchestre national de l’ORTF pour le label américain Vox. Dans une prise de son admirable, le chef et l’orchestre français font éclater toute la modernité du symphonisme de Prokofiev.

Quand je déplorais la lenteur et la lourdeur de Riccardo Chailly et de son orchestre scaligère dans la 1ère symphonie dite « classique » (lire Bachtrack) – il semble que ce travers soit contagieux, à en croire mon confrère qui a assisté au concert de Pappano avec la même oeuvre – La tiédeur de Pappano – j’avais en tête la malice, l’ironie, le rebond de Martinon :

Quatorze ans après

J’évoquais dans mon dernier billet – Des hommes bien – la belle figure du musicien Bruce Richards, cor solo de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, décédé le week-end dernier.

J’ai emprunté à Emilie Belaud, aujourd’hui à l’Opéra de Paris, alors violon solo de l’OPRL, cette photo prise à Rio de Janeiro (le pain de sucre !) en août 2008, où l’on voit à gauche Bruce Richards (et à droite son collègue trompettiste Philippe Ranallo)

La fête à Sao Paulo

Ce soir, l’OPRL donne le premier concert de sa tournée en Amérique du Sud, à Sao Paulo.

Les photos des musiciens, à l’aéroport et à l’hôtel (le même qu’en 2008!) ne font que raviver les souvenirs de la précédente tournée sud-américaine que j’avais eu la charge et la chance d’organiser.

Fort heureusement, les circonstances dramatiques qui avaient marqué l’arrivée de l’orchestre il y a quatorze ans ne se sont pas reproduites. Récit et photos à voir ici : Un début en catastrophe.

Les Liégeois seront en bonne compagnie, ils ont choisi le magnifique Nikolai Lugansky qui jouera le premier concerto de Chopin.

Et comme il se doit, le programme des concerts de l’OPRL s’ouvre avec un chef-d’oeuvre, l’Adagio pour quatuor d’orchestre du compositeur belge Guillaume Lekeu, emporté par la fièvre typhoïde à 24 ans..