Les chefs de l’été (III) : Ansermet et Haydn

Le légendaire fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, Ernest Ansermet (1883-1969) a laissé un prodigieux legs discographique, pour l’essentiel gravé pour et par Decca avec l’orchestre suisse dont il fut le directeur musical durant 50 ans !

La musique française bien sûr, les Russes tout autant, comme son ami Stravinsky, et tout un répertoire considérable.

Haydn n’est pas le compositeur qu’on associerait spontanément à Ansermet. Et pourtant on lui doit l’une des très belles versions des Symphonies parisiennes :

Pour la symphonie n°85, un document que je ne connaissais pas : Ernest Ansermet dirige l’orchestre symphonique de la BBC en studio le 2 février 1964 !

Etonnamment, Ansermet n’a pas enregistré au disque, la symphonie n°88 qui était un « tube » pour à peu près tous ses contemporains (Furtwängler, Walter, Klemperer, Reiner…) mais on dispose d’un « live » enregistré par la Radio suisse romande lors du festival de Montreux, le 31 août 1960 :

Plus rare au disque, la symphonie n°90 avec sa fausse fin (ça fonctionne toujours en concert !):

ou la symphonie n°22 dite « Le Philosophe »

Le titre « le Philosophe » ne figure pas sur le manuscrit original et il est peu probable qu’il vienne de Haydn lui-même. On le trouve en revanche sur une copie manuscrite de la symphonie trouvée à Modène et datée de 1790 ; ainsi le surnom date de la vie même du compositeur. Ce titre proviendrait de la mélodie et du contrepoint du premier mouvement (entre les cors et le cor anglais), qui font musicalement allusion à une question suivie d’une réponse et qui constituent l’essence de la disputatio. L’effet de tic-tac en sourdine évoque également l’image d’un philosophe plongé dans ses pensées

Les témoignages d’Ernest Ansermet dans les symphonies « londoniennes » de Haydn sont plus rares. En concert avec l’orchestre de la Radio bavaroise, la n°95 nous semble étrangement poussive.

En revanche, sa gravure de studio, réalisée en 1949 à Genève, de la symphonie n°101, est une démonstration d’allégresse, de virtuosité collective !

Sir Roger et Papa Joseph

Ce n’était pas la foule des grands soirs mais le programme autant que les interprètes justifiaient qu’on soit présent au Théâtre des Champs Elysées ce mardi soir. Très british indeed !

Roger Norrington, Ian Bostridge, Purcell (la suite Abdelazer or the Moor’s Revenge, dont le rondeau a servi de thème à Britten pour son fameux Young person’s guide to the orchestra), Britten justement et son Nocturne, pour ténor et orchestre, d’un accès moins aisé que la Sérénade antérieure, la sublime Fantaisie de Vaughan Williams sur un thème de Thomas Tallis, et last but non least la 103eme symphonie de Haydn qui s’ouvre par un spectaculaire « roulement de timbales »

On est heureux de constater la grande forme de l’Orchestre de Chambre de Paris, qui se plie avec une souplesse confondante aux exigences stylistiques, aux facéties parfois de l’illustre chef britannique, qui comme son compatriote John Eliot Gardiner, comme chef de choeur d’abord, puis chef d’orchestre a tant fait pour nous faire redécouvrir tout le répertoire classique et pré-romantique.

Jubilation particulière pour moi à l’écoute de l’une des symphonies les plus parfaites de Haydn – mais pourquoi les entend-t-on si rarement au concert?  ! Deux souvenirs personnels liés à cette oeuvre et ce chef.

Je ne me rappelle plus pourquoi un 33 tours Mercury, comportant les symphonies 94 et 103, par Dorati et le Philharmonia Hungarica, était présent dans cette bergerie glaciale que mes parents avaient louée dans les Pyrénées non loin de La Mongie en cet hiver 1970. On avait apporté l’électrophone pour passer quelques disques de Noël, et ce Haydn m’était-il destiné pour mon anniversaire ? Je me rappelle l’avoir passé en boucle et n’avoir jamais faibli depuis dans l’affection que je porte à ces deux symphonies.

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En cherchant sur Youtube, je suis tombé sur cette version plutôt inattendue de … Pierre Boulez (à Chicago en 2006)

L’autre souvenir est lié à l’émission Disques en lice, fondée en décembre 1987 sur Espace 2, la chaîne musicale et culturelle de la Radio suisse romande, par François Hudry, à laquelle j’ai participé sans interruption jusqu’à mon départ de la Suisse pour France Musique (à l’été 1993).

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(Roger Norrington et François Hudry / Photo F.H.)

La grande affaire de ces années-là avait été l’intégrale très admirée et très controversée des symphonies de Beethoven que Roger Norrington avait réalisée pour EMI avec les London Classical Players. Norrington avait devancé Harnoncourt et Gardiner dans cette entreprise, il prétendait se fier strictement aux indications métronomiques de Beethoven lui-même. Quel décrassage, quel dégraissage pour nos oreilles ! Et voici qu’un jour (pour la centième de l’émission ?) François Hudry avait invité Norrington à venir lui-même parler de ses interprétations, en l’occurrence de la 6e symphonie « Pastorale » de Beethoven.

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Et l’émission et le repas qui suivit furent bien trop courts… Sir Roger étant un formidable personnage, savant, gourmand, jouissant de la musique comme des farces qu’il fait aux musiciens et au public.

Je me rappelle alors lui avoir demandé s’il comptait graver Haydn. Il se tâtait encore, connaissant la difficulté de l’entreprise. La réponse vint quelques années plus tard, pour ce qui est des symphonies « londoniennes » et tout récemment pour le cycle des « parisiennes« . Evidemment indispensable !

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