Mémoires vives

Monsieur Cinéma

Alors que Jérôme Garcin s’apprête à animer son dernier « Le Masque et la Plume » sur France Inter – on y reviendra – je veux dire le plaisir, le bonheur même, que j’ai à lire à petites doses, à déguster comme un bon vin, une formidable compilation d’articles, de souvenirs, d’entretiens que nous a laissée Michel Ciment, disparu il y a un peu plus d’un mois.

« J’ai toujours pensé que dans mon activité de critique de cinéma le reportage, l’entretien, l’hommage, l’essai et la controverse sont intimement liés. Ce livre en est le reflet. Il rassemble, en cinq grandes parties, un choix d’une cinquantaine de textes publiés sur plus d’un demi siècle. Tous témoignent d’une curiosité inlassable et d’une défense de nombreux films qui m’ont confirmé dans l’idée que le cinéma est un art vivant et novateur. » Enquêtes sur les cinémas soviétiques, sur la comédie italienne, reportages de tournage, rencontres avec Coppola ou Gainsbourg, hommages aux metteurs en scène chers à l’auteur, de Resnais à Polanski, de Sautet à Wilder, réflexions sur le statut et les limites du critique de cinéma… Michel Ciment nous fait partager la passion d’une vie consacrée au septième art. (Présentation de l’éditeur)

Les premiers chapitres m’évoquent mes propres souvenirs, Michel Ciment racontant ses voyages en Union soviétique dans les années 70, et sa découverte du cinéma extrêmement vivant, souvent plus « libre » des républiques périphériques, loin de Moscou et de la censure. J’ai relaté mes découvertes de ce cinéma si novateur, comme étudiant de russe : La femme de Tchaikovski.

Mon émotion reste intacte quand je revois ce premier film d’Andrei Konchalovski (à ne pas confondre avec son frère cinéaste, Nikita Mikhalkov-Konchalovski, qui a bien tristement évolué…), Le Premier Maître (1965)

Paris s’éveille

Je craignais d’être déçu, comme je l’ai été si souvent avec les souvenirs de stars du cinéma, de la chanson, voire de la radio ou de la télévision, par ces Mémoires d’un personnage qu’on aime depuis longtemps, comme auteur, chanteur, musicien et acteur.

Dutronc s’est peut-être fait aider pour l’écriture de ces souvenirs, pourtant ils portent la marque de son style inimitable, de cet art, si particulier aux grands auteurs de chansons, d’évoquer en peu de mots choisis tout un théâtre de sensations et d’émotions.

Premières lignes :

« La guerre et la nuit ne vont pas ensemble. Je déconseille de naître la nuit, en pleine guerre, par exemple. Ça m’est arrivé : c’est une mauvaise idée. C’était en 1943, le 28 avril. Courir dans Paris en bravant le couvre-feu, sans laissez-passer, ça aussi, je le déconseille. Mais mon père n’avait pas le choix : Madeleine, sa femme, était sur le point de m’infliger la vie. Il a filé demander de l’aide au commissariat le plus proche : il est tombé sur la Kommandantur, le seul bâtiment éclairé. Là, on lui a indiqué le poste de police, qui a envoyé une estafette. J’ai donc été à deux doigts de naître dans un panier à salade. Finalement, j’ai attendu d’être à la clinique, près de la porte de Champerret, pour pousser mon premier cri. Il était 5 h 20 du matin.
Je n’étais pas le premier enfant du couple : mon frère Philippe m’avait précédé dans cet emploi. Je n’étais pas non plus le premier Jacques Dutronc : on m’a donné le prénom d’un de mes oncles, mort au champ d’honneur, le 7 juin 1940. Avant de naître, j’avais donc déjà ma tombe au Père-Lachaise. J’avais pris de l’avance.« 

Deux livres nostalgiques, bien de saison à l’approche d’une période de fêtes obligées qu’on redoute toujours, s’il n’y avait la perspective des sourires d’enfants et des joies de famille.

Journal 15/09/19

Au fil des années – j’ai commencé mon premier blog en janvier 2007 ! – ce blog a perdu de son caractère de journal, pas nécessairement intime, et donc une certaine spontanéité dans la réaction aux événements et à l’actualité.

Sans doute parce qu’à quelques occasions on m’a fait observer que liberté de ton et spontanéité n’étaient pas compatibles avec mes fonctions professionnelles.

Compatible ?

Je me rappelle – il y a prescription – ainsi un papier il y a une bonne dizaine d’années intitulé « Lamentable » où je dénonçais l’attitude du tout puissant patron d’une entreprise publique de Liège à l’égard des salariés et des syndicats de ladite entreprise, patron par ailleurs étiqueté socialiste. Un journaliste avait repris certains termes de ce billet qui s’étaient retrouvés dans Le Vif/L’Express. Le jour de la parution de l’hebdomadaire j’avais eu plusieurs réunions à Bruxelles, sur la route du retour dans ma voiture s’affichaient plusieurs appels manqués et messages… Mes propos n’avaient pas plu et on me demandait, plus ou moins aimablement, de m’en expliquer. Sans rien en renier, j’en fus quitte pour mettre une sourdine à ce genre de réactions d’humeur.

Je vais donc reprendre, à mon rythme et en fonction de l’actualité, le fil d’un journal de bord. En toute liberté.

Balkany

Ecrit ceci sur Facebook :

Je n’ai et n’ai jamais eu aucune espèce de sympathie pour le sieur Balkany et sa dame. Ils représentent à peu près tout ce que j’exècre en matière de comportement personnel et politique.
Mais le déchaînement de joie mauvaise qui a surgi dans les tous médias et sur tous les reseaux sociaux à l’annonce de son incarcération immédiate me révulse. Condamnés pour les mêmes faits et quasiment aux mêmes peines de prison que Balkany, les hautes figures morales que sont l’ancien ministre socialiste Cahuzac et l’ex-humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala non seulement n’ont pas « bénéficié » d’un infamant mandat de dépôt à l’audience, mais ont échappé à la case prison.
Quelqu’un veut bien m’expliquer ?

La même justice pour tous ? Voire.

Recyclage

J’ai failli me décourager. Pas aidé par les responsables de la collection, qui avaient fini par me recommander de me tourner vers Amazon ! Chez chacun de mes libraires habituels, impossible de trouver les trois ouvrages parus avant l’été sous l’égide de Via Appia. Jeudi à la FNAC Rennes, j’ai finalement trouvé In Memoriam

915+NAFDMFLComme c’est l’auteur lui-même qui signe la « présentation de l’éditeur », je ne me risque pas à le paraphraser ;

« Pendant plus de dix ans, Sylvain Fort a assuré sur Forumopera.com une garde dont personne ne voulait : celle d’embaumeur. Quand un chanteur d’opéra venait à s’éteindre et qu’il avait été cher à son coeur, c’est dans l’énergie de l’émotion qu’il lui rendait hommage. Dans les rédactions, pourtant, la terrible logique des  » viandes froides  » veut qu’on ait pour chaque artiste prêt à rejoindre son créateur un bel obituaire tout encarté de pourpre. Ces hommages, composés alors que la victime bat encore le pavé, rappellent les albums de Noël opportunément enregistrés au mois de juillet. C’est au contraire dans l’immédiat silence de la disparition que Sylvain Fort composa le catafalque de ceux qu’il admira depuis sa plus tendre jeunesse. Ainsi, In Memoriam n’est pas un recueil d’hommages raisonnés, c’est le témoignage d’un mélomane épouvanté de voir glisser ses idoles dans un silence définitif.

Lecture agréable, une fois qu’on a intégré le style volontiers lyrique de celui qui fut la plume inspirée d’Emmanuel Macron pour certains des grands discours « mémoriels » du président de la République. On y reviendra. Défilent Bergonzi, Schwarzkopf, Fischer-Dieskau, Jurinac, et d’autres moins attendus.

Ode à la famille

Olivia de Lamberterie est le visage aimable et gourmand de la critique littéraire dans Télématin sur France 2 et la voix qui ne paraît jamais à court d’enthousiasmes du Masque et la Plume sur France Inter.

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Quand, il y a un an, elle a publié son premier livre, j’ai pensé qu’elle succombait à son tour à la tentation de la notoriété.

La présentation qu’elle en faisait me semblait habile, mais pas indispensable :

Les mots des autres m’ont nourrie, portée, infusé leur énergie et leurs émotions. Jusqu’à la mort de mon frère, le 14 octobre 2015 à Montréal, je ne voyais pas la nécessité d’écrire. Le suicide d’Alex m’a transpercée de chagrin, m’a mise aussi dans une colère folle. Parce qu’un suicide, c’est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux.
Moi, je ne voulais pas me taire.
Alex était un être flamboyant, il a eu une existence belle, pleine, passionnante, aimante et aimée. Il s’est battu contre la mélancolie, elle a gagné. Raconter son courage, dire le bonheur que j’ai eu de l’avoir comme frère, m’a semblé vital. Je ne voulais ni faire mon deuil ni céder à la désolation. Je désirais inventer une manière joyeuse d’être triste.

Et j’ai acheté ce livre, dans son édition de poche. Pressentais-je que j’allais aimer cette histoire, la sienne, parce qu’elle évoque la famille, la vie de famille, telle que j’ai cessé de la connaître à la mort de mon père (Dernière demeure). Sans toujours en avoir eu conscience, je me suis souvent attaché à des ouvrages, romans ou récits, qui convoquent la figure du père, aimé ou honni, présent ou absent.

Olivia de Lamberterie dépasse la tragédie de la mort de son frère pour dire, d’une plume pudique et légère, enjouée et tendre, jamais exhibitionniste ni racoleuse, les joies multiples de la famille. Ce livre m’a fait un bien fou, c’est déjà ça !

Bruckner à Vienne

Pendant que je lisais Sylvain Fort, j’écoutais un compositeur dont je crois savoir qu’il le déteste ! Sur Idagio, avec une qualité de son, une définition exceptionnelles, je retrouvais, regroupées dans un coffret Decca/Eloquence, des versions des symphonies de Bruckner que je connaissais, isolées, qui ont pour point commun l’Orchestre philharmonique de Vienne. 

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Il faudra que j’y consacre un billet spécifique.

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Claudio Abbado (1), Horst Stein (2,6), Karl Böhm (3,4), Lorin Maazel (5), Georg Solti (7,8) et Zubin Mehta (9) se partagent le travail. Réussites inégales, mais comparaison passionnante.