Les pièges du français

A1E+zevt7VLJe vérifiais l’autre jour que les ouvrages, dictionnaires, jeux sur le français, la langue française, l’usage du français, n’ont jamais été aussi nombreux à être proposés comme cadeaux pour les fêtes.

C’est le paradoxe de notre époque : plus on abîme notre langue au quotidien, plus on la révère comme objet de musée.

Faisant partie de ceux qui ont l’orthographe « naturelle » – j’avais toujours zéro faute aux dictées à l’école ! – et qui aiment profondément la langue française, je pense depuis longtemps que nos règles sont beaucoup trop complexes et inutiles, qu’il faudrait donc les simplifier précisément pour aider les millions de francophones à mieux la parler.

Les exemples sont légion :

  • le participe passé : on accorde quand le complément d’objet direct est placé avant le verbe, on n’accorde pas quand il est après. Règle inutile, non signifiante ! Qu’on m’explique la différence de sens (et donc la nécessité d’une orthographe différenciée) entre : Madame la boulangère, je vous ai acheté d’excellentes chouquettes l’autre jour / merci pour les excellentes chouquettes que je vous ai achetées l’autre jour !
  • même inutilité dans ce cas de figure : « elle s’est dit en elle-même qu’elle s’était trompée » 
  • espérer/souhaiter : on nous a expliqué dans les précis de grammaire de notre enfance qu’espérer gouverne l’indicatif, parce que l’espérance est une  certitude (c’est même l’un des fondements de la foi chrétienne), et que souhaiter gouverne le subjonctif, puisque le souhait exprime une forme d’incertitude subjective. Cela donne donc : J’espère que vous pourrez venir à mon anniversaire, mais je souhaite que vous puissiez y venir ! Résultat de cette règle idiote : tout le monde écrit maintenant : « en espérant que vous puissiez venir » (mais je n’ai pas encore lu ni entendu : j’espère que vous puissiez venir). Bref encore une complication pour rien !
  • après que doit logiquement être suivi de l’indicatif (puisqu’il s’agit de faits avérés), à l’inverse de avant que qui entraîne le subjonctif de l’incertitude. On devrait donc dire : Après que vous m’avez rendu visite, j’ai pris mes informations avant que j’aille à mon rendez-vous. Cette règle est depuis longtemps obsolète, on lit et on entend couramment « après que vous m’ayez rendu visite« .

On l’a compris, il faut simplifier, sans aucunement dénaturer notre belle langue.

En revanche, il n’y aucune raison de se soumettre à certaines modes, à des mots ou des expressions de pur jargon, qui non seulement n’améliorent pas la compréhension des notions qu’ils désignent, mais appauvrissent notre vocabulaire au lieu d’en exalter les richesses.

Trois exemples courants :

 » La France a un vrai problème avec le chômage de masse » devient, en langue techno-politique : « Le chômage, c’est un sujet« .  – Monsieur le Ministre, que pensez-vous de la baisse des prix du pétrole ?- C’est un sujet en effet…

 » Maintenant un reportage qui vous montre comment les attentats du 13 novembre ont impacté la vie des Français. » Je veux bien répondre éventuellement à une question sur l‘impact que ces événements ont eu sur mon quotidien, en quoi ils m’ont touché, atteint…

En réunion, on présente aux interlocuteurs un projet « à date« . Avec un petit effort, on comprend que c’est la dernière version, la plus actuelle, celle du jour, même si cela va de soi (à quoi bon se réunir pour parler d’un projet obsolète ou dépassé ?).

Bref ce n’est pas demain la veille qu’on réduira les chausse-trapes (eh oui, il ne faut pas écrire chausse-trappes !) de notre bien vivante langue française. En attendant, on peut profiter des fêtes de famille pour s’en amuser…

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Au jour d’aujourd’hui

Rien de personnel dans ce billet, puisque, comme jadis les mauvais élèves au fond de la classe, je me contente de copier intégralement ce papier paru sur le blog des correcteurs du journal Le Monde (http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2015/10/13/les-pleonasmes-les-plus-en-vogue-dans-la-presse/). Je copie et je partage !

« En grec ancien, pleonasmos signifie « excès », « surabondance », « exagération ». Si le pléonasme ne va pas jusqu’à l’hubris, la déraison, la démesure qui appelle la vengeance divine, il n’en suscite pas moins l’ire ou la dérision des lecteurs. La grande fréquence des pléonasmes dans la presse illustre l’usure des mots, mais aussi la méconnaissance de leur sens. Voici une revue de détail.

Commençons par faire un sort au taux d’alcoolémie. L’alcoolémie étant le « taux d’alcool » dans le sang, à quoi bon en rajouter, sauf à voir double après une consommation immodérée de produits du terroir ?

La caserne évoquant pour tous la Grande Muette, autrement dit l’armée, quelle information de plus donne-t-on en parlant de caserne militaire — à part rallonger la sauce quand on est payé au signe ?

Comment faut-il interpréter la locution au pluriel populations civiles ? Est-ce à dire que les populations non respectueuses des bonnes manières en sont exclues ? La population, au singulier, n’est-ce pas exhaustif ?

Le tri étant une sélection, parler de tri sélectif c’est bégayer. Un peu comme « sélection sélective ».

Le principal protagoniste nous laisse dubitatifs : le « protagoniste » étant l' »acteur principal » (étymologiquement, « celui qui combat au premier rang »). Par exemple, dans l’Iliade, le protagoniste est Achille, et dans l’Odyssée, Ulysse. Et dans Ivanov de Tchekhov, c’est… Ivanov.

On peut lire ici ou là talonner de près. Talonner de loin, de toute façon, c’est ardu.

Le cadeau gratuit relève plus de la novlangue publicitaire que de celle de la presse, certes, mais il y fait aussi des incursions sournoises. Si un cadeau est payant, ce n’est plus un cadeau.

A quoi bon faire suivre « lorgner » de la préposition « sur », alors que ce verbe est transitif ? On peut donc faire l’économie de ladite préposition. Lorgner sur finit par faire loucher, ce qui est d’ailleurs le sens premier de ce verbe.

Un tollé étant par définition une… « clameur collective » (pléonasme du Larousse), on se gardera bien d’employer tollé général. La même remarque vaut pour liesse ou pour consensus.

Veto signifiant en latin « je m’oppose », il n’est pas nécessaire d’opposer son veto quand on a cette prérogative. On se contentera de « mettre son veto ».

Enfin, il est superfétatoire de faire suivre la locution adverbiale etc. (pour le latin et cetera, « et les autres choses ») des points de suspension (etc…), car ils ont ici le même sens de « et les autres choses »…

Cette liste n’est pas close. Les pléonasmes ne se limitent donc pas à « monter en haut », « descendre en bas » ou « prévoir l’avenir », les exemples donnés par les dictionnaires. Beaucoup ne sont pas perçus comme tels et ont reçu l’onction des dictionnaires, comme au fur et à mesure ou donner le gîte et le couvert (dans les deux cas, on dit deux fois la même chose). D’autres ont été sanctifiés par la littérature (pauvre hère ou frêle esquif) et d’autres sont indivisibles, comme aujourd’hui ou se suicider.

Le très mode au jour d’aujourd’hui étant une espèce de record, une façon de dire trois fois la même chose, cette locution est un chef-d’œuvre de vacuité. »

Plantu, lui, ne risque pas le pléonasme avec son dessin quotidien à la une du Monde, puisqu’il réussit le tour de force d’une sorte de concentré de l’actualité, le choc des maux de l’époque.

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(Plantu dans Le Monde du 23 septembre 2015)

Académique

Académique, définitions :

  • Qui relève d’une académie et, en particulier, de l’Académie française : Récompenses académiques.
  • Qui ne s’écarte pas des règles et des usages traditionnellement admis dans certains milieux officiels ou littéraires : Employer un langage peu académique.
  • Se dit d’une œuvre littéraire, artistique (de son auteur), dont la conformité à la tradition littéraire, artistique, supplée à un certain manque de naturel et d’originalité ; compassé, conventionnel : Mise en scène trop académique.
  • En Belgique et en Suisse, synonyme de universitaire : Année académique (Source : Larousse)

Un souvenir d’abord, en rapport avec la dernière de ces définitions. La rentrée académique à l’Université de Liège. Incontournable. Événement politique, mondain, diplomatique plus encore que scientifique ou universitaire. La prochaine ne faillira pas à la tradition : http://events.ulg.ac.be/ra2015/

Et une découverte, hier, dans ma librairie favorite de la rue de Bretagne : deux ouvrages, bon marché (12 €), joliment présentés, repérés dans le rayon « langue française » que je n’avais plus visité depuis quelques semaines, et qui prouvent que l’auguste et austère Académie française s’est mise à la communication (ne disons pas la « com » pour ne pas risquer l’excommunication !).

J’avais loupé le premier volume sorti il y a un an, un deuxième vient d’être publié (sans doute en raison du succès du premier) :

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On a si souvent moqué la lenteur des travaux de la Commission du dictionnaire de l’Académie française qu’on est comme étonné que celle-ci ait pu produire ces deux livres. Explication de l’académicien Yves Pouliquen : « …Une initiative dont le succès fut immédiat : Dire, Ne pas dire mit en relation des dizaines de milliers d’internautes qui, appréciant les propositions critiques qu’on leur présentait, devinrent rapidement de très précieux coopérants ».

On connaissait les Grévisse, Bescherelle et l’excellente collection Points/Le Goût des mots, qui gardent leur pertinence.

Avec ces deux ouvrages, extrêmement bien composés, très faciles d’accès, on est dans le vif du français quotidien, la langue que nous parlons en famille, au bureau, à l’école, dans les médias, entre amis. Et, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, l’Académie française ne nous fait pas la leçon, ne dit pas le bien et le mal. Elle corrige certes, conseille, enseigne, et surtout nous donne envie d’abord de mieux parler français*. Et sur un ton, avec une gourmandise, qui n’ont rien… d’académique !

Au hasard, cette expression si fréquente, dans tous les milieux et toutes les générations : Pas de souci !. Qu’en disent nos académiciens ?  » On entend trop souvent dire il n’y a pas de souci ou, simplement, pas de souci, pour marquer l’adhésion ou le consentement à ce qui est proposé ou demandé, ou encore pour rassurer, apaiser quelqu’un, souci étant pris à tort pour difficulté, objection. Selon les cas on répondra simplement oui, ou bien l’on dira Cela ne pose pas de difficulté, ne fait aucune difficulté; ou bien Ne vous inquiétez pas, rassurez-vous.

Autre usage qui a le don de m’irriter : de par (« de par sa belle voix, ce producteur était tout indiqué pour animer la matinale de la chaîne »). Explication du Quai Conti : La locution de par se rencontre dans des formules figées d’usage vieilli, comme de par le roi, de par la loi, où elle a son sens premier de de la part de, au nom de. On la trouve également au sens d’en quelque endroit de, notamment dans la formule de par le monde – C’est un homme qui a beaucoup voyagé de par le monde – On évitera de l’employer au sens de du fait de, étant donné.

Une mine, on vous dit…

*français ou Français ? Minuscule ou majuscule ? Je lis sans arrêt, même sous d’excellentes plumes, une orthographe fautive. On veut donc rappeler que lorsque « français » est utilisé comme adjectif (la cuisine française) ou comme substantif (le français entendu comme la langue française), c’est avec une minuscule, lorsqu’il désigne celles et ceux qui ont la nationalité française (le Français est connu pour son mauvais caractère), c’est avec une majuscule. Il est donc entendu que les Français parlent le français !

Quand Bernard Pivot s’énerve

La lecture du Journal du Dimanche – quand j’en ai l’occasion – est toujours divertissante. Je ne rate jamais une chronique du pape des mots et des lettres (c’est bien le moins ce dimanche, jour de canonisation de deux anciens papes !), surtout quand Bernard Pivot, l’homme des dictées et des dictionnaires, s’en prend avec un humour ravageur et une santé corrosive à ces mots qui nous polluent sans ajouter du sens ou du contenu à notre parler quotidien.

ImageLe président de l’Académie Goncourt n’est ni un réactionnaire ni un nostalgique d’une langue défunte. Son dernier opus est la preuve du contraire :

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Il consacre sa chronique dominicale à un pavé d’Alexandre des Isnards (un nom bien « franchouillard » selon Pivot), un Dictionnaire du nouveau français

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La recension pratiquée par l’auteur de ce Dictionnaire est passionnante, instructive autant qu’amusante. Modes et travers du temps y sont épinglés sans répit.

Pas moins de 400 entrées. Quelques exemples :

ASAP : acronyme de  » As Soon As Possible  » Dès que possible en langage professionnel

Badder : énervement circonstanciel, coup de cafard passager

Boloss : naze, bouffon des beaux quartiers

Crème : cool, classe, en langage adolescent

Enjailler (s’) : s’amuser, se réjouir, éprouver du plaisir

Fangirler : adorer, et adorer en parler Kikoolol : personne qui abuse des smileys et des abréviations du langage texto

Mème : contenu diffusé sur Internet donnant lieu à des imitations

Mooc : cours en ligne ouvert à tous et diffusé à une large audience

Plussoyer : donner son assentiment en quelques lettres, ou en un chiffre « +1 »

Swag : qui a du style, qui a la classe

Moi j’en étais resté à « trop cool« , je suis définitivement has been...

La dictée verte de Cendrillon

J’aime m’amuser avec les subtilités de la langue française (lire : https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/01/17/au-courant/). C’est en lisant sur le mur Facebook d’un ami cette faute malheureusement très fréquente – la pantoufle de verre de Cendrillon – que j’ai eu l’idée de cette nouvelle dictée… écologiste, puisque le Vert et tous ses homonymes y sont à l’honneur !

La poupée de verre

Lors de ma mise au vert, n’ayant ni le physique d’un vert Adam ni l’aura d’un ver luisant, j’ai fait des vers pour séduire la poupée de verre qui représente Cendrillon derrière la façade toute en verre de l’Opéra Bastille. Des vers, de la poésie quoi, pas des vers de terre, ni des vers solitaires, ni des verres à double foyer…

J’adore Cendrillon et son soulier de vair. J’aime quand elle s’habille de vert, envers et contre toutes les traditions du théâtre. Le vert porte malheur sur une scène, paraît-il, mais on dit bien : « Un vert ça va, trois verts bonjour les dégâts! » Mais je m’égare, ça c’était une plaisanterie d’un ancien ministre à propos des écologistes…

Charles Perrault, le père de Cendrillon, n’était ni d’Auvers, ni d’Anvers, pas plus d’ailleurs que de Vers (dans le Lot ou en Bourgogne), de Vers-sur-Méouge, de Vers-en-Montagne ou de Vers-sur-Selles, j’ai vérifié, il n’a visité ni l’imposant château de Vayres en Dordogne

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ni celui qui m’était beaucoup plus familier, tout près de Poitiers, le château de… Vayres !

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Je me consolerai d’avoir perdu la trace de Cendrillon et de son géniteur en buvant un bon verre de graves-de-vayres. Nu comme un ver, comme il se doit (pour un vert Adam)…

Et je reverrai avec bonheur la chorégraphie de Noureiev et réécouterai l’enregistrement d’Ashkenazy de la célèbre Cendrillon de Prokofiev !

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