Des livres de prix

Le Goncourt

J’ai le réflexe, assez idiot finalement, de ne jamais me précipiter sur le disque qu’il faut avoir écouté, le livre qu’il faut avoir lu, le film qu’il faut avoir vu.

Il y a des exceptions à toute règle, surtout à celles qu’on se fixe soi-même! Sans doute ai-je été amusé par le choix de l’Académie Goncourt, qui a révélé qu’il avait fallu 14 tours – c’est pire qu’un président de la République sous la IVe ! – et un vote prépondérant du président pour désigner Brigitte Giraud comme lauréate du Prix Goncourt 2022. Le prix aurait tout aussi bien été à Giuliano da Empoli pour son Mage du Kremlin, qui a par ailleurs obtenu le Grand Prix de l’Académie française.

Ce dernier est, depuis plusieurs semaines, sur ma table de chevet, dans les « à lire en priorité ». En revanche, je n’ai jamais lu ni même su de Brigitte Giraud. Le seul fait que certains « commentateurs » la comparent à Annie Ernaux, m’aurait plutôt dissuadé de m’intéresser à elle.

J’ai finalement téléchargé d’abord un extrait puis le livre tout entier et je l’avoue, j’ai été happé par Vivre vite.

« En un récit tendu qui agit comme un véritable compte à rebours, Brigitte Giraud tente de comprendre ce qui a conduit à l’accident de moto qui a coûté la vie à son mari le 22 juin 1999. Vingt ans après, elle fait pour ainsi dire le tour du propriétaire et sonde une dernière fois les questions restées sans réponse. Hasard, destin, coïncidences ? Elle revient sur ces journées qui s’étaient emballées en une suite de dérèglements imprévisibles jusqu’à produire l’inéluctable. À ce point électrisé par la perspective du déménagement, à ce point pressé de commencer les travaux de rénovation, le couple en avait oublié que vivre était dangereux. Brigitte Giraud mène l’enquête et met en scène la vie de Claude, et la leur, miraculeusement ranimées » (Présentation de l’éditeur).

A la différence, à l’inverse même, de ces auteures, Annie Ernaux, Christine Angot, qui tournent autour de leur nombril et mettent en scène leur petite personne, non sans talent parfois, Brigitte Giraud raconte, dans un style sans manière, fluide, et élégant, une part de sa vie, l’événement qui a failli rendre impossible la poursuite de sa propre vie, puisque la vie de Claude son mari s’est brutalement interrompue. Tout sonne juste, sans rien de larmoyant, ni d’héroïque. Ceux qui ont connu pareil drame – la mort brutale d’un mari, d’un père, d’un proche – et qui, comme Brigitte Giraud, ont dû survivre, vivre sans, vivre autrement, sont évidemment plus touchés encore par ce récit. J’entendais l’auteure dire, dans une interview, que ce drame « intime touche à l’universel ». Ecouter ce qu’elle répondait à Anne-Sophie Lapix sur France 2 : Tenter d’expliquer l’inexplicable.

JMS Arsène Lupin ?

Je connais Joseph Macé-Scaron depuis neuf lustres (à vous de faire le calcul !). On s’est toujours suivis, de loin en loin, comme si le fil d’une amitié initiale ne s’était jamais rompu, quelques chemins de vie que nous ayons pu emprunter. JMS auteur de polar ? c’était un rôle qu’il n’avait encore pas endossé. Je viens d’acheter son dernier ouvrage, qui ne peut manquer de nous rappeler Maurice Leblanc, L’Aiguille creuse, Arsène Lupin. La rumeur en dit du bien. Je ne devrais pas être déçu…

Étretat, ses falaises, ses lecteurs d’Arsène Lupin, sa mer aux couleurs du temps et ses couples romantiques enlacés sous la bruine. Attention à ne pas vous approcher trop près du bord, ce thriller glaçant risque de vous donner le vertige. 

Derrière la carte postale de la petite station balnéaire, belle endormie de la Côte d’Albâtre réveillée chaque week-end par des nuées de touristes, se cache un monde de passions, de secrets et de dangers. Car le Mal rôde, satisfait d’avoir pu y commettre, depuis des décennies, des crimes parfaits. 
Revenue une nuit sur les lieux de son enfance pour mettre fin à ses jours, Paule Nirsen en est empêchée par une rixe au bord de la falaise. Le lendemain, une femme, Rose, est retrouvée sur les galets. 
Autour de Paule, les victimes s’accumulent. S’agit-il d’un tueur en série ou d’une mécanique diabolique actionnée par une confrérie ivre de revanche sociale ? 
Furieuse qu’on lui ait volé son suicide, Paule va mener l’enquête avec le capitaine de gendarmerie Lassire. Ils ne seront pas trop de deux pour s’enfoncer dans les brumes épaisses de la cruauté humaine et montrer que la victoire du Mal n’est jamais inéluctable. Mais à quel prix ? 
(Présentation de l’éditeur)

Vanessa, Raphaëlle et les riches

Ce n’est pas la première fois qu’on loue le talent d’écriture de la journaliste Raphaëlle Bacqué (voir Les dames du Monde). Cette fois, elle s’est associée à sa consoeur du Monde, Vanessa Schneider, pour croquer une savoureuse galerie de portraits sur les grandes familles qui règnent sur l’économie, les médias, les secteurs-clé de notre vie. Pas de parti pris, mais beaucoup d’informations, si ce n’est des révélations, sur des personnages aussi redoutables que redoutés.

Un père, des enfants, une entreprise à transmettre. Balzac en a fait le terreau de nombreux romans, les Américains des séries à succès, mais la réalité dépasse la fiction. Cette enquête riche en révélations plonge dans les coulisses et les secrets de famille du capitalisme français.

Vincent Bolloré a rebâti son empire pour le rendre désirable aux yeux de ses enfants. Mais il ne lâche rien. 
Bernard Arnault élève les siens comme on entraîne des chevaux de course. 
Jérôme Seydoux ne juge personne à sa hauteur. Dans la tribu Bouygues, c’est l’outsider qui a finalement gagné. 
Arnaud Lagardère, lui, a réduit méthodiquement l’héritage de son père, comme une vengeance oedipienne… 
Méconnues jusqu’à présent, les histoires de succession des Pinault, Decaux, Hermès, Mulliez, Peugeot, Gallimard ou 
Bettencourt racontent les privilèges, les haines et les trahisons qui empoisonnent les liens du sang.
Sujet tabou, dossiers explosifs. Histoire universelle.

Au fil d’un récit haletant, deux journalistes réputées nous dévoilent pour la premières fois la véritable nature du pouvoir en France. (Présentation de l’éditeur)

Théâtre

Mardi soir au Théâtre de Paris, l’affiche était alléchante.

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Une pièce à succès d’Edouard Bourdet, Fric Frac, le film éponyme (1939) de Maurice Lehmann gravé dans toutes les mémoires de cinéphiles.

IMG_9116Il faut un certain culot et un courage certain à Michel Fau le metteur en scène, et au quatuor de rôles principaux constitué par … Michel Fau, Julie Depardieu, Régis Laspalès et Emeline Bayart, pour relever le défi de ne pas décevoir un public de 2018, auquel le thème même – le Paris popu des années 30 – et les caractères de cette pièce ne sont plus du tout familiers. Les dimanches à la campagne,  les loulous de Ménilmuche, les petites femmes de Pigalle, l’argot parigot, difficile de réitérer l’exploit d’Arletty, Fernandel, Michel Simon et Hélène Robert, pour ne citer que les principaux rôles…

Résultat mitigé : Michel Fau fait du Michel Fau – on ne déteste pas ! – et Laspalès finalement ne convainc qu’en retrouvant ses réflexes du duo qu’il formait avec Philippe Chevallier. En revanche, Julie Depardieu se sort plutôt bien d’un rôle casse-gueule, on finit par croire à son personnage sans qu’elle cherche à singer son illustre modèle, et la révélation de la soirée est l’impayable Emeline Bayart qui semble emprunter les délires et la vis comica d’une Valérie Lemercier à ses débuts,  et que je n’avais encore jamais vue ni sur scène ni au cinéma (où elle incarnait la récente Bécassine de Denis Podalydès.

D’Edouard Bourdet, je ne connaissais jusque là qu’une autre pièce, Le Sexe Faible, jadis vue à la télévision dans la célèbre série Au théâtre ce soir, avec une distribution éblouissante, d’où ma mémoire avait retenu l’extravagante Comtesse jouée par une Denise Gence hallucinante et Antoine, le maître d’hôtel/confident incarné à la perfection par l’immense Jacques Charon, et cette réplique de Gence à Charon prononcée avec un inimitable accent moldo-valaque : Morne soirée Antoine !

Revenant du théâtre mardi soir, j’ai retrouvé sur Youtube une autre version de la pièce, enregistrée à la Comédie Française en 1962, avec tous les grands noms du théâtre français de l’époque, Denise Gence bien sûr, Charon, Hirsch, Descrières, tant et tant d’autres, et le beau et fringant Jean Piat.

Jean Piat, dont on allait apprendre la disparition quelques heures plus tard. Et à propos duquel tous les médias ont fait assaut de platitudes pour saluer une carrière exceptionnellement longue et variée. Il paraît que « les Français » n’ont retenu de lui que sa participation aux Rois maudits, une série (et une oeuvre littéraire) à laquelle je n’ai jamais accroché. Moi je me rappelle un autre Jean Piat – en dehors de celui que j’ai souvent vu sur scène – son incarnation inoubliable de Lagardère dans le feuilleton en six épisodes de Marcel Jullian, diffusé fin 1967.

Hommage à un grand artiste !

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Le gamin de Paris

On ne pourra jamais lui faire le reproche – et on ne le lui a d’ailleurs jamais fait ! – de ne pas savoir bien parler le français. D’être parfois trop long oui, un bavard impénitent oui. Mais quand on aime, on accepte (presque) tout..

Je viens de terminer Une minute pour conclure de l’ami Ivan Levaï.

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Pas vraiment des mémoires, quoique l’échéance – redoutée ? -de ses proches 80 printemps ait sans doute incité celui qui restera pour moi et quelques millions d’auditeurs « la » voix de la revue de presse quotidienne de France Interà livrer bien des souvenirs intimes, sa naissance à Budapest, une enfance de migrant, le gamin de Paris, de la rue des Pyrénées à la rue François Ier et aux studios d’Europe 1.

https://www.youtube.com/watch?v=C684BtPLR9U

Orphelin d’une femme libre et d’un père inconnu, Ivan Levaï commence sa vie en France, sous Pétain. Il a 7 ans quand le général de Gaulle s’écrie, du balcon de l’Hôtel de Ville :  » Nous sommes ici chez nous dans Paris levé, debout pour se libérer, et qui a su le faire de ses mains.  » C’est là, près de la Seine, que l’enfant caché venu du Danube décidera d’être français et plus tard journaliste, afin de raconter ce qu’il entend et voit. 
Pendant plus d’un demi-siècle, le chroniqueur, plus européen qu’austro-hongrois, interrogera tous les acteurs de la vie publique, politiques, artistes, créateurs, grands patrons, magistrats et personnalités étrangères… 
Mais c’est aujourd’hui qu’il dit tout des bons et des méchants qu’il a pris le temps d’observer durant sa carrière. En effet, pour Ivan Levaï, c’est à l’heure de conclure une longue et belle vie qu’il convient d’être gai et de chanter. Même si la musique diffusée garde son parfum de nostalgie, prix à payer d’une authentique sincérité.  (Présentation de l’éditeur).

Moi qui croyais connaître un peu Ivan Levai, ses amitiés éclectiques, sa fidélité à Mitterrand, Montand, Signoret, j’ai découvert dans ce bouquin des aspects de sa personnalité qui finalement ne me surprennent pas : une très grande culture, nourrie d’une insatiable curiosité, une vraie connaissance de la musique et des musiciens. Bref tout le contraire d’un conteur d’anecdotes superficiel.

Et en ces temps de grand remue-ménage électoral, certains candidats à la magistrature suprême seraient bien inspirés de lire ce témoignage de première main d’un observateur affûté qui fut aussi un acteur discret de l’histoire de notre République française du demi-siècle écoulé.

Pour Ivan, ces échos des bords du Danube :

https://www.youtube.com/watch?v=uryxnRmuABI

https://www.youtube.com/watch?v=UNxFm7_XTyA

Guerre des étoiles

Le Monde daté de ce jour, donnait un titre un peu excessif – La guerre des étoiles à l’Opéra de Paris – à un sujet qui agitait le microcosme culturel et médiatique depuis le début de la semaine, et dont le dénouement n’a été connu qu’hier après-midi (après la publication de l’article de Rosita Boisseau) : http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/02/05/aurelie-dupont-le-retour-du-classique_4859805_3246.html?xtmc=millepied&xtcr=2.

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Je n’ai aucun commentaire à faire sur ce qui, au regard de l’actualité du monde, peut apparaître comme une tempête dans un verre d’eau. Quand on a occupé des fonctions de responsabilité, a fortiori dans le monde de la culture, on ne peut pas se livrer à la surenchère de critiques ou de louanges qui pullulent sur les réseaux sociaux. Personne parmi ces « commentateurs » d’occasion ne connaît jamais les tenants et les aboutissants des décisions d’un « patron » d’entreprise culturelle ou médiatique. On est d’ailleurs toujours prompt, surtout en France, à voir partout la trace de complots, de luttes de clans, de l’influence de réseaux, pour expliquer telle ou telle nomination. C’est souvent, très souvent, beaucoup plus simple – ce qui ne veut pas nécessairement dire logique ou transparent ! -.

Une évidence s’impose toutefois : la direction, la gestion, d’abord humaine, d’un groupe d’artistes, d’une entreprise culturelle, requièrent des qualités, une expérience, une vraie solidité personnelle, qui ne sont pas toujours celles de grands artistes.

Cet épisode a, du coup, largement effacé un anniversaire, fêté dans une relative discrétion, mais dans la chaleur de l’amitié : les 20 ans de MezzoLa petite chaîne devenue indispensable dans le paysage musical et médiatique mondial.

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C’était mercredi matin au Petit Palais, toute la profession était là, et des musiciens aussi : le quatuor Modigliani (sur la photo), Gautier Capuçon, et d’autres…

J’avoue que je n’imaginais pas un aussi beau développement lorsqu’en 1995 Jacques Chancel, fraichement débarqué de la direction de France 3, toujours en avance d’une idée, était venu me voir dans mon bureau de France Musique pour me parler de la création d’une nouvelle chaîne de télévision qui serait vouée à la musique classique. Ce n’est pas directement lui qui avait lancé l’idée mais il voulait mettre sa notoriété (le succès de son Grand Echiquier !) au service de ce projet. Le plus extraordinaire dans l’aventure de Mezzo est que le projet initial n’ait jamais été dénaturé, même si les programmes se sont enrichis et ouverts par exemple au jazz, et n’ait jamais pâti des vicissitudes de l’organisation de l’audiovisuel français.

Bon anniversaire et longue vie à Mezzo !