Les chevaux de Kirghizie

Les voyages forment la jeunesse, dit-on, c’est vrai aussi pour les plus vieux comme moi. Quand on lit sur le programme d’un voyage qui ne peut qu’être organisé à l’avance – dans les pays que je visite cette année – des mentions comme : Fabrication d’une yourte, ou Visite d’une coopérative d’artisans du feutre, on s’attend à des démonstrations toutes faites pour les touristes.

Touristes nous sommes bien sûr, mais la gentillesse naturelle, spontanée, de tous les Kirghizs, grands et petits, croisés jusqu’à présent, n’est pas sans étonner. Avant-hier, dans le centre de Kotchkor, près des étals d’un petit marché, je reçois une tape dans le dos, aussitôt suivie d’une chaleureuse poignée de main de la part d’un homme entre deux âges, le visage buriné, le sourire édenté, qui me demande en russe d’où je viens : la France ! Et le voici de redoubler de serrements de main, me félicitant… pour les Jeux olympiques et la fête à Paris. Dans la rue proche de l’hôtel, tout un groupe d’enfants de 2 à 7 ans se presse pour me serrer la main, se faire photographier avec un large sourire…

La fabrication des yourtes

Arrêt donc dans le village de Kyzyl Tuu, où la majorité des habitations est constituée d’ateliers de fabrication de yourtes, l’arbre servant à la structure de cet habitat traditionnel nomade, le saule, poussant en abondance près de la rivière.

La yourte traditionnelle, artisanale, est sans doute l’habitat le plus écologique au monde, puisque constituée uniquement de produits de la nature, le bois de saule, la peau de vache pour faire les joints (aucun boulon ou vis), et le feutre pour le toit et le revêtement des parois. Le coût d’une yourte est d’environ 5000 dollars, l’artisan qui nous a reçus nous confiait que le marché était de plus international, et que rien qu’en France il en avait déjà exporté plus de 500 !

Le feutre des femmes

Le feutre, la feutrine, ont presque disparu de nos environnements d’Europe, à l’exception des porteurs de chapeaux…

J’avoue que j’ignorais jusqu’à la visite de la coopérative des femmes de Kotchkor comment était fabriquée cette matière si naturelle, et si précieuse dans les régions exposées à des températures extrêmes, le feutre.

La tradition de fabrication centenaire nous a été présentée de manière plutôt amusante. Après avoir superposé deux couches de laine de mouton brute, non cardée, non tissée, notre hôtesse l’arrose d’eau chaude, l’enroule dans un fétu de paille, puis durant 15 minutes, assène des coups de pied au rouleau (évidemment le visiteur est prié de se plier à l’exercice !), de manière à essorer l’ensemble. Aucun élément mécanique n’intervient à aucun moment. Puis, une fois le carré de feutre – c’est donc uniquement l’eau qui « lie » la laine brute – réalisé, d’autres femmes prennent le relais pour imaginer des dessins, superposer différentes couleurs. Sans aucun usage de produit artificiel. Ecolo en diable !

Les chevaux du lac Son Kul

Le plus impressionnant, en tout cas les souvenirs les plus forts qui me resteront de ce voyage en Kirghizie, est la découverte du lac Son Kul, situé à 3000 m d’altitude, au sud de Kotchkor. Aucune photo, aucune vidéo, ne parviendra jamais à restituer l’immensité silencieuse, la beauté changeante des eaux et des rives du lac, et le compagnonnage de milliers de chevaux, vaches et moutons en apparente liberté – les bergers, parfois très jeunes, les surveillent de loin.

Ici, aucune construction touristique, pas d’électricité, sauf celle que produisent des générateurs une ou deux heures par jour, pas de connexion internet ou même téléphonique. La nuit dans une yourte est une expérience à vivre, tant le différentiel de température entre plein midi et minuit est saisissant. Et partout, tout le temps, un silence absolu, à peine rompu par le cri d’un aigle, le hennissement d’un cheval ou un meuglement de jeune veau.

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Je ne peux décrire le plaisir que j’ai pris à parcourir ces paysages à cheval. Expérience unique !

Que la montagne kirghize est belle !

On aurait pu choisir une plage déserte de la rive sud ou une station balnéaire animée de la rive nord de l’immense lac Ysyk Kul.

La rive nord du lac Ysyk Kul le jour et au couchant

Mais c’est bien la montagne qu’on a choisi d’explorer, à des altitudes raisonnables.

Les sources chaudes d’Altyn Arashan

La vallée d’Altyn Arashan se mérite, les sources chaudes à 2555 m aussi. On est prévenus, on doit affronter 2 heures de cahot non stop en 4×4 militaire (on se croirait dans un simulateur de vol avec turbulences maximales !). Mais ce qu’on découvre sur le parcours, le torrent furieux, les pics enneigés qui se découvrent, un bain chaud à 38 degrés, moins chargé minéralement que d’autres visitées. On rencontre une famille de Kirghizs qui passe l’été en altitude avec chevaux, âne et vaches, qui fabrique le pain et pêche la truite à côté. Les deux derniers garçons (2 ans et demi, un an et demi) ne sont pas les derniers à monter l’âne ou le cheval.

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Svetlaia Poliana

C’est le trek traître par excellence : on m’avait annoncé un parcours « doux ». En réalité comme les faux plats pour les cyclistes, le marcheur qui croit arpenter une belle montagne à vaches fait 7 km en montée continue pour un dénivelé de 700 mètres. C’est mon cardiologue qui va être content !

On croise des troupeaux de vaches à la robe bronze et or splendides, des chevaux d’une élégance admirable qui semblent avoir la montagne pour eux. Ils ne sont pas sauvages et redescendront à la fin de l’été. Parfois on croise de très jeunes cavaliers.

Comme à chaque expérience de ce type (l’an dernier au Lakakh) la meilleure photo, la meilleure vidéo du monde sont incapables de restituer l’impression d’immensité qui vous saisit.

On aperçoit au fond le lac Ysyk Kul

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L’aigle de Tamga

Ce matin on avait rendez-vous avec un aiglier – un terme appris à’l’occasion, comme un fauconnier s’occupe de faucons – un authentique Kirghiz, avec ses enfants, deux garçons, deux filles, à 2300 m d’altitude au-dessus de Tamga. Personnage immédiatement sympathique, prenant le temps d’expliquer qu’il est la quatrième génération de sa famille à s’occuper ainsi d’élever des aigles, qui vont rester de quinze à vingt ans auprès de leur maître (les femelles restant le plus longtemps) à être « éduqués » à chasser, puis sont libérés dans la nature à l’état sauvage. Une très belle tradition qu’on était heureux de vivre de près !

Assez inattendu dans ce cadre grandiose un monument à Gagarine le premier cosmonaute soviétique

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Dans les steppes de l’Asie centrale

Une commande d’Alexandre

L’une des oeuvres les plus connues de la musique classique russe est assurément le poème symphonique de Borodine Dans les steppes de l’Asie centrale. Commandé au compositeur pour le 25e anniversaire du règne d’Alexandre II, dédié à Liszt, et créé par Rimski-Korsakov le 20 avril 1880 à St Pétersbourg.

En réalité, la Kirghizie est plus un pays de montagnes que de steppe ou de plaine. Mais en longeant la rive nord du lac YsyK Kul, le plus grand lac de montagne du monde après le lac Titicaca, et en même temps la frontière avec le Kazakhstan, j’ai eu, plus d’une fois, l’impression de parcourir la steppe qui est l’essence même du paysage du pays voisin.

Une histoire de petits chevaux

Visitant en juin la ménagerie du Jardin des Plantes, montrant à mes hôtes l’une des espèces sauvegardées par et grâce à l’établissement parisien, les chevaux de Prjevalski,

j’étais loin de me douter que je visiterais deux mois plus tard la tombe et le musée dédié au « découvreur » de cette espèce, le général explorateur russe Nikolaï Mikhaïlovitch Prjevalski, à Karakol sur les bords du lac Ysyk Kul.

J’avoue que j’ignorais tout de ce personnage à la Jules Verne, qui toute sa vie rêva d’accéder au Tibet, à Lhassa, et qui mena cinq expéditions parmi les plus extraordinaires dans l’Empire russe, essentiellement en Asie centrale (elles sont parfaitement racontées dans l’excellente fiche Wikipedia qui lui est consacrée)

La mosquée chinoise

Une précision d’importance, que toutes les personnes rencontrées depuis le début de mon séjour au Kirghizistan évoquent : leur double appartenance. Ils se revendiquent et d’une nationalité et d’une citoyenneté, les deux ayant toujours été mentionnées sur les passeports jusqu’à une période récente. Quand ils se présentent à vous, ils se disent d’abord kirghiz, ouzbek, russe, etc.

Avant hier j’étais invité à dîner dans une famille ouïgour, installée ici depuis plusieurs générations. Grâce à des campagnes de mobilisation internationale, le sort tragique des Ouïghours de Chine est connu. SI on veut les respecter, commençons, n’est-ce-pas M. Glucksmann !, par les prononcer correctement : non ce ne sont pas des Ouiiii-gours, mais des Ouille-gours. Si les musulmans chinois de cette communauté sont toujours traqués dans leur pays, il y a longtemps que les Ouïghours et leurs frères en religion, les Dounganes, ont trouvé refuge en terre kirghize.

C’est ainsi qu’ils ont érigé à Karakol, entre 1907 et 1910, une mosquée tout à fait étonnante dans son apparennce.

La mosquée Dungan de Karakol a été construite entre 1907 et 1910 sans un seul clou, par les Douneganes, une communauté de musulmans chinois arrivés à Karakol pour fuir les violences des années 1870 et 1880.

La mosquée a été conçue par un architecte chinois, qui a incorporé des couleurs et des motifs traditionnels dans l’architecture. Le rouge, le vert et le jaune sont des couleurs prédominantes en raison de leur signification symbolique dans la culture dounegane (le rouge pour la protection contre les mauvais esprits, le jaune pour la prospérité et le vert pour le bonheur). On y trouve également des dragons et un phénix, ainsi qu’une roue de feu, qui sont des motifs typiques des Douneganes. À côté de la mosquée se trouve un minaret en bois en forme de pagode.

Aujourd’hui, la mosquée est utilisée par l’ensemble de la communauté musulmane de Karakol, et pas seulement par les fidèles douneganes.

La Russie éternelle

La ville de Karakol est surprenante. 90.000 habitants à peine, mais établis sur une immense superficie, de rues parallèles et perpendiculaires. Pas de véritable centre urbain, une ressemblance frappante avec la plupart des petites villes américaines, s’il n’y avait ici et là quelques vestiges de maisons typiques des villes de province russes. On nous dit que la position du gouvernement est de pousser les propriétaires et les acheteurs à préserver ce patrimoine historique, tout projet de transformation semble interdit.

Aujourd’hui musée cette petite maison est le siège du premier Soviet nommé dès 1920.

Rareté dans le paysage kirghize, l’église orthodoxe de la Sainte-Trinité date de la fin du XIXe siècle, elle a été construite sur le lieu d’une ancienne église détruite par un tremblement de terre. Elle avait été interdite au culte sous Staline, puis progressivement rétablie dans ses prérogatives religieuses. Elle a bénéficié d’une rénovation récente.